18. Retour en classe

- Tout le monde est prêt ?

Après avoir accepté l'aide de Cordax, enfin, de la créature considérée comme un dragon par tout le monde sauf Eléa et moi, nous avons été chercher les autres. Il leur a fallu plusieurs minutes pour digérer l'information, puis mon proche s'est allongé sur le sol, nous laissant tous monter sur son dos, non sans bien rabaisser les particuliers « incapables de faire le moindre mètre sans toucher le sol et attirer toutes les bêtes dangereuses. Non mais quels boulets, ils ne tiendraient pas deux secondes sans le dragon plein de bonté que je suis ! » Je sens que je vais en entendre parler encore longtemps.

Bref, on se retrouve accrocher les uns aux autres, Eléa en premier (elle a insisté). Vérifiant que le groupe entier soit sur le dos de Cordax, elle lui donne le signal du départ. Sans prévenir, il s'élança, manquant de renverser la moitié d'entre nous, atteignant le bord en un temps record et plongeant dans le vide sous les hurlements de ses passagers. Un instant plus tard, nous sommes dans les airs, avançant rapidement en direction de l'île.

Le plan est simple. Atteindre le centre du lac en évitant les monstres, se poser le plus discrètement possible, trouver le saule, puis une personne devra y grimper, activer sa particularité et sauter pendant que les autres surveilleront les alentours. Au moindre signe de danger, Samuel, maitrisant l'eau, Jonathan l'énergie et Julie le feu formeront un bouclier tout autour de l'île, en plusieurs couches distinctes pour éviter que les particularités des deux élémentaristes ne s'annulent.

En vol, une fois qu'un calme relatif est revenu, Théo se met à crier, tentant tant bien que mal de couvrir le son du vent pour nous parler. Ce qui se révèle être un échec total, étant donné qu'il se trouve juste derrière Eléa, trop loin des autres pour que ses mots soient compréhensibles. Il me semble que Julien lui répond. Une discussion pour le moins mouvementée et incompréhensible s'engage entre eux, jusqu'à ce que Cordax plonge, créant ainsi une nouvelle salve de cris. Une secousse, puis tout se calme. Lâchant Jonathan, qui se tenait devant moi, je saute à terre, rejoignant les premiers du groupe.

- C'est hors de question. Je partirai en dernier.

- Qu'est-ce qui se passe ?

Théo se tourne vers moi.

- On se demande qui va y aller en premier. Ça ne peut pas être Julie, Jon ou Samuel, ils assurent notre protection. Eléa et moi partiront en dernier, ajoute-il avec un regard dans sa direction. J'imagine que toi aussi, comme tu sembles pouvoir bien communiquer avec le dragon. Il reste Lia, Julien et Fabrice, mais aucun ne semble motivé.

- J'y vais.

On se tourne de concert vers Steph. Vu la tête de Théo, il l'avait complétement oublié.

- Il est où ton saule ?

J'hausse les épaules. Me détournant, je dis par-dessus mon épaule tout en marchant.

- J'en ai vu plusieurs.

Il me suit, pendant que les autres semblent hésiter. Cordax se dresse, avant de me suivre. Il est silencieux, je sens la tension qui parcourt son corps. Ses yeux bougent continuellement, surveillant tout ce qui nous entoure.

- Là. C'est le plus grand, et le seul au bord du lac.

Steph acquiesce, avant de grimper maladroitement au tronc. Avec sa large carrure, il a de la peine à se hisser, surtout que l'arbre n'offre que peu de prises. Au bout de plusieurs minutes, il finit par atteindre le sommet, se tenant fermement à l'écorce.

- Et maintenant ?

- Active ta particularité, puis saute dans le lac.

Il me regarde, suspicieux.

- Attends !

Eléa se dresse, dos au lac, regardant chaque personne du groupe.

- Que ce soit bien clair, on ne sait pas ce qu'il va se passer ensuite. Quoiqu'il arrive, il faudra que tout le monde garde son calme et se rappelle ce que nous devons faire pour rejoindre EPAP. Grimper, activer sa particularité puis sauter dans l'eau. Le plus important, ce qu'il ne faut surtout pas oublier, c'est d'activer sa particularité. D'abord vous laissez l'ischys circuler dans votre corps, et ensuite vous sautez. C'est bon pour tout le monde ?

Elle attend que chaque personne acquiesce avant de faire un signe à Steph, toujours perché en hauteur. Un courant d'air l'entoure, puis il saute, se propulsant à bonne distance de l'arbre. Un instant, il vole, celui d'après, il chute, prenant de plus en plus de vitesse. Je me prépare à aller le chercher au cas où il se blesserait. Au moment de l'impact avec la surface de l'eau, une onde traverse cette dernière. Steph y passe au travers, ne faisant pas la moindre ride à la surface du lac. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il disparait totalement. Plusieurs hoquets de surprise derrière moi me confirment que je n'ai pas rêvé. Puis des gouttes s'élèvent, toujours plus nombreuses, toujours plus haut, se rassemblant peu à peu pour former une silhouette me semblant un peu trop familière.

- Samuel, Julie, Jonathan, la barrière ! Julien, à ton tour ! Ensuite Fabrice, Lia, Théo, Eléa ! MAINTENANT !

Un immense dôme d'énergie se forme autour de nous, bientôt suivi de deux autres. Cordax se place devant nous, faisant face à la bête. Je vois du coin de l'œil Julien commencer à monter, les autres se rassemblant sous les branches du saule. Puis le monstre finit de se former, et une pluie de pointes de glace acérées foncent contre le premier bouclier. La terre tremble sous ce premier assaut, qui est immédiatement suivi d'un deuxième et d'un troisième. Une salve ininterrompue de projectiles, tantôt glacés, tantôt vaporeux ne cesse de s'écraser contre la première couche de la barrière. Je vois des fissures y apparaître, de plus en plus nombreuses.

- Jonathan, dès qu'elle se brise, refais-en une ! Ensuite tu pars !

J'ai à peine le temps de finir ma phrase que la couche d'énergie vole en éclat. Une autre vient directement se former entre celle d'eau et de feu, permettant aux deux autres de se solidifier. Jetant un regard en coin à l'arbre, j'aperçois Eléa qui saute. Théo est déjà en train de grimper, il ne lui faudra pas longtemps pour atteindre le sommet.

- Julie, vas-y !

Sans hésiter, elle se déplace, rejoignant Fabrice. Je vais vers Samuel, posant une main sur son épaule. Ses yeux ne montrent pas de peur, juste de la détermination. Je lui fais un signe, il vérifie une dernière fois sa barrière avant de rejoindre Julie, prête à monter. Quant à moi, j'active ma particularité, ajoutant une couche supplémentaire pour nous protéger. Je la fais en iridium, un des métaux les plus solide au monde, la renforçant avec du diamant et de l'acier.

Julie pousse un cri. Je ne sais pas si c'est dû à son saut ou au mur d'eau volant en éclat, mais elle disparait une seconde plus tard tandis que la bête est de nouveau confrontée à l'énergie de Jonathan. Cette fois-ci, la couche semble se fissurer bien plus vite, sans doute parce qu'il n'est plus là pour renforcer sa particularité. Quand les projectiles du monstre entrent en contact avec la barrière de feu, un nuage épais se dégage rapidement, enveloppant la bête. Je tends la main, Cordax change de taille pour tenir dans ma paume avant de se glisser autour de mon bras. Vivement, je grimpe, vérifiant qu'il ne reste plus personne. Les flammes s'amenuisent, elles risquent de disparaître rapidement. J'atteins le sommet. Laissant l'ischys m'envahir, je plaque mon proche contre moi et m'élance, fonçant en direction de la surface du lac. Les flammes disparaissent. Les projectiles frappent l'iridium renforcé. Puis j'atteins l'eau.

###

J'étouffe... Je n'arrive plus à respire... De l'air... Je...

Des coussins par terre. Un tableau noir à même le mur. Deux portes. Je suis de retour dans la salle de classe, tout comme les autres. Discrètement, je cache mon bras dans mon dos tout en reprenant mon souffle. Cordax se glisse sous mon t-shirt, j'ai l'impression d'avoir une ceinture vivante. Assez spéciale, comme sensation.

- Tout le monde est là ?

Comptant rapidement, j'arrive à neuf. Avec moi, on est au complet.

- Et le dragon ?

A peu près tout le monde se tourne vers moi, comme si je le savais. Pour tout réponse, je me contente d'hausser les épaules.

- 3 minutes 46. Pas mal, pour une première fois.

Me retournant, je remarque que Zyxel Hyba se tient dans l'encadrement de la porte. Il tient un chronomètre à la main, un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Depuis combien de temps nous observe-t-il ?

- Alors, comment avez-vous trouvé le niveau B ?

N'obtenant pour seule réponse que le silence, il s'avance, nous faisant signe de nous assoir.

- Pour une première journée de cours, je sais que ça fait beaucoup. Installez-vous confortablement, je vais vous donner plus d'informations avant que nous ne continuions la visite de vos lieux de cours. Premièrement, comme vous l'avez remarqué, les objets que vous portez à vos poignets sont des sydesmos. Ensuite, vous revenez tout droit du niveau B, ce qui explique que nous soyons toujours le premier jour d'école. Comme vous le savez sûrement, notre monde est divisé en plusieurs niveaux, accessibles grâce à des points de liaisons, comme celui qui vous a ramené ici. Pour moi, 3 minutes 46 se sont écoulées depuis votre départ, ce qui signifie que vous avez passé un peu moins de 4 jours là-bas. C'est un très bon début.

- J'ai une question.

- Oui, Steph ?

- Vous vouliez nous tuer ?

Hyba fronce les sourcils, visiblement pris au dépourvu.

- Pourriez-vous préciser ?

- Tout le monde sait que les stoikeïodès sont ultra dangereux ! Et là, vous avez laissé une bande d'étudiants, sans aucune indication, en affronter un ? On aurait pu mourir !

- Vous êtes toujours là, n'est-ce pas ?

Lentement, à contrecœur, Steph acquiesce. Un sourire étire les lèvres du directeur.

- Vous allez sans doute m'en vouloir, mais sachez que le stoikeïodès est complétement inoffensif. Il a été scellé dans ce lac en tant que mesure de sécurité. Pour éviter de se retrouver face à lui, il suffit de déposer des fleurs, n'importe lesquelles, à la surface de l'eau.

- Mais ses attaques étaient bien réelles !

- Oui. Le corps les subit vraiment, tout comme l'esprit. Seulement, ajoute-il en élevant la voix pour couvrir les exclamations, le niveau B empêche la mort. La guérison est accélérée de telle sorte qu'en quelques heures seulement, une blessure mortelle peut complétement disparaître. Le seul risque que vous avez encouru était de vous retrouver dans les vapes pendant un moment.

« Continuons, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Ces deux lieux vous serviront de terrains d'entrainement. Vous pouvez y accéder à tout moment, il vous suffit de transmettre une once d'ischys au bracelet et de franchir une porte. Pour revenir, les mêmes étapes que celles que vous venez d'effectuer sont nécessaires. Méfiez-vous juste de ne pas perdre la notion du temps, il est important que vous ne passiez pas plus d'une dizaine de jours là-bas. Est-ce clair ?

- Pourquoi ?

Hyba se tourne vers Lia avec un petit hochement de tête.

- Pour la simple raison que, dans le niveau B, vous ne recevez pas d'informations de ma part ou de celle de qui que ce soit. Il est important que vous reveniez régulièrement à Epap pour vous tenir au courant et ne pas être totalement coupé de la réalité. Cela répond-il à ta question ?

Elle acquiesce.

- Bien. Ce sera tout pour le niveau B, si vous avez d'autres questions n'hésitez pas.

« Pour cette salle de classe, vous avez tous compris que j'ai volontairement compliqué le chemin pour vous empêcher de la retrouver. Il vous faudra également utiliser le sydesmos, mais ne passez pas par une porte, utilisez une fenêtre. Pour quitter cette pièce, sollicitez une poussée d'ischys et tapez deux fois par terre, cela vous conduira dans le hall. Vous avez, les autres années, pu observer l'apparition soudaine des classes 1 dans l'entrée, c'est maintenant à votre tour de faire sursauter les autres élèves.

Il nous fait un clin d'œil. Nous lui rendons son sourire.

- Je vous donnerai cours la plupart du temps, il m'arrivera de m'absenter pour remplir mes devoirs de directeur, continue-t-il en dramatisant la situation. Lorsque ce sera le cas, vous aurez soit du temps libre pour vous entrainer, soit un autre enseignant viendra me remplacer.

« Bon, ça, c'est fait. On reparlera de vos entrainements plus tard. Ah, j'ai oublié de préciser que le matériel pour vos cours vous sera distribué demain, il faudra aller les chercher à l'accueil. Je vous le redirai en fin de journée. Passons dans la salle d'à côté, si vous voulez bien.

Hyba se dirige vers la petite porte grise, disparaissant de l'autre côté. Eléa est la première à se ressaisir, bientôt suivi des autres. Je les rejoins.

Il avait dit qu'une grotte se trouvait de l'autre côté, mais... Je m'attendais à tout sauf à ça.

Une gigantesque cavité, si haute que le plafond semble inexistant, impression renforcée par les milliers de lumières imitant les étoiles qui y sont accrochées, cet endroit si vaste que je n'en vois pas le fond, rempli d'arbres lui donnant des allures de forêt apaisante, longé sur tout un côté par une plaine, se dresse chaleureusement devant moi. J'ai la sensation de rêver. Une forêt entière, une grande plaine, tout ça sous terre et juste à côté de notre salle de classe ! C'est un spectacle époustouflant.

- N'oubliez pas de respirer.

Hyba éclate de rire. Je me rends compte que les autres sont tout autant, sinon plus, ébahis que moi. Ce lieu est incroyable.

- Je vous présente votre réserve personnelle. Cet endroit sera désormais le nouvel habitat de vos proches. Vous pourrez également venir vous entrainez, du moment que vous ne faites pas de trop gros dégâts et que vous nettoyez si besoin. Si vous le souhaitez, il peut également être un lieu de réunion, de balade, pour faire ses devoirs... Tout ce que vous voulez. Cependant, il y a deux règles primordiales à respecter. La première, c'est l'interdiction formelle de parler de cet endroit ou d'y emmener quelqu'un d'extérieur à la classe. Vous ne pouvez même pas en parler à l'autre classe de niveau 1. C'est privé. La deuxième règle, c'est que tout ce qui se passe ici reste ici. Si vous entendez, voyez ou apprenez une information privée, sensible... En fait, toutes les informations que vous recevrez ici, qu'elles viennent d'un enseignant ou d'un élève, vous les gardez pour vous. J'insiste, il est important que vous n'en parliez pas, jamais, en dehors de cette réserve. Est-ce que c'est compris ?

Il nous regarde un à un dans les yeux, attendant que nous acquiescions tous, semblant nous transpercer, regarder notre âme pour être sûr que nous soyons sincères et que nous ne nous dérobions pas à ces règles. Quand c'est mon tour, je sens qu'il prépare quelque chose qui ne va pas me plaire. Peut-être que c'est dû aux précautions qu'il prend, mais je me sens un peu rassuré de savoir que, quoi qu'il se passe, cela restera ici et ne parviendra pas à des oreilles indiscrètes.

- Bien. Cet après-midi va se dérouler en plusieurs parties. La première était de vous présenter sommairement le niveau B ainsi que ce lieu. Maintenant, la suite. Comme je vous l'ai dit, cette réserve, que je vous conseille vivement de nommer comme vous le voulez, accueillera désormais vos proches. Ils pourront toujours sortir, par contre vous serez responsables de vérifier qu'ils aient toujours assez à boire et à manger. Elstine, la responsable de l'animalerie, ne vient jamais ici. C'est à vous de surveiller la santé de vos proches et de faire le nécessaire pour que tout se passe bien.

« Vous êtes la 1B. Dans votre classe, cette année, vous allez forger des liens forts au fur et à mesure des épreuves qui vous seront soumises. Nous allons donc commencer tout de suite, vous allez présenter vos proches chacun votre tour. Jasen, tu veux bien commencer ?

Il me faut un instant pour me rendre compte qu'il s'adresse à moi, et un autre pour me sentir très mal à l'aise sous les regards de tout le monde. Je sens l'envie irrépressible qui saisit Cordax de disparaître loin, très loin de cet endroit. Je me racle la gorge, cherchant une échappatoire. En prenant la parole, je sens que Cordax glisse lentement le long de ma jambe.

- Hum... En fait... Comment on fait pour... Enfin... Il faut aller chercher... Appeler...

Ne trouvant pas mes mots, je me tais le temps de prendre une grande inspiration et de me concentrer.

- Comment je fais pour le faire venir ?

- Si ton lien avec ton proche est assez fort, tu peux lui donner des ordres télépathiques. Sinon, il faut que tu touches ta marque et prononce le nom de ton proche. Il répondra à ton appel. Ah, j'allais oublier, tous vos proches ont été emmenés ici ce matin, ils se sont déjà familiarisés avec les lieux.

- On fait quoi ?

- Gagne du temps, autant que tu peux.

- Comment ça marche, la télépathie ?

Je sens un regard peiné... non, plutôt dégoûté posé sur moi. C'est donc si courant que ça, d'utiliser la télépathie ? Cherchant qui me regarde de cette manière si désagréable, je vois la moue désapprobatrice de Théo. On dirait qu'il a une dent contre moi, sans que j'en comprenne la raison. Quant à Eléa, elle a un air interrogateur, mais ne fait aucun commentaire.

- C'est assez instinctif. Sans voir ton proche, il te sera néanmoins difficile de le contacter télépathiquement, en tout cas pour la première fois, surtout que c'est sans ancrage. Il faudra que tu t'entraines avec ton paire plus tard, c'est en faisant des tests que tu y arriveras. Essaye plutôt avec ta marque pour aujourd'hui.

Aïe. Si je montre ma marque, ils vont bien voir que mon lien avec Cordax est puissant. Cela risque de soulever plus de questions qu'autre chose.

- Cordax.

- Je sais. Montre ton épaule, en partie seulement.

J'hésite, avant de me tourner de façon à dissimuler le mieux possible mon bras. N'ayant pas récupéré ma veste grise, qui doit sans doute trainer quelque part dans Solaris, déchirée, je me contente de baisser mon T-shirt de façon à dénuder le haut de mon épaule. Enfin, c'est presque plus mon cou qu'autre chose, mais ça me donne l'occasion d'enlever une partie de la matière qui recouvre ma marque. Ainsi, une infime partie seulement est visible. Posant ma main gauche dessus, je ferme les yeux.

- Cordax.

- Je sais. Deux secondes.

- On les a pas.

Chuchotant, je prononce le nom de mon proche. Instantanément, je sens un lien se formant, comme un fil d'énergie me reliant au dralik. Une traction l'attire vers moi, si puissante que je sens son incapacité à lui résister. Il tente, pourtant, et un souffle de panique nait dans son esprit. Tiens, depuis quand j'arrive à différencier ses émotions des miennes ?

Une immense forme surgit de la forêt, déployant ses immenses ailes. Elle se rapproche rapidement de nous, avant de se poser à côté de moi dans un souffle soulevant passablement de poussière. Je pose ma main sur son cou. Le lien l'ayant attiré disparait, lui rendant sa liberté.

- Attends... Ton proche, c'est le dragon ? Celui de Luna ?

Je me tourne vers Julie. Elle me dévisage, un mélange de surprise, de reproche et de crainte peint sur le visage. Je n'ai pas le temps de lui répondre que Théo prend la parole.

- Où est sa marque ? Je ne la vois pas.

Le silence se fait. Je me serais attendu à plus de questions, mais il semblerait qu'ils attendent tous des explications. Je me rends compte qu'à part Eléa, qui semble me soutenir, même de loin, les autres sont plus interloqués, interdits. A ce moment précis, je me sens seul. Cordax aussi, un profond isolement surgit dans son cœur. Je tourne la tête vers lui, cherchant son attention.

- On leur montre ?

- Attendez.

Hyba me transperce du regard. J'ai la désagréable sensation qu'il a tout compris, qu'en un instant il a saisi l'essentiel, et surtout la vérité.

- Que ce soit bien clair. Nous allons vous écouter jusqu'au bout, sans intervenir. Dites-nous tout, sans rien omettre. Quant aux autres, je vous rappelle la deuxième règle. Tout ce qui se passe ici reste ici. Tout, absolument tout. Ce que Jasen va nous révéler restera entre nous, personne d'autre ne devra être au courant.

A nouveau, chacun confirme, cette fois avec plus de sincérité.

- Une dernière chose, Jasen. Dis la vérité à propos de cette histoire de dragon.

Il sait tout. Je déglutis.

- Alors... Je pense qu'il serait bien de commencer par vous dire que Cordax, mon proche, ne vous veut aucun mal. Si vous veniez à vous en prendre à lui, il se défendra, et ça finira mal pour vous, mais tant que vous ne lui faites rien, c'est bon. Quoi que je m'apprête à vous dire, rappelez-vous aussi qu'il nous a aidé à sortir du niveau B, que c'est lui qui m'a emmené loin de l'hydro. Vous avez sans doute des idées reçues, la plupart négative, sur sa race. C'est un individu à part entière, qui a aussi des émotions, capable de souffrir tout autant que nous. Sachez qu'il n'a pas eu une vie facile et qu'il n'est pas responsable de ce qu'on reproche aux autres êtres de son espèce. Je tiens à lui. Si j'ai pu devenir son ami, c'est parce que je n'ai pas pris en compte les préjugés que vous aurez sur lui. Je l'ai vu comme une personne. J'espère que vous pourrez le voir ainsi vous aussi. Cordax, tu veux bien rapetissir un peu ?

Il s'exécute, prenant une taille à peu près humaine. Sa tête m'arrive juste au-dessus de l'épaule.

- Si vous ne voyez pas sa marque, c'est pour deux raisons. La première, c'est dû à la couleur de sa peau. La marque est noire, sur du vert foncé elle ne ressort pas. La seconde, c'est qu'il utilise un talent pour la cacher entièrement. Tout comme moi.

Je pensais qu'en retirant la matière recouvrant mon bras, il y aurait des réactions, des mouvements de recul, des hoquets, au moins des murmures, mais rien. Uniquement un silence, long, pesant, remplissant le vide autour de Cordax et moi, nous emprisonnant, nous comprimant, comme une chape de plomb qui nous recouvrirait, nous isolerait.

- La mienne couvre toute mon aile droite.

Cordax la déploie. Une fine couche de vapeur s'en élève. En le regardant, j'ai l'impression de reprendre pied, comme si je me réveillais d'un rêve désagréable. Je me déplace, allant me placer devant lui. Puis je tends mon bras. Nos marques s'étendent, une infinité de fils noirs s'entremêlant encore et encore, formant des centaines de milliers de symboles, tous différents et pourtant semblable tandis que mes lignes et les siennes bougent à l'unisson.

- Cordax n'est pas un dragon. Pardon, Julie, je ne voulais pas te mentir, mais j'avais peur de ta réaction si tu découvrais qui il est vraiment. Il faut bien avouer que ça t'a permis d'être plus tranquille et de ne pas le rejeter en bloc.

Je prends une grande inspiration. Puis une deuxième. Je sens la chaleur émanant de Cordax dans mon dos, comme un soutien muet, une approbation dont j'ai besoin pour continuer.

- Cordax est un dralik.

Plus qu'un silence étouffant, c'est comme si un vide se formait autour de nous. Tout semble disparaitre, remplacer par un néant infini dans un premier temps. Puis, sans qu'aucune parole ne soit prononcée, une haine sans fond prend place partout. Où que je regarde, des yeux brûlants de tant de fureur, des visages déformés par la colère me dévisagent, dévisagent Cordax, nous fixent, nous transpercent, nous réduisent en cendre. Puis je vois Eléa, un îlot de calme, de fraîcheur, de gentillesse. Elle est là, et ça me suffit à me donner la force de pouvoir continuer.

- Je sais, les draliks et les particuliers sont ennemis depuis de nombreuses années. Vous avez tous une opinion bien arrêtée sur eux, et je ne compte pas vous le reprocher ni la changer du jour au lendemain. Ce que je veux vous dire, ce que Cordax, mon proche, et moi voulons vous dire, c'est de ne pas faire une généralité et de tolérer, si possible, sa présence. Personne n'est forcé de l'apprécier. Par contre, nous vous demandons de ne pas lui faire de mal, et de garder cette information pour vous. Cordax est important pour moi. J'aimerais que vous le compreniez. Si vous avez des questions, nous sommes là pour y répondre du mieux possible.

Eléa me fait un léger signe de tête en me souriant. Je parcours des yeux tout le monde, cherchant à croiser le regard de tous, sans exception, m'arrêtant finalement sur Hyba. Il est détendu, allant jusqu'à me sourire franchement.

- Voilà, je n'ai rien d'autre à ajouter. Cordax peut-il s'en aller ? ajouté-je en sentant son envie de partir.

- Oui. Merci pour cette présentation. Ce n'est pas facile de commencer, encore moins lorsque son proche soulève autant d'émotions.

Sans demander son reste, le dralik bondit dans les airs, s'éloignant rapidement. Dès qu'il est hors de vue, la tension dans l'air semble disparaitre, comme si Cordax n'avait jamais existé ni soulevé le moindre problème. Je commence à le comprendre de plus en plus. J'ai beau avoir été élevé par des banos, la guerre opposant les particuliers aux draliks avait eu lieu des centaines d'années auparavant, non ? Alors qu'est-ce qui les poussait à exprimer, encore aujourd'hui, un tel ressentiment ?

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