Épisode 13
B conduit en silence la voiture le long de la rue qui sépare Outremont de la montagne. D'un côté, des maisons gigantesques, de l'autre, des arbres et de la neige, le chaos de la forêt. Il s'arrête à un feu rouge.
- Les gens qui ont failli kidnapper Myriam, demande Ariane, comment est-ce qu'ils étaient?
- C'est elle qui pourrait te dire ça.
- Je lui parle le moins possible.
Le garde du corps se tourne vers elle. L'hostilité a été remplacée par l'étonnement et l'adolescente se sent agréablement inconfortable d'être scrutée ainsi. Pensait-il que Myriam et elle étaient de grandes amies?
- Tu devrais faire attention, dit-il.
- Pourquoi?
- Les Poulin sont protégés, pas toi. Te kidnapper passerait un message aussi clair qu'allumer un incendie dans leur cuisine.
Des images surgissent dans la tête d'Ariane. L'adolescente est attachée, dans un sous-sol miteux, sur un vieux matelas. D'anciens militaires sont là, pervers et à moitié fous. Ils se passent une bouteille de vodka en discutant de ce qu'ils vont lui faire et s'esclaffent. L'un d'eux s'approche d'elle et... La suite est insupportable. Ariane a vu, aux nouvelles, les atrocités qu'ils sont capables d'infliger à des femmes et à des hommes.
B s'amuse à l'effrayer, se dit-elle.
- Je ne cours aucun risque. Je suis importante pour David, pas pour M. Poulin, alors me kidnapper ne servirait à rien.
- Les hommes qui travaillent pour la mafia russe, ce ne sont pas des génies.
- S'ils parviennent à déjouer la police aussi facilement, réplique-t-elle, ils savent ce qu'ils font.
Un sentiment plus agréable la gagne. On dirait bien que le beau démon se soucie de sa sécurité, peut-être même qu'il s'inquiète. Une fleur est-elle en train de pousser sur la pierre de son cœur?
La voiture sort du haut-Outremont et passe devant l'ancien couvent reconverti en condos. Les bâtiments de l'université de Montréal se profilent dans le ciel sombre, avec l'immense tour à la forme obscène.
- Comment est-ce que tu t'appelles? demande Ariane.
- B.
- Tu peux me dire ton prénom?
- Belzébuth.
- Oh, mon Dieu! Le diable! J'ai peur!
B serre les dents.
- Tu devrais avoir peur, en effet.
- Peur de quoi?
Il freine brutalement.
- Ostie!
Deux jeunes filles, qui avaient décidé de traverser la rue Edouard-Montpetit malgré la lumière rouge, ont failli se faire écraser. Elles regardent vers l'auto. B est éclairé par la lumière des réverbères.
Les filles échangent une plaisanterie, regardent encore B, lui sourient avec insistance et s'éloignent lentement, comme si elles pensaient: « Viens donc nous enlever de ton chemin. » Elles sont jolies. Toutes les filles doivent lui courir après, pense Ariane avec dépit.
Exaspéré, le garde du corps redémarre en faisant rugir le moteur.
- Est-ce que tu peux me révéler ton âge sans compromettre ta sécurité? demande Ariane.
- 22 ans.
- Moi, dit-elle, j'ai presque 18.
- 17 ans et demi, ricane-t-il. Tu auras bientôt l'âge de boire de l'alcool.
- Comment es-tu devenu garde du corps? Tu es jeune pour faire ce métier, non? Tu as été dans l'armée?
Un instant, elle croit qu'il va l'envoyer promener, mais il répond d'une voix calme.
- Tu as bien deviné. Comme plusieurs de mes collègues, je suis un ancien soldat.
- Tu as été déployé à l'étranger?
- En Afrique. J'ai vu des choses... que personne ne devrait voir. Mais ce n'est pas à cause de ça que je suis garde du corps.
- Pourquoi, alors?
- J'ai vécu une expérience horrible à l'adolescence. Ça m'a marqué. À cause de ça, je ne peux pas travailler dans un autre domaine.
- Quelle expérience?
- Ça ne te regarde pas. Et maintenant, tu vas arrêter avec tes questions. Je ne te raconterai pas ma vie.
La voiture entre dans Côte-des-neiges, l'un des quartiers les plus pauvres de Montréal, rempli d'hôpitaux et d'immigrants. C'est aussi un quartier plein de vie, avec de nombreux restaurants, cafés et librairies. Comme presque partout à Montréal la sécurité est totale et de nombreux étudiants y habitent ou viennent s'y amuser. Ariane l'adore.
- Moins vous en savez sur nous, continue le garde du corps, plus c'est sécuritaire. Chaque personne de l'entourage des Poulin est un suspect potentiel.
- Même moi?
- Surtout toi. Tu es extrêmement suspecte. Tu ne connais David que depuis quelques mois et tu es trop belle.
Sa voix devient sarcastique.
- Tu es belle comme un rêve.
- Merci, dit Ariane, sur le même ton sarcastique. Toi-même, tu n'es pas si mal.
Et elle pense: « Tu es beau comme un Dieu. Ça me rend folle. »
- Tu pourrais très bien avoir été envoyée par la mafia russe pour espionner les Poulin, continue B. Poser des questions, comme tu viens de le faire, te rend encore plus suspecte.
- Vous pouvez enquêter sur moi. Je suis une fille normale.
- Tu pourrais avoir des dettes de drogue. Ça arrive à des milliers de filles normales, chaque année, dans votre belle petite ville de trois millions d'habitants remplie de gens bizarres. Tu t'es prostituée quelques fois, mais là, ils en veulent plus.
Ariane sent des éclairs de colère électrifier son cerveau. Un orage menace.
- Tu veux une claque?
Il rit.
- Avec tes mignons petits biceps, je ne sentirais pas grand-chose.
- Je ne prends pas de drogue. Et jamais je ne me prostituerais!
- Toutes les filles normales disent ça. Et puis, quand la mafia russe les oblige à payer leurs dettes d'une manière ou d'une autre, elles le font. Tu n'es pas meilleure que les autres. Peut-être même que tu aimerais ça.
Ariane a envie de lui jeter ses gants à la figure et de le traiter d'imbécile. Si elle perd son calme, il va être encore plus content.
- Je n'accepte pas que tu me dises ça, dit-elle. Tu ne me connais pas et tu n'as aucune raison de prétendre que je consomme de la drogue ou que j'aimerais me prostituer. Si tu veux m'insulter, essaie au moins d'avoir des arguments.
Quelque chose de stupéfiant se produit: B lui sourit amicalement.
- Tu es moins vide que Myriam, dit-il, en engageant l'auto dans une petite rue.
Il la stationne en double-file.
- Je suis moins méchante, aussi, répond Ariane.
Le garde du corps change d'expression. La bouche se tord, les sourcils se froncent, le corps se tend. De nouveau, il parait effrayant. Un loup, capable de tuer quelqu'un sans rien ressentir, comme le disait David. Un ancien soldat, entraîné pour la violence et la destruction, qui a vu des atrocités en Afrique et en a peut-être commises.
- Les autres Poulin ne valent pas mieux qu'elle. Tous mes collègues les détestent. Ton chum est le pire.
Encore une critique gratuite!
- Ce sont eux qui payent vos salaires! Vous leur devez du respect!
- Typique réponse de fille de riche.
Elle va répliquer qu'elle est née dans le quartier le plus pauvre de Montréal, mais elle n'a pas le temps. La portière s'ouvre et le collègue de B monte à l'intérieur.
[suite dimanche le 28 août]
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top