Épisode 38
Comme elle n'a plus son téléphone, David l'a appelée sur la ligne fixe de la maison. Le seul appareil de l'étage encore en fonction est dans le corridor.
— C'est toi? demande-t-il d'une voix tremblante. C'est vraiment toi?
— Oui, répond-elle.
À l'autre bout de la ligne, David pousse un soupir. Ariane est émue par son inquiétude et elle se sent s'attendrir.
— Je vais bien, ajoute-t-elle.
— J'ai eu tellement peur. Est-ce qu'ils t'ont fait du mal?
— Ils ne m'ont rien fait.
Elle répète ses mensonges et la voix de David se calme.
— Comment tu te sens? demande-t-il.
— Épuisée. L'adrénaline ne me soutient plus.
— J'ai deviné des choses. Ceux qui t'ont kidnappée surveillaient le party. Soit qu'ils étaient à l'extérieur, soit que quelqu'un, à l'intérieur, les informait. Un employé du traiteur, le barman, une des cuisinières...
Ariane devient mal à l'aise et change de sujet.
— Comment est-ce que tes parents ont réagi? demande-t-elle.
— Ils sont terrifiés. La maison est rendue comme un château fort. Les gardes du corps sont partout. La compagnie qui nous les fournit a dû en faire venir de Toronto. Ma sœur ne sort plus, elle étudie à distance. Moi, je peux juste aller travailler. On fait le trajet avec plusieurs gardes du corps et on reste dans le bureau toute la journée. C'est là où je suis en ce moment.
Il continue à parler, mais Ariane n'arrive plus à le suivre et, quand il se tait, elle ne sait pas quoi dire.
— Excuse-moi, explique-t-elle, je dors debout.
— C'est moi qui m'excuse de te retenir comme ça. Tu m'as tellement manqué! Va te reposer, mon amour. Tu es en sécurité, maintenant.
— Ça m'a fait beaucoup de bien de te parler.
— Je t'aime, dit-il. Je ne veux pas que tu revives ça. Plus jamais!
— Je t'aime aussi. Merci d'être là. Merci de me garder dans ta vie.
Ce qu'elle éprouve pour lui s'est clarifié. Bien sûr, il n'est pas un homme comme Julien, mais il n'est pas un criminel obsédé par la violence et Ariane peut compter sur lui. Elle est heureuse de l'avoir dans sa vie.
Elle retourne dans sa chambre, se glisse dans le lit et tombe dans le sommeil.
Un coup de feu la réveille. Sa tête a éclaté. Julien a tiré dans sa figure.
Ariane remue les bras une dernière fois, tandis que le sang coule sur le tapis du petit salon où a eu lieu l'anniversaire de la tante et que d'autres coups de feu résonnent. Et l'illusion se dissipe avec le rêve.
Rien n'a changé dans la chambre et le soleil brille à travers les rideaux. Mais Ariane devine que plusieurs heures se sont écoulées.
Elle se précipite sur son ordi portable, qui traîne sur son bureau, et l'allume. Windows indique 10 heures 35, à peu près l'heure à laquelle elle s'est endormie... mais on est maintenant jeudi. Ariane a dormi 48 heures!
C'est invraisemblable. Comment peut-on dormir deux jours? Le stress intense vécu durant l'enlèvement a dû vider toutes ses ressources. Elle tente de rester calme, même si M. Poulin est peut-être déjà mort, tape son nom dans les actualités et lit les manchettes.
« Affaire Poulin: l'adolescente disparue est retrouvée »
« La victime d'un enlèvement s'échappe »
« Ariane Laforest a peu d'informations à offrir aux enquêteurs »
Rien de nouveau n'est arrivé et l'adolescente inspire profondément, mais elle ne parvient pas à se détacher de la violence du rêve. D'une manière ou d'une autre, il va se réaliser, sauf que ça sera le père de David qui va mourir. Ariane ne peut pas être complice de ça et elle doit changer son témoignage. Mais comment expliquer ses mensonges?
Son corps faiblit et ses bras tremblent. Ariane a faim, une faim immense. Elle passe des jeans, un tee-shirt et descend à la cuisine.
Caroline est assise à l'îlot, sa tablette devant elle. En voyant Ariane, elle se lève, la prend dans ses bras et la serre contre son cœur.
La lumière du bonheur illumine l'adolescente.
— Tu as dormi longtemps, dit sa mère. As-tu faim?
— Énormément!
— Que dirais-tu si je te préparais des crêpes?
Ariane sourit. Les crêpes au sirop d'érable, c'est son déjeuner favori.
Tandis que la première cuit, Ariane accède à son Insta et ses autres comptes avec son ordinateur portable. Environ 200 messages l'attendent. À peu près tous les gens qu'elle connaît lui expriment leur bonheur de la savoir en vie.
Elle mange une première crêpe et pense qu'elle doit avoir le courage de se comporter de la bonne façon. Julien a choisi le mal et il doit en subir les conséquences. Une idée surgit. Ariane possède un joker: le pendentif de la tante. Peut-être que, d'une manière ou d'une autre, il pourra mener la police à Julien... ou mener Julien à la police?
Mais comment expliquer son premier témoignage? Tant pis, elle dira la vérité: elle a voulu protéger son ravisseur. Contacter les détectives est urgent. Ils lui ont donné leur numéro et Ariane se lève pour utiliser la ligne fixe. Le récepteur se trouve dans la pièce voisine.
Avant qu'elle le touche, il se met à sonner, et l'afficheur indique le nom de David. Avec surprise, Ariane réalise qu'elle n'a pas envie de lui parler.
— La belle au bois dormant s'est réveillée? demande-t-il.
— Eh oui.
— Comment te sens-tu?
— Reposée. Mes idées sont plus claires.
— J'ai besoin de te voir, dit-il.
— Tu es au bureau?
— Je veux que tu viennes ce soir chez moi. J'ai découvert un restaurant français incroyable, leurs prix sont absolument fous. Ils livrent en taxi. On va déguster leurs plats les meilleurs.
Il ricane.
— Personne ne peut se payer ça.
L'estomac d'Ariane se crispe. Ingérer cette nourriture financée par l'invention d'un suicidé la rend malade.
Un goût âcre gagne sa bouche. L'argent des Poulin est sale et tout ce qu'il touche aussi.
— Ça ne me tente pas, dit-elle.
— Pourquoi?
— Je viens de me faire kidnapper. Je ne veux pas sortir d'ici.
— Je vais te protéger. Tu seras en sécurité.
— Mes ravisseurs sont des gens très dangereux, David. Ce sont des professionnels du crime.
— Tu ne cours aucun risque. Je vais envoyer un garde du corps te chercher.
Le cœur d'Ariane accélère.
— Le même que l'autre fois? B?
— Non, dit David. Je ne sais pas s'il est malade ou s'il a démissionné, mais on ne le voit plus. Tant mieux!
Ariane ressent une grande déception.
— Je vais envoyer V, dit David.
— L'ancien prof d'éducation physique?
— Non, ça c'est O. V sort de l'armée, comme la plupart des autres. Ils sont méchants, mais ils font ce qu'on veut parce qu'on les paye bien.
« Tous mes collègues détestent les Poulin » a dit Julien. Ils agissent comme s'ils se croient supérieurs.
— Dans la vie, continue David, les forts écrasent les faibles, et nous sommes les plus forts parce que nous avons le plus d'argent.
— Alors vous écrasez les faibles.
— On s'arrange pour qu'ils nous soient utiles.
— Je n'irai pas chez toi ce soir, dit-elle.
— J'ai besoin de te voir.
— Eh bien moi, j'ai besoin de me remettre de ce qui m'est arrivé.
David reste silencieux.
— Tu sais, dit-il, tu ne devrais pas t'imaginer que tu es irremplaçable.
— Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables, réplique-t-elle. Tu ne l'es pas plus que les autres.
— Je vois.
— Je dois te laisser. Mes crêpes refroidissent.
L'appel se termine sur ces mots. Chacun raccroche.
[prochain épisode vendredi le 10 février à 16h00 Europe (CET) et Afrique de l'ouest (WAT), 15h00 Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST) bonne semaine à tous... ne vous gênez pas pour voter et commenter XD ça fait tellement plaisir]
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