Chapitre 8 : Amandine
― Ces mots prononcés, les mages alors désensorcelés, seront libres enfin de trouver leurs héritiers, décrypte Yuna en plissant les yeux, avant d'ironiser : C'est toujours aussi clair.
― On nage en plein délire, soufflais-je avant que Tyna ne se fraye un chemin d'un pas furieux jusqu'à notre amie.
― Non mais t'es pas bien ! Crie-t-elle en arrachant le vieux grimoire poussiéreux des mains de la jeune fille.
― C'est toi qui es pas bien à m'agresser comme ça ! Réplique-t-elle en saisissant de nouveau l'ouvrage. C'est quoi ton problème ?
Les deux belligérantes tirent chacune d'un côté pour conserver le précieux ouvrage.
― Mon problème ? Répète la tyrannique, hors d'elle. C'est que vous êtes tous complètements tarés ! Et depuis qu'on est ici, toi et Miya faites tout pour empirer la situation !
― Pardon ?! S'indignent avec colère les deux concernées.
La blondinette s'avance à son tour, le visage tout rouge et les poings serrés. Présentant que la situation va déraper, je m'interpose avant qu'elles n'aient pu envoyer valser le livre à l'autre bout de la pièce ou assommer quelqu'un avec.
― Stop ! Hurlé-je en tendant les mains pour les éloigner le plus possible. C'est pas la peine de...
― Oh toi, ta gueule ! M'agresse Yuna.
― Tu vas te calmer oui ?! Intervient Tyna.
― Je suis déjà plus calme que toi !
Milles et Théo débarquent pour se joindre aux protestations et les cris fusent de partout. Je ferme les yeux un instant pour mettre mes idées au clair. On est dans un manoir réputé hanté, où des voix désincarnées retentissent peut-être et où des livres étranges émettent une couleur violette. Pour ne rien arranger, cette folle de Yuna n'a pas trouvé d'idée plus absurde que de lire toutes les prophéties flippantes qu'elle a bien pu dénicher. Quand je rouvre les paupières, mes amis sont à deux doigts d'en venir aux mains et l'ouvrage en question a disparu.
― STOP ! Crié-je une seconde fois.
Les cinq adolescents s'immobilisent, comme mis sur pause, laissant mon hurlement raisonner entre les étagères surchargées. Le souffle haché, je parcours la scène du regard. Peu habitués à me voir aussi furieuse, tous mes amis sont figés sur place, les yeux braqués sur moi. Tyna s'apprêtait à tirer l'une des mèches de Miya, quand le jumeau de celle-ci se précipitait pour lui venir en aide. De son côté, Yuna brandissait le vieux et épais bouquin au-dessus de la tête de la brune, retenu en arrière par un Théo effrayé. Au moins, on sait où est le livre.
― Pas la peine d'en faire tout un foin, dis-je après avoir respiré un grand coup. Il ne s'est encore rien pas...
La faible lueur émise par une lampe à huile suspendue au plafond s'éteint subitement, exactement au moment où la lumière du grimoire de sorcellerie vacille, nous plongeant dans le noir complet. Miya et Tyna laissent échapper un cri aigu, surprises et terrifiées par ce qui semble être une coupure de courant – sauf que les lampes à huiles et les livres ne marchent pas à l'électricité, me rappelle ma conscience bien trop pragmatique – et Yuna laisse tomber le précieux livre sur le plancher mangé aux mites dans un bruit étouffé par la poussière.
― Je vous avais dit que ça allait mal tourner, nous reproche la voix couinante de Tyna, quelque part à ma gauche.
― Gnagnagna, marmonne Yuna un peu plus loin.
― Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? Demande Milles d'une voix étranglée.
― Aucune id...
Je me fige en sentant comme un courant d'air froid me frôler.
― Tout va bien ? S'inquiète la surfeuse, mal-assurée.
― Quelque chose ne tourne pas rond, réitère Tyna, bien qu'elle n'ait plus besoin de nous en convaincre.
Un nouveau coup se fait entendre, nous faisant tous sursauter au passage.
― Aïe ! S'exclame Yuna. Je me suis cogné le pied !
Des soupirs soulagés retentissent dans l'obscurité, et je ne peux m'empêcher de pouffer nerveusement.
Pas le temps de chercher une raison ou une solution à l'obscurité totale qui nous entoure, que la lumière se rallume déjà, provoquant de nouveaux bonds.
― Heureusement qu'on n'est pas cardiaques ! S'exclame Miya avec entrain, comme si ce qu'il venait d'arriver n'était qu'un coup de sang insignifiant, et même drôle.
C'est sûrement pour se convaincre toute seule que tout est parfaitement normal. Je me frotte les yeux, malmenés par la lumière soudaine.
― Regarde Tyty avant de dire ça, raille Yuna.
La métisse, une main sur la poitrine et le teint livide, semble vérifier que son cœur bat toujours. Elle jette un regard circulaire sur l'assemblée, promettant de nous fusiller sur place à la première occasion, mais se fige soudainement, frappée par une vérité qui semble atroce.
― Où est Théo ? Murmure-t-elle faiblement, ses yeux sombres se voilant d'inquiétude.
― Quoi ? Nous exclamons nous à l'unisson et pivotant sur nous-mêmes pour vérifier les dires de Tyna.
― C'est une blague ? S'assure la surfeuse en se forçant à sourire.
Malgré son degré de dégradation mentale, Miya conserve un cœur particulièrement empathique et elle serait incapable de faire du mal à une mouche, comme elle l'affirme si bien elle-même. Alors, voir l'un de ses meilleurs amis disparaître en sachant que c'est en partie de sa faute...
― Mais oui, sûrement ! La rassure son jumeau en s'approchant d'elle pour passer un bras autour de ses épaules.
Yuna détourne les yeux en les levant au ciel ; elle n'a jamais été très « câlin ».
― Bon Théo, c'est pas le moment. Sors de là – où de l'endroit qui te sert de cachette – tout de suite ! Le menace-t-elle bien haut afin d'être entendue dans toute la pièce.
Seul le silence nous réponds.
J'échange un regard désabusé avec la brunette et celle-ci s'avance pour contourner les étagères remplies de livres, sachant très bien qu'il ne peut être planqué que derrière. Je fais quelques pas pour la suivre, préférant miser sur la sécurité au risque de passer pour une froussarde de ne pas vouloir la laisser y aller seule, mais dès l'instant où la jeune fille disparaît derrière la bibliothèque de bois, la lumière s'éteint une seconde fois. Des cris de surprise et de peur retentissent, alors que Yuna commence sérieusement à s'énerver.
― Je sais pas où tu te caches espèce de gros crétin, mais t'as intérêt à sortir tout de suite pour qu'on se barre de là !
Je l'imagine presque taper du pied en entendant ses jérémiades, mais l'agitation du côté des jumeaux m'alerte plus que je ne voudrais l'admettre.
― Tout va bien chez vous ? Je lance et maîtrisant tant bien que mal mes cordes vocales qui s'essayent au freestyle.
― NON ! Hurle Miya. OÙ EST TYNA ?
― QUOI ?!
Je ne sais plus qui crie, qui s'affole. Je sais simplement que mon cœur bat beaucoup trop vite et que j'avance dans le noir vers mes amis. Ma bouche prononce des mots qui n'attendront jamais mon cerveau. L'un de mes pieds maladroit s'accroche à je-ne-sais-quoi et je bascule en avant sur le parquet vermoulu qui me percute violemment. Je roule sur le côté, recouverte de poussière et m'accroupit pour tousser.
― Partez tant qu'il en est encore temps, nous menace une voix glaçante, semblant venir de nulle part et partout à la fois. Vous pouvez encore épargner aux Mondes ce qui les attend.
― Pas si on est pas tous ensemble ! Entends-je Miya protester à quelques mètres de moi.
― Par là ! La porte ! S'exclame son jumeau en tambourinant contre le battant. Elle est verrouillée !
Je me relève d'un bond, et avance vers la provenance des coups frappés. Mes sens se mélangent, je ne suis pas sûre de pouvoir m'y fier dans cet univers complètement noir. Je percute des choses sans savoir qu'elles étaient là, je sens des ombres me frôler et ma tête tourner. Le sol devient plafond et le ciel se change en sables mouvants. Je crie à mes amis des injonctions qui quittent mon esprit en même temps que mes lèvres. Posant un pied après l'autre, j'avance sans pour autant me déplacer.
Totalement perdue et assaillie de bruit bien supérieur à ceux qu'ils devraient être pour ne pas endommager mes tympans, je perds tous mes repères et progresse lentement dans un océan de goudron. Je découvre une porte et hurle à mes amis de me rejoindre avant de l'ouvrir brutalement pour me retrouver de l'autre côté, dans un couloir effrayamment silencieux. Les voix de mes compagnons ont disparu dès lors que la porte a claqué dans mon dos, ne reste que le faible son de ma respiration saccadée qui se répercute dans un couloir sombre et sans fin.
Je panique en réalisant que je suis seule tirée d'affaire – et encore – puis pivote d'un bond pour rouvrir cette satanée porte qui... à disparu. Paniquant, je crie encore en tambourinant sur le mur aussi lisse que s'il n'y avait jamais eu de passage à cet endroit précis. Mon tapage résonne dans ce corridor austère pendant quelques minutes avant que, épuisée, je n'abandonne et me laisse glisser au sol. Je ne comprends rien à ce qu'il se passe. Tout ceci ne devrait pas exister. Mon cerveau tourne en boucle sur cette phrase, jusqu'à en créer un lapsus que je me répète en me recroquevillant sur moi-même pour pleurer.
Des hoquets incontrôlables s'échappent de ma gorge douloureuse. Ma crise dure quelques minutes avant que je ne réussisse à calmer mes tremblements et ma respiration. Incertaine, et décidée à sortir de ce lieu maudit, je m'appuie contre la cloison recouverte de papier peint rêche pour tituber. Je décide de prendre une direction au hasard, sans même me demander s'il s'agit de la droite ou de la gauche. Après tout, je n'ai aucun moyen de m'orienter, et les deux directions qui s'offrent à moi se ressemblent comme deux gouttes d'eau.
Le sol tangue tant, que j'en viens à me demander si je ne marche pas à l'horizontale. J'avance, encore et encore, sans que le décor ne daigne changer d'un iota. Accélérant l'allure, je me mets bientôt à courir, la panique s'élevant en moi au rythme de mes pas.
― Y A QUELQU'UN ?!
Je manque de trébucher et me rattrape au mur, m'écorchant les paumes au passage.
― Miya ?
Je tourne plusieurs fois sur moi-même en scrutant le couloir. Personne.
― MIYA ?
― MANDY ?
J'appelle plusieurs fois ma meilleure amie pour suivre sa voix, désespérant et m'élançant dans le couloir austère. Je suis certaine de partir dans la bonne direction, mais ses cris sont toujours aussi lointains. Je ne perçois plus les cris de mon amie. Le martèlement de mes pas et ma respiration haletante en est sûrement la cause, pensé-je, alors je m'arrête immédiatement, une main sur le mur pour contrer mes vertiges.
― MIYA ? MIYA T'ES LA ?!
Ne percevant aucune réponse, je m'élance à nouveau dans l'espoir d'atteindre enfin le bout de ce couloir de malheur. Mon vœu désespéré semble s'exaucer, car je percute de plein fouet une porte que je n'avais pas vue et qui s'ouvre sous l'impact de mon corps. Prise dans mon élan, je m'écrase contre le mur quelques mètres derrière.
Les muscles courbaturés, le front endolori d'avoir quasiment enfoncé la cloison, je porte des doigts à mes tempes pour soulager la douleur et chancelle en essayant de me repérer.
― Amandine !
Je tourne la tête juste à temps pour voir une tignasse blond platine me cacher la vue quand la surfeuse me saute dessus pour me serrer dans ses bras.
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