Chapitre 13 - Yuna
Comment est-ce qu'on en est arrivé là ? PUTAIN ! C'EST QUOI CE BORDEL ! COMMENT C'EST POSSIBLE ?!
J'observe, impuissante, la pierre recouvrir mon corps, la sentant me figer jusqu'à mon sang. Je lève la tête, dévisageant mes amis tour à tour, constatant la même impuissance dans leurs yeux.
Nous allions vraiment mourir ici ?
Un sentiment de culpabilité, de remords m'étreint la gorge. Si seulement j'arrêtais de plaisanter de temps en temps pour avouer aux gens qui comptent à quel point je les aime... Mais non, encore une fois, il a fallu que je plaisante. Dissimuler la vérité à travers une tonne d'humour, oui, c'est vraiment mon horrible spécialité... L'image de mes parents apparaît dans ma tête. Eux aussi en ont beaucoup souffert, et même mon frère, que je m'étais promis de protéger quoi qu'il advienne...
Alors que la pierre m'empêche à présent de respirer, une seule pensée tourne en boucle dans mon esprit : « Je suis vraiment pathétique... Désolée les amis... »
Certes, je ne suis pas entièrement coupable, mais j'ai ma part de responsabilité... Je sens des larmes dévaler mes joues, puis un noir glacial, un silence absolu me coupe du monde, me projetant dans un néant total.
C'est donc ça, la mort ?
Je tressaille soudainement, me faisant ouvrir les yeux. Tout ça n'était qu'un cauchemar ? Oui, qu'un horrible cauchemar.
Je me masse la tête, soudain prise de violent maux. Puis, avec une espèce d'incrédulité, j'inspecte mon corps : pas la moindre petite trace de minéral, de cristaux ou de je-ne-sais-quoi d'autre dessus.
―'Faut vraiment que j'arrête de me prendre des cuites avec Miya, ça commence à me faire délirer, grommelé-je en me massant de nouveau le crâne, en plus de me donner mal à la tête.
Je pose une main au sol et constate l'herbe rêche sous mes doigts. De... De l'herbe ? Je prends enfin conscience de l'environnement qui m'entoure. Ce n'est définitivement pas ma chambre, ni celle de Miya ou de mes amis. Eh merde... C'est pas fini.
― Rahh la conne ! Exulté-je. Bien sûr que c'est pas fini ce merdier !
Malgré mon mal de crâne, je me relève, titubant légèrement. Depuis quand étais-je allongée là ? Je n'en sais rien du tout mais ce n'est pas ce qui m'importe le plus pour l'instant.
― Miya ! Oui-Oui ! Théo ! Bordel répondez !
Je laisse quelques secondes passer en dévisageant l'endroit ou je me trouve. Je suis entourée d'un bois sombre à l'allure menaçant, la clairière dans laquelle je me trouve est grise et terne, sans aucune couleur vive à l'horizon.
― Parfait décor pour un film d'horreur, ironisé-je à haute voix afin de briser le silence inquiétant qui régnait.
Pas un seul bruissement d'arbres ni de chants d'oiseaux ou autre bruit qu'il y a généralement dans une forêt.
― Mais c'est les deux clones qui aiment ça normalement, me plaigne-je. Miya ! Milles ! Tyna ! Bougez votre cul c'est pas du tout drôle ! Tenté-je, sachant intimement que personne ne me répondrait.
Il n'y a pas âme qui vive à plusieurs kilomètres à la ronde. Afin de défouler ma colère et mon stress, je shoote dans un caillou imaginaire. Putain je fais quoi maintenant ! Réfléchie Yuna allez ! Qu'avait dit cette foutue voix ? Quitte à être coincée dans une sorte d'univers parallèle, autant essayer de l'écouter...
J'essaie de me remémorer les avertissements de cette voix désincarnée entendue plus tôt...
― « Lors d'une nuit sans lune les élus arriveront » et il avait dit quoi après ? Qu'ils nous retrouveront ? Mais qui ça ?
Une autre bribe me revient en mémoire.
― « Vous pouvez encore épargner aux mondes ce qui les attend » et il y avait ce texte derrière Picasso c'était quoi purée ? M'énervé-je en trépignant sur place.
Je ferme mes yeux, essayant de visualiser le mot, ça marche pour les évaluations alors autant tenter pour ça... malheureusement seulement des bribes de ce sombre poème me reviennent :
― « Leur magie est scellée, mais non leur courroux » « Leurs esprits tourmentés cherchent à se venger. Une soif inextinguible de résurrection » « Des âmes oubliées cherchent leur avènement. Ou vous serez l'écho d'un funeste départ. »
Je soupire, essayant d'emboîter les pièces à ma disposition, je n'ai jamais aimé les puzzles...
― Donc c'est une histoire d'élus, de mondes, d'âme tourmentée qui se venge et de magie... Merde, murmuré-je en comprenant.
Six stèles, mes amis ont donc sûrement été projetés dans un autre monde comme moi... C'était des tombes je réalise soudain, donc leurs esprits enfermés nous ont manipulés pour qu'on appuie dessus. Je me rappelle soudainement avoir lu quelque chose dans le grimoire juste avant que la lumière ne s'éteigne : c'était l'histoire de six puissants mages, maîtres de chaque monde qui s'étaient retrouvé scellé, leurs esprits cherchaient donc une vengeance éternelle, les empêchant de reposer en paix. Pour revenir à la vie – je fais un effort de concentration, ayant seulement survolé cette page – il fallait que six sacrifices humains soit fait...
Mon sang se fige, j'aurais peut-être préféré ne pas m'en souvenir... Nous allions être sacrifiés. Je dois trouver un moyen de les prévenir... Mais comment ? La panique s'empare de moi, j'ai laissé mon portable dans la pièce aux animaux empaillés et par malheur je ne maîtrise pas encore la télépathie.
― Merde ! Merde ! Merde ! M'écrié-je.
Soudain, un bruissement dans les fourrées derrière moi me fait me retourner en panique. Je reste bouche bée devant la créature qui, intensifiant ma panique à un point quasi incontrôlable, se tient devant moi. Un immense et magnifique frison noir, mesurant au bas mot deux mètres au garrot piaffe devant moi, me dévisage de ses yeux blancs luisants, un motif de croissant de lune blanc brillant sur son front.
À le voir taper du pied comme ça je comprends immédiatement ce qu'il attend de moi : il veut que je monte...
Je recule précipitamment de quelques pas, mes entrailles menaçant de former des nœuds irréversibles tant elles semblent se tordre, il s'avance. Puis, voyant que je ne réagis pas, il commence à s'énerver. Il se cabre et piaffe devant moi, des fragments éparts de ce jour, ce jour auquel je m'étais promis de ne jamais repenser, enterrer dans ma mémoire derrière un épais barrage. Je ferme les yeux, renforçant, autant que je le peux dans ma panique totale, ce barrage qui semble s'effriter à chaque fois que ce foutu cheval retombe lourdement sur ses sabots. Mais mes souvenirs s'imposent à moi malgré ma volonté...
La finale du Championnat National, le dernier obstacle avant la victoire écrasante de ma tante, ma tante qui n'avait qu'une dizaine d'années de plus que moi, autrefois ma meilleure amie... Puis le refus si brusque de son cheval, un Hanovrien gris pommelé de quinze ans... Sa chute sur les lourdes barres, qui nous est apparu comme au ralenti... Le cheval qui prit peur, se cabrant, retombant ensuit, par mégarde, sur le corps de ma tante, évanouie au sol... Les cris du public, soudain tellement lointain tandis que des brancardiers arrivaient paniqués... Mais c'était déjà trop tard, plus rien ne serait jamais comme avant...
Je retiens les larmes me venant de cette horrible journée. L'immense bête en face de moi ne se calmait toujours pas. Voyant que sa folie ne fait qu'augmenter, je serre les dents et rouvre les yeux, m'arrachant en même temps à ces souvenirs traumatisant, me laissant guère d'autre choix que m'approcher pour tenter de le calmer.
Jumper, son cheval, je n'ai plus jamais osé l'approcher après ça...
Je reviens à ma réalité, dès que ma main se pose sur son épaule, il s'apaise, redevenant calme. Il tourne sa tête vers moi, me dévisageant.
Résignée, je hoche la tête. Je n'ai pas le choix, soit j'accepte de le suivre, soit je finis piétinée dans sa crise. Comme ma tante...
Il s'ébroue bruyamment, me soufflant de l'air chaud au visage. Alors que je demande comment je vais parvenir à monter, il se baisse soudainement, me rendant l'accès plus facile. Un rire nerveux m'échappe, ce n'est pas un cheval ordinaire...
― Bon allez on y va, me murmuré-je à moi-même pour me donner du courage, bien que mon coeur ait plutôt décidé de se barrer en courant de ma poitrine.
Bien que je sois plus que tentée de le suivre, de prendre mes jambes à mon coup pour partir le plus loin possible, j'enjambe son large dos puis m'assoit, il se relève sans effort, comme si je n'étais pas là.
― On va où ? le questionné-je inquiète, maîtrisant très mal mon angoisse.
Voilà que j'en étais réduite à parler à un cheval maintenant. Mais tout de même très intelligent, car il faisait maintenant des petits tours de clairière pour me permettre de me stabiliser. Bien que ce ne soit pas tellement nécessaire, bien que je n'aie plus jamais approché un cheval, je sens presque mon corps se fondre, ne faire qu'un avec lui, comme si ses puissants muscles étaient la prolongation de mon bassin. Après quelques minutes, je presse légèrement les mollets, pour lui donner le signal de départ et enroule mes mains dans deux mèches de crins, faisant office de rêne.
Il relève alors la tête, pousse un petit hennissement... Puis part soudain au triple galop.
― Hé ! Ralentis ! Crié-je, sentant la panique et les mauvais souvenirs affluer.
Mais il ne m'écoute absolument pas. Je me résous donc à me laisser porter, en fermant les yeux, renforçant un peu plus le barrage me coupant de ce jour, puis me penche légèrement sur son encolure afin d'éviter les branches, sentant ses puissants muscles sous mes jambes m'emporter Dieu-sait-où dans ce monde inconnu...
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