Chapitre 3 : Miya
Je me force à me lever de mon lit, mes muscles lourds et mon visage toujours marqué par la fatigue de la nuit précédente.
Il faut dire que, manifestement, mes trois pauvres neurones en service n'ont pas encore compris ce qu'était le concept de « sommeil réparateur ». Résultat : j'ai passé une nuit blanche, à écrire jusqu'aux premières lueurs du jour. Et c'est seulement au petit matin, comme par un coup de génie soudain, qu'une idée brillante m'a traversé l'esprit. Enfin... « génie » est peut-être un grand mot. Ce n'était probablement pas un miracle, vu la quantité d'idées étranges qui me viennent en tête régulièrement. Mais celle-ci, elle m'a semblé différente, plus vive, plus inspirante.
— Ah bah enfin ! lâche Milles, mon frère jumeau, sans même lever la tête de son oreiller.
Il est toujours avachi sur son lit, de l'autre côté de la pièce, dans cette chambre que nous partageons depuis toujours.
— T'es gonflé, toi ! répliqué-je, faussement agacée, en lui lançant un regard appuyé.
Il hausse un sourcil, une expression de défi sur le visage, et avant même que l'un de nous ne réponde sérieusement, nous éclatons de rire, notre complicité transparaissant dans ce moment simple.
Entre mon frère et moi, c'est toute une histoire, un mélange unique d'amour et de chamailleries. On s'adore, sans aucun doute, d'une affection aussi profonde qu'indestructible. Mais on se dispute au moins quarante fois par jour, pour des détails insignifiants, des broutilles qui ne devraient même pas prêter à débat. Qu'il s'agisse de savoir qui a volé l'autre moitié d'une barre chocolatée ou qui a laissé traîner ses affaires, tout devient prétexte à une nouvelle bataille verbale. C'en est presque ridicule, surtout à notre âge, mais on ne peut pas s'empêcher d'en rire. On est jumeaux, après tout. C'est notre manière de fonctionner, une sorte de ballet étrange entre amour inconditionnel et disputes enfantines, où chaque querelle est aussi vite oubliée qu'elle n'a commencé.
Je saisis les premiers vêtements qui dépassent du placard, retirant mon pyjama licorne d'un geste rapide avant d'enfiler à la hâte mon jean et, comme par un drôle de hasard, mon pull One Piece préféré. C'est toujours celui-là qui se retrouve entre mes mains quand je suis pressée, même mon frère peut témoigner.
— Habille-toi, Trouduc ! On sort ce soir, et tout le monde ne va pas tarder !
Il lève les yeux au ciel, surpris par la nouvelle, mais surtout par son mon impatient.
— Non, mais attends... tu étais sérieuse quand tu discutais avec Yuna et Mandy tout à l'heure ? Tu plaisantais pas ?
— Bah oui, évidemment que j'étais sérieuse, pourquoi tu te poses encore la question ?
— Parce que, avec tous vos délires, parfois, c'est impossible de savoir si vous rigolez ou si vous planifiez vraiment quelque chose ! À force, je ne sais même plus discerner le vrai du faux !
Milles me regarde d'un air moqueur avant de se lever.
Il troque son pilou-pilou cochon, dans lequel il traîne chaque fois qu'il veut être à l'aise, pour un jean et un pull similaires aux miens.
Nous avons toujours eu le même style, une sorte de synchronisation vestimentaire de sosies qui rendait nos parents fous, mais facilitait étrangement leurs courses il y a des années.
Je revois encore ces scènes d'enfance : pas besoin de séparer la famille en deux pour qu'ils nous fassent faire les magasins la veille de la rentrée, en mode panique, puisque, tandis que certains de nos amis se faisaient emmener dans des rayons différents, un parent avec chaque enfant pour maximiser le temps, nous, la famille Anderson, déambulions tous ensemble dans le même rayon, à la recherche des mêmes vêtements, comme une petite équipe bien rodée.
Tout devait se faire à la dernière minute, bien sûr, car nos parents ne s'y prenaient jamais à l'avance, étant trop occupés par le travail, et c'était toujours la course contre la montre. Je me souviens de cette tension palpable, de cette impatience qui montait à mesure que les minutes s'égrenaient. Jusqu'au jour où, selon eux, Milles et moi avons atteint cet âge symbolique, celui où l'on est censé se débrouiller seuls, comme des grands —quatorze ans, pour être précise. Depuis ce jour-là, nous sommes livrés à nous-mêmes, et l'un comme l'autre, on ne s'en plaint pas.
— T'es vraiment stupide ma parole ! Tu as combien de neurones ?!
— Ce qui est certain c'est que j'en ai plus que toi, soupire-t-il.
Je ne peux pas le contredire malheureusement.
— Et en plus c'est pas comme si tu m'aidais à savoir ce qui est réel ou ne l'est pas, ajoute-t-il. Madame « je sniffe tous les jours de l'herbe ».
— Bah tu vois, ça c'est vrai !
Il roule des yeux dans un gémissement désespéré.
Je m'apprête à lui montrer mes réserves plantées dans le jardin, mais la sonnerie retenti et je préfère me précipiter à la porte pour ouvrir à nos amis.
Yuna, Amandine et Tyna débarquent plus essoufflées que jamais en ce milieu d'après-midi.
— On dirait que vous avez couru un marathon, rigolé-je.
— Yuna et moi on était à vélo, explique Amandine en me serrant chaleureusement dans ses bras.
― Théo nous rejoins dans cinq minute, m'informe Yuna en me montrant son écran et le message du rouquin.
― Ouhh tu parles beaucoup avec lui... remarque Tyna d'un ton malicieux.
― Mais ferme ta gueule toi ! Pas plus qu'avec vous, s'énerve Yuna.
— Vous êtes vraiment cons, c'est abusé ! Soupiré-je.
Elles explosent de rire tandis que ma mère arrive dans l'entrebâillement de la porte du salon, étonnée d'entendre un brouhaha grandissant alors que le silence régnait auparavant.
— Oh, salut ! Je ne savais pas que vous veniez.
Ma mère me dévisage du coin de l'œil.
— Je t'ai déjà prévenu hier qu'ils venaient.
Elle hausse les épaules puis s'efface.
— C'est vrai ? Questionne Tyna.
— Non.
Ils me suivent jusque dans ma chambre et s'installe tranquillement.
— Putain tu nous as mis dans la sauce, la surfeuse ! Crie Yuna, le visage rouge de colère, ou de gêne, prête à m'embrocher de ses cornes imaginaires.
J'esquisse un sourire innocent en levant les bras en l'air.
— Je suis désolée... J'ai trouvé que c'était une bonne idée, et Trouduc aussi.
— Ah bon ? Depuis quand ? Intervient l'intéressé.
— Ta gueule, Milles !
— Oh vous n'allez pas commencer tous les deux ! S'enquit Amandine.
Je secoue la tête en guise d'abandon.
— Du coup vous avez dit à vos parents que vous dormiez ici, c'est bon ?
Tous acquiescent.
— Je n'aime pas mentir à ma mère, gémit Amandine et triturant une de ses belles boucles blondes.
— Je sais, mais on a pas le choix...
— Si, contre-t-elle. Imagine il nous arrive quelque chose en plus... Ils ne sauront même pas où nous aurions réellement passé la nuit.
— Nan mais franchement, on va juste faire de l'urbex dans un Manoir abandonné, que veux-tu qu'il nous arrive !?
— Des tas de choses ?
— Se faire attaquer par Casper ? Me moqué-je. Ou bien non, pire encore, se faire hanter par d'autres fantômes malveillants !?
Mes amis explosent de rire et elle aussi.
— Bon, d'accord. Mais c'est juste parce qu'après on ne pourra plus se revoir avant un moment ! J'avoue que je n'étais pas contre dès le début, je voulais juste faire la rabat-joie.
— Sympa, merci Oui-Oui !
— T'es épuisante !
J'opine du chef, un sourire vainqueur au bord des lèvres.
— J'avoue que en vrai c'est un super projet, approuve mon jumeau en m'embrassant sur la joue. Je sens qu'on va s'éclater !
— Tu vois, frangin, j'ai toujours de bonnes idées !
— Mouais...
Il s'écarte de moi et nous informe qu'il part prévenir nos parents que nous « dormons chez Tyna » ce soir, puis quitte la chambre, laissant rentrer un Théo souriant. Il s'installe et s'intègre facilement à la conversation.
— Pourquoi chez moi ! S'exclame Tyty la tyranique.
Amandine explose de rire avant de s'écrier :
— Oh, mais c'est très simple, tu es la première personne à qui il pense tout le temps ! C'est l'amour fou, moi j'te l'dis !
— Va te faire foutre, Oui-Oui !
— Tu nies pas, crie Yuna.
— Vous m'énervez ! Se fâche Tyna. Mandy, retourne voir ton roux, et toi Yuna retourne voir Théo et allez bien vous faire voir !
— Moi aussi je veux aller voir Théo, m'exclamé-je.
— Eh ! Depuis quand, s'énerve l'intéressé.
— Pas toi, Ducon ! Nuit Incolore !
Yuna et moi nous fixons et plaçons en chœur notre point devant la bouche pour chanter digne des plus grandes casseroles de la cantine.
« Je me déteste ! Encoreeeee ! Je nous déteste ! Jusqu'à la mooooort ! »
— Oh seigneur ! Gémit Tyna, alors que mon frère revient.
— Je pars deux minutes et c'est déjà la foire !
— Ҫa l'était déjà bien avant ! Soupire Théo.
Personne ne contre ses paroles et Amandine propose que nous prenions la route pour le Manoir dès maintenant afin de profiter plus longtemps.
Alors, quelques minutes plus tard, chacun un sac sur le dos, nous quittons la maison Anderson et la ville, prêt à partir passer une nuit de folie !
Putain je suis vraiment folle...
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