☆Prologue☆

Bien installée dans son fauteuil, les mains posées sur les genoux, elle ferma les yeux avant de laisser les données l'envahirent. Des centaines, des milliers d'informations traversèrent son esprit. Du plus petit brin d'herbe au plus monumental des dragons, elle voyait tout. Passé et présent s'imposaient à elle comme une évidence.

Elle savait. Un groupe extrémiste, jusque-là réfugié dans l'ombre, s'apprêtait à sortir au grand jour. Si les Atouts parvenaient à mener leur plan à son terme, le monde de l'ischys, ce lieu magique peuplé de créatures majestueuses et redoutables, ne serait plus jamais le même. Le précaire équilibre conservé sur Terre serait dévasté sans retour en arrière possible.

Le plus simple pour éviter un pareil bouleversement serait de laisser les Puissants, ces sept personnes à la force incommensurable, s'en occuper. En quelques instants, ils pourraient anéantir les extrémistes et préserver la société telle qu'elle était. Cependant, ils avaient fait un pacte pour qu'aucun d'eux ne soit tenté d'imposer sa volonté au monde et qu'aucun désaccord de grande ampleur entre eux ne détruise leur environnement.

Prévenir les autorités compétentes, soit le Conseil des Particuliers, les trois Royautés Elfiques, le Gouverneur Ogre, le Seigneur Vampire et la Monarchie Ydrovienne, ne la mènerait à rien. Quand bien même ils accepteraient de l'écouter et la croyaient sur parole, ils ne pourraient rien faire. Les Atouts étaient bien organisés, discrets et protégés par leurs chefs qui occupaient des places importantes dans la société.

À leurs débuts, ils avaient un idéal tout à fait respectable : détruire les limites séparant le monde de l'ischys et celui des banos, ces humains sans pouvoir. Les cinq amis au cœur du projet avançaient main dans la main, ils cherchaient un moyen pacifique de lier deux univers complètement différents. Ils peinaient à trouver du soutien, personne ne leur prêtait attention ni n'adhérait à leur idée. Ils étaient seuls, entourés par des gens qui se contentaient de leur quotidien tranquille, sans se soucier ni de tous les enfants mis à l'écart à cause de leurs capacités surnaturelles, ni de la famine, ni des guerres ravageant le reste du peuple et auxquelles les particuliers pourraient apporter un terme à l'aide de leur puissance magique provenant de l'ischys.

Ils s'étaient battus vaillamment dans le pacifisme, ils n'avaient rien réussi à accomplir. Alors l'un d'entre eux avait proposé d'user de méthodes plus brutales. Une violente dispute avait éclaté au sein du groupe, l'un d'entre eux était spécialement opposé à cette idée. Il partit, ne pouvant supporter de voir ses amis faire du mal. Moyens de pression, pots-de-vin, entraînement au combat. Recrutement forcé de jeunes ensuite formés pour devenir des tueurs. Enlèvement, vol, préparation d'attentats et de meurtres.

L'homme avait fui chez les banos. Il avait trouvé l'amour, fondé une famille, élevé avec tendresse ses deux enfants.

La femme assise dans son fauteuil sentit sa poitrine se serrer en assistant une nouvelle fois à l'accident. Ce jour tragique où le passé de l'homme l'avait rattrapé, où il avait perdu la vie avec sa fille. Son épouse et son fils s'étaient retrouvés seuls, ils avaient fait face au chagrin de manière opposée. Là où l'adulte était restée solide et ouverte, l'enfant s'était complètement refermé sur lui-même.

Il avait hérité des gènes de particulier de son père, faisant de lui un être doué de pouvoir. Ses capacités hors du commun renforçaient sa différence, il ne se sentait accepté nulle part.

Que faisait-il en ce moment même ?

Elle se concentra, une image s'imposa à son esprit, celle d'un adolescent installé en tailleur sur son lit. Devant lui était posée une mandarine. Il tendit une main, l'air sembla se consolider au-dessus de sa paume ; il prit une couleur orangée et une forme ronde. Sa texture se fit de plus en plus matérielle, jusqu'à finalement devenir une copie conforme du fruit sur le matelas.

Il l'éplucha, se saisit d'un quartier et l'amena précautionneusement à sa bouche. Un instant plus tard, il le recrachait avec un visage dépité. Créer de la nourriture n'était pas si aisé, il se consola en formant facilement une petite tornade. Il en fit de l'eau et lui donna la forme d'une baleine qui se nagea au-dessus de lui. D'un soupir, il laissa la matière retournée à son état d'origine d'air.

La femme l'observait plusieurs mois. Elle avait vu tous les efforts qu'il faisait, les heures qu'il passait à travailler sa particularité et ses capacités. Elle avait été témoin de sa solitude, de ses rencontres éphémères, de son apprentissage chaotique. Elle connaissait son potentiel presque sans limite.

Il était encore jeune et inexpérimenté. Avec un bon entraînement et entouré de personnes dignes de confiance, il deviendrait un adulte remarquable.

La porte d'entrée se referma, la femme revint au moment présent, assise dans son fauteuil. Elle se tourna vers un homme ; une corne étincelante saillait de son front, tranchant avec ses cheveux et ses yeux sombres.

— Tout va bien ? Tu es pâle.

— Ce n'est rien, simplement ma particularité.

Il fronça les sourcils, visiblement mécontent.

— Je t'ai déjà dit de ne pas forcer. L'utiliser trop souvent te fatigue et...

Je sais, le coupa-t-elle. Merci de t'inquiéter pour moi, continua-t-elle d'un ton plus doux, mais je maîtrise ce que je fais. Et il faut bien que quelqu'un surveille les Atouts.

Le mari s'approcha de sa femme après avoir suspendu son manteau. Il s'assit sur l'accoudoir et prit sa main dans la sienne.

— Tu as trouvé un moyen de les contrer ?

— Pas un moyen, non. Une personne.

Son front se plissa, il était sceptique. Ce n'était pas la première fois qu'ils en parlaient, toutefois elle n'avait jamais semblé aussi sûre d'elle.

— C'est-à-dire ?

— Un adolescent. Enfin, un adulte selon les normes des banos. Il a un grand potentiel, je suis certaine qu'en lui expliquant la situation, il comprendra et nous aidera.

— Mais oui, bien sûr. Allons donc lui demander de se jeter dans la gueule du loup de façon bien suicidaire.

Elle frappa gentiment son épaule, un fin sourire aux lèvres.

— Fais-moi confiance, il est parfait.

Toujours sceptique, l'homme se leva et s'étira. Il ne servait à rien de s'éterniser sur la question, du travail l'attendait.

— Je serai de retour pour le dîner, annonça-t-il avant de disparaître soudainement.

Seule, la femme repensa à l'adolescent. Son visage possédait des traits aussi effilés que ceux de son père, son nez était volontaire, ses cheveux et ses yeux d'un noir de jais. Il avait l'apparence d'un coureur, plus élancé que baraqué. Son passé tumultueux avait fait de lui un être solitaire et fort, il était naturellement doué pour se battre. Une qualité ou un défaut, lui seul pouvait en juger.

Jasen Klerx. Celui sur qui reposaient ses espoirs.

Il était temps que tout se mette en marche.

Il était temps de le former. 

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