5. Cordax

Passant par l'entrée de l'animalerie, je pars en empruntant une porte que je n'ai pas vu à mon arrivé. D'ailleurs, je ne sais pas du tout où est l'ouverture qui permet d'accéder à l'escalier puis au couloir souterrain.

Tournant en rond, avant de reconnaître que je suis franchement perdu, je continue tout de même d'avancer, me disant que si tous les chemins mènent à Rome, il doit bien y en avoir un qui mène dehors. C'est ainsi que je découvre un labyrinthe de couloirs, salles, escaliers à n'en plus finir, et pas beaucoup de personnes pour emprunter des chemins tortueux faits de détours désespérés. En fait, dit comme ça, je comprends parfaitement pourquoi je n'ai croisé que cinq personnes.

Entendant du bruit devant moi, j'avance rapidement, espérant enfin trouver un lieu commun où un truc du genre. Et j'arrive dans une salle remplie de tables, de chaises, et de gens qui mangent. La cantine. Magnifique. Je déteste les lieux comme ceux-là, où tout le monde s'entasse, cherche à manger en premier, pousse les autres pour avoir des places... et le pire c'est le bruit, celui-là même qui m'a attiré ici. On dirait que chaque bouche parle fort, et raconte quelque chose de différent. En plus, pour illustrer leurs propos, les gens bougent, font des gestes, réchauffent encore plus la pièce où il fait déjà passablement chaud. Et je suis arrivé à la mauvaise heure, puisque c'est plein. Je pense que c'est le repas du soir, puisque midi est passé alors que je discutais avec les profs.

Je soupire bruyamment, ce qui ne suffit pas à me faire entendre de qui que ce soit. Puis je m'avance, cherchant des yeux un visage un minimum familier. Sauf qu'au final, c'est elle qui me voit. Mihela.

- Hé, Jasen ! Par ici ! Jasen !

Sur ma gauche, elle s'est levée, tête blonde au milieu d'une marée humaine. Je soupire une nouvelle fois, avant de me diriger vers elle. Ben quoi ? Elle parle trop ! J'y peux rien, moi, si je préfère les gens silencieux. Mais Mihela est sympa, et c'est la seule que je connaisse et que j'aie croisée jusque-là, donc je ne vais pas l'ignorer.

- Salut. Je suis un peu perdu, là, tu pourrais m'aider ?

- Hum... Laisse-moi réfléchir... D'abord tu manges avec nous, ensuite je te conduis où tu veux. Marché conclu ?

Nous ? Avec nous ?

Je regarde de chaque côté d'elle, ne voyant personne. Et décide de m'assoir, parce que je me sens seul, à survoler les têtes du regard.

- Qui ça, nous ?

- Eléa et moi. El est allée chercher à manger.

- Ah, ok. Désolé, mais j'ai pas vraiment le temps. Il faut que je retourne dans ma chambre chercher un truc.

Ou plutôt découvrir où se cache Cordax et l'interroger sur deux-trois choses.

- Tu iras après.

- Je ne peux pas.

- Donc d'après toi, c'est plus important que de manger avec deux jolies jeunes filles ?

- Euh, comment dire ça... (Je lui lance un regard appuyé)... Oui.

Mihela me regarde, d'un air faussement choqué.

- Explique-toi. Maintenant. Sinon je t'attache et t'oblige à manger avec nous.

Avec un visage de conspirateur, je me penche en avant. Elle fait de même. Puis, sans parler très fort :

- J'ai besoin de mes médicaments.

Tu parles, juste de retrouver le dralik.

Son expression change, devenant grave. Elle se redresse.

- Je comprends. Va, ta quête de survie t'attend.

- Et quelles sont les indications de parcours ?

- Ne prends pas cette tête soucieusement exagérée, pour commencer.

- Soucieusement exagérée ?

- Oui. Maintenant, écoute attentivement et arrête d'essayer de me faire rire. Tu sors par la porte, là-bas au fond, puis tu continues tout droit. Première à gauche. Après, ta carte sera des indices difficiles à déchiffrer sur les murs, sous forme de panneaux indicateurs.

- Ouah, il y a beaucoup de défi dans tes propos ! Crois-tu que je sois apte à réussir tout cela ?

J'ouvre la bouche, et prends un air émerveillé. Mihela sourit, étouffe un début de fou-rire, mais fait l'erreur de regarder dans ma direction et n'arrive pas à se retenir. Elle éclate d'un rire contagieux, et bientôt les personnes à côté de nous commencent elles aussi à sourire et à rire. Puis, comme un virus, de plus en plus de monde se joignent aux autres, et c'est bientôt un fou-rire collectif qui secoue la salle entière. Pour la première fois depuis longtemps, je me relâche, laissant ce simple moment me détendre.

Lentement, Mihela se calme, et les rires dans la cantine régressent en amusement, simples sourires sur les lèvres. La pièce se remplit de discussions, cette fois un peu plus discrètes et souvent accompagnées de bonne humeur.

Eléa nous rejoint, pose son plateau et celui de Mihela sur la table (comment elle a fait pour porter les deux ?), avant de s'assoir. Le moment de détente est officiellement rompu par cette arrivée sans douceur.

- Tu fais quoi là ?

- Eh bien, il y a une seconde encore je riais.

Et je lui décoche un beau sourire. Faisant un signe de la main à Mihela en me levant, je la remercie pour tous ces indices et lui demande si je peux venir en demander un de plus au cas où je n'arriverais pas à résoudre les énigmes sur les murs. C'est tout juste si elle arrive à hocher la tête, repartant presque dans un fou-rire. Alors je m'éclipse, quittant cette cantine un peu trop pleine à mon goût.

###

Je suis facilement les indications de Mihela, puis les panneaux. Il me faut une bonne dizaine de minutes avant d'atteindre le couloir où se trouve le salon et ma chambre, mais je finis par entrer dans cette dernière.

Je me concentre. Visualise l'image du dralik dans mon esprit, comme s'il se trouvait en face de moi. Puis j'imagine le pont, et j'y envoie mes pensées.

- Cordax, est-ce que tu m'entends ? Où es-tu ?

- Est-ce que tu es seul ?

Surpris que j'aie réussi et qu'il ait répondu si vite, je mets un moment avant de comprendre qu'il m'a posé une question.

- Euh... oui.

Mince, le pont !

- Hum. Oui. Pourquoi ?

- Enlève ta veste, délicatement, et pose-la sur ton lit. Poser, pas jeter.

Incrédule, je fais ce qu'il me demande, n'en comprenant pas le sens. Je remarque tout juste qu'elle me semble plus lourde que ce matin.

Elle s'agite. Enfin, quelque chose bouge à l'intérieur d'une des poches, et finit par en sortir. Je découvre avec stupeur Cordax qui en sort, réduit à la taille d'une petite vipère.

- Euh... comment tu as fait ça ?

Le dralik siffle, puis fait un bruit qui pourrait se rapprocher d'un raclement de gorge. Ensuite, il parle dans sa langue, et j'arrive je ne sais comment à le comprendre.

- Les draliks ont de nombreuses particularités. Ce n'est pas du tout comme vous, qui en avez une par personne et qui pouvez la développer. Nous avons tous les mêmes, plusieurs qui nous servent tout le temps, et quelques-unes plus importantes que nous utilisons plus rarement.

- Tu n'avais pas fini de parler, quand la zone temporelle s'est brisée.

- Je disais... Ah, oui. Tu dois bien garder en tête que mon espèce est mal vue par les particuliers. Il vaut mieux que tu évites de parler de moi à n'importe qui, on ne sait pas comment les gens peuvent réagir. Autre chose, mes capacités peuvent sembler étranges pour un bano ignorant tel que toi, mais sache que c'est normal dans ce monde. Ne t'extasie pas devant chacun de mes exploits, merci. 

- Et qu'est-ce qu'ils pourraient dire ? Attend, d'abord, explique-moi comment tu as fait pour finir dans ma poche, et ce que ça signifie.

Je lève ma manche, dégageant mon bras noir de symboles étranges.

- Quand la zone s'est brisée, j'ai pris cette taille et sauté dans ta poche. J'ai eu de la chance, la douleur est arrivée alors que je l'atteignais. Tu n'as pas remarqué le chat qui t'a suivi des yeux, sur le chemin du retour ? (Je secoue négativement la tête.) Eh bien c'était à cause de moi.

J'ouvre la bouche et inspire, prêt à lui poser une autre question, mais il est plus rapide que moi et Cordax continue à parler.

- Je t'explique, tu me questionneras après. Les liens, comme je te l'ai déjà dit, peuvent se créer à différent degrés. Plus il est intense, plus le proche et le particulier, si tu me passes ces termes stupides pour désigner deux personnes partageant un lien, se complètent. Par exemple, dans la salle avec les œufs, tu as senti mon appréhension, et après mon soulagement et mon amusement. C'est rare. Et, si j'ai ressenti ça, dit-il en me voyant froncer les sourcils, c'est parce que je ne savais pas si je pouvais te faire confiance, et donc si tu allais leur révéler quoi que ce soit à mon sujet. Je suis désolé d'avoir douté de toi, ma méfiance envers les humains est plutôt difficile à ignorer.

- Je me demandais depuis tout à l'heure, mais... où est ta marque ?

Cordax me regarde d'un air étonné, puis se redresse et déploie ses ailes. Il se place de profil, avant de tendre son appendice droit. Je remarque seulement à ce moment-là que son aile est noire. Des centaines de milliers de traits serpentent, se croisent, se suivent, formant une infinité de symbole. Comme ceux sur mon bras.

Je me tourne d'un quart de tour, puis je tends la main droite, jusqu'à ce que tout mon membre supérieur se retrouve parallèle au dralik. Ce dernier étire un peu plus son aile, jusqu'à ce que nos marques s'effleurent.

Une chaleur intense remonte le long de mon bras. Elle continue, me brûlant, jusqu'à ce que j'aie l'impression d'avoir le corps en feu. Pourtant, même si je le peux, je ne bouge pas, parfaitement immobile. Cordax aussi. Alors nous restons ainsi, dans une chaleur puissante, attendant soit qu'elle se calme, soit d'être réduit en cendre. Puis arrivent les images.

Un jeune dralik joue. Ses parents le surveillent de loin. D'autres familles arrivent. Les adultes commencent à discuter entre eux. Le dralik se retrouve entouré d'enfants de son âge. Ils se mettent à jouer ensemble.

Dans un dédale de couloirs souterrains, le dralik va vite. Mais pas assez. Une brute le plaque sur le sol, et commence à le frapper avec sa queue. Il lui déchire l'aile. Puis arrive l'ami du dralik, qui repousse son agresseur. Le tue. Puis, horrifié, s'enfuie. Le dralik part, loin, parce que tuer un autre de sa race, c'est pire que la mort.

Il est seul. Faible. Se fait souvent attaqué par des animaux plus dangereux que lui. Il a faim. Il a soif. Il est en train de mourir.

Une grotte. C'est devenu la cachette du dralik. Et c'est là, seul, faible, mourant, qu'il veut changer. Qu'il décide de changer. Alors le dralik se relève, sort, et rencontre ses particularités. Il en prend conscience, ce qui est rare pour un dralik. Il devient puissant.

Le dralik vit. Il devient un prédateur redouté. Sans peur. Toujours seul. Mais fort.

Il rentre. Il veut montrer à sa famille et à ses amis à quel point il est devenu puissant en six siècles.

Il arrive dans les souterrains. Il y a beaucoup de mouvements, de la précipitation, de la peur dans l'air. Personne ne le reconnaît. Il cherche ses parents. Le dralik finit par trouver son père. Celui-ci est occupé à donner des ordres.

Sa mère le voit. Elle vient vers lui. Lui explique que le lieu et les draliks sont attaqués par une race puissante, les cromas. Ce sont des énormes pumas avec des dents de la taille de sabres et enduites de venin. Leur pelage est aussi dur que de l'acier trempé, et ils sont vifs. Des chasseurs au sommet de la chaine alimentaire. Imbattables, et qui en plus chassent en meute.

Les draliks sont désespérés. Ils ne sont pas de taille. Ils n'ont pas conscience de leurs particularités. Ils ne sont pas comme le jeune et puissant dralik qui vient de rentrer.

Il s'avance. Seul. Il se concentre. Contre eux, il lui faut de la force, de la vitesse, et une défense impénétrable. Alors il fortifie ses écailles, et grandit, grossit, encore, encore, jusqu'à ce que les cromas ne soient plus que des souris à ses pieds. Alors il attaque. Vite. Fort. Encore.

Les cromas n'arrivent pas à l'atteindre. Il les exécute un à un, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus un seul en vie. Alors il s'arrête, reprend son ancienne taille, et retourne vers sa famille.

Il est différent. Les draliks ont peur de lui. Ils le rejettent. Son père et sa mère réussissent à lui donner une nuit en leur compagnie, puis leur fils devra s'en aller. C'est tout ce qu'ils arrivent à faire pour leur enfant.

Le dralik dort profondément. Il n'entend pas ses anciens camarades de jeu. Il n'entend pas les parents de ceux-ci. Il n'entend pas les chasseurs, amis de ses ennemis. Il n'entend pas non plus son assassin se préparer. Il ne l'entend pas fondre sur lui. Mais il sent la douleur.

Se réveillant en sursaut, le dralik se redresse brusquement. Il découvre la pointe acérée et empoisonnée de l'aile de son agresseur plantée à la naissance de son appendice gauche. Il sait que le poison le tuera rapidement, après l'avoir paralysé. Alors, de colère, de douleur et dans un élan de survie, il utilise une particularité, la seule qu'il ne soupçonnait pas jusque-là, celle qu'il vient de découvrir. Il explose, détruisant et reconstruisant simultanément toutes ses cellules. La détonation est telle qu'elle balaye tout sur un rayon de deux kilomètres, tuant tout sur son passage.

Le dralik, épuisé, désespéré, seul, utilise ses dernières forces pour se construire une coquille, à l'épreuve de tout. Et, bien à l'abri, il reprend des forces, tout en observant le monde, cherchant sans réelle envie ni volonté une raison d'y revenir. Il passe plusieurs siècles ainsi. Seul.

Puis arrive un certain particulier du nom de Jasen Klex.

Lentement, je reviens à moi. Un filet de sueur froide coule dans mon dos, je suis glacé, et je me sens vidé, à bout de force. Je vois trouble, tout est flou, je me rends compte que j'ai pleuré. J'ai l'impression d'être une personne dorlotée depuis son enfance qui découvre le vrai visage du monde, et c'est une sensation horrible.

Cordax aussi n'a pas l'air bien. Il a la tête baissée, les écailles moites (si, c'est possible avec les draliks), et sa peau qui était tiède ne renvoie plus aucune chaleur. Il tremble.

Sans bien comprendre pourquoi, je sais que lui aussi a eu des images. Il a vu ma vie. De la même manière que je sais tout de lui, il sait tout de moi. Et mon enfance n'a pas toujours été rose.

Je m'assieds sur mon lit, et entoure de mon bras mon proche. Nous restons ainsi un long moment, immobiles. Puis, une fois que nous nous sommes réchauffés, nous nous écartons, et je le regarde. Maintenant que je connais son histoire, je le regarde différemment, mais pas avec de la pitié ou du dégout. Je déteste les gens qui sont comme ça. Je regarde Cordax avec compassion, compréhension. Soutien.

Je me rends compte au bout d'un moment que lui aussi, a le même regard. Alors, encore une fois, je sens une larme solitaire couler sur ma joue. C'est la première fois que je vois quelqu'un m'observer de cette manière, et c'est tellement... Incroyablement... Ça me fait de bien, me montre qu'au moins une personne sur terre ne me déteste pas, mais me comprend et me soutient.

Trois coups discrets résonnent contre ma porte. Je souris à Cordax qui file se cacher, me lève lentement, et vais entrebâiller la porte.

- Salut.

- Hello, Jasen. Je me disais que tu ne connaissais sûrement pas les horaires et les évènements qui se passent ici, donc je voulais juste te dire que la cantine sert de sept à huit heures le matin, de onze à quatorze heures à midi, les quatre heures à quatre heures - oui, je sais, c'est incroyable - et de dix-huit à dix-neuf heures trente le soir.

- Merci, Mihela, mais pourquoi tu me le dis maintenant ? Je veux dire, on est le soir, et je pense que demain j'aurai oublié.

- Comment ça, le soir ? Mais qu'est-ce que tu racontes, Jasen ?

- Ben... On s'est vu avant, tu m'as dit comment retourner dans ma chambre, j'y suis allé, et donc il ne doit pas s'être écoulé plus de, disons, une heure et demi. Il est environ dix-neuf heures trente heures, non ?

- Jasen, il est six heures quarante-cinq.

- Tu veux dire dix-huit heures quarante-cinq.

- Non. Six heures quarante-cinq, comme le matin, comme quand ton réveil sonne, comme quand tu te lèves. J'avais peur de te réveiller parce que je pensais que tu dormirais peut-être.

Je fronce les sourcils, puis me retourne. À grands pas, je vais vers la fenêtre, pour distinguer au loin, par-delà le lac, le ciel se teinter lentement de rouge, d'orange et de jaune, couleurs qui annoncent la venue imminente du soleil.

- Dis-moi, Jasen, tu as fait quoi cette nuit ?

Je me retourne vers Mihela. Elle a l'air sincèrement inquiète.

- Eh bien, j'ai inspecté ma chambre, je me suis assis à mon bureau, et j'ai... euh... j'ai... je pense que j'ai dû m'endormir sans m'en rendre compte.

Je fais une grimace, comme si ce n'était pas volontaire. La fille aux cheveux d'or plisse les yeux, avant de se retourner et de partir en marchant d'un pas vif dans le couloir. Elle me lance, par-dessus son épaule :

- Le déjeuner, donc le premier repas de la journée commence dans un quart d'heure. C'est censé être ton paire qui te donne ses informations, donc attend un moment avant d'y aller, si tout d'un coup ce Faberes décide de venir te chercher.

- Merci, Mihela.

Je ne suis pas sûr qu'elle m'ait entendu. Je referme la porte, puis me tourne vers mon lit. Cordax sort, il s'est caché dessous.

- Jasen, je viens d'y penser, mais... quand tu es revenu hier soir, tu avais l'air surpris de me voir sortir de ta veste. Comment tu as fait pour me parler si tu ne me voyais pas et ne savais pas où j'étais ?

- Ben... Je me suis rappelé de toi, comment tu étais, et ça a marché.

- Vraiment ?

Cordax me regarde, visiblement surpris. Je n'en comprends pas la cause, mais il ne me laisse pas m'éterniser sur ma question muette.

- Avant aujourd'hui, tu n'avais jamais parlé par télépathie, n'est-ce pas ? Et tu arrives déjà à ouvrir une conversation sans point d'ancrage, c'est-à-dire sans un destinataire visible.

Je reste un moment silencieux. Le dralik aussi.

- Cordax, comment c'est possible qu'il soit six heures quarante-cinq du matin?

- Je suppose que ce qui s'est passé a pris plus de temps qu'il n'y paraissait. Mais c'est perturbant.

Je soupire.

- Franchement, ce monde est compliqué. Super, incroyable, mais compliqué.

Je me change, prenant une tenue identique à celle que je viens d'enlever et à celle qui reste dans l'armoire, mettant la sale dans une corbeille que je n'avais pas vue avant. Dès que ma tenue est posée, la corbeille se replie en une petite boite, avant de se mettre contre un mur. Une trappe s'ouvre dans le sol, et la corbeille-boite tombe, je suppose en direction de la buanderie.

Surpris et amusé, je finis de me changer, puis vais vers le dralik. Il se glisse souplement dans la poche intérieure de ma veste grise.

- Je vais essayer de passer par-dehors, comme ça tu pourras sortir, si tu veux.

- Ne t'en fais pas, si j'ai besoin de bouger, je le ferai. Tu pourrais juste laisser ta fenêtre entre ouverte ? Comme ça je pourrai rentrer quand je veux.

- Et voilà, c'est fait !

Un courant d'air frais passe sur mon visage.

J'entends des cloches sonner, sans réussir à en déterminer l'origine. Sept coups. Le p'tit déj' est servi !

Avant de sortir, je dissimule ma marque sous un voile formée grâce à ma particularité. C'est une sorte de fausse peau qui a les propriétés du caoutchouc version améliorée, elle est aussi fine qu'un bout de soie et laisse passer l'air tout en adhérant à ma peau.

Quelqu'un toque à ma porte alors que je suis sur le point de l'ouvrir. La célébrité, je suppose...

- Tu vas finir par avoir la grosse tête, avec toutes ses visites surprises.

Merci, Cordax, pour ce commentaire.

J'ouvre, et me fige alors que le battant est à moitié ouvert.

- Il faut que je te parle en privé.

Elle entre, sans rien dire de plus, me poussant au passage, ses cheveux brun-roux flottants derrière elle.

- Euh, salut, Eléa. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Ferme la porte.

- Si tu veux.

Une fois ceci fait, je me retourne, et vais me placer face à elle.

- Pourquoi es-tu venue dans ma chambre ?

Elle me regarde, silencieuse. Puis se détourne, et va se placer face à la fenêtre. Je la laisse faire, sachant très bien que la questionner ne servirait qu'à prolonger l'attente. Alors je ne dis rien.

Me tournant toujours le dos, Eléa pose une main sur le cadre de la fenêtre.

- Connais-tu mon nom de famille ?

Je reste interdit. Elle sait très bien que non.

- Jasen. Connais-tu mon nom de famille ?

Je soupire.

- Non. Et je ne vois pas où tu veux en venir.

Silence. Je résiste à l'envie de lui poser des questions, tandis qu'aucun bruit ne se fait entendre.

- Faberes.

Silence. Encore.

- C'est ton nom de famille ?

Je n'ai pas pu résister. C'est bizarre, ce nom me semble familier, sauf que je ne sais pas du tout où j'aurais pu l'entendre. Ou le lire.

Attendez un peu... Sur la feuille, celle qui recoupe des données sur moi, comme ma particularité, mon proche, mon tuteur, c'est sur ce document que j'ai déjà pu le voir. Mais il correspondait à quoi ?...

P quelque chose. Un synonyme pour duo, hem... un duo de chaussures, un... une... paire !

- Paire : Faberes. Eléa Faberes. Je me trompe ?

Elle se tourne vers moi, et me regarde dans les yeux.

- Je ne sais pas. J'ai une sœur, disparut depuis trois ans. Elle s'appelait Alia. C'est peut-être elle, ta paire.

Silence. Il fait que je dise quelque chose, mais quoi ? Que je rompe ce silence, mais comment ?

- Personne ici ne le sait, mis à part quelques profs, alors n'en parle pas. À aucun prix. Et ne dit pas non plus que nous sommes Paires, même à Mihela. Elle n'a pas fait le lien et je ne veux pas qu'elle le fasse.

- Pourquoi ? 

- Je n'ai pas envie de me faire remarquer, c'est tout.

Silence. De nouveau.

- Merci.

Oui, c'est tout ce que j'ai trouvé à dire.

- Rendez-vous à neuf heures vers les écuries.

Sur ce, Eléa quitte ma chambre.

Je reste un moment immobile, assimilant ce qu'elle m'a dit. Et le fait qu'elle vient de me donner une information importante dont elle évite de parler, même à sa propre amie, alors que je ne suis que le nouveau venu aux nombreux problèmes.

La cloche sonne. Il est sept heures et quart. Je quitte ma chambre, et vais prendre mon déjeuner.

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