2. "Oh mon Dieu ! Plume ?!"
Lorsque je me réveillai le lendemain matin, je fus un instant désorientée. Où étais-je ? Ce n'était pas ma chambre, et... Oh. Le déménagement. Je soupirai, puis restai un instant immobile, cherchant des raisons de me lever, d'ouvrir les yeux, d'affronter le regard de mes parents. La réponse me vint aussitôt, comme impatiente : la forêt. Aussitôt, j'envoyai valser ma couette, avant de me rappeler que je m'étais endormie habillée. Et que j'avais besoin d'une bonne douche.
Je sortis de ma chambre en tentant de faire le moins de bruit possible, et me rendis de mémoire dans la salle de bain. Les affaires de toilettes étaient déjà entassées dans la pièce. Je farfouillai dans les gros sacs pour trouver une serviette, de quoi me laver, puis me déshabillai. Je frissonnai un instant à cause du froid, et me glissai dans la douche pour faire couler l'eau chaude. La chaleur me frappa comme une onde, et mes frissons reprirent de plus belle à cause du changement de température. D'où j'étais, je pouvais voir par la fenêtre l'immense étendue boisée qui jouxtait notre maison. Un sourire irrépressible étira mes lèvres. Je restai immobile, le corps frappé par le jet d'eau chaude, simplement à contempler tous les arbres et le sol enneigé. Je devais y aller, immédiatement ! Alors, je me dépêchai de me laver, m'enroulai dans ma serviette, et descendis pour prendre des vêtements dans ma valise.
En arrivant au bas des marches, j'eus une désagréable surprise. Toutes les photos de Déborah que nous avions dans notre ancienne maison étaient entassées sur les meubles. Il n'y avait que ma sœur, ma sœur et mes parents, mais moi, je n'apparaissais nulle part. Malgré moi, un sanglot me noua la gorge, et je m'appuyai à la rampe de l'escalier pour ne pas vaciller. J'étais tellement en colère que j'aurais pu sortir comme ça pour aller dans la forêt, simplement enroulée dans ma serviette. Des larmes me montèrent aux yeux, alors je m'empressai d'ouvrir les valises pour trouver celle où se trouvaient mes affaires, je pris des vêtements au hasard, et remontai dans ma chambre sans étouffer le bruit de mes pas. Je les détestai. Je détestai mes parents. Et Déborah aussi !
Je m'habillai avec des gestes saccadés, la rage étreignant douloureusement mon cœur. Puis, je me brossai rapidement les cheveux, attrapai mon violon, et redescendis. Je me chaussai, enfilai mon lourd manteau, mon écharpe et mon bonnet. Enfin, après ce qui me parut une éternité, je sortis de la maison.
Je me rendis compte en m'avançant vers la forêt que nous étions un peu plus bas que le sol, ce qui faisait qu'une sorte de petite descente, ou montée dans mon sens, déformait le sol. Je m'engageai sur ce petit chemin, faisant attention où je mettais mes pieds, et rapidement, j'arrivai dans la masse d'arbres. Malheureusement, il n'y avait aucune feuille sur les branches, et cela me causa une sorte de malaise. Mais j'imaginais toujours des choses. Je fis en sorte de marcher toujours en ligne droite, afin de pouvoir rentrer sans encombre. Au pire, il restait mes traces de pas dans la neige pour me guider.
Une violente bourrasque de vent fit voler mes cheveux en me faisant frissonner, alors je les cachai sous mon bonnet, avant de resserrer mon écharpe autour de mon cou. Le temps doux que nous avions dans notre ancienne ville me manquait... Ici, tout était recouvert par un duvet blanc, qui étouffait tout bruit. La neige crissait sous mes pas tandis que je m'enfonçais plus profondément dans la forêt. Il n'y avait rien que le silence autour de moi. Je me sentais fascinée. Par quoi ? Je n'en savais rien. Sans doute par l'étendue de la forêt, par tous ces arbres nus, sans feuilles ni rien, par le calme qui apaisait ma colère.
Je me fichais totalement d'avoir froid au point de ne plus sentir mes doigts. Je me fichais d'avoir mal au dos à cause de mon matelas, d'être fatiguée et d'avoir faim. C'était comme si quelque chose, dans cette étendue boisée, me calmait, m'apaisait. J'avais envie de courir, de crier, de hurler même. Personne ne m'entendrait jamais. J'étais réellement libre.
A bout de souffle, je finis par arrêter de marcher, pour m'asseoir en tailleur dans la neige. Je ne pus retenir un gémissement étouffé dû au froid, et frictionnai mes doigts pour les réchauffer. Je ne pouvais jouer du violon sans mes doigts ! Cette pensée me fit sourire, et je finis par même éclater de rire en m'affalant le dos dans la neige. Il y avait tellement longtemps que je n'avais pas ri ! Il fallait dire que l'atmosphère à la maison... Elle n'était pas propice aux rires. Bien au contraire.
Je fermai les yeux, et me laissai envahir par le souvenir de Chris. Je revis sa musculature parfaite, son doux sourire amical, et... Et ses lèvres. Elles étaient si douces, si... Si parfaites. Comme lui. Un sourire m'échappa. Mais il se fana bien vite. Il me manquait terriblement. Bien plus que Layla, même si j'avais du mal à l'admettre. Je me retrouvais ici, seule avec des parents absents, et ma meilleure amie avait la chance de le côtoyer, alors que j'étais privée de sa présence...
Mon cœur se serra douloureusement, alors j'ouvris l'étui, prit son violon, et enlevai mon écharpe malgré le froid. Puis, je positionnai l'instrument, et commençai à jouer. Une fois encore, mes soucis s'évaporèrent. Je ne pensais ni à Chris, ni à Déborah, ni à mes parents, ni même à moi. Je jouais le début de Et l'on n'y peut rien, trouvant du réconfort dans cette mélodie enjouée et belle. Lorsque je sentais le désespoir menacer de me submerger, j'interprétais toujours des musiques beaucoup plus gaies que mon humeur. Et cette technique marchait à chaque fois. Je rejouai la mélodie encore et encore, appréciant cet instant où mes pensées ne me parasitaient plus.
Mais, trop vite, je me sentis comme congelée. Cela devenait de plus en plus dur pour moi de bouger, alors j'arrêtai de jouer, pour me rendre compte que j'étais réellement frigorifiée. Je savais que j'aurais dû me sécher les cheveux, pour qu'ils ne soient pas mouillés ; que j'aurais dû mieux me couvrir etc. Mais malgré le froid, je me sentais bien.
Difficilement, je rangeai mon violon dans l'étui, puis me relevai. Je fis quelques pas en titubant, avant de m'appuyer contre un arbre pour ne pas tomber. Mon souffle créait des volutes dans l'air. Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas sentie engourdie à ce point !
Je marchai jusqu'à chez moi et rentrai dans la maison. Pendant un instant, je suffoquai à cause du changement brutal de température. Je lâchai mon étui sans pouvoir le retenir, et il heurta le sol avec un bruit sourd. Je m'enroulai dans mes bras en claquant des dents, me frictionnai comme je pouvais en espérant me réchauffer. Alertée par le bruit, ma mère descendit les escaliers, en pyjama, et hoqueta de surprise en me voyant :
« - Bon Dieu, Plume ! D'où tu sors ?
- De la forêt.
- Oh... »
Son intérêt, fugitif bien sûr, avait déjà disparu. Elle passa un œil morne sur moi, mon étui, pour finir par les photos de Déborah. Aussitôt, ses yeux s'emplirent de larmes, et elle alla s'effondrer sur un canapé en sanglotant.
La haine revenait en moi, avec plus de violence qu'avant. Amère, je ramassai mon violon, enlevai mes chaussures, et me précipitai dans ma chambre. Je m'enfermai à clé, avant de me débarrasser brutalement de mon manteau, mon bonnet et mon écharpe. Je laissai le tout en tas, puis m'affalai sur mon lit, les dents serrées par la rage. J'enfonçai mon visage dans mon oreiller pour étouffer mes pleurs. Je n'en pouvais plus. Au moins, avant, Layla était là pour m'aider.
Layla ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Aussitôt, je me ruai sur mon sac pour en sortir mon portable. Je composai son numéro, et priai pour qu'elle soit réveillée malgré l'heure matinale.
« - Allo ?
- Layla ?
- Oh mon Dieu ! Plume ?! »
Entendre sa voix aux accents chantants me fit sourire, et mon cœur se desserra. J'acquiesçai, avant de me rendre compte qu'elle ne me voyait pas.
« - Oui, c'est moi.
- Il faut absolument que tu me racontes, Pocahontas ! »
Ce vieux surnom me fit rire. Lorsque nous étions petites, elle avait décrété que je ressemblais à cette princesse Disney, à cause de mes longs cheveux noirs, de mes yeux sombres, et de ma peau légèrement mate, ainsi qu'à la forme en amande de mes paupières.
« - Que veux-tu savoir ?
- Tout ! Comment était le trajet ? Comment est ta maison ? Où tu es ? Il y a de jolis garçons ?
- Doucement ! ris-je. Alors... Le trajet était super long ! Mes parents ne disaient rien, ils ne faisaient que renifler, et moi je n'osais rien dire...
- Aie, je savais que ça n'allait pas être simple... Et sinon, la maison ? »
Emportée par son enthousiasme, je lui contai le menu de ma soirée d'hier, à quoi ressemblait la maison, ce que je pensais faire durant la journée. Ensuite, ce fut à elle de me raconter ce qui s'était passé en mon absence. Et comme Layla adorait les potins, ce qui devait être une petite conversation se transforma en dialogue de deux heures, entrecoupé de petits silences, de rires, et de confidences. Elle avait été la seule à qui j'avais confié mon mal-être après la mort de Déborah, l'attitude de mes parents et toutes ces choses qui me menaient la vie dure. Une fois n'était pas coutume, elle m'avait écouté, et avait même fait preuve d'une surprenante maturité. En temps normal, c'était elle le boute-en-train, la fille que tout le monde remarquait, tandis que moi, je restais un peu en retrait, souvent dans mes pensées, et accrochée à mon violon.
Et Chris avait aimé cela. Je mordis mon sourire, tandis que ma meilleure amie babillait sans fin. Puis, se rendant compte de mon manque d'attention, elle demanda :
« - Plume ? Qu'y a-t-il ?
- Oh, c'est... C'est Chris, il...
- Tiens, d'ailleurs ! me coupa-t-elle. Il avait l'air assez désorienté le lendemain de ton départ ! J'ai d'abord pensé qu'il avait rompu avec une fille, mais comme il n'était pas en couple, eh bien...
- Il m'a embrassée. »
Le silence plana un instant sur la ligne. Puis, Layla s'écria, me vrillant les tympans :
« - Quoi ?! Comment ça ?! Je veux tout savoir ! »
Cette phrase était devenue depuis quelques temps son mantra. Je soupirai avec amusement, avant de commencer à tout lui avouer.
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