Chapitre 7

— Le petit déjeuner est prêt les mecs ! 

Je me retournai pour voir Florence, les bras chargés d’un plateau où trônaient des viennoiseries et trois tasses de thé qui embaumaient déjà toute la pièce. Antoine et moi salivions d’avance. Nous n’avions pas mangé la veille au soir, et je me souvenais de la terrible épreuve que ce fut pour mon ami qui ne sautait jamais un seul repas. L’armoire à glace qui se tenait à mes côtés tenta de se servir directement, sans attendre que Flo ait le temps de déposer le plateau sur la petite table basse. Il retira sa main en grimaçant après s’être fait pincer par sa chère et tendre qui affichait un sourire sadique. 

— Contient toi deux minutes ! T’es pire qu’un gosse ma parole, roula-t-elle des yeux en s’asseyant en face de nous. 

— Mais j’ai faim et tu sais que quand j’ai faim, je n’ai plus aucune patience ! se défendit Antoine. 

— Rien ne t’empêche d’être poli ! Quant à toi ! m’interpella-t-elle d’un doigt accusateur. Ne crois pas que je ne t’ai pas vu tenter de te servir à l’instant !  

Florence souffla de désespoir, un rictus aux lèvres qu’elle tentait de cacher pour ne pas exploser de rire devant nos yeux de cocker. 

— Aller, assied-toi Cécile avant que ces deux là ne dévore tout sur leur passage. 

On entendit le gloussement de ma fiancé retentir, alors qu’Antoine et moi nous tenions déjà prêt au top départ pour fondre sur les croissants chaud qui nous tendaient les bras. Florence nous fit un signe de la tête tout en ne quittant pas son petit air narquois. Je pouffai à ce souvenir, me rendant compte que j’aurais mieux fait de l’observer plus attentivement ce jour là plutôt que de ne voir que par mon estomac. 

Nous nous jetâmes ainsi sur notre petit déjeuner, savourant déjà à l’avance le délice qui nous attendait. Soudain, nos têtes à tous deux prirent une autre teinte. La mine de dégoût d’Antoine était hilarante mais la mienne fut encore plus drôle à voir. Je recrachai vivement dans un essui-tout le contenu de ma bouchée. Un croissant fourré à la viande. Comment avaient-elles osées ? Et surtout, comment s’étaient-elles débrouillées pour dénicher cette horreur ? Je me saisi rapidement de mon thé que je portais à mes lèvres, désireux d’effacer l’ignoble goût qui s’infiltrait déjà dans toute ma bouche. Je ne compris que trop tard les alertes de mon nez qui piquait déjà sous les effluves poivré du breuvage. Je crachai le liquide dans la tasse en aspergeant mon ami qui se trouvait lui aussi en mauvaise posture. 

— Putain ! rugit-il. Mais c’est quoi ça ?! 

Les rires de Florence et Cécile s’élevèrent de mon ordinateur tandis que moi-même je me contenai à peine devant nos mines déconfites. J’augmentai un peu le volume et me reconcentrai sur l’écran qui zooma désormais sur nos visages rouges et nos regards meurtrier. 

— Regarde leurs têtes, couina Florence en tentant de calmer son fou rire. 

— On vous a bien eu ! 

Ma fiancée, les larmes aux yeux et le souffle court, fut prises de spasmes qui firent bouger la caméra, donnant un air encore plus comique à la scène. La vidéo se termina sur Antoine et moi qui nous levions, promettant une vengeance particulièrement «salé» à ces traîtresses. 

C’était en Angleterre, il y a quelques années, lors de l’un de nos derniers voyage tous ensemble. Cécile et Flo, lassées de nous voir ingurgiter tout ce qui se trouvait sur la table et de ne pas pouvoir manger à leur rythme, sous peine de ne plus rien à avoir à se mettre sous la dent, nous avait tendu un piège. Je me souvenais ne plus avoir rien accepté d’elles pendant un bon moment après cela, du moins tant que je ne les avais pas vu le préparer ou l’acheter avant. 

Je fis de nouveau défiler les photos et vidéos de mon dossier. Me replonger dans ces souvenirs heureux me faisait du bien. Je pouvais les voir, les sentir presque parfois. Souriants ou en colères, farceurs ou avec la gueule de bois. Ils étaient encore en vie sur ces images.

Sur un cliché, Florence me tenait les épaules alors que nous allions chuter sur le sable. Elle avait tenté de grimper sur mon dos, mais surpris par son geste que je n’avais pas vu venir, j’avais été déséquilibré. Elle était splendide dans sa robe bleu pastel. Je lui avais offerte la veille de cette photo alors qu’elle lorgnait dessus depuis plusieurs minutes au marché près de la plage. 

Nos bourses à cette époque n’étaient pas des plus remplies. Nous avions dû travailler dur pendant les vacances d’été avant de nous permettre de prendre cette semaine paradisiaque en Espagne. Flo avait donc décrété que nous éviterions tous les deux les dépenses inutiles. 

Nous venions de quitter le lycée et nous savions que nous ne serions pas dans la même fac. Ce voyage était donc une raison supplémentaire de faire ce que nous aimions avant de penser à notre avenir. C’était quelques mois après notre retour qu’elle avait rencontré Antoine. Une sale histoire d’amende injustifié que ce dernier lui avait collé par mégarde. Il était resté bouche bée devant ce petit bout de femme qui hurlait à l'injustice, avant de tenter de négocier comme personne. 

Je ne me souvenais plus très bien comment tout ceci avait fini, mais ils s'étaient revu. Antoine m'avait présenté Cécile et de fil en aiguille, nous avions tous terminé en couple. 

J'admettai à présent d'avoir été jaloux d'Antoine. Non pas parce que j'entretenais de quelconques sentiments pour Flo, mais parce qu'il était ce que je n'étais pas. Un gars sûr de lui, social et qui réussissait à nouer des relations saines et solides.  

Les miennes, hormis quelques rares exceptions comme avec ma grand mère ou celles que j'entretenais avec Florence et Cécile, semblaient toutes vouées à l'échec. Mon carnet de contact débordait, mais je n'avais toujours pu que compter sur mes meilleures amis et Lilly en cas de coup dur. 

J'avais été si stupide de croire qu'Antoine aurait pu m'évincer. Qu'il aurait pu me prendre les deux derniers pilier qui me restaient, puisque Jeda* m'avait quitté depuis plusieurs années. En réalité, il n’avait fait que renforcer encore plus nos liens. C’était grâce à eux, grâce à lui que je n’avais pas sombré à la mort de celle qui m’avait quasiment élevé. 

Ma grand-mère m’avait confié peu avant son départ qu’elle se sentait soulagée de me savoir entouré et aimé. Elle ne laissait pas son petit prince seul. ≪Oulidi, habi.≫. Aujourd’hui encore cette phrase, la voix suave qui la prononçait, me manque terriblement. Pourtant, j’étais préparé au départ de «Jeda». Son âge et la maladie ne la prédestinait pas à une autre fin. 

Mon coeur se mit à battre plus fort lorsque mes yeux se posèrent sur le cliché affiché à l’écran. Flo, son mari et moi-même étions installés sur leur ancien canapé. Antoine grignotait un bol de chips tandis qu’il encourageait Florence qui exultait sa joie, une manette à la main. J’étais à sa droite, un rictus aux lèvres alors que je montrait du doigt l’écran, absent du cadre. Elle venait une fois de plus de me mettre une sacré déculotté et j’avais tenté d’excuser mon piètre niveau en feignant un dysfonctionnement du jeu, comme toujours. Si j’avais su que notre dernière partie de Mario Kart… 

Mes yeux s’embuèrent sans que je ne puisse rien contrôler. Si j’avais su, si on me donnait l’opportunité de rejouer cette ultime partie, je l’aurais gagné. J’aurais tout fait pour provoquer inlassablement Flo et sa rage de compétitrice. Nous aurions joué toute la nuit, toute la semaine, tout l’été. Je ne lui aurais accordé une victoire que le neuf septembre. Cette date maudite que je n’aurais plus à haïr toute ma vie, puisque si j’avais eu une seconde chance de jouer à «Mario Kart», elle ne me les auraient pas pris. 

L’image devant moi se brouillait peu à peu. Des spasmes violent accompagnaient mes sanglots désespérés. 

J’étais prêt à voir partir ma grand-mère et ce, uniquement parce qu’ils étaient là. Parce qu’ils auraient toujours dû être là. Mais ils m’avaient laissé orphelin de leur amour, de leur présence que je rêvais de sentir de nouveau à mes côtés. 

Alors que je m’apprêtai à fermer l’ordinateur, mon regard ne put s’empêcher de couler une dernière fois sur la photo. Lucie était présente elle aussi, assise par terre entre les jambes de sa mère.Elle riait aux éclats, tournée vers notre trio qui semblait être la cause de son hilarité. Sebastien, l’ancien collègue d’Antoine et le photographe improvisé de cette journée, avait d’ailleurs parié avec elle après cet événement qu’il  ne me battrait pas, alors qu’elle soutenait l’inverse. Leur deal conclu, j’avais finalement remporté cette manche et Lucie en fut fâchée. Elle n’avait pas eu droit à la tartelette au citron meringuée qui était en jeu et dont elle raffolait tant pour le goûter. Je ne me souvenais même plus de cet incident banal et de ses regards meurtriers durant le reste de l’après-midi. Elle m’avait supplié de perdre et je l’avais trouvé exécrable. Pour la punir, j’avais donc tout donné pour ne plus l’entendre piailler dans mes oreilles. Ma mission fut un franc succès puisqu’elle n’avait d’ailleurs plus adressé la parole à personne pendant deux heures. 

Elle avait bien plus perdu qu’un désert au citron à présent, et elle me détesterait toute sa vie si elle avait conscience que j’aurais pu tout faire pour gagner cette dernière partie.

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