Épisode 35
La phrase qu'Ariane a dite à Julien et qui l'a rendue inintéressante à ses yeux, c'est: « J'ai besoin de toi. » L'adolescente se rend à la porte et appelle son kidnappeur. Après quelques minutes, des pas résonnent dans l'escalier, mais ce ne sont pas les bons, elle le sait tout de suite.
— Tais-toi, fait la voix du chauve.
— Ouvrez la porte. Je dois parler à Julien.
— Il ne veut pas venir.
— S'il vous plaît. C'est important.
— Si tu cries encore une fois, on te bâillonne et on t'attache, compris?
Bien sûr, ils le feraient. Ariane s'effraie et obéit. Elle a encore le pendentif de la tante, que Julien n'a pas pensé à reprendre quand ils ont presque fait l'amour. Elle a envie de presser le bouton d'alerte, mais devine qu'il deviendrait furieux.
Plusieurs heures passent et la porte s'ouvre. En reconnaissant son visiteur, Ariane se sent prise par une très forte émotion. Le bonheur se trouve devant elle mais elle reste dans la grêle et la pluie. Sa poitrine est oppressée, les idées tourbillonnent et elle feint le détachement.
— Ah, dit-elle. Tu es venu me voir.
Julien la contemple en silence. La puissance de son corps s'allie à une finesse émouvante qui le rend sans égal. Ses yeux noirs s'imprègnent d'Ariane, qui sent que tout n'est pas perdu. Il a encore envie d'elle. Il a changé d'avis, ils vont recommencer. Elle s'efforce de rester calme.
— Tu sais, continue-t-elle, ne t'imagine pas que ce que je t'ai dit tantôt est vrai. Je voulais te faire plaisir, mais je ne le pense pas. Je n'ai besoin de personne.
— Je suis venu te dire au revoir, répond-il.
— Comment ça?
— Je dois m'en aller et je ne pense pas qu'on va se reparler.
— Pas aujourd'hui, tu veux dire?
— Non. Plus jamais.
Pendant quelques secondes, Ariane ne ressent rien. Puis tout devient de pierre et de gris. Les larmes coulent. Elle s'avance et, maladroitement, tente de l'enlacer.
Il la repousse avec douceur.
— Je ne veux pas que tu partes, dit-elle en essuyant ses yeux. Je t'aime. Je veux que tu restes avec moi.
— Je ne suis pas capable.
— De rester?
— De t'aimer. Ce n'est pas de ta faute, Ariane. Tu es la femme la plus belle que j'ai vue de ma vie, je l'ai pensé dès le premier moment, quand tu attendais David sur la terrasse du restaurant, le midi, avec ton manteau rouge. J'étais certain que tu serais égoïste et désagréable, mais non, tu as plus de cœur que le reste du haut-Outremont réuni. Mais je ne suis plus capable d'amour.
— Je ne te crois pas. En quelque part, je sais que tu m'aimes au moins un peu. Je le vois. Je le sens.
— Je vais t'oublier, dit-il. La minute que je ne te verrai plus, je ne ressentirai plus rien. C'est pareil pour tout le monde, même pour ma tante. Je n'arrive plus à m'attacher aux autres. Je peux juste haïr les Poulin.
— On allait... je pensais qu'on allait faire l'amour. Pourquoi est-ce que tu as arrêté?
— Il ne me reste pas longtemps à vivre et je ne veux pas que tu aies besoin de moi. Plus tu t'attaches, plus ça va être dur. Je suis devenu un monstre, c'est vrai, mais je ne suis pas encore assez salaud pour faire souffrir une personne comme toi.
— Tu n'es pas un monstre, dit-elle.
— Oh oui, j'en suis un. J'ai brisé le cœur de nombreuses filles qui espéraient que je les aime. La haine, la violence et la mort détruisent l'amour. Moi, c'est la haine de Charles Poulin qui me fait me lever le matin. Ça a tué tout l'amour que je pouvais ressentir. Et personne ne peut changer ça. Même pas toi.
Ariane serre l'une contre l'autre les mains avec lesquelles elle voudrait le caresser. Elle dispose encore de quelques instants.
— S'il te plaît, dit-elle, reste avec moi. Au moins cette nuit. Fais-moi l'amour.
— Pour que tu aies encore plus de peine ensuite?
— Alors amène-moi avec toi. Je veux mourir avec toi.
— Je te respecte trop pour te faire ça. Je vais couler et je ne veux pas que tu coules. Je veux que tu m'oublies.
— Tu ne peux pas partir comme ça, dit-elle. Je t'ai attendu toute ma vie.
Julien se détourne et quitte la pièce. Ariane se jette sur la porte.
De nouveau, elle est verrouillée. L'adolescente frappe sur le bois, appelle Julien. Elle s'effondre en pleurs sur le matelas.
Les heures passent. Le chauve lui amène son souper et Ariane le supplie de la conduire à Julien, même si elle ne sait pas ce qu'elle lui dirait. Plus tard, elle entend des bruits, en bas dans la maison, sans comprendre ce qu'ils font. Elle finit par s'endormir.
Le lendemain matin, quand elle se réveille, la porte n'est plus verrouillée.
Elle sort de sa cellule et descend l'escalier. L'étage du bas est plongé dans l'obscurité. À tâtons, elle trouve le commutateur.
Le corridor s'étend devant elle et toutes les portes sont ouvertes. Ariane se promène d'une chambre à l'autre, sans voir personne. L'aspirateur a été passé, les tapis et les planchers sont propres, les meubles bien placés, les vêtements et les objets personnels ont disparu.
La chambre de la tante est vide. Le lit a été dépouillé de ses draps.
Au rez-de-chaussée, elle trouve son manteau près de la porte. Les comptoirs de la salle de bain et de la cuisine ont été astiqués, les déchets ont disparu, la porte du frigo brille. Dans la buanderie, elle trouve la literie, lavée et séchée mais non pliée.
Ariane sent l'étau du désespoir l'écraser. Les criminels ont effacé leurs traces et ils sont partis en la laissant derrière.
Dans le petit salon où elle a presque fait l'amour, elle se laisse tomber sur le divan. Là a failli se passer le moment le plus important de sa vie. Ariane se sent mal dans chaque partie de son corps et saigne d'un sang invisible. On lui a arraché tout ce qui comptait.
Julien n'a rien laissé pour elle. Même pas un message. C'est comme il a dit. Ariane a cessé de compter dès qu'il ne l'a plus vue.
Tout a disparu, comme s'il n'avait jamais existé.
Une ombre pénètre Ariane et sa peine se transforme en colère, puis en haine. Julien n'a pas voulu d'elle, même pas pour du sexe. Il l'a excitée pour mieux l'abandonner. De toutes ses forces, avec toute la passion dont elle est capable, elle espère que la police va l'arrêter.
En imaginant son ravisseur en prison, elle se sent un peu moins mal. Il mérite un châtiment. De toute façon, elle ne peut pas le laisser torturer et tuer les Poulin. Ça serait horrible.
Elle remonte dans le grenier. Le pendentif de la tante est posé sur la pile de vêtements de rechange. Ariane le prend et l'empoche. Laissant ses vêtements derrière, elle redescend, passe son manteau, sort de la maison et marche vers la liberté et les difficultés que ça va lui amener.
[suite vendredi le 20 janvier... vers 16h00 Europe(CET) 10h00 Amérique(EST) - je vais l'écrire à l'avance car je suis en cours à ce moment XD]
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