35. 2ème journée

- Monsieur, on ne peut pas faire une pause ? J'aimerais aller voir Trent !

- C'est vrai, Trenty doit être désemparé sans nous !

- Si vous avez le temps de vous plaindre, faites correctement les exercices.

Le regard menaçant du sanguin nous décourage à continuer. En ce magnifique mardi après-midi ensoleillé, alors que notre ami participe à la seconde épreuve consistant, grâce à sa particularité, à créer des œuvres d'art, Samy et moi sommes coincés dans la salle d'entrainement avec notre tuteur sans-cœur. Tout ce qu'on demande, c'est de pouvoir faire une pause pour encourager l'ydrovien, mais non, on reste à l'intérieur.

- Jasen, refais un tour avec un poids plus lourd.

Ça fait plus d'une heure que je suis en train de courir, Aras augmentant régulièrement la masse de ce que je dois porter. Quel est l'intérêt ? Ah, j'en ai marre ! Mais si j'essaye de partir, le prof va me démonter vite fait bien fait. Si seulement Eléa était là...

- Wah, vous avez l'air exténué !

Nous nous tournons tous les trois vers la personne qui vient d'entrer sans que nous le remarquions. Un enfant nous dévisage de ses grands yeux violets, il me fait un franc sourire et un geste de la main.

- Comment es-tu arrivé ici ? Tu es trop jeune pour être un élève.

- Dis, dis, Jasen, on s'entraine ensemble ?

- Je te parle, gamin.

Aras n'aime visiblement pas qu'on l'ignore. Ce que le nouvel-arrivé ne se prive pas de faire.

- Je n'ai aucune chance de gagner contre toi, tu as beaucoup plus d'expérience.

- Allez, je veux voir comment tu te bats sans ta particularité !

Le sanguin fait un brusque geste pour attraper le bras de l'enfant, mais celui-ci l'esquive sans difficulté.

- Monsieur, c'est Célien, un... ami.

Il acquiesce en faisant des gestes exagérés de la tête.

- Oui, un ami, un ami ! Alors, on se bat ?

- Non, tu t'en vas, gamin. Ce n'est pas un endroit fait pour toi.

Aras tente une nouvelle fois de prendre son bras, mais Célien ne se laisse pas faire. Sans que je le voie bouger, il se retrouve derrière mon prof qui tombe à genou, la main bloquée dans le dos. L'enfant se penche et lui dit doucement à l'oreille :

- Que ce soit bien clair, je ne suis pas un gamin, tu ne me donnes pas d'ordre et je vais où je veux.

Il le repousse, Sanguello se relève tout en se frottant le poignet. Le Puissant a retrouvé son air insouciant et s'adresse de nouveau à moi sous les regards interloqués de mon tuteur et de Samy.

- Alors, on se bat ?

- Je risque de finir gravement blessé ?

- Mais non, au pire je te guérirai. Je vais faire attention, promis ! Tu sais quoi ? On n'a qu'à dire que moi non plus, j'utilise pas ma particularité.

Son grand sourire suffirait presque à me tromper. Presque.

- D'acc...

Je n'ai pas le temps de finir mon mot que je reçois un coup de poing dans l'estomac qui me plie en deux. Je tousse, tentant difficilement de reprendre mon souffle.

- Allez, à ton tour ! Attaque-moi !

Sans me poser plus de questions, je me mets en garde, bien décidé à rendre chacun des coups que l'enfant me donnera. Je m'élance, il est rapide, esquivant tous les coups que je lui porte, répliquant sans que je le voie venir. J'ai l'impression de passer plus de temps à me relever qu'à me battre, mais je commence à prendre le coup. Il va vite, certes, il est fort, certes, mais il n'utilise que des mouvements basiques. Si j'arrive à anticiper ses actions, je pourrais peut-être...

Encore une fois, je me retrouve à terre, sur le dos.

- Allez, debout ! On recommence !

C'est ainsi que des bleus apparurent sur tout mon corps et que des courbatures me firent souffrir à chacun de mes mouvements.

###

- Jasen ? Tu n'es pas à la cérémonie ? Et qui est-ce ?

Après plusieurs heures de combat intense, Célien m'a proposé d'aller manger, disant qu'il m'offrait le repas. J'ai accepté, et nous sommes allés prendre une table devant un stand de churros tout simplement délicieux. La remise des prix de la deuxième épreuve est presque finie, la place est encore calme.

- Bonsoir. Non, du moment que je connais le classement ça me suffit. Vous voulez vous asseoir ?

Jasma et Hector échange un regard, puis nous rejoignent.

- Salut, moi c'est Célien ! J'suis l'ami de Jasen, et vous êtes les parents d'Eléa, c'est ça ?

Je regarde l'enfant, ne me rappelant pas lui avoir dit quoi que ce soit à ce sujet.

- C'est ça. Enchanté, Célien. Je m'appelle...

- Jasma, et toi c'est Hector, je sais. Vous voulez des churros, ils sont trooop bons !

- Merci.

Souriant, la mère de ma paire prend celui que le Puissant lui tend. Cette scène est surréelle, j'ai de la peine à croire qu'elle se déroule sous mes yeux.

- Mmm, c'est vrai que c'est bon !

- Qu'est-ce qu'il y a, Jasen ? Quelque chose te perturbe ?

- À vrai dire, j'aurais une question à vous poser, mais... c'est... délicat.

Leur visage se font sérieux, l'enfant ne semble pas intéressé par la discussion, mais je sais qu'il écoute tout.

- Vas-y, on t'écoute. Tu peux tout nous demander.

Je prends une grande inspiration.

- Est-ce que vous avez des nouvelles d'Alia ?

À nouveau, le couple échange un regard. Ils hésitent.

- Je ne sais pas ce qu'Eléa t'a dit...

- Juste que deux personnes, Reynfrey et Wido, je crois, sont à sa recherche et qu'elle est peut-être actuellement à Izao. C'est aussi pour ça que vous êtes ici, non ?

- En partie oui. C'est principalement pour voir Eléa participer au tournoi, mais si on a l'occasion de parler avec Alia, on n'hésitera pas.

- Pourquoi ?

Les yeux curieux de Célien regardent attentivement Jasma. Elle sourit tristement.

- C'est notre fille, elle nous manque. Je ferais absolument tout pour elle, et pour Eléa aussi.

Il réfléchit un instant, hoche deux fois la tête, se lève, fait le tour de la table, prend les mains des deux parents et se tourne vers moi.

- À plus, Jasen. Oh, si Rhys a deviné juste, tu ne devrais pas tarder à te sentir bien mieux. Bye bye !

Ils disparaissent tous les trois, d'un coup. Les deux Faberes n'ont sûrement pas compris ce qui leur arrivait, quant à moi je ne sais pas comment interpréter les propos du Puissant. Je prends un churro, le dégustant silencieusement. C'est vrai qu'il est délicieux.

- Jasen ? Eléa te cherche.

Je lève la tête vers Mihela, qui est accompagné d'un grand type aux yeux vert émeraude et aux cheveux blond pâle coupés courts.

- Ah, c'est mon grand frère, Miroslav. Tout le monde l'appelle Miro.

Il se penche dans ma direction, une main sur le menton.

- Tu es donc le petit ami d'Eléa. Intéressant. Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ? Qui s'est déclaré en premier ?

- Miro !

- Quoi ? Tu n'as rien voulu me dire et Eléa non plus, il faut bien que j'aille chercher des informations quelque part !

Je souris, il est sympa. Ça se voit tout de suite qu'ils sont de la même famille, autant au niveau de l'apparence que du caractère.

- Mihela, tu sais où est Eléa ?

- Je crois qu'elle est retournée au dortoir.

- Attends, tu vas la rejoindre dans sa chambre ? Vous en êtes déjà à ce stade ?

- Miro, ne pose pas ce genre de question ! Jasen, ne réponds pas, je ne veux pas savoir !

- Ravi de t'avoir rencontré, Miro.

- De même. Avant que tu t'en ailles, ça te dérange si on se synchrolie ?

- Mon débit ne fonctionne pas très bien, mais on peut essayer.

Je ne sais pas s'il est possible de se synchrolier sans que j'utilise l'ischys, mais il semblerait que oui. Tout se passe bien, Miro me dit que c'est bon, ça a réussi. Je les salue avant de retourner dans le bâtiment D5. Au passage, je jette un coup d'œil au panneau d'affichage des scores. À la fin de cette deuxième journée, Ecaf a reçu dix points supplémentaires et mène avec un total de dix-huit points, suivi d'Epap avec six nouveaux points donc dix en tout. Isad est pour le moment troisième avec un score général de neuf points, puis vient Sierra avec quatre points, Elag en a trois et Isom toujours aucun. L'institut du sommet se rattrapera sans doute lors des épreuves de force.

Empruntant l'allée, je me rends dans le bâtiment réservé à Epap, saluant quelques personnes au passage. L'entrée est vide, je jette un coup d'œil aux feuilles toujours affichées, l'épreuve de demain se nomme « Réflexion et force ». J'essayerai d'assister au moins à une partie, si le sanguin me laisse en paix. Mon entrainement avec Célien a laissé mon corps dans un état douloureux, mais j'ai l'impression d'avoir un peu progressé, surtout au niveau de la perception de l'adversaire.

Gravissant les escaliers, je passe me changer avant d'aller vers la chambre d'Eléa. Il n'y a personne dans les couloirs, avec la pénombre ambiante j'ai l'impression d'être dans un lieu fantôme. J'arrive finalement devant la bonne porte.

- Eléa, je peux entrer ?

Elle m'ouvre avant de retourner s'assoir sur son lit, un livre à la main.

- Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir.

- Ouais, deux secondes.

Une minute plus tard, elle ferme finalement son livre et me regarde.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Mihela m'a dit que tu me cherchais.

- Ah, c'est vrai. Je voulais te donner un truc.

Elle se lève, allant fouiller dans son sac à main. Après quelques instants de recherche, elle en ressort un petit objet qu'elle cache dans son poing.

- Tends ton bras.

- Lequel ?

- Celui que tu veux.

Je m'exécute. Elle accroche un simple bracelet à mon poignet droit, avant de m'en tendre un identique. À mon tour, j'attache le bijou pour elle. Puis je l'attire contre moi et je l'embrasse, lui murmurant un « merci ».

- J'ai un endroit à te montrer.

Eléa s'écarte doucement, entrelace nos doigts, me mène hors du bâtiment. Nous longeons le mur d'enceinte jusqu'à une petite porte de service, puis sortons dans la ville même d'Izao. Elle m'entraine sans hésitation dans les rues dont les lumières commencent à s'allumer tandis que la nuit tombe. Nous avançons ainsi, en silence, pendant plusieurs minutes, montant des escaliers, en descendant d'autres, traversant un petit pont, passant sous des arches, dans d'étroits passages, dans des rues plus larges. Personne ne nous arrête, personne ne nous parle. Il y a pourtant beaucoup d'habitants qui se promènent, mais j'ai l'impression d'être seul au monde avec Eléa.

Elle ralentit. Le soleil a disparu à l'horizon.

- C'est juste là.

Sa main désigne un grand portail en fer placé entre deux hautes bâtisses. De la végétation grimpe le long des barreaux, je ne vois pas ce qui se trouve derrière.

- Ferme les yeux.

Sans protester, je m'exécute. Un grincement retentit dans la ruelle déserte, puis Eléa m'embrasse avant de prendre ma main et de me tirer légèrement. Je la suis, ne voyant toujours rien. Elle referme la grille derrière nous, me guidant ensuite à travers je ne sais quoi. Un clapotis me parvient, il y aurait de l'eau ? L'air se rafraichit. Il fait bon.

- Assieds-toi.

Son souffle chatouille mon oreille. Avec son aide, je prends place. J'entends ses pas tandis qu'elle s'éloigne un peu.

- Tu peux ouvrir les yeux, maintenant.

Mes paupières se lèvent. La scène qui se déroule en face de moi me coupe le souffle.

Ma paire, ma magnifique paire, a détaché ses cheveux bruns aux reflets roux qui s'agitent doucement sous l'effet du vent. La lumière de la lune éclaire son visage, lui donnant de délicats reflets, la faisant paraître quelque peu irréelle. Elle est si belle... Sa simple robe crème lui va parfaitement bien, la mettant en valeur.

Derrière elle, une fontaine contient une eau pure reflétant le ciel étoilé. Nous sommes dans un jardin au cœur même de la ville, un véritable havre de paix, de végétation chatoyante. Le décor simple, naturel, ne fait que relever et rehausser la présence de la jeune femme en face de moi. Sans pouvoir m'en empêcher, et sans chercher à résister, je me lève, tendant la main pour caresser le visage d'Eléa.

- Tu es si belle...

Son visage surpris s'orne d'un délicieux sourire, heureux, sincère.

- Je voulais à tout prix te montrer cet endroit.

- Mmm.

Mes yeux sont rivés à elle, elle seule existe pour moi en ce moment-même. Elle rit.

- Cet endroit, pas moi.

- Mmm.

Je passe mon bras autour de sa taille, l'attirant contre moi. Ses yeux se ferment, je me penche, nos lèvres se retrouvent. Si le temps pouvait s'arrêter, qu'il le fasse maintenant, pour que je puisse rester aux côtés d'Eléa pour toujours. Ses mains se rejoignent derrière ma nuque, il n'y a que nous deux, nous sommes seuls dans notre monde. C'est ce que je croyais, quand elle s'est soudainement éloignée de moi, se tournant d'un coup. Suivant son regard, j'aperçois une silhouette sombre près d'un arbre.

- Alia... ?

Sa voix s'étrangle dans sa gorge, les larmes lui montent aux yeux. Je n'ai pas le temps d'esquisser un geste que déjà Eléa s'élance vers l'individu, qui s'empresse de se détourner, semblant vouloir partir. Sans réfléchir, je me mets à courir, coupant vivement la route du nouveau-venu. Ou de la nouvelle-venue, qui se fige. Un coup de vent enlève sa capuche, dévoilant un visage ressemblant comme deux gouttes d'eau à celui de ma paire. Ses cheveux coupés au carré sont sales, tout comme ses habits sombres, déchirés à plusieurs endroits et couvert de terre. La manche droite de son pull est nouée, là où normalement devrait se trouver son bras.

- Alia... !

Elle se retourne, dévisageant sa jumelle. Une larme solitaire coule sur la joue d'Eléa.

- Alia...

Je la vois s'avancer, les bras ouverts. Dans ma tête résonne alors une phrase qui nous fige tous les deux sur place :

- Si tu t'approches encore, je te tue.

Le ton est froid, menaçant. Une arme sortit de nulle part se trouve désormais dans sa main gauche, la lame brille, pointée sur Eléa.

­- Alia... ?

- Baisse ton arme.

- Toi, la ferme !

En deux enjambées rapides, je me place entre les jumelles, protégeant Eléa. Elle semble désemparée, ne sachant pas comment réagir.

- Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi tu es venue ici ?

- Quel chevalier servant ! C'est un crime de vouloir voir sa sœur, maintenant ? Je n'étais pas au courant.

- Il y a une différence entre voir et menacer.

Une sorte de rire étranglée sort de sa gorge.

- Je ne m'attendais pas à la voir se pavaner dans les bras du premier-venu.

- Le premier-venu, comme tu dis, a été là pour elle ces derniers mois. Et toi, où étais-tu ? Est-ce que tu as pensé ne serait-ce qu'une seule fois à ce qu'Eléa pouvait bien ressentir, à toute la peine que tu lui as causée, toute l'inquiétude qu'elle s'est faite pour toi ? Et ta famille, tes amis ? Tu les as aussi abandonnés sans un regard en arrière ?

- Arrête ! Je n'ai jamais voulu ça !

- Peut-être, mais tu brandis toujours une arme. Ça aussi, tu ne le veux pas ?

- Ferme-là ! Tu ne sais rien, rien du tout !

- Alors explique-moi.

- Je... je ne... Ce n'est pas le sujet.

Reprenant le contrôle, elle se ferme totalement. J'espérais qu'elle parlerait plus.

- Pourquoi es-tu venue ici ?

- Pour parler à ma sœur, je l'ai déjà dit.

- Pas vraiment, non. Et qu'est-ce que tu veux lui dire ? Télépathiquement, puisque tu ne sembles pas vouloir parler à voix haute.

Un son étouffé me parvint, je n'arrive pas à savoir ce que sait. La main d'Eléa s'agrippe à mon t-shirt tandis qu'elle s'avance à ma gauche, les yeux écarquillés.

- Alia... Alia...

Elle semble en état de choc, je n'arrive pas du tout à savoir ce qu'elle ressent en ce moment-même.

- Écoute-moi attentivement.

- Pourquoi ?

- Ferme-la deux secondes et écoute ! Dimanche, à la cérémonie de remise des prix du tournoi, des milliers de personnes se réuniront dans l'arène 4. C'est là qu'ils frapperont.

- Qui ça, ils ? Et qu'est-ce qu'ils vont faire ?

Elle secoue la tête, ses cheveux fouettant son visage.

- Je ne peux pas t'en dire plus. Protège Eléa, n'allez surtout pas à la remise. Ne préviens personne, vous risqueriez d'être en danger. Ils ont des yeux et des oreilles partout.

- Tu me dis d'attendre sans rien faire en sachant pertinemment qu'il va se passer quelque chose de grave ?

- Il faut que j'y aille. Protège Eléa à tout prix, je ne peux pas encore le faire.

- Pas besoin de me le dire, elle est en sécurité avec moi.

Elle acquiesce. Son arme disparait.

- Je te la confie.

- Que ce soit bien clair, je ne fais pas ça pour toi mais pour elle.

- Et tu peux bien mourir, du moment qu'elle va bien, je n'en ai rien à faire.

- Toi, par contre, reste en vie. Elle serait dévastée si tu mourrais.

Ses yeux si sombres, emplis d'une douleur, d'une peine immense, se posent sur sa jumelle. Ses lèvres se redressent légèrement en un triste sourire qui disparait instantanément. Elle me jette un dernier regard de mise en garde, avant de reculer et de disparaitre dans la nuit.

- Alia...

Je soutiens Eléa, dont les jambes cèdent brusquement. Des larmes ruissellent sur ses joues, des sanglots montent dans sa gorge. Elle s'agrippe à moi, je la sers dans mes bras, lui murmurant que tout va bien, que sa sœur est en vie, que c'est une bonne nouvelle, lui assurant que je suis là, qu'elle n'est pas seule, qu'elle reverra sa jumelle, c'est certain. Lentement, elle finit par se calmer, essayant du dos de la main ses joues humides.

- Je suis désolée...

Elle prend une grande inspiration haletante.

- Tu n'as pas à l'être, c'est normal. C'est ta sœur.

- Mais je voulais qu'on passe une belle soirée ensemble, rien que tous les deux, et voilà que je gâche tout...

- Tu as pu revoir Alia et t'assurer qu'elle est en vie, c'est le plus important.

- Mais...

Je pose mon doigt sur ses lèvres pour l'empêcher de continuer.

- Cette soirée est parfaite telle qu'elle est. Je suis avec toi, maintenant, et c'est tout ce qui compte.

Elle fixe le sol, ma main vient doucement redresser son menton. Nos regards se croisent.

- J'aimerais beaucoup rester avec toi ici, mais il faut que j'aille parler à quelqu'un. Tu te rappelles ce qu'Alia nous a dit ?

- N-non... Je ne l'ai pas vraiment écoutée...

- C'est normal.

- Mais...

- Ne t'en fais pas, elle voulait juste s'assurer que tu vas bien. Elle a aussi dit qu'elle ne pouvait pas rester longtemps, même si elle n'a pas dit pourquoi.

- C'est tout ?

Je n'hésite pas longtemps.

- Oui, c'est tout.

Si Alia dit vrai, ça signifie qu'elle fait partie ou, tout du moins, qu'elle a un lien avec les atouts. Je ne connais pas encore assez le mp pour savoir s'il existe d'autres grands groupes capables de s'en prendre à un tournoi si populaire, donc, pour le moment, je ne peux que supposer que ce sont les atouts qui sont derrière tout ça. Si Eléa apprend que sa jumelle est liée à ces extrémistes, elle voudra sans aucun doute partir à sa recherche, quitte à retourner toute la ville. Elle se mettrait en danger sans réfléchir, et je ne pourrais pas la protéger seul. Il est donc hors de question qu'elle soit au courant, pour l'instant en tout cas.

Je lui souris, me lève et lui tends une main qu'elle saisit pour se mettre aussi debout.

- Si je pouvais faire en sorte que tu ne sois plus jamais triste, je n'hésiterais pas un seul instant.

Elle me regarde attentivement.

- C'est tellement cliché.

- Ça n'en reste pas moins vrai. Je le pense vraiment, Eléa.

Ses yeux brillent. Sa main cherche la mienne, nos doigts s'entrelacent.

- Je t'aime, Jasen.

- Moi aussi, Eléa.

Elle m'embrasse. S'écarte. M'entraine à sa suite. Nous quittons le jardin, en silence. Je ne pensais absolument pas que notre soirée se déroulerait ainsi. La grille grince en se refermant.

###

- J'ai absolument besoin de lui parler, c'est vital. Littéralement.

Face à moi, Kiran soupire. Après avoir accompagnée Eléa jusqu'à sa chambre, où elle est allée directement se coucher, je suis partie à la recherche de Célien. Sur la grande place, j'ai vu l'immortel et je suis allé lui parler, en espérant qu'il m'aiderait.

- Je ne peux pas t'aider.

- Mais tu peux le contacter quand tu veux, non ?

- Ce n'est pas une raison pour le faire. En plus, la plupart du temps, il m'ignore.

- Dis-lui que c'est de ma part.

- Tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ?

- Dans ce cas, dis-lui que je sais pourquoi Rhys l'a envoyé ici.

Les yeux vairons me transpercent.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- J'ai absolument besoin de lui parler, c'est vital.

- Ça, tu l'as déjà dit.

- Alors contacte-le. S'il te plait.

À nouveau, il soupire. Ferme les yeux un instant, les rouvre. Ils sont devenus violets.

- Célien peut maintenant voir et entendre à travers moi, transmets-lui ce que tu veux.

Je plonge mon regard dans le sien, cherchant toute son attention.

- Alia, la jumelle d'Eléa, m'a parlé de ce qui va se passer dimanche, à la cérémonie de remise des prix. Elle m'a aussi demandé de protéger Eléa, mais pour ça j'ai besoin d'en savoir plus. On pourrait en parler dans un endroit plus calme ?

J'ai à peine le temps de finir ma phrase que le décor a complétement changé. Kiran et moi nous trouvons désormais dans une petite pièce simplement meublée d'une table et de huit chaises, dont la plupart sont prises. Je reconnais Célien, assis à un bout, ainsi que Oola, Jasma et Hector. Un type fin et sec portant un arc dans le dos est positionné à côté d'une véritable armoire à glace aux yeux reptiliens.

- Asseyez-vous, tous les deux.

Le ton de l'enfant est sérieux, il a un regard d'adulte qui me fait frémir. Je préfère quand il a un air plus insouciant.

- Présentez-vous rapidement et dites votre lien avec Alia, pour qu'on puisse commencer.

- Je m'appelle Jasma Faberes, je suis la mère d'Alia, et voici Hector, son père.

- Oola Vissac, une amie de la famille.

L'archer se présente ensuite.

- Reynfrey Humble, j'ai combattu aux côtés d'Hector et je suis le parrain d'Eléa.

- Je me suis battu avec ces deux têtes brûlées et on m'a proposé d'être le parrain d'Alia, ce que j'ai bien sûr accepté ! Je suis Wido Daring !

Il éclate d'un tonitruant rire sympathique. Il a l'air sympa, malgré la grande hache qui dépasse dans son dos.

- Appelez-moi Kiran Lok, le secrétaire d'Epap. Je n'ai jamais rencontré Alia, je suis là uniquement parce que Célien ne m'a pas laissé le choix.

- Pourquoi, Ran, tu aurais voulu rater ça ?

L'ombre d'un sourire se dessine sur leurs deux visages. Ils sont flippants quand ils font équipe.

Je m'éclaircis la gorge pour attirer leur attention.

- Jasen Klex. Un peu plus tôt, en début de soirée, j'étais avec Eléa quand Alia est soudainement apparu.

Immédiatement, la pièce se remplit de questions qui me sont toutes destinées.

- Où vous étiez ?

- Est-ce qu'elle va bien ?

- Que t'a-t-elle dit ?

- Qu'est-ce que tu faisais, seul avec Eléa ?

- Tu sais où elle se trouve maintenant ?

- Comment va Eléa ?

- Silence.

Célien n'a pas eu besoin de crier, un seul mot de sa part a suffi à calmer tout le monde. Il attend qu'il n'y ait plus un seul bruit avant de me jeter un coup d'œil, me signifiant par là que je peux parler. Alors je leur raconte tout. 

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