Chapitre 5

Depuis l'enterrement, quelques jours s'étaient écoulés et je reprenais doucement un rythme de vie plus normal. J'avais toujours quelques difficultés à m'alimenter correctement, mais j’avançais de nouveau dans mes commandes et le boulot me permettait de ne pas trop penser. Cécile dormait encore dans notre chambre tandis que je m'affairai à lui préparer un petit déjeuner. L'odeur du pain grillé et du café chaud qui m'aurait fait saliver habituellement embaumait toute la cuisine. Je tartinai consciencieusement le beurre demi-sel et la confiture de prunes préférée de Cécile sans aucun appétit. Comme s'il s'agissait de plâtre, la nourriture ne me procurait plus aucune joie.

Ce matin-là, mon estomac se tordit pourtant. L'anxiété m'envahissait peu à peu. Cécile avait pris sa journée pour se rendre à un rendez-vous. Depuis plusieurs mois, sa décision était arrêtée. Elle souhaitait se faire stériliser, mais devait à présent faire face à de nombreux refus du corps médical, qui la pensait trop jeune pour choisir une solution si radicale.  De mon côté, mon angoisse se résumait simplement au fait qu'elle n'y parvienne pas ou que l'opération se déroule mal. Nous avions toujours été en accords sur nos choix de vie, et celui de ne pas concevoir était une décision que nous avions prise depuis longtemps. J'enrageais face à ces médecins incapables de comprendre que le corps de ma fiancée et ce qu'elle souhaitait en faire demeurait un choix qui n'appartenait qu'à elle. Moi-même je pensais parfois à la vasectomie, mais sauter le pas m'effrayais encore bien trop. 

Alors que je m'imaginai les pires scénarios catastrophes de ma possible future opération, je sentis mon téléphone vibrer. Je reposai le plateau où se trouvait le petit déjeuner de Cécile et décrochai sans même jeter un coup d'œil au numéro appelant. 

— Bonjour Monsieur Martel-Sahli ? 

— Sahli, je n'utilise que très peu mon nom entier. 

— Très bien Monsieur. Je me présente maître Corveaux, du cabinet notarial de Créteil. Je tenais tout d'abord à vous adresser mes sincères condoléances en ce qui concerne Madame et Monsieur Duval. 

— Merci, grommelai-je à demi-voix. 

Je détestais remercier ceux qui m'adressaient leurs condoléances, comme si j'acceptais de bon cœur qu'on me rappelle cette perte douloureuse dont je ne me remettais pas. 

— Je me suis permis de vous contacter pour une affaire qui vous concerne ainsi que mademoiselle Cécile Jovin. Monsieur et Madame Duval avaient fait acter dans mon cabinet un testament duquel vous faites partie en tant que bénéficiaire. J'aimerais donc vous proposer un rendez-vous à mon cabinet pour que nous puissions en discuter. 

Un testament ? Je savais Flo et Antoine prévoyant, mais je ne pensais pas qu'ils seraient allés jusqu'à prévoir leurs morts si tôt. Je me trouvai quelque peu abasourdi, et il me fallut plusieurs secondes avant de me racler la gorge pour répondre au notaire. 

— Quand pourriez-vous nous recevoir ? 

— En début d'après-midi même, à quatorze heures. L'un de mes clients vient de m'appeler pour annuler notre entrevue, je ne comptais vous contacter qu'en fin de semaine étant donné mon planning surchargé mais je me suis dit que vous voudriez peut-être être mis au courant au plus vite, expliqua-t-il tandis que je pouvais l'imaginer avec un sourire aux lèvres. 

— Vous avez bien fait. Nous serons là pour quatorze heures. 

— Excellent, je demanderais à ma secrétaire de bloquer le rendez-vous. Je vous dis à tout à l'heure, monsieur Sahli, bonne fin de matinée. 

— À vous aussi maître. 

En raccrochant, mon cœur se mit à battre plus fort. Comment Cécile allait-elle prendre cet évènement imprévu alors que moi-même je n'en revenais pas. Un coup d'œil vers son plateau-repas me fit monter la nausée. Je ne pourrais décidément rien avaler tant que je ne saurais pas ce que dit ce testament et pourquoi mes meilleurs amis m'ont toujours caché son existence. 

Je fus abasourdi. Le choc de la nouvelle me cloua sur place sans que je ne puisse réagir. J’entendis autour de moi qu'on s’agitait, mais je fus incapable d’en comprendre la cause. Mes yeux restèrent fixés sur ce morceau de papier, cherchant quelque chose, le moindre signe qui prouverait que j’avais mal lu, mal compris les mots inscrits à l’encre noire qui semblaient danser devant moi. Mais tout était très clair, limpide, et ça me terrifiait. Le grain de la feuille s'humidifiait légèrement sous la pulpe de mes doigts moites, je la sentai tressauter faiblement sous les tremblements de ma main fébrile. Je portai mon regard sur le bas de la page, sur ces signatures que je reconnaissais entre mille. Ce document si banal, ce simple bout de papier résumait les dernières volontés de mes meilleurs amis. Et l’une d’entre elles était sur le point de bouleverser toute mon existence.

— Il doit y avoir une erreur monsieur ! Florence et Antoine savaient pertinemment que nous n’étions pas les personnes idéales pour ce rôle !

— Je vous assure mademoiselle qu'il n’y a aucune erreur. Monsieur Sahli a été désigné tuteur de mademoiselle Lucie Duval par ses père et mère.

— C'est impossible… Pourquoi auraient-ils fait cela ? souffla Cécile.

— Je ne peux vous répondre sur ce point. Je n’étais que leur notaire, si vous n’avez pas la réponse, elle m’est encore plus inconnue.

Cécile chercha fébrilement à attirer mon attention. Elle attendait une réaction de ma part, mais j’en étais incapable. Je relevai la tête vers mes deux interlocuteurs, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Mes lèvres parurent comme scellées. Même mon corps ne trahissait aucune émotion. Je ne sentis pas de boule se créer dans ma gorge ou mon ventre, ma sueur ne coula pas dans ma nuque et mon cœur battait à allure régulière.

— Lucas réagit ! On ne peut pas faire ça ! Comment ont-ils pu penser une seule seconde 

que nous étions le meilleur choix pour cette gamine ? Lucas, tu m’écoutes ?! Réponds-moi !

Je tournai vaguement la tête vers elle, avant de plonger de nouveau mon regard sur les signatures. Leurs courbes si familières s'agitèrent sous mes yeux plissés, qui tentaient de comprendre le sens caché de tout cela. Je ne savais pas non plus quoi penser de la décision de mes amis. Certes, j’étais le parrain de Lucie, mais ils s’étaient bien rendus compte, au fil des années, que j’aurais pu être couronné «pire parrain de la terre», alors pourquoi me demandaient-ils d’assumer un rôle plus important encore ?

— Écoutez, il y a forcément une solution ! Ne peut-il pas tout simplement refuser ?

— Bien sûr, le tuteur s'il n’a aucun lien de parenté avec l’enfant peut tout à fait refuser la tutelle testamentaire.

Cécile sembla instantanément soulagée. Ses pommettes étaient rouges et elle s’agitait sur sa chaise en cuir depuis une bonne dizaine de minutes. Pourtant, cette nouvelle venait vraisemblablement de lui donner un second souffle.

— Très bien, comment faut-il procéder ? questionna-t-elle de manière plus posée.

Le notaire pris une mine grave et se prépara à répondre, mais je ne lui en laissais pas le temps. Sans réfléchir, je lui posai la question qui me brûlait soudainement les lèvres d’une voix rauque :

— Qu’arrivera-t-il à Lucie si je refuse de m’en occuper ?

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