Chapitre 11 : Tyna

― OK, clarifie Amandine, décidée à prendre les choses en mains. On avance, mais pas question de se séparer encore.

Elle saisit mes doigts avec force et je m'empresse d'attraper le bras de Miya afin de réaliser une chaîne humaine. Mon cœur bat fort dans ma poitrine alors que je parcours les sombres buissons du regard. On se croirait dans le labyrinthe du tournoi des trois sorciers, je ne suis pas sûre de trouver ça rassurant... J'espère au moins qu'aucun mage noir ne nous attend à l'arrivée...

― En avant, reprend-elle avant de nous entraîner d'une pas décidé entre les haies de plusieurs mètres de haut.

Nos jambes tremblent autant que des feuilles mortes en plein ouragan et des racines créent des obstacles sous nos pieds, mais nous nous raccrochons les uns aux autres, évitant ainsi bien des chutes.

― Les amis, intervient Milles après plusieurs minutes à marcher dans un silence oppressant. Je me souviens vaguement d'une technique de survie pour sortir d'un labyrinthe.

Nous nous arrêtons pour en savoir plus.

― Et t'aurais pas pu le dire plus tôt, râle sa paire, sa voix trahissant sa nervosité.

― Je viens juste d'y repenser, espèce d'andouille, rétorque son frère. (Amandine marmonne qu'elle « ne comprendra jamais les gens qui mangent de l'andouille.) Bref, l'idée c'est de poser une main contre le mur, sans jamais s'en séparer, comme ça on finira forcément par trouver la sortie.

Malgré l'obscurité, je vois nettement un sourire convaincu se dessiner sur ses lèvres fines.

― Ouais, après avoir fait tout le tour de cette forêt et d'être passé deux fois au même endroit, contre Yuna de son habituel ton râleur.

― Tu as une meilleure idée, peut-être ? Demandé-je, plus agressive que je l'aurais voulu.

― On y va au pif ? Propose-t-elle, un sourire en coin.

― Et repasser 15 fois au même endroit ? Raille Théo. Pas bête la guêpe.

La jeune fille lui lance un regard noir.

― Ah oui ? Et toi et ton QI de ver de terre, vous avez une stratégie ?

― Évidemment, se rengorge le chanteur d'un air supérieur. Si on porte Miya suffisamment haut, elle pourra voir au-dessus des haies et on devrait arriver à s'orienter.

― Eh ! Pourquoi moi ? S'indigne la concernée.

― Miya, tente son frère, sans vouloir te vexer, c'est évident.

― T'es la plus petite, clarifie Yuna.

― Bon, s'interpose Mandy alors que la blonde s'apprête à répliquer, se disputer ne nous fait pas avancer. Si vous voulez qu'on retrouve la civilisation un jour va falloir bouger, vous n'aurez qu'à réfléchir pendant qu'on marche. En attendant, l'idée de Milles me paraît la plus réaliste.

― Allons-y avant que notre baby-sitter ne fasse encore un burn-out, remarque Théo en entraînant les autres à la suite de notre meneuse.

― Gnagnagna, entends-je Amandine ronchonner.

Je soupire alors que nous nous remettons en route. Mêmes coincés dans un monde traumatisant qui ne devrait pas exister, ils trouvent encore le moyen de se disputer et de faire de l'humour. Moi, j'en serais bien incapable : mon cœur bat si fort que ma tête me lance et je crois voir des formes mouvantes à chaque frissonnement des feuilles autour de moi.

Au premier embranchement, nous tournons à droite, pour découvrir très rapidement qu'il s'agit d'un cul-de-sac et revenir sur nos pas, donnant une bonne raison à Yuna pour râler. Au troisième demi-tour, la tension commence vraiment à se faire sentir et les disputes reprennent.

Pendant que mes amis débattent sur la même stratégie – allant même jusqu'à envisager de couper à travers les haies – mes pensées tournent en boucle sur le problème. Notre seul espoir à mes yeux, c'est que ce ne soit qu'un cauchemar horrible dont je me réveillerais en sueur.

Bientôt, le ventre de Théo commence à gargouiller bruyamment.

― J'espère qu'on va sortir d'ici avant de mourir de faim, commente-t-il sombrement.

C'est cet instant que choisi Amandine pour s'arrêter net en poussant un petit cri de surprise. Je manque de la percuter et lui en fait la remarque, mais elle semble trop concentrée sur sa découverte pour me prêter attention. Mes amis nous bousculent pour voir eux aussi et nous découvrons, au centre d'un espace un peu plus large que les couloirs végétaux, un arbrisseau garnit de fruit orange et ronds. Les ténèbres qui l'entourent ont l'air moins denses, donnant à l'arbre un aspect irréel. Enfin, encore plus que ce labyrinthe flippant et sorti de nulle part.

― Un oranger ? Hasarde Miya en me prenant le bras.

― Ça tombe bien ! S'exclame le chanteur. J'avais faim.

Il rejoint rapidement le fruitier pour cueillir l'orange la plus proche.

― C'en est d'autant plus étrange, intervient Amandine. Donne-moi ça.

― Mandy a raison, approuvé-je, hésitante. C'est pas normal tout ça.

Elle se saisit du Graal avant que le garçon n'ait pu protester.

― Eh ! S'indigne-t-il. Qu'est-ce que je risque avec un pauvre fruit ?

― Imagine que tu t'en éclabousses dans les yeux en l'ouvrant, ironise Yuna. Ce serait vraiment dommage.

― Ce que je veux dire, explique la blonde en haussant le ton pour couvrir les jérémiades de Théo, c'est qu'il ne vaut mieux pas goûter à tout ce qui traîne.

― C'est vrai, continue Miya, dans les films, c'est jamais une bonne idée.

― En même temps, tu ne regardes que des films d'horreur, la taquine son frère.

― C'est fau- hii !

Nous sursautons de concert quand un crac sonore retenti dans notre dos.

― Qu'est-ce que c'était ? Couiné-je en serrant très fort le bras de ma meilleure amie.

― Ne bougez pas ! Je suis armée !

Tous les regards convergent vers Amandine, qui, avec grand sérieux, brandit son orange comme s'il s'agissait d'une grenade sur le point d'exploser.

Évidemment, tous ces crétins explosent de rire.

Alors que plus rien ne bouge et que le danger semble écarté, un sourire vient me chatouiller les lèvres. Finalement, le rire permet vraiment de tout surmonter, même s'il est nerveux et va parfois à l'encontre de tout instinct de survie.

Yuna en profite pour rappeler à notre amie qu'elle est complètement folle, mais un nouveau mouvement parmi les buissons nous hôte toute envie de plaisanter et nous partons en courant au hasard.

Dans notre fuite, je saisis les mains de mes amis les plus proches – à savoir Milles et Amandine – et nous galopons jusqu'à perdre haleine. Après plusieurs minutes de course effrénée entre les haies et de nombreux virages, nous finissons par ralentir.

― Je... j'ai cru... apercevoir... quelqu'un, gémit une Miya livide en s'agrippant à Amandine.

― Faut... vraiment... qu'on sorte... d'ici, halète Milles, les mains appuyées sur les genoux.

Mes poumons me brûlent tant que j'en ai des vertiges, la réponse de Théo est noyée dans les taches sombres qui dansent devant mes yeux. Je titube, emportée vers l'arrière par mon propre poids, jusqu'à rencontrer le buisson taillé au carré. Les moignons de branches s'enfoncent dans mon dos, me procurant un appui bienvenu.

― Tyna, ça va ? S'inquiète-t-on alors que je reprends peu à peu mes esprits.

― Oui... je crois, bredouillé-je en me massant le front.

Soudain, les branchages se dérobent sous moi et je tombe dans la haie. Celle-ci semble se refermer sur moi alors que je panique et agite les bras, me griffant de toutes parts.

Le feuillage se densifie, réduisant le peu de lumière qui me parvient encore de l'extérieur. Je crie à m'en déchirer les cordes vocales alors que je perds pied et m'enfonce plus profondément que cela devrait être possible dans ce buisson de l'enfer. La sensation de noyade se fait de plus en plus intense, mon espoir coulant avec mon corps courbaturé. Je ne ressortirais jamais de ce piège végétal.

Deux mains puissantes agrippent violemment mes poignets pour me tirer vers le haut, propulsant ma tête lourde dans l'autre sens. En une fraction de seconde, je suis de retour à la surface, assise par terre au milieu du sentier sans savoir comment je suis arrivée là.

Des bras étrangers m'enserrent de tous les côtés, des larmes chaudes viennent réchauffer mes joues transîtes de froid. Je reprends doucement conscience du monde qui m'entoure.

― Vous en avez mis du temps pour me sortir de là, chuchoté-je à mes amis.

― Heu... non, marmonne Théo quelque part à ma gauche. Yuna t'a rattrapée direct.

Je lève des yeux étonnés vers lui : cette épreuve m'a semblé durer des siècles.

― C'était vraiment effrayant, souffle Miya en me serrant dans ses bras de toutes ses forces. On aurait dit que tu te faisais avaler !

― C'est aussi la sensation que j'ai eue, murmuré-je en essuyant mes larmes d'un revers de manche.

― On sort de ce foutu labyrinthe ? Me propose Mandy, une main pâle tendue dans ma direction.

Je m'empare de sa paume et me relève avec détermination.

― Peut importe le temps que ça prendra ni où on arrive, on sortira de ce putain de labyrinthe, affirmé-je d'une voix forte.

Mes amis approuvent à l'unisson, ce cri de guerre nous redonnant la force de poursuivre notre route semée d'embûches.

― Mais on se tient loin des haies, ajouté-je.

Ils rient de bon cœur, comme si nous n'étions pas paumés dans le labyrinthe du Tournoi des Trois Sorciers, avant de repartir avec détermination.

Les carrefours s'enchaînent sans que la main droite de notre meneuse improvisée ne quitte le mur végétal qui nous retiens prisonniers. Régulièrement, l'estomac frustré de notre cher Théo l'affamé retenti dans le silence pesant qui nous entoure, bientôt rejoint par celui de Milles. Nos rires chargés d'espoir tranchent les ténèbres et se répercutent dans le labyrinthe dans un écho infini. Même les étoiles daignent apparaître faiblement, et nous pouvons les discerner au prix d'un torticolis collectif, mais enthousiaste.

Un détail cependant finit par ternir notre motivation : les chemins semblent changer dès que nous tournons le dos. Alors que nous revenons d'une impasse, la bifurcation qui y mène est méconnaissable, et après plusieurs incidents du style, nous commençons vraiment à nous inquiéter.

― C'est à croire qu'on veut nous emmener quelque part par tous les moyens, marmonne Amandine en tournant obstinément à droite.

― J'en viens presque à regretter le manoir, commente Théo.

― Ça paraît complètement fou qu'il ait disparu, comme ça ! Remarque Milles d'un air songeur.

― Bah... au point où on en est, constate Yuna. Je commencerais sérieusement à m'inquiéter quand Miya crachera du feu.

Nous pouffons sous les protestations de la petite blonde.

Après quelques intersections supplémentaires, nous débouchons – sans signe avant coureur – dans une sorte de grande place vide délimitée par des haies de deux mètres. Six stèles imposantes sont disposées en cercle, chacune ornée d'un symbole unique aux lueurs inquiétantes.

Vaccinés contre la recherche d'ennuis (du moins, jusqu'à ce qu'on sorte de ce cauchemar), nous décidons de faire demi-tour et d'essayer un autre sentier. Hélas, à peine revenus quelques pas en arrière, nous découvrons que le couloir végétal que nous venons de suivre est obstrué. À croire que ces buissons sont taillés depuis plusieurs générations.

Notre seule issue reste donc de traverser l'espèce de cimetière. Quelle perspective réjouissante.

Alors que nous nous approchons en file indienne et d'un pas peu assuré des tombes dans le seul but d'atteindre l'autre côté, la voix fantomatique que j'avais presque réussi à chasser de mes pensées retenti dans le silence de mort qui régnait jusque-là.

En vain, j'ai tenté de vous arrêter,

mais les forces obscures sont trop agitées.

Depuis des siècles, elles fomentent allègrement,

préméditent leur vengeance,

et vous seuls, pantins innocents,

pouvaient la leur offrir, comme mettre fin à leur errance.

Choisissez le Bien mes enfants,

Car là où vous allez,

Personne ne devra savoir qui vous êtes,

et je ne vous serais d'aucune aide.


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