38. Ténèbres
J'ouvre les yeux au son d'un tonitruant coup de tonnerre. Il me faut un moment pour me réveiller complétement et penser à regarder par la fenêtre, découvrant ainsi une véritable tempête qui fait rage dehors. Un impressionnant éclair illumine l'entièreté de ma chambre, dévoilant mes affaires en désordre étalées un peu partout. Il va falloir que je songe à les ranger, on retourne à Epap demain soir.
M'habillant rapidement, je sors dans le couloir. J'interpelle Juste qui marche un peu plus loin devant, il m'attend, nous descendons ensemble dans le hall d'entrée.
- C'est bien aujourd'hui ton épreuve, nan ?
- Ouais.
Il baille et s'étire.
- Tu commences à quelle heure ?
- Mon premier duel est à huit heures et demie.
- Wah, c'est tôt ! Et t'affronte qui ?
- Pas tant que ça. Je crois qu'il s'appelle Basteo, et sa particularité doit être « lourdeur ». Ou alors c'est mon deuxième adversaire qui a ce pouvoir, et le premier possède « force » ? En tout cas, je sais que la particularité de la troisième personne, ce sont les « ténèbres ».
- Quel niveau ? Ah, j'oubliais, c'est pas noté. Et sinon, t'es prêt ? T'es le premier à passer, nan ?
- Je crois que Samy parlait d'un match à huit heures... Au fait, comment ça se fait qu'il fasse aussi mauvais, d'un coup ?
Comme pour souligner ma question, le tonnerre fait trembler les murs. Juste hausse les épaules.
- Soit c'est un particulier, si on découvre qui c'est il va devoir payer une amende, soit c'est naturel et dans ce cas on y peut rien.
- Il y a vraiment des gens capables de former une telle tempête ?
- Les élémentalistes de rang 0 ou 1, ouais. Peut-être qu'un rang 2 pourrait, mais difficilement. On va manger ? Je crève la dalle.
- Ouais, je te suis. Les arènes seront couvertes pour les combats, alors ?
- Nan mais qu'est-ce que tu crois ? Les candidats se débrouillent, on s'en fiche du temps ! Du moment que le public est protégé et que tout est rediffusé en direct, c'est bon ! Ah, merde, t'as toujours ton problème avec ta particularité, c'est ça ? Tu vas finir trempé en deux secondes.
On ouvre la porte, dépliant chacun un parapluie. Ils sont mis à disposition dans chaque bâtiment, les organisateurs ont tout prévu en très peu de temps. Malgré ça, on se dépêche d'atteindre la cafétéria, le vent souffle fort. Je ne peux m'empêcher de me demander si la météo a un lien avec les atouts...
Mihela nous fait de grands signes, assise à une table avec Trent, Samy, Eléa, Théo et Ludolf. La plupart des places sont libres.
- Prêt à gagner, Jasy ?
- Toujours ! Et toi ?
- Bah on verra, de toute manière je ferai mieux que toi.
Il me fait un clin d'œil mi-confiant, mi-provocateur. Je le vois pourtant grimacer en se saisissant de la confiture, il doit avoir des courbatures.
- Jasen, je peux te parler une minute ? En privé.
Eléa me conduit à l'écart, suffisamment loin pour que personne ne puisse nous entendre.
- Tu as des nouvelles d'Alia ? Et de mes parents ?
- Hector et Jasma ne t'ont pas contactée ?
- Non, à peine un message disant qu'ils sont occupés et qu'ils me verront dès qu'ils le pourront.
Je secoue négativement la tête.
- Ils ne m'ont rien dit non plus, je n'en sais pas plus que toi.
- Mais c'est bizarre... Tu m'as vraiment tout dit au sujet d'Alia ? Tu me promets que tu ne me caches rien ?
Je la regarde droit dans les yeux, elle ne détourne pas le regard. Je devrais peut-être hésiter à tout lui révéler, la mettre au courant pour qu'elle puisse se protéger et veiller sur les autres, mais je n'ai pas besoin d'y réfléchir. Ma décision est déjà prise.
- Tu peux me faire confiance. Je ne te cache rien.
Il est hors de question de l'inquiéter encore plus.
Eléa prend une grande inspiration, le temps d'accepter mes quelques mots. Elle finit par acquiescer, nous retournons nous asseoir. Mihela ne peut s'empêcher de s'en mêler.
- Vous vous êtes disputés ? Hé, moi je suis pas d'accord ! Que ce soit bien clair, vous êtes censés être le couple parfait, coup de foudre, déclaration romantique, sorties rien que tous les deux...
- Tu parles de Jasen et moi, là ?
Elle continue sur sa lancée, ignorant ma paire.
- ... Amour parfait, quoi, alors pas de disputes ! Pas de problèmes, pas de secrets, que de l'amour ! C'est bien clair, tous les deux ? Ne cassez pas mon idéal de couple ! C'est compris ?
- Euh...
- Je n'accepterai qu'un « Oui, chef, bien, chef ! » de votre part ! Alors, c'est compris ?
J'échange un coup d'œil avec Eléa, nous ne pouvons retenir un rire. Mihela est un peu comme notre ange gardien, toujours là pour veiller sur nous. Elle commence à nous gronder, nous dire de ne pas nous moquer d'elle et en rajoute une couche. Je n'arrive plus à m'arrêter de rire, sans vraiment savoir pourquoi. Ah, ça fait du bien. Être entouré de ses amis, de celle qu'on aime, se détendre. C'est assez étrange, mais j'ai l'impression, depuis que l'enfant a bloqué mes pouvoirs, que je me forge de plus en plus de souvenirs joyeux que j'aimerais graver à tout jamais dans ma mémoire. Ça n'a sûrement aucun rapport, mais cette réflexion me trouble plus que je n'ose me l'avouer.
- C'est bientôt l'heure, on devrait y aller. Et dire qu'il y a déjà des gens qui ont commencé...
- Sept heures et demie pour les premiers, non ? En même temps, s'ils faisaient plus tard, on finirait à des heures pas possibles. Faut pas oublier qu'après les duels du matin, y a l'annonce des scores, le tableau pour les affrontements de l'après-midi et les affrontements. Et la remise des prix, aussi. Ça fait beaucoup en une seule journée.
- Pourquoi ils ne font pas sur deux jours, alors ?
- Le tournoi durerait plus d'une semaine, ou alors il faudrait supprimer une épreuve.
- Et pourquoi pas le dimanche matin ?
- Non, faut que ça attire du monde et le matin y a personne qui vient ! Tu verras, à part des élèves curieux, tes futurs adversaires et deux-trois autres personnes y a pas grand-monde. Vers onze heures, ça commence à se remplir, mais sans plus.
- Par contre, cet aprèm', ça va être la folie ! Va y avoir tout le monde, ça va être ouf !
Il pleut toujours autant fort dehors, Trent a la gentillesse de nous protéger.
On atteint la deuxième arène, là où Samy a son premier combat. Il est moins dix. Après avoir discuté pendant encore un moment, il nous laisse, allant se préparer à l'intérieur. Nous entrons, les gradins sont vides à l'exception de quelques lève-tôt. Le point positif, c'est qu'on peut se mettre absolument où on veut.
Un présentateur annonce les deux candidats, ils entrent. Leandro Crespo a une particularité de foudre, je suis curieux de voir comment Samy va y faire face avec sa métamorphose. Le signal du départ est donné, il s'avance simplement, sans crainte. L'élève d'Ecaf se concentre, ses doigts crépitent. La foudre s'abat sur l'arène, nous éblouissant tous tandis que le tonnerre, immédiat, se charge de nous assourdir. Je recouvre doucement mes sens pour découvrir une sorte de raton-laveur aux poils fortement hérissés, les yeux d'un bleu-blanc grésillant, qui se tient debout sur deux pattes, son adversaire au sol devant lui. Mihela sort un petit : « Oh, un raiju ! » tandis que la victoire de Samy est annoncée.
- Je sais plus... Un raiju, c'est quoi ?
- Une bête vraiment dérangeante qui résiste à la foudre. Je ne savais pas que Samy pouvait prendre son apparence.
À ce niveau-là, c'est presque de la triche. Le gars d'Ecaf n'avait aucune chance.
- Tu penses que sa particularité de foudre est de quel niveau ?
- Se servir du temps comme ça... Quatre, je pense. Quelque chose comme ça, peut-être trois. C'est allé trop vite pour pouvoir être précis.
Nous retrouvons Samy à la sortie, il est félicité. C'était fulgurant. Nous avons tous trois matchs ce matin, une victoire donnant un point et une défaite zéro. Il ne peut pas y avoir d'égalité. On est ensuite classé selon la rapidité avec laquelle on a gagné, ce ne sont donc que les plus forts et les plus vifs qui sont sélectionnés.
En attendant que ce soit mon tour, on va se poser devant un stand couvert, sirotant une boisson. Samy nous laisse, allant observer les autres duels qui n'ont pas encore pris fin. Il fait frais. Vint finalement l'heure, nous allons dans la quatrième arène.
C'est la première fois que je vais dans la partie réservée aux candidats. Après un couloir, une porte s'ouvre sur une simple salle avec trois chaises posées contre un mur. Aras se tient là, les bras croisés. Il s'approche en me voyant arriver.
- Qui est ton adversaire ?
- Basteo Andrews, il a une particularité nommée « lourdeur ».
- Que dois-tu faire ?
- Gagner.
- Comment ?
- Rapidement.
Sans me poser plus de questions, il s'en va. Euh, c'était censé être quoi ? Je ne suis pas sûr d'avoir compris. Je marche en rond, lentement, respirant profondément, me concentrant.
Deux minutes avant mon duel, un minuteur s'affiche au-dessus du passage menant à l'arène. Je crois bien que je commence à stresser. Ah, je ne m'attendais pas à ça, mais c'est normal, non ? C'est mon premier combat, j'ai vraiment envie de gagner mais en même temps je ne me sens pas très confiant sans ma particularité. J'ai beau avoir affronté de nombreux adversaires différents, cette fois je n'ai qu'un essai. Ça compte. Il faut que je gagne. Non, n'y pensons pas. Concentration. Concentration, allez. Respirez calmement...
Il ne reste plus qu'une minute. Une personne avec un badge autour du cou entre par une porte latérale, me rappelant les règles, me souhaitant bonne chance. Elle me précise d'attendre qu'on appelle mon nom avant d'entrer, puis se met en retrait, écrivant quelque chose sur un document. Je m'avance. La voix du présentateur résonne, diffusée partout dans l'arène et dans un haut-parleur, placé dans le coin de la salle. Quand les mots « Jasen Klex, d'Epap » sont prononcés, j'entre.
Ma première pensée, c'est : Immense. Si je ne me trompe, la quatrième arène est la plus grande, et être en bas me fait prendre conscience de ma petitesse. La sensation est complétement différente que face aux sources, mais il n'empêche que je me sens remis à ma place, ça me permet de relativiser. Il y a bien plus important que ce duel, comme la journée de demain ou...
Non, stop ! Pour le moment, tout ce qui compte, c'est le type en face de moi. Il est petit mais tout en muscles, pas une once de gras sur lui. Ses vêtements mouillés lui collent à la peau, ne laissant aucun doute sur sa force physique. Un frisson me parcourt, il fait frais, presque froid. J'espère que je ne vais pas tomber malade.
Le signal est donné, le combat est lancé. Il sourit, je tombe à genou. Une forte pression s'exerce sur moi, comme si mon corps pesait trois fois son poids normal. J'ai beaucoup de peine à me tenir droit, le sol m'attire irrésistiblement. J'entends ses pas se rapprocher, il faut que je bouge. Allez, il faut que je bouge ! Mais mon corps est si lourd...
Attends, mon corps est lourd ? C'est tout ? Pas de coups venant de nulle part, de noyade, de flammes me brûlant, d'énergie me ligotant, de sol m'absorbant, de vent me ballotant comme une vulgaire poupée, d'attaque surprise, d'os fracturé ou d'autres trucs du genre ? Je suis simplement lourd ?
Un rictus se dessine sur mon visage, mon adversaire s'arrête à quelques pas de moi.
- Qu'est-ce qui te fait rire ?
- Non non, rien.
La pression augmente, je pose une main par terre. Fermant les yeux, j'inspire profondément, prenant conscience de chaque partie de mon corps. Puis, d'un coup, je focalise toute mon attention sur le particulier d'Elag. Mon regard se rive au sien, j'appuie sur mes jambes, me propulsant vers l'avant mais surtout vers le haut, comme si je voulais sauter tout en sachant très bien que mes pieds ne décolleront pas du sol.
Il est à ma portée. Mon bras se tend, il se prend mon poing en pleine face, surpris, basculant en arrière sans avoir eu le temps de se défendre. Je retrouve mon poids normal, une sensation de légèreté m'envahit. Me mettant en garde, j'attends qu'il se relève, mais il reste allongé.
- Le gagnant est Jasen Klex, élève d'Epap !
Au loin, quelques cris retentissent. Quoi, c'est tout ? Un coup et c'est fini ? Je pensais qu'il était plus résistant que ça. C'est pas drôle...
Je m'approche de lui tandis qu'un guérisseur nous rejoint. Il est inconscient. Je n'y serais pas aller trop fort, quand même ?
- Ce n'est pas trop grave ?
Le nouvel-arrivant passe une main lumineuse au-dessus de la tête de l'élève.
- Non, rien de bien inquiétant. J'aimerais aussi t'ausculter, attends un moment dans la salle des participants.
J'acquiesce, il tend la main et le corps de Basteo se soulève dans les airs, partant à sa suite. Quant à moi, je quitte l'arène, apercevant au passage mes amis qui se dirigent vers la sortie.
Après quelques minutes pendant lesquelles je me repasse mentalement le duel, me demandant ce que j'aurais pu faire d'autre, comment ça se fait que mon coup l'ait mis dans cet état, à quel moment il a activé sa particularité, le guérisseur arrive.
- J'ose vous demander pourquoi vous voulez m'examiner ? Je n'ai reçu aucun coup.
- Tu t'es déplacé alors que ta masse corporelle était multipliée, ça peut avoir de dangereuses conséquences. Je tiens juste à m'assurer que ton corps l'a bien supporté. Vois-le comme de la prévention.
Il pose sa main sur ma tête, une douce lumière m'enveloppe tout entier. Il rouvre rapidement les yeux, ayant apparemment terminé.
- Qui est ton enseignant ?
- Aras Sanguello.
- Je vois.
Il voit quoi ? C'est vraiment une explication suffisante pour lui ?
- Tu as utilisé ta particularité pendant le combat ?
- Non.
- C'est ce qu'il me semblait. Pourquoi ?
- Ce n'était pas nécessaire.
- Tu aurais pu prendre ton adversaire de court.
- Je voulais voir de quoi il était capable.
- Si tu le dis. Bien, je te laisse. Repose-toi jusqu'à ton prochain match, ne force pas. Si tu sens que tu as mal, même une petite douleur, viens m'en parler. La sécurité avant tout.
- D'accord.
Il s'éloigne, je rejoins Eléa et les autres.
- Wah, c'était impressionnant ! Lourdeur, c'est ça ? Tu as bondi comme si de rien n'était, le mec il a rien compris ! Sa tête, c'était épique !
- Je te le fais pas dire.
- Et là, direct dans sa face ! Bam, à terre ! En deux secondes c'était fini !
- On n'a pas eu le temps de bien voir, heureusement qu'il y avait le ralenti.
- Tout dans les muscles, rien dans la tête ! Aucun réflexe !
- Ou c'est juste Jasen qui est trop fort.
Juste et Mihela continuent, je me tourne vers Samy.
- Tu n'étais pas censé observer ton prochain adversaire ?
- Ton duel était bien plus intéressant. Et si on finit tous les deux en final, je compte bien t'affronter, donc là, je viens d'observer mon adversaire.
- Je croyais qu'il ne fallait pas compter sur moi pour marquer des points...
Il sourit.
- C'est clair, mais ne sait-on jamais, un miracle peut soudainement arriver ! Et toi, tu ne vas pas regarder les autres matchs ?
- Je préfère me changer les idées.
- Dans ce cas, que dirais-tu d'aller faire un tour aux stands ? Au fait, Aras aussi est venu te parler ?
- Dans la pièce réservée aux candidats ? Oui.
- Il est vraiment nul pour les encouragements, pas vrai ?
- Tout à fait d'accord.
Deux churros plus tard, nous voilà en train d'observer le duel de Samy. Il affronte Shakur McKinney et son renforcement. Un ours plus tard, il a gagné.
À dix heures, alors que la tempête s'est calmée et qu'il ne reste qu'une fine pluie, mon match contre Celia Leon a lieu. Sa particularité de force ne me pose pas de problème, elle est moins rapide qu'Aras. J'évite ses coups et l'immobilise, de telle sorte qu'elle ne peut plus échapper à mon emprise. La troisième arène étant couverte, le sol est sec, ce qui ne limite pas mes mouvements. En moins de trois minutes, je remporte cette deuxième manche.
Il nous faut ensuite attendre jusqu'à onze heures et demie pour le troisième tour. Sameiden en profite pour aller voir d'autres affrontements, quant à moi je discute avec Eléa. Nous réussissons à échapper à Mihela pour passer un moment seuls tous les deux, loin de la foule. Il ne se passe rien de spécial, nous profitons simplement de ce temps privilégié pour nous promener dans la ville sous une douce pluie, discuter de tout et de rien, nous reposer à l'ombre d'un arbre. Finalement arrive le moment de retourner aux arènes, nous y allons ensemble. Eléa rejoint les gradins, je vais à l'intérieur. À l'appel de mon nom, je me rends au centre, le toit rendant l'atmosphère de ce lieu étrangement sèche. Il y a déjà plus de monde dans les gradins, les gens commencent à affluer, dedans comme dehors. Ils doivent attendre les résultats pour savoir qui combattra cet après-midi.
- Commencez !
Gunther Lemm, élève d'Elag, a une particularité élémentaire liée aux ténèbres. Je ne sais pas si c'est pour ça, mais il a choisi de porter une cape à capuche entièrement noire, cachant ainsi son visage.
Il ne bouge pas, je m'avance prudemment, ne sachant pas de quoi il est capable. Arrivé à cinq pas, une brume sombre émane de lui, se dirigeant vers moi. Je m'éloigne, voulant l'éviter. Elle me poursuit. La contourner ne servirait à rien, elle se répand partout. Bon, je peux toujours foncer dans le tas en espérant atteindre Gunther avant que les ténèbres ne m'immobilisent, mais je ne sais pas comment elles vont réagir. S'il s'agit de me faire perdre toute notion d'orientation, ou de me retenir sur place, je peux y faire face. De toute manière, mes choix sont limités. Attendre que la brume m'atteigne ou prendre les devants. Le choix est vite fait, je m'élance. La brume ne me fait d'abord rien, elle m'entoure complétement. La présence de mon adversaire s'estompe, je n'arrive plus à le localiser. Tout est noir autour de moi. Je ferme les yeux, sollicitant mes autres sens. Rien ne me parvient, pas tout de suite. Je perçois cependant de furtifs pas, à ma droite. Mon regard fouille les ombres, cherchant à voir précisément où il se trouve. Je m'avance. Une silhouette me fait face, celle d'une enfant. Une jeune enfant aux longs cheveux.
- Elma... ?
Son prénom m'échappe, alors que je sais très bien que c'est impossible. Ça ne peut pas être elle.
La forme se fait plus nette, des nuances apparaissent. Ses yeux prennent une teinte violette, surnaturelle. Sa peau se fait pâle.
C'est un piège. Elle est morte, elle ne peut pas être là. Elle est morte, elle est morte, elle est morte...
Ses lèvres articulent silencieusement un nom. « Jay ». Le mien.
Des larmes coulent le long de mes joues. Je voudrais tellement la revoir, qu'elle soit vraiment là, en face de moi. Si seulement elle était encore en vie. Si seulement c'était vraiment elle. Mais ce n'est pas possible...
Un crissement dans mon dos me fait me retourner brusquement. Seul un automatisme me permet de parer le coup de Gunther, toujours caché sous sa cape. Il recule immédiatement, disparaissant à nouveau dans la brume. Aras m'a dit de me méfier de sa particularité, je ne le pensais pas capable de telles choses.
Désemparé, je tourne sur moi-même. Elle est toujours là, me regardant intensément. Sa main se tend, me désigne une seconde forme. Celle-ci est plus grande, ses yeux sont d'un bleu saisissant.
Ma lèvre inférieure tremble.
- Ash...
Toutes les deux se rejoignent, se prennent la main. Leur bouche forme inlassablement mon nom, encore et encore, m'appelant sans bruit. Un sanglot monte dans ma gorge. Ma vue se brouille. Je me détourne, cherchant à échapper à leur présence. Elles sont mortes. Mortes. Elles ne peuvent pas être là.
Ah, je me sens si faible. Je n'ai rien pu faire pour elles, absolument rien. Si j'avais été plus présent pour Ashley, plus à l'écoute, si j'étais resté auprès d'elle, si je lui avais demandé comment elle allait, peut-être qu'elle serait encore là. Si j'avais agi... Je n'étais qu'un enfant. Je ne savais pas. C'est ça, le problème. Je ne savais pas. Et ça lui a coûté la vie.
Ce jour-là, j'avais fait un caprice, je ne voulais pas aller avec mon père et ma sœur aux commissions. Alors papa n'a pas insisté, il m'a laissé jouer à la maison. Et ils ont eu un accident tous les deux. Tiens, ne serait-ce pas sa silhouette qui se forme à côté de celles d'El et d'Ash ?
Un triste sourire étire mes lèvres, mes muscles tressautent. Si je ne les avais pas retardés, ils seraient toujours en vie. Si je n'avais pas fait mon égoïste, il ne serait rien arrivé. Mais, de nouveau, je ne savais pas. Et ça leur a coûté la vie, à eux aussi.
Mes jambes cèdent, je tombe à genoux. Ah, j'ai mal. J'ai mal, j'ai mal, j'ai mal. Ils me manquent, terriblement. Je ferais n'importe quoi pour les ramener, je suis prêt à tout pour ça, pour les revoir, ne serait-ce qu'une dernière fois. Mais c'est impossible, c'est contre nature. Ils sont morts. Morts. Qu'est-ce que la mort ? Pour moi, c'est un abandon. Ils m'ont laissé seul, complétement seul. Je leur en veux ? Alors que ce n'est pas leur faute ?
Ma poitrine se serre, elle me fait mal. Je n'ai rien pu faire pour eux. Rien.
Ils ne sont plus là. Ils me manquent. Je voudrais les serrer une dernière fois dans mes bras, mais je ne peux pas. Je voudrais leur dire à quel point je tiens à eux, mais je ne peux pas. Je voudrais leur parler, me tenir à leurs côtés, mais je ne peux pas. Je voudrais... Ah, ils me manquent. Ah, j'ai mal. J'ai si mal.
Je ne vois plus rien. Je croyais avoir acceptée leur mort. Je croyais qu'ils seraient toujours près de moi. Je voulais qu'ils soient près de moi, qu'ils partagent mes joies, mes peines, mes défaites, mes victoires.
Ils sont là, en face de moi. Mais ce ne sont que des illusions, de vulgaires illusions qui n'arrêtent pas de prononcer mon nom, de me parler. Ce ne sont pas vraiment eux, je le sais bien. Je le sais bien...
Un coup m'atteint à la tête, je tombe sur le côté, sonné. Mes paupières se baissent, je ne veux plus rien voir. Je veux Eléa. J'ai besoin d'elle, j'ai envie de lui tenir la main, de lui parler. Eléa...
Roulant, je heurte les jambes de mon adversaire, lui faisant perdre l'équilibre. Sa chute fait un bruit mat. Je sens une rage monter en moi en réponse à la douleur. Il a osé se servir d'eux, de papa, d'Elma, d'Ash. Il aurait mieux fait de les laisser tranquilles.
Un déclic se fait en moi. Seule me reste la fureur.
>>>
Les hologrammes ne diffusent plus rien. Assise à côté de Mihela, je ne peux qu'observer les images noires. Une barrière protège le centre pour que les candidats ne puissent pas s'en prendre au public, et que les spectateurs ne puissent pas intervenir durant le combat. Nous ne savons donc absolument pas ce qui se passe. Durant cette phase, il n'y pas de commentateur, juste un arbitre qui s'occupe aussi d'annoncer les candidats au début et les résultats à la fin, ce qui fait qu'à part un bruit de fond généré par les discussions, on n'entend rien. J'ai un mauvais pressentiment, sans arriver à savoir pourquoi.
Samy nous rejoint, il vient de terminer le troisième tour, remportant encore une fois une victoire. Rapidement, ma meilleure amie le tient au courant de ce qui se passe. Elle a à peine fini ses explications que les ténèbres disparaissent soudainement. L'arène se révèle à nous, Jasen debout, face à un élève apeuré, à terre. Un hoquet échappe à Mihela. Je me lève brusquement, venant de voir le visage de mon paire. Des larmes coulent le long de son visage, nombreuses, sans s'arrêter. Ses mains sont serrées en deux poings tendus, aux jointures blanches. Il émane de son être un mélange entre douleur et colère.
Le sol se soulève, se transforme dans son entièreté. Des piques surgissent, des piliers, de la glace, de la lave, du roc, des fissures débouchant sur de profonds gouffres. L'air s'assèche, je commence à avoir de la peine à respirer, comme si tout l'oxygène disparaissait peu à peu. Les hologrammes n'arrivent plus à suivre, tout change trop vite, bloquant la vue, la libérant pour un instant, cédant la place à un abrupt élément surgit de nulle part.
Je ne réfléchis pas plus longtemps, je m'élance, criant son nom. Il faut qu'il m'entende. Il faut qu'il arrête, il est en train de se perdre lui-même. Allez, reprends tes esprits...
- Jasen !
J'atteins la rambarde, je ne peux pas aller plus loin.
- Jasen !
Il ne m'entend pas, il ne réagit pas.
- JASEN !
Il faut que je le rejoigne, que je sois à ses côtés.
- JASEN !
Poussée par le violent désir de le prendre dans mes bras, j'active ma particularité.
- Gunther Lemm déclare forfait, Jasen Klex est le vainqueur !
Il ne s'arrête pas, il n'a pas entendu. Son pouvoir se déchaîne, il n'en a pas conscience. Je force, encore et encore, plus fort, jusqu'à ce que la barrière vole finalement en éclat, se désagrégeant en milliers de fragments de verre jusque-là invisible qui deviennent poussière avant de toucher terre.
Je saute par-dessus la barrière, je cours au milieu du paysage chaotique. Jasen est devant moi, juste en face. Un mur surgit de nulle part, je le fais disparaitre. Encore deux pas. Plus qu'un.
- Jasen.
Il ne réagit pas. Les bras passés autour de lui, je le serre fort, lui murmurant des mots de réconfort. Il bat plusieurs fois des paupières.
- Eléa... ?
Sans prévenir, il fond en larmes, ses bras m'entourant, s'agrippant à moi.
- Chut, chut, ça va aller. Je suis là, c'est fini. Tout va bien maintenant. Chut...
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