Épisode 24
La vieille dame déguste le macaroni industriel arrosé de ketchup.
— C'est tellement bon!
Ariane se force à manger cette nourriture chimique, symbole de notre monde de plus en plus pollué.
— Aucun enfant n'a vécu dans cette maison depuis des années, continue la vieille dame. Je le sens.
— Je le sens aussi, affirme Ariane, même si elle n'en a aucune idée.
B, qui paraît morose, se tait.
— Les enfants laissent un peu de leur âme partout où ils passent, dit la vieille dame. Leur innocence et leur cruauté.
— C'est vrai.
— À mesure que je vieillis, je deviens plus sensible aux pressentiments. Des événements terribles vont se produire.
Un tableau qui représente une assiette de fruits décore l'un des murs et la vieille dame en analyse les couleurs: la manière dont l'orange, le jaune et le brun se répondent. « Cette femme a été prof d'art ou artiste » pense Ariane. Ça va intéresser la police.
— Mon neveu n'est pas intéressé par l'art, dit la vieille dame.
Ariane fige et regarde B avec stupeur. Il ne manifeste aucune réaction, à croire qu'il n'a pas entendu ou qu'il s'en fout.
— Est-ce que ta tante a raison, cher neveu? demande-t-elle.
— Je préfère la science, marmonne-t-il.
— Vous êtes de la même famille! Maintenant, je vois la ressemblance. C'est frappant.
En réalité, la tante et le neveu n'ont rien en commun. L'adolescente s'inquiète. Elle en sait trop sur B et jamais il ne va la laisser partir vivante.
Le chauve éteint les lumières, quitte la pièce et revient en tenant un gâteau. Son complice roux et un inconnu l'accompagnent et tous chantent « Happy Birthday ».
Deux chandelles ornent le gâteau. L'une est en forme de 6, l'autre de 2. Ariane est surprise par cet âge car la vieille dame en paraît vingt de plus. Quels désastres a-t-elle traversés pour vieillir aussi vite?
Elle rit de bonheur et l'émotion se répercute en B, qui s'illumine et paraît fier de lui. Monstrueux dans ses activités criminelles, il est chevaleresque avec sa tante.
— Fais un vœu, suggère-t-il.
— Je ne sais vraiment pas quoi...
— Je peux vous aider, dit Ariane. Faites le vœu que les projets de votre neveu se terminent de la bonne façon. Dans un endroit où il pourra réfléchir en paix pendant plusieurs années.
— Sur une île déserte? demande B, qui a retrouvé sa bonne humeur. Avec toi pour faire la cuisine?
— Je pensais à un endroit plus sécurisé. Et plus seul. Sauf dans les douches.
— Si tu n'es pas avec moi, ma belle, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
Ariane cherche une réplique et la tante les regarde avec affection.
— Je suis tellement heureuse de fêter mon anniversaire avec vous. C'est mon dernier, je le sais.
B s'assombrit.
— Il ne faut pas penser ça, dit Ariane. Vous avez l'air en forme.
— C'est gentil de me mentir, dit la tante, mais je n'en ai plus pour longtemps. La vie n'est pas éternelle et il faut en profiter pendant qu'elle passe. Vous êtes trop jeunes pour comprendre.
Ce n'est pas avec B qu'Ariane veut profiter de la vie.
— David me manque, déclare-t-elle.
— À moi aussi, réplique B. Ma confiance en moi augmente quand je suis avec lui. Par comparaison, je me sens comme un dieu.
— C'est clair que vous êtes différents, dit Ariane. Tu n'as pas son envergure.
— Ni son portefeuille. Pour certaines personnes, l'argent transforme tout. Même les rats deviennent des princes charmants.
Ariane serre les poings et son cœur accélère.
— Tu es jaloux.
— Si ça te fait plaisir de croire ça...
— David est comme son père, réplique-t-elle. Les Poulin sont des bâtisseurs. Avec leur fibre optique, ils ont créé des milliers d'emplois. Toi, tu n'es qu'un parasite. Juste capable de voler l'argent des autres.
La tante pousse un gémissement.
Ses yeux sont fixés sur Ariane et la douleur déforme son visage. De grosses larmes coulent sur ses joues ridées.
— Ne pleurez pas! s'écrie Ariane.
— Prend un morceau de gâteau, ajoute B.
— Non. Non. Non.
Les gémissements deviennent des cris et la femme se lève. Le criminel chauve se précipite pour tirer sa chaise tandis que B soutient sa tante.
— Je vais te ramener à ta chambre.
La femme pleure et remue la tête et les bras comme si une épée la traversait. Tandis que son neveu la guide hors de la pièce, aidé par le chauve, il jette un regard de haine vers Ariane, qui sent les clous de l'inquiétude la transpercer.
Elle demeure seule. C'est l'occasion de fuir. À son tour, elle sort dans le corridor.
Le roux à l'œil blessé et l'inconnu sont là.
— Stay inside, dit l'inconnu.
Ariane s'immobilise.
Le roux sourit méchamment et lui montre sa main. Trois doigts sont pansés. Ariane a fermé sur eux la porte de sa cellule quand elle a essayé de fuir. La main fonctionne encore car il la saisit et la pousse dans la pièce.
Il tient le bras au coude blessé. Ariane a mal.
— Let me go! hurle-t-elle.
Le roux la secoue et Ariane tente de le frapper. Il lève le poing, mais elle évite le coup. L'autre homme essaie de le retenir.
B apparaît et dit quelques mots dans leur langue.
Le roux lâche Ariane, qui tombe sur son coude blessé, et les deux hommes sortent. Indifférent, B referme la porte.
— Vous n'avez pas le droit de me traiter comme ça! crie Ariane en retenant ses larmes.
— Tu as gâché l'anniversaire de ma tante.
— Comme si c'était de ma faute!
— Tu l'as fait pleurer.
— Elle est complètement perdue, ta tante. Elle a dû s'imaginer qu'elle est une comtesse en 1789 qui va se faire guillotiner.
— Elle n'est pas si perdue que ça.
Il s'installe à la table, souffle les chandelles et se sert un morceau de gâteau.
Ariane se relève. Voyant qu'il mange en l'ignorant, elle se sert à son tour.
Ils dégustent en silence. Contrairement au reste du souper, le gâteau est excellent. Il a deux étages. Une base au chocolat, un étage à la framboise, le dessus décoré par des fleurs de sucre.
— Ça vient du Duc de Lorraine, dit B. Je me suis inspiré du bienfaiteur de l'humanité bien connu, David Poulin.
Le Duc de Lorraine. L'endroit où Ariane a vu B pour la première fois, deux jours plus tôt.
Maintenant, elle le hait, mais son physique agit comme un aimant. B porte merveilleusement son smoking et le noir du veston et du nœud papillon renforce l'aspect troublant de ses yeux, qui brillent d'une flamme ténébreuse. Le feu du mal, dans lequel Ariane a envie de se baigner.
Ça serait tellement simple si les crapules étaient laids.
Elle jette un coup d'œil sur la bouche et quelque chose au plus profond d'elle-même se tord. Mais elle ne cédera jamais à son attirance. Ça serait comme mourir.
Le chauve pénètre dans la pièce avec un plateau: une cafetière, deux tasses, une bouteille de cognac et deux verres.
— Verse-lui beaucoup de cognac, dit B. Elle va en avoir besoin.
Ariane prend peur.
— Pourquoi? demande-t-elle.
— Parce que je vais te raconter l'histoire de ma tante et que tu vas comprendre ce qui me donne le droit de te kidnapper.
— Tu es fou! Je n'ai aucun lien avec elle!
B paraît amusé et son assurance ébranle Ariane. La tante est-elle une personne qu'elle a oubliée?
— Je l'ai vue pour la première fois ce soir! dit-elle.
Son ennemi est dérangé. Son histoire va le prouver.
Le chauve a rempli le verre d'Ariane avec une quantité de cognac suffisante pour l'assommer. Elle en prend une minuscule gorgée, tandis que B commence son récit. Et bientôt, Ariane comprend et la consternation l'envahit.
[suite dimanche le 13 novembre très très tôt]
On arrive à un moment clé. Que pensez-vous que B va raconter pour se justifier? Comment la vieille dame et Ariane pourraient être liées?
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