Épisode 22

Ariane agrippe les clous qui retenaient la gouttière, évite de glisser, étire l'autre bras et s'accroche au morceau encore fixé à la maison.

Elle est écartelée entre les objets qu'elle tient. Ses doigts lui font mal, son bras étiré aussi. Son énergie s'évapore et elle va basculer dans le vide.

Une corde jaune tombe près d'elle. Ariane l'empoigne. Elle n'a plus la force de bouger, mais la corde est tirée et l'adolescente est remontée jusqu'à la fenêtre.

Elle s'accroche au cadre. Le chauve au gros nez la prend et la dépose sur le plancher.

Ses jambes sont faibles, ses idées floues. B surgit dans la pièce, hors d'haleine.

En voyant Ariane, la joie allume son visage. Quand la gouttière a cassé, lui aussi a crié. Mais ses traits se déforment. Les yeux froncent et la bouche se tord.

— Si tu tiens tant que ça à mourir, dit-il, tu n'as qu'à me le demander. Je vais t'arranger ça d'une manière moins salissante.

Il s'esclaffe.

— Ça aurait des avantages: plus besoin de te surveiller.

Ils la laissent faire pipi, puis B la ramène à sa prison. Encore molle et tremblante, pleine des visions de son corps écrasé, Ariane le suit comme une enfant.

B immobilise les mains et les jambes de la jeune fille avec des lanières de plastique, puis l'attache au matelas. Ses gestes sont brutaux et sa voix agressive.

— Comme ça, dit-il, tu pourras réfléchir à la stupidité de tes actions.

— De toute façon, je suis prisonnière. Attachée ou non, qu'est-ce que ça change?

Ariane n'aurait pas dû dire ça. Son ennemi va chercher un rouleau de duct tape et en colle un morceau sur sa bouche.

— Ça va t'aider à réfléchir, ricane-t-il.

Sous le bâillon, Ariane gémit.

Il quitte la pièce. Après cinq minutes, la jeune fille meurt du besoin de remuer. Le duct tape collé à sa bouche la démange et la terreur d'avoir frôlé la mort la brûle. « Je vais bientôt être sauvée » se dit-elle. Ses cris ont sûrement alerté un voisin et la police va arriver.

Elle finit par s'endormir.

Elle ouvre les yeux quand une main touche son bras et elle voit un couteau. Le roux au visage anguleux est venu se venger! Ce n'est que le chauve, en camisole, puant la sueur, qui coupe les lanières de plastique.

— Si tu fais du bruit, dit-il, on te rattache. Compris?

Elle refuse de répondre et il part.

Ariane frotte ses poignets. La police n'est pas venue et elle désespère. Maintenant, ses ravisseurs vont se méfier et elle ne pourra plus les surprendre. Elle cherche comment s'échapper.

Soudain, elle pense à ce qui l'attend. B va l'obliger à rencontrer quelqu'un envers qui elle a mal agi. Il va l'amener dans une pièce et une personne de son passé sera là. Charlotte? Quelqu'un qu'Ariane a oubliée et qui va l'engueuler?

Non, ça te tient pas debout. Ariane n'a rien fait de mal, elle s'en souviendrait. Bien sûr, elle a blessé des gens dans sa vie, elle a eu ses moments égoïstes ou méchants. Mais elle n'est pas une sale personne et n'a rien fait qui justifie un kidnapping. Et pourtant, B a prétendu l'inverse.

Cette rencontre va en révéler beaucoup sur lui. Ariane a un pressentiment. Elle va souffrir. Ça va mal tourner.

La journée s'écoule dans le tic-tac de l'ennui. Ariane demeure sur le matelas ou marche dans la chambre. Le chauve lui apporte son dîner, du poulet grillé au yogourt avec d'étranges épices. Les ustensiles sont en plastique. Impossible de s'en servir comme outils pour ouvrir la porte ou enlever les planches qui bloquent la fenêtre.

Son téléphone lui manque cruellement, sa famille et ses amies aussi. Sa chambre, ses livres. Manger un bol de crème glacée. Discuter avec la gang de Greenpeace. Se promener, entrer dans une boulangerie et acheter un croissant.

Ariane rêve de prendre un bain, nettoyer sa crasse et rester en pyjama toute la journée. Elle n'en peut plus de ses vêtements actuels. Même ses cours plates du cégep et ses chicanes avec ses parents lui manquent.

Elle se souvient d'un livre de fantasy où une prisonnière adoptait la stratégie des yeux: observer attentivement chaque détail, aller au-delà des apparences et voir ce que personne ne voit. Dans le roman, la fille remarquait une clé qui traînait, mais la possibilité de fuite peut venir de partout. Ensuite, Ariane utilisera ses observations pour aider la police à identifier ses ravisseurs et les envoyer en prison.

Elle rêve d'entourer de ses mains le cou de B, plonger ses doigts dans la chair, serrer, et ressent une haine rouge et immense comme un océan de sang.

La lumière extérieure décline et la faim réapparaît. La porte s'ouvre et le chauve jette des vêtements sur le matelas.

— Habille-toi avec ça.

Il s'éclipse. Il a laissé une robe de soirée rouge et des souliers à talon haut.

Des frissons d'indignation traversent la jeune fille. Elle pousse un cri, jette la robe par terre et la piétine, lance les souliers contre le mur. L'arrogance de B est sans limite. Il la tient captive, puis l'habille comme une poupée.

« Jamais il ne me forcera à lui obéir! » Elle refuse de mettre son corps en valeur devant ce déséquilibré qui vandalise les cuisines, filme les chambres à coucher et l'a kidnappée en prétendant que la morale est de son côté!

De toute façon, elle ne pourrait pas porter la robe. S'habiller est délicat car elle doit masquer les blessures qui parsèment le haut de ses bras, sans oublier le gros pansement qui s'y trouve. Elle examine le vêtement. Les manches, longues et en dentelle épaisse, camoufleraient son secret.

C'est sûrement pour la rencontre qu'elle doit s'habiller ainsi. Mais pourquoi?

Rouge vif, la robe descend jusqu'au plancher. L'avant est en V, le dos est ouvert, le tissu est merveilleusement fin.

Elle semble à sa taille et Ariane a envie de l'essayer. Une idée lui vient. Elle va ruser. Porter la robe et agir en automate jusqu'à ce qu'une occasion de fuir se présente.

Non, elle refuse. Elle n'est pas un objet et jette la robe au loin.

Des pas s'approchent et la porte s'ouvre. Le chauve porte maintenant un complet sombre et une cravate. Il regarde la robe sur le plancher, les souliers contre le mur, ne manifeste aucune émotion et dit:

— Tu dois me suivre.

— Non!

Elle pousse un cri. Le chauve tient son bras et le tord. C'est le bras blessé au coude.

— D'accord, dit-elle, les larmes aux yeux. Je viens.

Il la pousse vers la porte.

Ils descendent le premier escalier, puis un deuxième. Ariane photographie des yeux l'intérieur.

Les boiseries sont magnifiques, le papier peint démodé. Le corridor est décoré de gravures jaunies et sur un buffet en bois qui semble vieux d'un siècle repose une sculpture inuite: un ours blanc. Ariane tente d'en retenir l'aspect.

Le chauve frappe à une porte et B apparaît, vêtu d'un smoking.

Sa beauté est un clou dans le cœur d'Ariane.

— Tu n'as pas mis la robe? demande-t-il.

— Non!

— Je m'en fous, Ariane. Tu pourrais être habillée de haillons, ça ne me ferait rien.

Il sourit.

— D'ailleurs, c'est pas mal des haillons que tu portes.

Ariane regarde ses vêtements. Après le kidnapping et son aventure sur le toit, le chemisier est taché et a perdu un bouton. Les pantalons sont poussiéreux et le bas d'une jambe est déchiré.

— Je vais te faire rencontrer quelqu'un, dit-il. C'est une personne qui a beaucoup souffert.

— À cause de moi, si j'ai bien compris!

— Tu dois être polie et bien te comporter. Autrement, je te renvoie en haut.

Il s'efface et lui fait signe d'entrer. Ariane sent un poids écraser sa poitrine. Elle va se retrouver face à un fantôme de son passé et devine que cette rencontre va bouleverser sa vie.

Elle pénètre dans une salle à manger. La table est dressée pour un souper: nappe immaculée, argenterie, vaisselle somptueuse et chandeliers.

Une personne est assise. Ridée, cheveux blancs, elle semble transparente tellement elle est pâle et aussi fragile que si elle était faite de cure-dents.

Ariane regarde B avec étonnement. Qu'est-ce que ça signifie? Cette femme et elle ne partagent aucun lien. Ariane est certaine de ne jamais l'avoir rencontrée.

[suite dimanche le 30 octobre très très tôt]


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