Deux jours après, j'en avais assez. J'avais raconté en rentrant de la ville ma rencontre avec Jamie à mes parents, et ils ne m'avaient même pas écoutée. Au contraire, mon père avait fini par me dire de me taire ! Malgré mes efforts et mes excuses, mes parents ne semblaient pas décidés à faire des efforts. Les jours qui avaient suivi ma sortie, ils ne s'étaient même pas intéressés à moi. J'aurais pu faire partie des meubles, le résultat aurait été le même !
Furieuse, je marchai à grands pas vers la forêt. Je me fichais totalement du loup noir. S'il se montrait, j'étais capable de l'assommer avec mon violon. Personne ne devait me déranger. Je m'enfonçai de plus en plus profondément dans les bois, ignorant et ne voulant pas penser au danger que je courais.
Lorsque j'estimai être assez loin de chez moi, je sortis brutalement mon violon, ne pris pas le temps de me placer correctement, et commençai à jouer. Mes doigts pinçaient les cordes sans répit, tandis que j'interprétais le premier air qui me passait par la tête. Mais j'eus beau m'acharner à jouer pendant de longues minutes, je ne parvenais pas à faire le vide dans mon esprit. Je revoyais toujours le regard vide de ma mère, et celui empli de reproches de mon père.
J'arrêtai alors de jouer, prise d'une rage immense. Sans réfléchir, je lâchai mon violon et hurlai de rage. Je sentais mes cordes vocales vibrer sous la force de mon hurlement, tandis que des larmes roulaient sur mes joues.
Je me relevai, des larmes de fureur plein les yeux, et frappai du poing contre le tronc d'un arbre. Une douleur intense, mais fugace enveloppa ma main, mais je m'en fichais. Je frappai encore et encore des poings en pleurant sur ce pauvre arbre qui ne m'avait rien fait. Des cris de rage inarticulés m'échappaient, et je finis par m'écrouler en sanglotant au pied de l'arbre. J'en avais marre ! Je fermai les yeux en tentant de respirer calmement, plaquant mes mains sur mon visage pour arrêter mes pleurs. Je voulais tellement retourner en arrière, empêcher Déborah de se tuer dans ce stupide accident ! Un gémissement de peine m'échappa, et je rouvris les yeux.
Devant moi se trouvait un loup blanc. J'eus un premier mouvement de recul, les yeux écarquillés de terreur, mais il se contenta de pencher la tête sur le côté, comme s'il était étonné de ma réaction. C'était assez étrange à dire, mais dans son regard, il n'y avait que de la bonté. Je m'immobilisai, stupéfaite. Il semblait si différent du loup noir... Un frisson de froid m'agita, et l'animal se rapprocha lentement de moi. Je ne bougeai pas, effrayée et fascinée à la fois. Il s'approcha jusqu'à que je puisse sentir la chaleur qui émanait de lui. Je croisai ses prunelles étrangement pâles, qui semblaient m'encourager à le toucher.
Lentement, je levai une main tremblante, et l'approchai du poitrail de l'animal. C'était comme si une force extérieure avait pris possession de mon corps. Je ne me contrôlais plus. Je savais que je ne devais pas faire cela, que je ne devais pas caresser une bête sauvage, mais mon corps agissait pour moi. J'effleurai sa fourrure de la main, savourant sa chaleur. En voyant qu'il ne bougeait pas, j'osai enfoncer mes doigts dans ses poils, jusqu'à toucher sa peau. Mais alors qu'un loup normal aurait sûrement fui, ou m'aurait mordue, celui-là se rapprocha, comme pour me permettre de le toucher plus facilement. Il vint se coller contre mon flanc, ses oreilles bougeant au rythme des sons qu'il était le seul à entendre. Ses yeux pâles me fixaient avec un certain amusement, et semblaient me dire « C'est tout ce que tu sais faire ? ». Une chaleur bienfaisante envahit ma main, et j'eus envie de me réchauffer davantage.
Mais alors que j'allais tendre mon autre main pour le caresser, un grognement retentit devant moi. Je levai la tête, sentant la peur revenir en moi. J'étais si bien avec le loup blanc, mais une fois ma bulle brisée, je redevenais effrayée. Je retirai brusquement ma main, la ramenant devant ma poitrine. Le loup noir sortit de derrière un arbre, l'air menaçant. Malgré moi, j'eus un mouvement de recul paniqué, mais étrangement, sa haine ne semblait pas diriger contre moi, mais sur l'autre animal au pelage clair. La bête noire grogna, montrant les dents à son congénère. L'autre eut un gémissement plaintif, tournant son regard suppliant vers moi. Mais je ne bougeai pas.
Je n'y comprenais rien. Les loups n'étaient-ils pas tous « amis » entre eux ? Voyant que je n'étais pas décidée à réagir, le loup baissa la tête dans un comportement assez humain, et gémit encore une fois. Cela n'attendrit pas l'animal noir, qui se ramassa sur lui-même, comme s'il allait bondir. Aussitôt, la bête blanche partit en trottinant.
Le loup noir tourna alors son regard vers moi, et j'y lus un mépris infini, ainsi qu'une lueur moqueuse. Puis il se détourna, et sans pouvoir me retenir, je m'exclamai en tendant le bras vers lui :
« - Attends ! »
Je vis ses oreilles remuer dans le même temps qu'il s'arrêtait. Il se retourna vers moi, les prunelles emplies de surprise. Je me rendis alors compte de ce que je faisais. Je venais vraiment d'interpeller un loup qui pouvait me tuer n'importe quand ? Je ramenai mon bras vers moi, les yeux écarquillés. L'animal eut une sorte de grognement moqueur, avant de faire volte-face et de disparaître dans la forêt.
Je restai immobile, ne parvenant pas à comprendre les scènes qui venaient de se dérouler sous mes yeux. Tout avait semblé tellement... Irréel ! Depuis quand les loups avaient un comportement aussi humain ? C'était complètement dingue ! Je frissonnai de froid, mais ne bougeai pas. Au fond de moi, je mourrais d'envie que l'un des loups deviennent. Ils m'attiraient tous les deux, malgré leurs différences. Même si ma préférence était pour l'animal blanc, j'étais quand même revenue dans la forêt en pleine nuit pour la bête noire !
J'entendis soudain du bruit derrière moi. Pleine d'espoir stupide, je me retournai, mais il s'agissait d'un oiseau, qui avait écrasé une brindille. Lentement, je me retournai pour fixer l'endroit où avait disparu le loup noir. Ne sentant plus mes doigts, je soufflai doucement dessus. Ils allaient revenir. C'était obligé ! J'étais une humaine sur leur territoire, ils devaient revenir ! J'enfonçai mes mains dans mes poches, toujours à genoux dans la neige. Le froid s'infiltrait dans mes habits, mouillant ma peau. J'eus un grand frisson, et me mis à claquer des dents. Mais les loups n'étaient toujours pas revenus. Je voulais les revoir, les comparer, les caresser. Apprivoiser la bête noire. Profiter de la chaleur de la bête au pelage clair.
Je passai un long moment, agenouillée dans la neige, à attendre. En vain. Je sentais tout mon corps s'engourdir, mais ne voulais pas partir. Ils devaient revenir ! Ma conscience devenait de plus en plus floue, et je commençais à haleter tandis que des larmes de déception, de rejet coulaient sur mes joues. Que faisaient-ils ? Le froid envahissait peu à peu mon esprit. Je ne pouvais plus réfléchir. Je m'effondrai dans la neige, les paupières à moitié fermées tandis que ma respiration devenait laborieuse. Je voulus tendre la main vers mon violon, mais ne réussis qu'à engourdir encore plus mes doigts, sortis des poches chaudes de mon manteau.
Des bruits se firent entendre, mais je n'avais plus la force de bouger. Une tâche sombre emplit mon champ de vision, et juste avant de sombrer dans le néant, je reconnus les prunelles noires du loup, posées sur moi avec moquerie et une once d'inquiétude.
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« - Plume ? Plume ! Réponds-nous ! »
Je revins lentement à moi, clignant difficilement des paupières. Plusieurs voix résonnaient dans mes oreilles, mais en plissant les yeux, je reconnus le visage de ma mère. Elle s'écria :
« - Elle est consciente ! Il faut l'emmener à la maison ! »
Des mains se glissèrent sous moi, et je fus soulevée dans des bras. Le nez contre un manteau, je reconnus l'odeur de mon père. Sans que je ne puisse me contrôler, des larmes roulèrent sur mes joues, couvrant ma peau d'un voile chaud et bienfaiteur. Je balbutiai, la gorge douloureuse :
« - Les... Loups...
- Elle délire. Il faut vite la ramener ! »
J'aurais voulu crier que je ne délirais pas, qu'il y avait bien eu deux loups et qu'ils m'avaient abandonnée, mais je n'en avais pas la force. Alors je fermai les yeux.
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Lorsque je les rouvris, j'étais dans mon lit, sous une pile de couvertures. Ma mère, endormie, était assise sur une chaise à côté de moi, et j'aperçus mon violon posé sur mon bureau. Mon père entra dans la pièce, et eut un sourire soulagé :
« - Tu es enfin réveillée... »
Je tournai doucement la tête, avec l'impression qu'elle était sur le point d'exploser. Il vint réveiller ma mère, qui s'exclama une fois consciente :
« - Oh mon Dieu, Plume ! Tu nous as fait une de ces peurs ! Quand nous ne t'avons pas vue revenir alors qu'il faisait presque nuit, nous avons cru que... Tu avais fugué.
- Mais il y avait tes traces de pas dans la neige, ainsi que celles d'un autre humain. »
Une... Une autre personne ? Je fronçai les sourcils, et essayai de répondre :
« - Mais... J'étais seule, et... »
Une violente quinte de toux me coupa la parole. Mon père soupira :
« - Evite de parler. Et tu vas rester au lit pendant les prochains jours. »
Je voulus répliquer, mais étais trop faible. Alors je me renfonçai dans mon lit en soupirant. Rester confinée à la maison ? Non merci ! Mais je savais au fond de moi qu'ils avaient raison. Et cela m'énervait.
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