32. Retour

Ensemble, main dans la main, Eléa et moi nous dirigeons vers la cafétéria. Depuis que je lui ai donné le collier, j'ai l'impression de vivre un rêve, un merveilleux rêve. Quand je lui ai avoué mes sentiments, j'étais redevenu complétement moi-même, comme si l'enfant ne m'avait pas privé de mes pouvoirs. Maintenant, bien que je sois toujours incapable d'utiliser ma particularité (j'ai essayé de faire apparaître une fleur, ça n'a pas fonctionné) et que mes sens restent émoussés, je me sens mieux. La présence d'Eléa à mes côtés joue un grand rôle, j'en suis bien conscient.

Elle est si belle.

- Et si on allait manger au bord du lac ?

- Tu crois qu'on arrivera à échapper à Mihela ?

Elle rit.

- Qui ne tente rien n'a rien.

- Alors allons-y. Rien que toi et moi.

Ses joues prennent une teinte plus rose. Je souris, heureux. C'est ainsi que nous atteignons la cantine, côte à côte. Il n'y a presque personne, la plupart sont encore en camp.

- Eléa, Jasen ! Oh, vous ressemblez tellement à un couple, comme ça ! Attendez, vous vous tenez la main ? Ça veut dire que...

Ses yeux s'agrandissent. On n'a pas réussi à l'éviter, mais sa réaction vaut le coup.

- Enfin ! Venez, vous allez me raconter tout ça en détail. On se met à une table près de la fenêtre ? Ah, il faut d'abord qu'on prenne à manger. C'est trooop bieeen !

Elle sautille de joie. Je ne l'avais jamais vu aussi contente, ça me fait plaisir qu'elle se réjouisse pour nous.

- Par contre, Jasen, que ce soit bien clair : Eléa reste ma meilleure amie.

- T'inquiètes, je sais.

Quelques minutes et exclamations joyeuses de Mihela plus tard, nous sommes installés face à un bon repas.

- Au fait, qui d'autre est de retour ?

- De ta classe ou en général ?

- En général.

- Ce sont surtout des groupes avec des missions faciles, il doit y en avoir cinq ou six. J'ai vu trois filles de la classe spéciale, Dòmald et Mathias, Théo et deux autres types de votre classe, Libio et ses trois frères Ramon, Tobías et Enrique. Les autres, je ne les connais pas. Il est quelle heure ?

Elle n'attend pas notre réponse pour regarder son débit et enchainer.

- Bientôt dix-neuf heures. Si c'est comme les autres années, les profs ne devraient pas tarder. Ah, je ne sais pas si tu étais là les autres soirs, Jasen, mais les années précédentes les profs venaient tout au long du camp manger à la cafet' pour discuter avec les élèves. Ça permet de leur poser des questions, d'interagir avec eux, de leur demander des conseils. C'est un des avantages à se dépêcher, moins y a de monde, plus les profs prennent du temps pour ceux qui sont là. C'est logique en soi, mais pas tout le monde y pense. Il faut absolument que je parle à PSH et m'sieur Klay... Et Riol si je la vois, elle est sympa.

- PSH ?

- Placus Herennius Serranus, c'est mon prof de particularité. Il est assez banal, mis à part sa barbe. On ne voit que ça dans son visage. Parfois, j'ai l'impression qu'il parle en disant juste des adages, c'est marrant. La salle est vraiment vide, je pensais que plus de monde arriverait avant nous.

Maintenant qu'elle le dit, c'est vrai qu'il n'y a quasiment personne. Du bruit provient du couloir, quelques secondes plus tard les enseignants entrent. J'étais trop perturbé pour venir jusqu'à présent, donc c'est le premier soir que je passe à la cafétéria. En me voyant, Kiran Lok vient directement, c'est tout juste s'il ne passe pas par-dessus les tables.

- Jasen, tu vas mieux ? Comment tu te sens ?

- Ça va. Ta punition fonctionne toujours, mais j'arrive plus facilement à bouger, même si je suis loin d'avoir retrouver toutes mes capacités.

- Bien. Alors tu vas pouvoir reprendre l'entrainement.

- Pardon ? Tu veux que je m'entraine à faire quoi ? Je ne peux plus rien faire !

- Mais oui, c'est ça. Rappelle-moi comment les banos font pour se défendre ?

- Ils inventent des armes.

- Quoi d'autre ?

- Ils se battent.

- Comment ?

- Avec leur corps, en se servant des arts martiaux.

- Tu t'assieds, Kiran, ou tu comptes rester debout indéfiniment ?

Aras Sanguello, Sam et Borthe Vinguel, Zyxel Hyba, un type qui doit être PSH, Camille Riol, Alexandra Drakers, une femme avec des oreilles de lapin, un homme petit aux larges épaules et Théor Ducrat s'installent autour de notre table. Je comprends mieux pourquoi Mihela a insisté pour prendre une longue table.

- Tu penses toujours que tu ne peux plus t'entrainer, Jasen ?

- Non. Mais ça va être compliqué.

- Je n'ai jamais dit le contraire, cependant tu sais très bien pourquoi ça t'arrive.

- De quoi vous parlez, tous les deux ? Et depuis quand vous êtes si proches ?

Pour un peu, on pourrait presque voir des points d'interrogation apparaitre au-dessus de la tête de Mihela.

- J'ai le droit de lui dire ? Pour ma punition, pas pour le reste.

- Si tu veux. Mais que ta punition, sinon tu sais ce que tu risques.

Je grimace. Il vaut mieux ne pas risquer de se mettre à dos les Puissants et d'attirer l'attention. Si quiconque apprend que je suis capable de former une source... Non pas que je compte le refaire, ce serait suicidaire, mais on pourrait s'en prendre à moi pour ça.

- Alors, c'est quoi ta punition ? Et pourquoi t'en as une ? C'est pour ça que tu étais bizarre tout à l'heure ?

- C'est dingue, tu n'arrives vraiment pas à poser une seule question à la fois.

Elle sourit comme si je venais de lui faire un compliment.

- Dans l'ordre : j'ai l'interdiction absolue d'utiliser ma particularité et les talents appris que j'ai développés, je ne peux pas te dire pourquoi je suis puni, et oui, c'est pour ça que j'étais bizarre.

Ses yeux s'écarquillent à l'annonce de ma sanction. Quelques enseignants paraissent aussi étonnés, mais Aras et Hyba n'en font pas partie.

- Donc si je te demande là, tout de suite, de réchauffer mon repas tu ne peux pas ?

- C'est ça.

- Wah... tu peux encore utiliser ton débit au moins ?

Je secoue la tête.

- La télépathie est un talent appris, et il faut l'utiliser pour actionner le débit.

J'ai déjà essayé, bonjour le mal de tête.

­- Alors si je te parle comme ça tu ne m'entends pas ?

Je me tourne vers Eléa. Sa main se pose sur la mienne.

- Je t'entends, mais je suis incapable de te répondre.

- Oh, c'est trop chou ! Une discussion secrète de couple !

Des sourires apparaissent sur les visages des profs. Mihela... elle ne sait décidément pas tenir sa langue.

Le reste de la soirée se passe tranquillement, les enseignants discutant entre eux et avec nous. Mihela demande des conseils, cherche à savoir comment s'améliorer, pose des questions indiscrètes sans aucune gêne. J'apprends que la femme-lapin s'appelle Thith Sorya, c'est la prof de particularité de Théo. Le sang-mêlé ogre se prénomme Feletheus Babai, il est très terre à terre.

- Faites attention aux fenêtres, demain matin.

- Sameiden, j'imagine ?

Borthe confirme. Kiran nous explique que sa particularité lui permet d'apercevoir les événements marquants de l'avenir. Personne n'a l'air étonné d'apprendre que Samy va revenir de manière bruyante et sans doute dangereuse, ça doit être lié à la mission qui lui a été confiée par le sanguin.

- Au fait, Kiran, je peux te poser une question ?

- Bien sûr.

- Pourquoi Célien et les autres t'appellent Ran ?

Eléa me regarde attentivement, elle cherche sans doute à comprendre de quoi on parle.

- C'est un diminutif. Ça revient dans tous mes noms, tu en as peut-être entendu quelques-uns. J'ai souvent changé au cours des siècles pour qu'on ne me reconnaisse pas.

J'acquiesce. Avoir une trace d'un Kiran à différentes époques aurait en effet soulevé des questions et attiré l'attention.

- Tu as rencontré Célien ?

Me tournant vers Hyba, je vois qu'il est curieux.

- Il y avait aussi Rhys, Dace, Grégoire et Nodj.

- Ah, le seul à qui j'ai eu l'occasion de parler, c'est Célien.

- Vraiment ?

Je suis surpris. J'imaginais, je ne sais pas trop pourquoi, qu'il les connaissait tous personnellement.

- Vraiment. Tu sais, c'est rare qu'ils acceptent un inconnu parmi eux.

- J'ai eu de la chance.

- Tu as provoqué une catastrophe qui s'est soldé par une occasion en or.

Kiran ne mâche pas ses mots, mais je l'ai mérité. Je ne peux cependant m'empêcher de grimacer au souvenir de ce que j'ai fait.

- Tu me raconteras ou tu ne peux absolument pas en parler ?

Je regarde Eléa. Ses yeux sont décidément magnifiques. Mihela se lève, m'empêchant de répondre à ma paire. Ce mot n'a jamais aussi bien sonné qu'en ce moment.

- Bon, moi je vais m'entrainer ! Vous voulez bien venir m'aider, m'sieur ?

Elle s'adresse à PSH, mais Alexandra Drakers se joignit à eux tandis qu'ils quittaient la salle. Thith Sorya, la femme-lapin, s'adresse à moi.

- Alors, qui est ce Célien ?

- Un... ami. Je crois.

- Tu crois ?

Elle a un air peu convaincu.

- J'ose vous demander à qui vous enseignez ?

- Bien sûr. Je suis la professeure principale de la classe 3A, je doute que tu connaisses mes élèves. Ah, si, il y en a bien un qui te connait. Pour tout te dire, je crois bien qu'il ne t'aime pas. Il a tendance à imaginer ta tête à la place des cibles ou des mannequins d'entrainement.

- Vraiment ? Qui est-ce ?

Elle sourit d'un air malicieux avant de me répondre, en détachant bien les deux syllabes.

- Thé-o.

Je suis surpris. J'ai bien entendu déjà remarqué qu'il ne me portait pas dans son cœur, mais de là à penser qu'il se motivait en se visualisant en train de me découper... Pour un peu, j'en aurais presque des frissons. Presque.

- C'est donc votre novice.

- Oui, un novice très doué. Si vous deviez vous battre sans pouvoir, je peux t'assurer qu'il gagnerait.

- Pff, n'en sois pas si certaine.

C'est moi ou Aras vient de prendre ma défense ? Ah non, il voulait simplement contredire Thith. Tous les deux s'affrontent du regard, dans un duel silencieux. Hyba y met fin en piquant une patate dans l'assiette de mon tuteur, ce qui détourne instantanément son attention. La fin du repas se déroule dans une ambiance bon enfant, tandis que je reste assez silencieux. Ces derniers mois, je me suis entièrement concentré sur l'utilisation de ma particularité et les talents appris, au détriment de l'entrainement de mon corps. Peut-être que cette punition est une chance, en fait, l'occasion de retourner aux bases. Je ressens toujours une certaine gêne dans mes mouvements, dans mon être tout entier, mais je devrais pouvoir faire avec. Je vais faire avec, et m'améliorer.

- Au fait, Jasen, comment ça se fait que tu ailles soudainement mieux ? Il s'est passé quelque chose ?

Je jette un coup d'œil à Eléa. Elle rougit, gênée.

- Ah, je vois.

-Tu vois quoi, Kiran ?

- C'est l'amour, n'est-ce pas ?

Il me fait un clin d'œil. C'est à mon tour d'avoir les joues rouges. Il ne pouvait pas le dire autrement ? Ou même ne pas le dire du tout, d'ailleurs ! Ah, je me sens si mal à l'aise.

- Si tu vas aussi bien, on va aller s'entrainer.

Sous le dur regard d'Aras, je me lève, saluant Eléa et les enseignants. Nous quittons la cafétéria. Le sanguin ne dit rien, marchant d'un bon pas vers le lac. Alors que nous allions atteindre la rive, un gigantesque jet d'eau jaillit, avec à son sommet un ydrovien. Avant que le liquide ne nous touche, le balafré fit un geste négligent de la main, et l'eau disparut brusquement.

- Non, ne me dites pas que Klex est arrivé avant moi ! Et Nightmare ? Il n'est pas encore là, au moins ?

- Il arrive demain matin.

Trent se tapa le front avec sa paume.

- Il va faire un retour plus remarqué que le mien !

- Si tu es là, on va pouvoir s'entrainer.

Les iris saumon bordées de noir trouvèrent soudain que l'école était captivante.

- Je n'ai pas encore annoncé mon retour, il faut d'abord que j'y aille.

- Ton retour n'était pas discret.

- Mais il faut que je fasse vérifier mon parcours et...

- Ne te cherches pas d'excuse pour fuir l'entrainement.

- Ce n'est pas du tout mon but ! C'est juste qu'il faut absolument que j'aille terminer le camp. Vous savez, il n'est pas fini tant que je n'ai pas donné le mot mystère...

- Le mot mystère ?

- Tu n'en as pas eu, Klex ?

- J'ai eu une mission spéciale.

- Ah, je vois. À la fin de chaque poste, on obtient une lettre et un indice sur l'emplacement de l'épreuve suivante. Au final, il faut garder toutes les lettres et former un mot avec avant d'aller l'annoncer, sinon le camp n'est pas validé. C'est pour ça qu'il faut que j'y aille !

Sans demander son reste, il file à toute vitesse sur le sol, son corps ondulant pour avancer sur la terre ferme.

- Bien, à nous, Jasen. Tu vas commencer par me faire un tour du lac en courant.

- Mais sans particularité ni talent appris ça va me prendre un temps fou !

- Dans ce cas, tu ferais mieux de partir rapidement.

Il ne plaisante pas. Je sens que je vais avoir des crampes demain... Quelqu'un peut-il me rappeler pourquoi je suis venu à Epap ?

***

Elle ouvre lentement les yeux. Ses paupières battent face à la lumière du jour, attendant de s'adapter. Doucement, elle lève les bras, observant ses ongles, ses doigts, ses paumes, ses mains. Le contact du sol dans son dos lui fait du bien, l'herbe tendre la chatouille. Un soupir s'échappe de ses lèvres. Cela faisait tellement longtemps... La sensation du vent frais sur sa peau, l'air pénétrant dans ses poumons, se répandant dans tout son corps... Et, par-dessus tout, avoir un corps humain. Cela faisait presque neuf ans qu'elle n'avait plus pu prendre appui sur ses coudes, se redresser, se tenir debout sur des jambes. Son rire clair envahit la calme prairie. Ah, qu'elle est heureuse ! Elle court de toutes ses forces, s'arrête, cueille quelques fleurs, repart, gambade gaiement. Le soleil caresse sa peau, fait briller ses longs cheveux blonds aux deux mèches caramel.

Voyant une rivière, elle s'en approche, plongeant ses deux mains en coupe dedans, s'éclaboussant le visage. Elle se rafraichit, l'eau coule le long de son visage allongé. De grands yeux entièrement noirs lui rendent son regard. Elle a désormais un corps d'adulte à la peau si pâle.

- Merci, Avian.

Guère plus qu'un murmure, son remerciement vient cependant du fond du cœur. Elle n'aurait pas pu espérer avoir à nouveau l'occasion de s'exprimer ainsi, un jour. Entonnant une chanson que son père aimait à fredonner, elle marque un temps de pause au son de sa voix, plus mature, plus posée qu'avant. Au refrain, elle sent une larme couler sur sa joue tandis que des souvenirs lui reviennent en mémoire.

Tout va bien se passer
Il ne faut pas s'en faire
Qu'importe si je dois aller en enfer
Je viendrai te consoler

Il peut se passer des centaines d'années
Un océan peut se mettre entre nous
Je serai toujours là, à l'heure au rendez-vous
Mes bras tendus, prêts à te réconforter

Elle entend encore sa mère demander à son père d'où vient cette chanson. Un triste sourire étire ses lèvres, la dernière syllabe s'estompe dans l'air. Immobile, les bras le long du corps, le visage tourné vers le ciel, les yeux fermés, elle reste ainsi de longues minutes. Sa respiration se fait lente, ses pensées s'apaisent. Elle sait ce qu'elle doit faire à présent.

Il est temps pour elle de le retrouver.

Elle se met en marche, un seul nom en tête.

Jay. 

~~~~~~~~~~ 

Hello ! 

Tout d'abord, je tiens à vraiment vous remercier de me lire !🙃

Ensuite (je sais que je me répète, mais je tiens quand même à le dire/l'écrire), si vous souhaitez en savoir plus sur le monde de l'ischys, vous pouvez aller voir "Prologue d'une légende - Bonus" qui contient plein d'informations inédites😇

Ce chapitre était un peu plus court que les autres, il marque un grand tournant de l'histoire. Si des informations ne sont pas claires, que je suis passée trop vite sur des explications ou certains points, n'hésitez pas à me laisser un commentaire, je vous lirai avec plaisir et adapterai en fonction😁

À partir de maintenant, je vais poster un chapitre tous les mardis et vendredis (j'ai fini de rédiger le tome 1, il y aura un total de 42 chapitres + prologue)🥳

Voilà, bonne journée/soirée/nuit !🌟

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top