Chapitre 11

— Madame Beauvais, nous avons fait le tour du dossier plusieurs fois et il semble clair que je ne peux qu'être en faveur de la volonté des époux Duval, s'impatienta le juge des affaires familiales.
— Avons-nous simplement demandé à cette enfant ce qu'elle désire ? N'a-t-elle pas son mot à dire alors que nous débattons ici de son avenir ?
La grand-mère de Lucie lançait des regards meurtriers à l'homme de loi. Depuis le début de l'audience, elle avait clairement fait comprendre à tous qu'elle ne me laisserai pas la garde de la petite sans se battre. Si je n'avais pas été au courant de l'éducation militaire et invivable qu'elle avait donné à Florence, je lui aurais cédé ma place face à un tel acharnement, tant elle m'aurait convaincu de ne vouloir que le bien de ma filleule.
Josiane s'était paré de ses plus beaux vêtements, désirant plus que d'afficher sa confortable position sociale. Elle espérait mettre toutes les chances de son côtés pour faire plier le conseil de famille et le juge en sa faveur, afin d'obtenir la garde de sa petite fille. Les piques acerbes qu'elle n'avait cessé de me lancer durant l'heure qui avait suivi me prouvaient également qu'elle souhaitait que j'abdique moi-même. Mais je ne tenais pas à lui faire ce plaisir. Si j'étais l'une des pires personnes pour m'occuper de Lucie, l'envoyer vivre avec cette femme revenait à la propulser en Enfer.

La vieille femme se pencha légèrement en tournant la tête vers le sujet de la discussion. Sa petite taille et ses lunettes rondes aurait pu rappeler la mamie gâteaux de n'importe qui. Mais son chignon impeccable et ses traits dur venaient casser cette image de la gentille grand-mère. Le juge venait de l'approuver et tout le monde attendait désormais que la petite ouvre la bouche.
— Vas-y ma chérie, nous t'écoutons. Tu n'as pas à avoir peur, tu ne blessera pas tes parents si tu n'es pas d'accord avec eux et que tu préfère vivre avec moi.
— Madame Beauvais, je vous prie de vous taire et de laisser s'exprimer Lucie.
— Mais enfin je… ararguilla Josiane.
— Madame Beauvais s'il vous plaît, elle n'a pas besoin de vous pour nous dire ce qu'elle souhaite, trancha le juge d'un ton exaspéré.
La mère de Florence grogna mais obéit cependant et se tut. Lucie, intimidée malgré l'air impassible qu'elle tentait de prendre, risqua un coup d'œil en coin à sa tante avant de plonger son regard dans le mien. Un rictus encourageant franchit mes lèvres tandis qu'elle s'élançait déjà.
— Si vous voulez mon avis à moi monsieur le juge, je voulais vivre avec ma tata Aurélie.
Ses yeux plein de regret se posèrent de nouveau sur celle qu'elle considérait certainement comme sa deuxième mère. Je sais que c'est pas possible, elle m'a expliqué. Du coup, je choisi de faire confiance à mes parents et d'aller vivre avec mon parrain.
Bien que la réponse ne me surpris pas, j'eus une désagréable sensation lorsqu'elle arriva. Celle de n'être qu'une option par défaut pour cette gamine qui s'en rendait au jugement de ses parents, ne pouvant pas faire son propre choix. La peste ou le choléra. Sa grand-mère ou son parrain. Josiane qui contrôlerait les moindres détails de sa vie ou moi qui n'y serait qu'un frein.

L'audience me parut durer des heures, mais le verdict était finalement tombé. Je devenais officiellement le tuteur légal de Lucie Duval, ma filleule de dix ans. Pour un homme comme moi qui n'avait jamais souhaité d'enfant dans sa vie, cette nouvelle, bien que je l'avais espérée, me fit l'effet d'une gifle en plein visage. Mes sentiments confus et contradictoires me donnaient un mal de crâne tel, que tout se mit à bourdonner autour de moi lorsque les chaises alentours raclèrent le sol et que les voix diverses s'élevèrent. Je me levai à mon tour, groggy et tremblotant. Une fois sorti de la salle, Aurélie me sauta au cou, le sourire aux lèvres. Son manteau coincé dans le pli de son coude fini par tomber au sol, mais cette dernière s'en souciait peu.

— C'est génial Lucas ! Je suis si heureuse !

J'aurais aimé lui répondre que je l'étais également. Mais une partie de moi lui mentirait. Je fus quasiment paralysé durant toute notre étreinte, ne lui offrant qu'un faible rictus que j'espérai convaincant.
Mon regard finit par se déporter sur Lucie, emmitouflée dans sa doudoune bordeaux, les yeux fixés sur ses pieds. Lorsqu'Aurélie me relâcha enfin, je tentai un pas vers ma filleule.

— Lulu, si tu veux rester encore quelques jours chez tata, ça ne me dérange pas tu sais ?

La petite fille releva la tête vers moi, un air presque déçu sur le visage. Ou peut-être était-ce moi qui l'interprétait ainsi.

— Non, ça va. Je viendrais demain si tata est d'accord. Enfin, si t'as envie de profiter encore un peu avant que je ne vienne tout gâcher je comprendrais hein, souffla-t-elle en abaissant le regard.

Je fus surpris par sa perspicacité, même si j'eus instantanément honte d'avoir approuvé sa constatation durant une fraction de seconde. Je pensais sincèrement que les enfants ne se rendaient que très peu compte des sous-entendus et des sentiments cachés des autres individus, qu'ils ne parvenaient pas à interpréter. Elle me donnait aujourd'hui une preuve indéniable que cela n'était peut-être pas toujours le cas.
Mal à l'aise, je me raclai la gorge en faisant signe à Aurélie de ne pas intervenir.

— Tu ne gâche pas tout Lucie. On va juste… Apprendre à vivre autrement. Tu comprends ?
— Apprendre à faire semblant d'être une famille, alors qu'on se connaît même pas, c'est ça ?

Son ton ne fus même pas amer tandis que je l'aurais espérer mille fois. Elle semblait juste… résignée. Je m'accroupi à sa hauteur, en tentant de prendre les traits les plus bienveillants qu'il m'était possible.

— On peut essayer d'apprendre à se connaître vraiment et devenir une vraie famille. Tu sais, j'ai choisi plus que je n'ai eu de famille et ça m'a plutôt bien réussi. Alors qu'est-ce que t'en dis ?

Je lui tendis la main, dans l'intention et l'espoir qu'elle l'accepte.

— Deal, soupira-t-elle dans un rictus timide.

Je me relevais, satisfait d'avoir réussi à la convaincre de nous donner  « une chance ».
Pourtant et alors que je m'étais déjà retourné vers Aurélie qui souriait à son tour, j'entendis la voix fluette mais néanmoins plus sérieuse de Lucie derrière moi.

— Enfin à une condition.

Je pivotai de nouveau vers elle, interrogateur.

— Promets-moi de toujours écouté ce que j'ai à te dire si on se dispute.
— C'est promis, souris-je.

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