Chapitre 14
Accoudé au bar de ma cuisine, je fulminai.
— Bon, décide toi s'il te plaît. On ne vas pas y passer la soirée.
— Mais c'est compliqué ! Elles ont toutes l'air giga bonnes ! rouspèta Lucie.
Cela faisait quinze bonnes minutes qu'elle avait changé d'avis sur son choix de pizza et qu'elle me faisait tourner en bourrique. J'allais finir par être en retard à mon rendez-vous avec Cécile. Je jetai un rapide coup d'oeil à l'horloge de ma cuisine en grimaçant. J'étais déjà en retard. Ma filleule se trouvait assise en face de moi, les bras sur le comptoir et la tête posée sur ses mains. Sa bouche formait une moue boudeuse tandis que ses sourcils se fronçaient par intermittence, comme pour exprimer son «terrible » dilemne.
— Choisis-en une au hasard parmis celles qui te font le plus envie. On se fera d'autres soirées pizza et tu pourras goûter aux autres, c'est promis !
— C'est quand même dur !
Je me massais les yeux d'une main à sa remarque. J'avais l'impression qu'elle s'amusait de la situation et je n'avais pas le temps de jouer.
— Soit tu te décide, soit je te prépare une boîte de ravioli.
Lucie releva des yeux surpris dans ma direction et, tout en levant les mains en l'air en signe d'abdication, elle se précipita pour me répondre d'une voix anxieuse.
— D'accord, d'accord ! Je vais prendre l'Orientale.
— Tu vois quand tu veux, souris-je en me saisissant de mon smartphone pour passer commande.
Une fois que ce fut chose faite, j'installais mon exécrable filleule devant le film qu'elle avait choisie. Le livreur ne se fit pas attendre et tout fut finalement prêt pour mon départ. Je rappelais à Lucie les consignes, à savoir de ne pas quitter ce fichu canapé avant mon retour, et filait rapidement jusqu'au restaurant.
*
J'arrivais avec cinq petites minutes de retard et remarquai Cécile qui m'attendait devant l'enseigne, une cigarette à la bouche. Je n'avais toujours pas pris l'habitude de la voir fumer et ne pus retenir un froncement de sourcils réprobateur. Nous nous saluâmes assez froidement, même si la gêne primait sur les ressentiments au vu de nos échanges de regards.
Alors que nous pénétrions dans le petit bistrot qui ne payait pas de mine au premier coup d'oeil, je me mis à la détailler. Elle n'avait laissé aucun détails au hasard. Sa chemise blanche en coton et légèrement ample semblait glisser sur sa peau douce. Alors qu'un serveur nous dirigeait vers notre table, je pus admirer son pantalon qui moulait son fessier et sublimait ses jambes, tout comme ses bottines à talons qui claquaient sur le sol en parquet. Ses cheveux blond se balançaient dans une grosse tresse à laquelle elle avait volontairement donné un effet brouillon. Nous nous installâmes tandis que l'employé nous distribuait les cartes des apéritifs et des entrées. Je jetais un coup d'oeil à son visage légèrement maquillé et son rouge à lèvres préféré qui me donnait envie d'y déposer les miennes. Cécile n'avait pas sorti le grand jeu, mais elle me connaissait trop bien. Le message était clair, elle souhaitait que je la désir et que je me consume seul tandis qu'elle s'amuserait de me laisser ou non la reconquérir. J'avais beau connaître son plan, j'y plongeais la tête la première.
— Tu es magnifique.
Ma fiancée baissa les yeux sur sa tenue, un léger rictus aux coins des lèvres.
— Oh, merci. J'ai fait simple pourtant.
— Tu sais bien que je te trouverais jolie, peu importe ta tenue.
— Donc lorsque je m'apprête pendant des heures, cela revient à la même chose que si je portais un jogging et un vieux pull ? m'interrogea-t-elle, soudainement piqué.
— Bien sûr que non, enfin si mais…
Cécile pouffa et je me détendis. Le serveur vint nous apporter nos commandes, puis la discussion tourna autour de sujets banaux comme nos boulots et derniers potins. Arrivé à la fin des plats, aucun dossiers sensibles n'avaient été abordés. Pourtant je sentis mon coeur léger. La conversation se déroulait à merveille et je sentais notre complicité se renouer. Elle avait même pris l'initiative de me saisir la main et jouait désormais avec ma bague de son pouce. Son regard transperçait mon âme et je rêvais de l'embrasser. Maintenant.
— Tu me manques Luc, souffla Cécile après quelques instants de silence.
— Toi aussi Lily. J'aimerais… J'aimerais qu'on se laisse encore une chance d'arranger les choses.
Elle soupira en lâchant ma main et mon coeur se ressera. Était-ce trop tard ?
— C'est aussi ce que je souhaiterais. Mais… Tout est si compliqué en ce moment.
Je luttai contre mon envie de me lever pour la prendre dans mes bras et lui hurler de ne pas m'abandonner. Elle planta ses iris bleutés sur moi et je crus défaillir.
— D'un autre côté, notre histoire ne peut pas se terminer ainsi. Ça m'est inconcevable de songer à une rupture. Ne crois pas que je ne t'en veux pas d'avoir pris des décisions qui concernaient notre avenir, nos projets et notre relation. Mais j'y ai énormément réfléchi ces derniers jours et je… Je crois comprendre pourquoi tu l'as fait. Je n'adhère pas, mais j'aimerais que l'on trouve une solution, parce que je refuse de te perdre Lucas.
Son regard triste se transforma en une expression de surprise lorsque je m'élançai vers elle. J'attrapai son bras pour la relever et la serrais contre moi. Son parfum apaisa quelques peu les battements frénétiques de mon coeur et je sentis une vague d'amour gonfler ma poitrine. Il n'était pas trop tard.
— Si tu savais comme j'espérais que tu prononce ces mots, soufflai-je à son oreille.
Cécile me gratifia d'un sourire et évalua le nombre de têtes qui s'étaient retournés vers nous.
— Je crois que nous sommes observés, gloussa-t-elle.
Je m'apprêtais à mettre fin à notre étreinte quand ma fiancée se colla de nouveau contre mon torse.
— Tu penses qu'ils s'attendent à ce que je fonde en larmes ou que tu te mettes à genoux ?
— Aucune idée et je m'en moque, souris-je.
— T'es dur. On ne peut pas laisser notre public sans rien à se mettre sous la dent.
Dans un sourire, elle se jeta sur mes lèvres et m' embrassa avec passion. Je répondis à son baiser avec puissance et malgré les quelques exclamations choquées et les gloussements ambiant, je priai pour que cet instant ne se finisse jamais.
Cécile finit par reculer d'un pas et nous nous mîmes à rire en observant les clients autour de nous. Le serveur se tenait non loin, gêné par la situation mais n'osant certainement pas intervenir. Lorsqu'il vit que nous nous étions éloignés quelque peu, il s'approcha timidement.
— Monsieur, madame, souhaitez-vous que je vous apporte la carte des desserts ?
Ma fiancée releva la tête dans ma direction et me fit un clin d'œil discret.
— Non merci, ne vous donnez pas cette peine. Un dessert nous attends déjà chez lui, roucoula-t-elle en me désignant.
Le serveur prit une teinte rosâtre avant de bégayer quelques mots et de nous souhaiter une bonne soirée. Nous nous dirigâmes donc à l'accueil en gloussant pour payer l'addition avant de sortir de l'établissement sous les regards mi-amusés, mi-réprobateurs des clients curieux.
Nous fumions non loin, dans une ambiance de début de soirée qui s'avérait de plus en plus prometteuse.
— Tu comptes me proposer de monter chez toi un jour ou tu préfères que l'on fasse ça ici ? Pas que je sois contre les nouvelles expériences, mais il commence à faire froid, ronronna-t-elle.
Je souris et m'apprêtais à lui répondre quand la réalité me rappela à l'ordre. L'expression de mon visage changea soudainement et je lâchai un juron. Intriguée et quelques peu surprise, Cécile voulu savoir ce qui me tracassait tout à coup et je rechignai à lui dire. Je ne voulais pas faire une croix sur la soirée magique que nous nous apprêtions à vivre. Pourtant, je n'en avais pas le choix.
— Lucie est chez moi.
— Quoi ? Comment ça ?
— Elle est arrivée aujourd'hui, ça m'est sorti de la tête un instant.
Cécile sembla prendre un temps de réflexion anormalement long pour digérer l'information et ce que cela impliquait. Elle aussi devait ressentir la même frustration et les mêmes regrets que moi face à notre nuit d'amour avorté.
À ma grande surprise, ce ne fut pas un air triste qu'elle afficha lorsqu'elle reprit connaissance, mais un regard paniqué.
— Attends. Tu as laissé une enfant de dix ans seule dans ton appartement pendant plus de deux heures ?
— Il est si tard ? m'étonnais-je en consultant ma montre.
— Mais tu es inconscient ?! Bordel Lucas ! Grouille toi, on doit vite rentrer pour s'assurer qu'elle va bien !
Déstabilisé, je ne réagi pas tout de suite. Cécile aggripa donc ma manche en me tirant derrière elle tandis qu'elle se mit à courir. Je ne comprennais pas son emportement soudain. Lucie était en sécurité à la maison avec de la nourriture et de quoi s'occuper. Pourquoi faudrait-il s'inquiéter ? Elle n'avait certes que dix ans, mais j'avais pris en compte le paramètre qui constituait dans le fait qu'elle ne pouvait pas se débrouiller seule. Je ne voyais donc aucune raison logique à l'empressement de ma fiancée qui me traînait désormais à toute allure dans la rue.
Lorsque nous atteignîmes mon appartement, Cécile m'arracha les clés des mains et les inséra à toute vitesse dans la serrure. J'avais eu beau essayer de lui faire comprendre qu'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, elle s'était contenté de me traiter d'inconscient durant tout le trajet. Le battant de la porte claqua assez rudement contre le mur du couloir tandis qu'elle y pénétrait comme une furie. Je senti très vite une odeur de brûler me parvenir et me dirigeai rapidement vers la cuisine. La plaque de cuisson était allumée et une demi tonne de maïs à pop-corn carbonisés semblaient avoir explosés partout. Je jurai devant le désordre tandis que j'entendis Cécile m'appeler.
Lucie se trouvait sur le canapé, endormie. Elle tenait encore dans sa main la cuillère qui lui avait servit à vider mon pot de glace au chocolat. La crème glacé s'était renversée sur une partie du tapis et des cadavres de paquets de gâteaux et de miette se trouvaient éparpillés dans la zone. Ma fiancée soupira de soulagement une fois qu'elle se fut approché de la gamine pour constater qu'elle allait bien.
— Tu devrais aller la coucher, m'ordonna-t-elle d'un ton autoritaire. Je m'occupe de ranger ce désordre.
J'obéis sans rechigner. Par des gestes prudents, je réussi à caler ma filleule dans le creux de mes bras et me dirigea vers sa chambre. Une fois que je me fus assuré qu'elle était confortablement installée pour la nuit, je sorti à pas de velour de la chambre.
Cécile se trouvait dans la cuisine et avait déjà presque rassemblé tous les grains de maïs. À deux il nous fallut peu de temps pour remettre l'appartement en ordre.
— Elle se prendra une bonne soufflante demain matin, grognai-je en tentant d'enlever la tâche de glace sur mon tapis.
— Certainement pas, répondit vivement ma fiancée. C'est entièrement de ta faute. Si tu ne l'avais pas laissé seule, rien de tout cela ne serait arrivé.
— Je ne l'ai pas laissé se débrouiller par ses propres moyens, elle n'avait qu'une seule consigne, rester devant son film en mangeant une pizza !
La jolie blonde qui faisait battre mon cœur grogna d'énervement. Elle me balança l'éponge qu'elle tenait dans la main avant d'exploser.
— Mais c'est qu'une gamine Lucas ! Tu ne peux pas laisser une enfant de son âge sans surveillance ! Il aurait pu lui arriver n'importe quoi ! C'est comme ça que tu comptes tenir ta promesse de t'occuper de leur fille ? En la prenant pour un chien à qui on apprend à être sage pendant qu'on s'absente ?! Je savais que tu prenais la pire décision possible en acceptant de devenir son tuteur. T'es en train de tout gâcher Lucas. Tu ruines notre relation et tu mets en danger une gosse qui en a déjà assez bavé comme ça !
Je restai interdit face à la violence de ses paroles. Cécile fondit en larmes mais elle me repoussa lorsque je tentai de me rapprocher.
— Non, laisses-moi, soupira-t-elle.
Elle renifla quelques instants en s'essuyant les yeux avant de se tourner vers moi.
— Écoutes, je suis désolée. Je sais que tu essai de faire de ton mieux, mais la volonté ça ne suffit pas parfois. Tu ne sais pas t'occuper d'une petite fille et tu n'es pas fait pour ça. Mais peut-être qu'il faut que j'attende que tu t'en rends compte toi-même, glapi-t-elle dans un sanglot.
— Cécile je…
Elle déposa ses mains sur mon torse et ferma les yeux. Sa tête se balança doucement de gauche à droite, m'intimant à garder le silence.
— Je vais y aller, on se rappelle ce week-end, ok ?
— Tu ne veux pas dormir ici ? J'irais sur le canapé si tu veux, mais je ne tiens pas à te laisser partir dans cet état.
— Non, il vaut mieux que je rentre chez moi. Bonne nuit Lucas.
Ses lèvres déposèrent un baiser semblable à une caresse sur ma joue et son image s'évapora dans un bruit de porte qui claque. Était-il trop tard cette fois-ci ?
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