Épisode 16

« Ça ne peut plus continuer » pense Ariane.

David et elle sont retournés vers la table où s'active le barman. David la tient par la main et lui présente les gens qu'elle ne connaît pas, tous très sympathiques. Mais Ariane surveille le garde du corps, au fond de la pièce, et ne pense qu'au moment où il sera remplacé. Est-ce que ça sera B? Elle a envie de le chercher dans la maison.

Tout ça pour un gars plein de venin. « À partir de maintenant, je l'oublie » décide-t-elle. Et ça marche.

Elle danse avec David, Cédric et les autres. Elle s'étourdit dans le champagne, se bourre de tartines de caviar, rit beaucoup, et surtout elle vit à fond son amour. David la suit, la frôle, l'embrasse, agit en chevalier servant et la rend heureuse.

Quand B réapparaît, vers minuit vingt, Ariane réalise qu'elle n'a presque pas pensé à lui. « Je suis libérée. »

La moitié des invités sont partis. Les autres occupent le salon où se trouvait le service de bar, meublé de divans noirs et de fauteuils rouges groupés autour de tables basses.

Le DJ continue à faire tourner sa musique dans la salle vide. Le traiteur est parti, le barman aussi, mais il a laissé plusieurs plateaux de shooters qui traînent sur les tables.

Ce n'était pas nécessaire. Deux filles ivres mortes dorment sur les divans et Ariane en a vu une troisième vomir aux toilettes.

Myriam s'est redressée à l'entrée de B.

— C'est lui dont je v... vous parlais, glapit-elle d'une voix que l'alcool fait zigzaguer. Je veux qu'il soit m... mon garde du corps mais papa ne veut pas.

L'homme que B vient remplacer jette un regard excédé vers elle et sort de la pièce. Sans se soucier de Myriam, B se place là où l'autre se tenait.

« Je fais tellement bien de le fuir » pense Ariane, presque effrayée par la dureté de son visage. Elle se serre contre David et prend sa main, sur le divan qu'ils partagent.

— Je t'ai att... attendu toute la soirée, dit Myriam. Tu n'étais jamais là.

— Je surveillais le jardin.

— As-tu vu des bandits?

— Non.

Myriam redresse la poitrine, bat des cils et passe la langue sur ses lèvres. Elle est belle: corps voluptueux, magnifique robe verte, visage sans défaut à la douceur du sucre.

— Viens t'asseoir à côté de moi!

— Myriam! dit David.

— Montre-moi ton pistolet, continue-t-elle. Je veux le toucher!

B se tourne vers elle.

— Ce n'est pas sécuritaire.

— Ce qui n'est pas sécuritaire, c'est de ne pas faire ce que la cliente veut. La cliente a toujours raison, mon cher.

— Vous êtes saoule et vous vous ridiculisez, mademoiselle la cliente. Saoule comme une vache encore une fois.

Ariane attend la réplique explosive, mais rien ne vient. La bouche de Myriam tremble et ses yeux se sont remplis d'eau.

Elle est complètement amoureuse.

Ariane donne un bisou à David, puis essaie d'alléger l'atmosphère.

— Il a été bête comme ça quand il m'a donné un lift.

Myriam la regarde avec haine.

— La soirée a été longue, ajoute David. Prends une pause et viens boire un verre avec ma sœur et moi. Je t'invite.

— Je ne bois jamais durant le travail, répond B.

Le silence devient écrasant.

— Si les petits amis de ta sœur reviennent la chercher, continue-t-il, je dois être en état de vous défendre.

Soudain, il s'approche de Myriam, qui a baissé la tête, ouvre l'étui à sa ceinture et tend son pistolet. Sans oser se redresser, Myriam touche l'arme et la caresse.

— C'est dangereux? demande une fille.

— Non, dit B. Le cran de sécurité est mis.

Il se tourne vers elle et lui présente le pistolet. La fille fige, tend la main et la pose sur le métal.

Son visage est couvert d'acné et son nez épaté rappelle un cochon, mais son corps est beau. Myriam les observe.

Ariane sent David se raidir.

— Est-ce que tu travailles comme gardien de sécurité dans un Dollarama? Me semble que je t'ai vu là. Ou est-ce que c'était dans un lave-auto?

— Ce n'était pas moi, répond B.

— Pourquoi est-ce que tu fais ce métier-là? Tu as lâché l'école?

— Oui.

— C'était trop difficile?

— J'avais d'excellentes notes. Sûrement meilleures que les tiennes.

Il prend un verre de whisky sur un plateau que le barman a laissé.

— Repose ça, dit David. Tu n'es plus invité.

B lui sourit et vide le verre.

— Dénonce-moi à ton père. Vous aurez un homme de moins pour vous protéger.

Il prend un deuxième verre et le vide aussi. Sans un mot, Myriam lui en tend un troisième.

Tous observent B, même une fille ivre qui s'est réveillée. Ariane n'arrive pas à retenir sa fascination. Comment l'oublier maintenant qu'il est là?

— Raconte-nous pourquoi tu as lâché l'école, demande-t-elle.

— Je te l'ai dit, j'ai vécu une expérience horrible et je ne veux pas en parler. Ça m'a tué.

— Tu me parais bien vivant, ricane David.

— Je suis mort intérieurement.

— Un prof lui a dit qu'il est paresseux et il ne s'en est pas remis, dit un ami de David.

— Quand j'avais quinze ans, dit B, j'ai trouvé un suicidé. Un homme important pour moi. Je suis tombé en dépression, puis je me suis procuré une arme. Je voulais me venger, tuer n'importe qui, et puis j'ai réalisé que la vie ne m'intéressait plus. J'ai décidé de jouer à la roulette russe.

— Avec un revolver? demande la fille au visage couvert d'acné.

— Avec un pistolet.

La voix de B s'alourdit et il hésite à continuer. Ariane est avec lui. Elle sent le poids du passé, les mots difficiles à prononcer.

— J'ai pris trois balles à blanc et trois vraies, je les ai mélangées et j'en ai mis une dans le chargeur. Je me suis tiré un coup au cœur. J'ai encore la cicatrice.

— Tu racontes n'importe quoi! dit David. Comment peux-tu être vivant?

— Tu ne connais rien aux armes. Je suis vivant parce que la chance était de mon côté. C'était une balle à blanc. Même les coups à blanc sont dangereux, à cause de la flamme et des débris qui sortent du canon. Je n'étais plus capable de vivre, mais je n'ai pas réussi à me tuer.

Sa froideur s'est fissurée. Ses yeux expriment la détresse et cette douleur se communique Ariane comme si elle était clouée sur la croix à ses côtés.

B et elle échangent un regard.

— Je ne crois pas à son histoire, dit David. Il n'a aucune cicatrice.

B dépose son verre et déboutonne sa chemise. Une énorme tache rose orne un côté de sa poitrine.

Ses muscles sont impressionnants.

Son torse est couvert de tatouages et quelques filles se redressent pour mieux les observer. Une main froisse des feuilles de formules mathématiques. Un nœud coulant pend sous un ciel orageux. Un pistolet surmonte trois balles vides et trois pleines. Une tête est plantée sur un piquet devant un château qui brûle. Un homme tombe d'une falaise sous un crâne qui rit.

— On dirait un rébus, dit quelqu'un.

— Qu'est-ce que ça v... veut dire? demande Myriam.

— Rien, affirme B.

Ariane a compris.

— Les balles vides et pleines, c'est la roulette russe. Et le nœud coulant parle du suicidé que tu as trouvé. Le tatouage raconte ta vie.

B et elle s'échangent un autre regard et elle frémit.

— Oublie ta blonde, David, s'exclame Myriam. Elle mouille pour ton garde du corps.

Les joues d'Ariane s'enflamment.

[suite dimanche le 18 septembre vraiment très tôt le matin]


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