Chapitre 13

Le retour jusqu'à mon appartement se fit en musique. Seules les mélodies de la radio et du moteur perçaient l'habitacle. Lucie s'obstinait à éviter soigneusement tout contact. Elle était recroquevillée en boule contre la portière et portait son regard sur le paysage urbain. J'avais eu beau tenter d'obtenir d'elle une position plus correcte, elle jouait les sourdes oreilles. Résigné et ne voulant pas jouer les tyrans dès nos premiers instants de vie commune, j'avais cédé. 

Mes pensées se tournaient de toute manière vers autre chose. Cécile m'avait appelé dans la matinée et je n'avais pas eu le courage de décrocher. Pourtant, j'espérais bien remédier à cela dès que j'aurais installé la petite et ses affaires. Peut-être accepterait-elle d'aller boire un verre ce soir. Nous pourrions trouver une stratégie pour sauver notre relation. Après tout, nombre de couples heureux et durable n'habitaient pas sous le même toit durant des années, j'osais donc me mettre à rêver qu'il pouvait s'agir là de notre porte de sortie. Je me sentais du moins capable d'effectuer un tel sacrifice, mais je redoutais qu'il n'en soit pas de même de son côté. 

Nous arrivâmes à l'entrée du garage souterrain de mon immeuble et j'activais mon passe sur la borne d'un mouvement automatique. Un son strident retentit. Lucie osa un coup d'oeil, comprenant instinctivement que l'appareil nous refusait l'accès. Cette maudite machine fonctionnait à son bon vouloir et la co-propriété semblait faire la sourde depuis plusieurs mois. Agacé, je m'acharnai à plusieurs reprise pour enfin entendre le son familier de la porte mécanique s'enclencher. Nous pénétrâmes dans le sous-sol sombre et je me mis à manœuvrer pour atteindre ma place. 

— On est arrivé. 

Lucie leva les yeux au ciel discrètement, mais je ne relevai pas. Je fis claquer ma portière une fois à l'extérieur et me dirigeai vers le coffre pour récupérer la valise et les sacs de ma filleule. Cette dernière attendait sagement près de moi et me tendit les bras pour récupérer son sac à dos. Je lui demandai par la suite d'appeler l'ascenseur tandis que je me dépatouillais avec ses affaires. 

Elle acquiesça d'un hochement de tête avant de trottiner jusqu'aux portes métalliques, en faisant se balancer son sac bleu turquoise. 

Lorsque je la rejoignis, nous nous engoufrâmes dans l'habitacle sans un mot. Je senti néanmoins son doigt tapoter mon avant bras alors que j'installai mon packetage et que les battants de l'ascenseur se refermèrent. Je me tournai vers elle, l'interrogeant du regard. Lucie me désigna les étages, sans ouvrir la bouche. 

— Le troisième. 

Elle appuya sur le bouton et nous commencâmes notre ascencion. Avant que les portes ne s'ouvrent de nouveau, je lui indiquais le numéro de l'appartement et le chemin pour y accéder. Elle ne se fit pas prier et après m'avoir subtilisé les clés des mains, elle se précipita dans le couloir de mon étage. 

— Oh, bah tiens, salut toi ! Tu cherches quelqu'un ? T'es toute seule ? 

— Non, répondit fermement la voix de Lucie que je vis néanmoins reculer quelque peu lorsque je lançai un coup d'oeil. 

— C'est ma filleule Gérard ! criai-je en finissant de me saisir des affaires. 

J'apparu très rapidement auprès d'eux. Le visage de mon voisin s'illumina d'un sourire édenté tandis qu'il repportait son attention sur la gamine. 

— Ah, d'accord ! Enchanté mademoiselle, on ne s'est jamais croisé encore. 

— Normal je suis jamais venu, et mademoiselle ça se dit plus, contra ma filleule du tac au tac. 

— Dis donc, c'est qu'elle mordrait, rit Gérard en me regardant. 

— Lucie est parfois un peu trop directe. 

Je lui lançai une moue d'excuse tout en foudroyant l'insolente. 

— Y'a pas de mal ! Elle vient pour le week-end ? 

Je sentis immédiatement la gêne s'abattre sur nos deux corps qui n'osaient plus croiser le regard de mon voisin curieux. 

— Pas vraiment. Lucie va vivre avec moi quelques temps, eludai-je rapidement. Bonne après-midi Gérard ! Désolé mais on a un planning chargé. 

Bien que je vis que l'homme se montra surpris, il se contenta de sourire en nous rendant la politesse avant de s'éloigner. Je repris les clés des mains de ma filleule et ouvris la porte en grand. Sans plus me préoccuper du reste, je pénétrai dans mon appartement, les bras chargés, en direction de la chambre d'amis. 

J'entendis le battant se refermer tandis que je m'affairai à ouvrir les sacs et la valise afin de ranger les effets personnels de la petite. Cette dernière apparue dans l'encadrement de la porte en quelques minutes. 

— Parrain ? souffla-t-elle timidement. Pourquoi tu as dis au monsieur que j'allais rester quelques temps ? Je ne vais pas vivre chez toi définitivement ? 

Je me tournais vers elle sans pour autant mettre un terme à mon rangement. 

— Bien sûr que si ! C'est juste que, eh bien, ça ne le concerne pas, tentai-je de me justifier. 

Je ne sus dire si je lu de la déception ou de la tristesse aux réactions physiques de Lucie, mais cette dernière repris vite le contrôle et afficha un air nonchalant. 

— Ok. On mange quoi ce soir ? 

Ravis du changement de sujet, je me retrouvais néanmoins rapidement en difficulté. J'avais envisagé de dîner avec Cécile, dans l'hypothèse qu'elle accepte, seulement je n'avais pas pensé aux soucis techniques que représentait Lucie. 

— Je ne serais sûrement pas là ce soir, mais ne t'en fais pas ! Je ne serais absent que deux petites heures logiquement. 

Ma filleule sembla surprise et une ombre passa de nouveau sur son visage. Mal à l'aise j'enchaînai rapidement avec une proposition qui, je l'espérais, lui ferait plaisir. 

— Je peux te commander une pizza et t'allumer la télé pour regarder un film en m'attendant, ça te dit ? 

Lucie haussa les épaules en acquiessant. Nous finîmes de ranger ses affaires avant que je n'aille lui chercher la carte de ma pizzeria préférée. 

Une fois que le choix du repas et du film fut fait, elle me demanda l'autorisation d'aller se reposer dans sa chambre. J'approuvais, trop heureux de pouvoir me détendre seul quelques instants avant d'appeler Cécile. 

*

Accoudé à mon balcon, une cigarette à la main, je pris une grande aspiration. Le numéro de ma fiancée s'afficha sur mon écran tandis que je portai l'appareil à mon oreille, le coeur tambourinant dans mes tympans. Lorsque sa voix retentit, je serrai un peu plus fort la barre de fer du garde-fou. 

— Salut Lily, soufflai-je. 

— Salut. Je pensais que tu n'oserais pas rappeler, avoua-t-elle sans pouvoir cacher son soulagement. 

— J'aimerais… T'inviter à dîner ce soir. Tu serais partante ? 

Cécile laissa s'installer un court instant de silence qui me parut durer une éternité. J'avais l'impression de me transformer à nouveau en adolescent, prêt à me prendre un râteau pour mon premier rendez-vous. 

— À quelle heure ? 

Un soupir de délivrance perça mes lèvres. Plus confiant grâce à cette petite victoire, je lui indiquait l'heure et le lieu du petit restaurant à deux rues de chez moi. Nous y avions déjà mangé plusieurs fois et il restait une valeur sûre. J'avais hésité à l'emmener là où je lui avais fait ma demande, mais après réflexion, il me semblait plus judicieux de la revoir dans un environnement où les souvenirs positifs n'étaient pas trop chargés en émotions. Heureux que ma soirée s'annonçait partir du bon pied, je parti m'assurer que Lucie allait bien dès que j'eus expulsé ma dernière bouffée de fumée. 

Elle se trouvait allongée sur son lit, le visage dans son oreiller. Le lit double l'a rendait encore plus petite qu'elle ne l'était et je souris face à cette image attendrissante qui me rappelait sa mère. Florence était de petite taille et fine corpulence. Si bien que malgré nos railleries, elle était souvent la seule à toujours avoir eu un coin confortable où se reposer. Lors de l'un de nos voyages, nous nous étions arrêtés dans une auberge en Autriche. Les lits semblaient sortis tout droit d'un internat pour enfant. Impossible pour Antoine et moi de nous allonger correctement, nos pieds, voir nos mollets, dépassaient des matelas une place et nous avions passé une nuit abominable. Sauf Flo. Elle s'était même permise, comble de l'indécence, de ronfler allègrement, bien emmitouflée dans sa couette. 

Je soupirais pensivement et refermais délicatement la porte, m'extirpant par la même occasion de mes souvenirs, et me faufilai dans mon bureau pour y travailler un peu avant le début de soirée. 

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