17. Symboles

Bonjour ! Je ne vous dérangerai pas longtemps... Promis !😅
Ce petit message juste pour vous dire que j'ai publié "Prologue d'une légende - Bonus" qui contient un glossaire, un bestiaire et pleins d'autres infos sur le monde de l'ischys. Allez y faire un tour si ça vous intéresse🙃
Bonne lecture !

- C'est génial !

- Tu veux aller sur l'ile, c'est ça ?

- Exact. Et si tu pouvais me protéger pendant que je cherche un indice, n'importe quoi qui nous permettrait de sortir d'ici, ce serait parfait.

- Pas de problème. Mais tu es au courant qu'il y a beaucoup d'animaux dangereux dans le coin ? Surtout dans l'eau ?

- Je sais, Cordax, c'est pour ça que j'ai besoin de ton aide.

- Ce que je voulais dire, c'est qu'il risque d'y avoir du grabuge.

- Pas grave, ça montrera que tu es dangereux et qu'il vaut mieux ne pas t'affronter.

- On arrive, accroche-toi bien !

J'ai juste de temps de resserrer mes jambes et de vérifier que j'ai une bonne prise avant que Cordax ne plonge, repliant ses ailes le long de son corps, prenant de la vitesse en se laissant tomber en chute libre. J'ai le tournis, mais c'est peut-être parce que mon proche tourne sur lui-même. Puis il déploie à nouveaux ses appendices et ralentit, jusqu'à se poser doucement sur le sol. Lentement, je glisse de son dos. Au bout de quelques pas, je retrouve mon équilibre et me campe face au dralik.

- C'était... génial !

- Tant mieux. Parce que j'avais encore jamais porté quelqu'un sur mon dos.

- En même temps, tu n'avais jamais eu de proche.

- C'est vrai. Bon, qu'est-ce qu'on cherche ? Et pourquoi tu voulais venir ici et pas ailleurs ?

- À cause des vagues.

- Quoi ?

Je soupire.

- Il y a des vagues.

- Et alors ?

- Il n'y en a pas à Solaris, et presque pas à Epap. Ça m'a intrigué, surtout que l'ile de Solaris contenait un dessin au jus de citron sur son tronc. C'est en le voyant qu'on est parti chercher des indices dans les chambres, avant de trouver la grotte et Luna. Comme ce bout de terre est entouré par l'eau, et qu'il y a surement des animaux dedans, je me suis dit que c'était un lieu plutôt sûr, donc un bon endroit pour mettre un indice.

- Les vagues. Ok, j'ai compris. Comment tu comptes faire pour trouver... ce que tu cherches ?

J'observe un moment les arbres, qui ne présentent pas de traces de griffures, de cassures ou autres signes d'un passage animal.

- Tu n'en sais rien.

Je grimace, Cordax a raison. Je n'en ai pas la moindre idée. Chercher prendrait des heures (si tant est que le temps passe normalement ici), et ma particularité n'est pas faite pour ce genre de choses. Je suis seul, partager le travail entre plusieurs personnes n'est pas possible. Par contre, séparer la zone en différentes parties n'est pas impossible et me permettra d'avancer logiquement et efficacement. Je m'y mets, fouillant d'abord le sol, soulevant des brindilles, des branches, des tas de feuilles mortes, découvrant quelques baies, me méfiant de plantes à l'aspect toxique. Je grignote un de ces petits fruits semblable à des fraises d'un rouge un peu terne, dans l'espoir de repousser encore un peu la faim. Puis, après avoir couvert la totalité de l'île et me sentir harassé, je recommence, sachant très bien qu'en m'arrêtant maintenant, je ne finirais jamais, repoussant sans cesse le moment de reprendre la fouille. Alors les troncs, les branches basses, les hautes fougères, la mousse et quelques autres plantes se font méticuleusement vérifiées, l'une après l'autre, jusqu'à ce que j'ai à nouveau fini le tour du petit bout de terre où je me trouve. Ne ressentant aucun mal de ventre ni nausée ou autre suite à l'ingestion de la baie, je m'accorde une pause afin de me restaurer (est-ce que des fruits comptent comme un repas à part entière ?). Un bruit d'éclaboussure attire mon attention, je vais vers le rivage, réalisant un peu tardivement que Cordax n'a pas fait un raffut aussi impressionnant que ce dont il m'avait averti.

- Cordax ? Toujours en vie ?

Seul un grognement me répond. Je quitte le couvert des arbres, découvrant... Mon proche en train de se régaler, dévorant sans cérémonie une sorte de truite de la taille d'une chaise et recouverte d'épines noir et blanc, comme les porcs épics.

- Eh bien... Bon appétit.

- Grmpf.

- C'est bon au moins ?

Il continue son repas sans me prêter la moindre attention. Je le laisse, vaguement conscient qu'il a un peu réduit sa taille, que c'est ultra impoli d'ignorer son proche et que mon ventre commence à gargouiller. Conclusion : les baies ne constituent pas un casse-croûte digne de ce nom !

Les arbres, les feuilles, l'écorce, le vent, le ciel, j'ai mal au cou alors que je viens à peine de commencer à inspecter la troisième et dernière couche de l'îlot, c'est-à-dire le haut défini tel que tout ce qui est supérieur à la hauteur de ma tête. Et la faim n'arrange rien. J'en fais abstraction, me concentrant sur la « fouille » qui se trouve être plus proche d'une inspection qu'autre chose étant donné que je ne peux pas écarter les branches et tout observer dans les moindres recoins. Si tant est qu'il y a des coins.

J'en ai marre. Mais si je m'arrête maintenant, ma motivation va baisser au point de devenir inexistante, ou presque.

Un craquement retentit derrière moi, je me retourne vivement. À moitié dissimulé par un tronc, Cordax me dévisage, le regard fixe, un air de menace sur le visage.

- Tu as fini de manger ?

D'un vif coup de langue, il se lèche les babines. Au moins, lui, il doit avoir l'estomac bien rempli, je vois que ses griffes sont encore rouges.

Je me mets en garde, le corps tendu, juste à temps pour le voir bondir dans ma direction. Vivement, je m'écarte de sa trajectoire, il me dépasse ne frôlant. Cette bête est vive, vient de manger et a tout l'air d'un prédateur. S'il n'y avait eu ses griffes, j'aurais réagi trop tard, il est même possible que la réalité ne m'aurait pas effleurée l'esprit. Face à moi, ce n'est pas Cordax, mais une créature capable de reproduire en grande partie l'apparence des draliks. Et qui semble avoir un immense appétit, puisque cette bête parait avoir encore une place pour moi dans son estomac.

Un autre bond sur le côté, je trébuche sur une racine. À peine le temps de rétablir mon équilibre que je virevolte à nouveau, évitant de justesse l'animal. Mais qu'est-ce que c'est comme race ? Et où est Cordax ?

Il me frôle d'un peu trop près, déchirant mon t-shirt au niveau du torse. Ce n'est pas passé loin, il faut vraiment que je me concentre. Respirant calmement, j'active ma particularité, la faisant circuler dans tout mon corps, rapidement pour ne pas laisser le temps à la bête de me toucher. J'attends, tout en bondissant d'un côté puis de l'autre, de ressentir jusque dans toutes mes cellules l'ischys. À ce moment-là seulement j'arrête d'esquiver. Mon corps est renforcé, j'accuse le choc du coup, les griffes de la bête pressées contre moi, son élan menaçant de me faire tomber. J'augmente ma densité corporelle, devenant plus lourd, m'ancrant dans le sol. Durant un instant qui parait durer une éternité, nous nous dévisageons, ses yeux d'un vert surnaturel rivés sur mon visage. Puis je le change en pierre.

Durant mon enfance, alors que je commençais à peine à maitriser ma particularité, je me suis rendue compte que je pouvais influer sur la matière d'absolument tout, y compris les humains. Vous vous rendez compte ? Juste avec ma volonté, je pouvais changer la peau en pierre, modifier l'apparence, transformer quelqu'un en ce que je voulais. Au début, j'ai vu ça comme une opportunité : plus personne ne pourrait m'embêter. Mais le problème ne se trouve pas là, c'est la morale qui est en question. Est-ce que c'est bien ? Est-ce que c'est éthique ? Je ne suis pas un monstre ?

Alors je me suis imposé cette règle : ne pas tuer les êtres vivants à l'aide de ce pouvoir. Ne pas les tuer tout court, en fait, sauf s'ils représentent un danger immédiat et mortel. Jusqu'à récemment, j'ai réussi à la respecter. Puis est arrivé le kokino, et un fait que la plupart des particuliers a déjà assimilé : le monde de l'ischys est dangereux. Le danger de mort est présent, les animaux sont plus puissants que ceux du monde des banos.

Même en le comprenant, j'ai de la peine avec l'idée que tuer soit aussi facile... Enfin, avec ma particularité, parce que ça soulève beaucoup de questions éthiques.

Un sifflement retentit dans mon dos. Je sursaute, m'en veux d'avoir baissé ma garde et me retourne pour finir nez à nez avec un animal ressemblant à Cordax. D'un bon, je m'en éloigne, privilégiant la prudence à un soulagement qui pourrait me coûter cher.

- Je me sens blessé... Tu as peur de moi ?

Inconsciemment, je laisse s'échaper un soupir. C'est vraiment lui cette fois.

- Désolé, c'est juste qu'il y avait cette bête... J'ai cru que c'était toi, mais elle ne faisait que te ressembler.

- C'était un dralik avec des griffes rouges ?

Je le regarde. Ma question est implicite, il me répond sans que j'ai besoin de la poser.

- Cette créature s'appelle un antigrafo. Enfin, s'appelait. Sa capacité est de copier l'apparence de tout être vivant qu'il touche plus de cinq secondes.

- Eh bien bravo, monsieur le dralik qui s'est laissé toucher plus de cinq secondes sans réagir.

- Il a sans doute pris l'apparence d'un insecte, je ne pouvais pas deviner.

- Mouais. Et pourquoi ne s'en est-il pas pris à toi ?

- Il a décelé ma toute-puissance et a préféré viser une cible maigrichonne. Quel dommage pour lui, la cible à l'apparence faiblarde c'était toi.

Je lui lance un regard noir, préférant ne pas lui répondre. J'ai faim et je n'ai jusque-là trouvé aucun indice sur cette île, ce qui me met passablement de mauvaise humeur.

- Tu avais raison.

Je lui jette un bref coup d'œil. Il regarde en direction du lac, l'air pensif.

- A propos des vagues. Il y a bien quelque chose sous l'eau, peut-être même plusieurs animaux.

- Ils sont hostiles ?

- Pas pour le moment, mais je préfère rester méfiant.

Je me détourne, observant les arbres. Maintenant, j'ai perdu toute motivation.

- Tu en es à quoi ? Je préférerais ne pas rester trop longtemps ici.

- Les animaux marins te font peurs ?

- Disons que l'eau n'est pas mon point fort.

- Je fais encore un tour puis on y va.

J'entends Cordax s'éloigner, sa taille le désavantageant niveau discrétion. Puis j'active ma particularité au niveau des yeux, avant de m'avancer entre les troncs. Pour ce dernier tour, je vais regarder chaque arbre l'un après l'autre, rapidement, de haut en bas. Le problème, c'est que ma motivation et ma concentration sont presque à zéro, alors j'essaye de faire du mieux que je peux mais je suis sans cesse déconcentré, que ce soit par des branches qui bruissent sous l'effet du vent, par des feuilles tombant lentement en virevoltant ou par le son lointain d'un animal. Les vagues me rappellent à tout instant que le danger n'est pas loin, et mon estomac réclame de la nourriture, si possible sans délai. En voyant des fruits poussant sur des buissons à proximité, je suis tenté de les prendre, mais les risques qu'ils soient toxiques me retiennent, alors je préfère m'abstenir.

Un élément d'un bleu lumineux retient mon attention. Sur le tronc d'un arbre, des symboles luisent étrangement. Je suppose que c'est dû à une particularité ou une matière faisant partie du monde de l'ischys et possédant une caractéristique peut courante. Tout est-il que ce qui est noté sur l'écorce semble être des indications, mais je suis incapable de les comprendre. Il ne me faut que peu de temps pour modeler une feuille et une barre de graphite, la copie de ces étranges lettres me prenant un moment plus conséquent. Puis, enfin, je finis d'écrire ces cinq lignes en espérant être le plus près possible de la réalité.

- Cordax ?

- Mm ?

- J'ai fini. On retourne sur la falaise.

- Mouais... Ça va pas être possible tout de suite.

Une gerbe d'eau impressionnante, de plusieurs mètres de haut, jaillit brutalement, arrosant copieusement l'île. Je me précipite sur la rive, glissant à plusieurs reprises. Écartant la dernière branche, je découvre un spectacle pour le moins extrêmement effrayant. Cordax se dresse de toute sa taille, les ailes déployées, son envergure dépassant les neuf mètres. Il a encore grandi, dans le but visible et inefficace d'impressionner le monstre en face. Cet animal me fait penser à une vache marine carnivore. Dis comme ça, c'est drôle, mais face à elle la seule émotion que vous ressentiriez serait une terreur implacable. Imaginez une vache, en cinq fois plus gros, la partie inférieure de son corps transformé en tourbillon mortel. L'avant est translucide, composé d'eau plus solide que du béton. Sa bouche ouverte dévoile des dents pointues ainsi que deux crocs semblables à des défenses d'éléphants à la place des canines. Son regard brûlant voit au plus profond de l'âme, transperçant jusqu'à la plus petite parcelle de mon être. J'ai l'impression d'être réduit à la position d'insecte, destiné à me faire écraser par cette bête.

Un rugissement puissant fait trembler le sol. Ma première envie est d'aller me cacher (je sais, c'est pas très glorieux) puis je me rends compte que c'est Cordax qui provoque ce tremblement. J'en oublie un court instant la monstruosité marine, ce qui me permet de reprendre mes esprits.

- Tu peux le vaincre ?

Un souffle de vent entoure la bête. Elle prépare quelque chose, et la communication avec mon proche va devoir se faire télépathiquement au vu de la situation quelque peu précaire.

- Tu peux le vaincre ?

- Tu peux faire exploser la Terre ?

- Je n'ai jamais essayé.

- C'est pareil avec les stoikeïodès, je n'ai jamais essayé d'en vaincre un.

L'air me semble soudain glacé. Je comprends que le monstre au nom imprononçable va faire quelque chose, ce qui se concrétise lorsque de la glace commence à recouvrir la surface du lac et des plantes. Aïe, c'est très mal parti.

Cordax s'élance, rendu flou par la vitesse, contre la bête au nom imprononçable. Au même instant, une explosion puissante me fait tomber à la renverse, m'emportant sur plusieurs mètres. Un coup de tonnerre me vrille les tympans, des trombes d'eau manquent de noyer, j'ai l'impression que je vais y passer. Le pire, c'est sans doute que Cordax essuie la plupart des attaques tandis que je ne me prends que les dégâts collatéraux.

Deux rugissements s'opposent, créant une onde de choc qui balaye à peu près tout ce qui se trouve autour. Les arbres se plient dangereusement, de la terre s'envole, l'eau est envoyée vers les rives... Puis de la lumière jaillit, allant de Cordax à la bête et inversement. Un courant froid me transperce, suivi d'une chaleur étouffante. Un vent puissant arrive, ajoutant à la confusion ambiante. Ma tête est douloureuse, j'ai mal partout, et le pire c'est que je suis parfaitement inutile, pour ne pas dire une gêne pour mon proche. Je ne sers à rien. Je ne peux rien faire. Et ça m'énerve.

Quelque chose fracasse les arbres à côté de moi, faisant jaillit de la terre, brisant des troncs, assourdissant un peu plus mon ouïe. Je me fige (non pas que je bougeais beaucoup jusque-là, je suis juste encore plus immobile). Un calme irréel survint. Un grognement de douleur me parvint difficilement.

- Cordax ! Cordax, ça va ? Réponds-moi !

- Ça va... Juste un mauvais coup...

La vache se dresse au-dessus de la forme sombre recroquevillée, des cristaux de glace se forment à nouveaux autour d'elle, l'eau (qui depuis un moment alterne entre chaud et froid) se couvre d'une fine pellicule gelée, la bête ouvre la mâchoire. D'un coup, elle relâche tout. Un geyser de glace, d'ischys et d'eau se précipite vers Cordax. D'un cri parfaitement stupide, je projette ma particularité, ne pensant qu'à protéger mon proche. Un immense mur de flammes tourbillonnantes surgit, formant un gigantesque bouclier autour du dralik. La glace vient s'écraser contre, épousant la forme de ma création, jusqu'à s'évaporer. Ne réfléchissant plus, je commence à transformer tout et n'importe quoi, créant un maximum de chaleur, de flamme, de lames brûlantes afin de les retourner contre le monstre. Celui-ci, en une fraction de seconde, se met en mode défense, annulant toutes mes attaques avant que celles-ci ne l'atteignent. Je continue à tenter par tous les moyens de gagner du temps, puisant dans mes réserves d'énergie, cherchant à utiliser l'ischys se trouvant autour de moi. Je commence à fatiguer, ma concentration baisse, pourtant je continue, un bouclier par-ci, un mur par-là, des flammes partout, l'entourant, l'emprisonnant, encore et encore, tandis que le monstre continue à congeler le lac, refroidissant l'air, contrant aisément mes attaques. Puis Cordax est de nouveau là, il se dresse à mes côtés, je ne me souviens plus de l'avoir vu bouger. Il s'occupe du corps à corps, essayant d'atteindre la créature. Cette dernière est plus agile qu'il n'y parait, elle l'évite facilement. Je continue, tentant de créer une ouverture qui permettrait à Cordax de la blesser, la ralentir, la toucher, rien que la frôler. Mais, même en nous y mettant à deux, impossible de lui faire la plus petite égratignure. J'ai l'impression confuse qu'elle joue avec nous, comme si nous ne représentions aucun danger. Et ça m'énerve, de ne pouvoir rien faire de plus, j'ai l'impression que ma particularité ne sert à rien, et que...

J'ai un vertige. Des points noirs dansent devant mes yeux. Je titube. En un instant, mes jambes se recouvrent de glace, m'immobilisant. Je me reprends aussitôt, utilisant de nouveau ma particularité, créant encore plus de chaleur. Des flammes, de la lave, une véritable fournaise entoure la bête, sans qu'elle paraisse en être incommodée. Puis Cordax trouve une ouverture, il frappe une fois le monstre au niveau du coup. Le temps semble s'arrêter pendant une fraction de seconde. Puis la créature vole en éclat, explosant en des milliers de milliards de minuscules gouttelettes d'eau, qui retombent dans le lac, retournant à leur état normal.

J'ai vaguement conscience de tomber, mon corps libéré de l'emprise du froid. Tout est noir.

###

- ...s'est passé ?

- ...rien, j'étais...

- ...dragon ? Vraiment ?...

- Apporte-moi...

###

Lentement, je reprends mes esprits. Il n'y a aucun bruit autour de moi, seulement l'eau qui tombe d'une cascade. J'ouvre lentement les yeux, aucune source de lumière ne se trouve à proximité.

Une couverture me recouvre, elle me tient chaud. Gentiment, je bouge mes pieds. La couverture se déplace légèrement, et je n'ai pas mal, ce qui est plutôt bon signe. Je me redresse sans aucun problème, soulagé d'être en un seul morceau.

Je suis de retour dans la grotte, les autres élèves dorment. Cordax m'a sûrement ramené sur la falaise, et Julie a prévenu les autres. C'est ce qui semble le plus logique.

En me levant, j'aperçois une lueur vers la fissure donnant sur Luna. Une forme sombre est assise au bord, dominant le paysage. Je m'en approche, mes chaussures signalant très clairement mon approche. La silhouette se tourne vers moi, puis reprend son observation. Je m'asseye à côté de Théo.

- Tu vas mieux ?

- Ouais. Je suis resté inconscient combien de temps ?

- Deux jours environ.

Il se tait. Je me lève, ayant besoin de bouger, et entreprends de grimper la falaise. Pour ce faire, j'active ma particularité, taillant des prises dans la roche. Au moment précis où je commence à modeler la pierre, une décharge d'énergie me traverse, et je me sens revivre.

Il ne me faut que peu de temps pour atteindre le sommet. Me tenant debout, je me fige. Devant moi se tient Cordax, de retour à son « format dragon », ainsi qu'Eléa. Elle le caresse, lui parle, il lui répond, comme deux amis proches. En les voyant ainsi, j'ai l'impression que je n'ai pas ma place, que je suis de trop.

Doucement, je recule, me préparant à redescendre pour aller ailleurs, n'importe où. Mon proche ne m'en laisse pas le temps, tournant sa tête vers moi.

- L'humain est de retour.

Il le dit d'un ton neutre, comme on parlerait du temps. Plutôt que de mal le prendre (il vient quand même de me traiter, encore une fois, d'humain), je m'approche.

- Ravi de voir que tu es toujours en vie, dragon.

Il sourit. Enfin, si tant est qu'un dralik puisse sourire.

- Tu devrais te reposer.

Je me tourne vers Eléa, qui me regarde d'un air désapprobateur.

- Je ne vais pas rester couché toute ma vie.

Elle soupire.

- Tu as puisé dans tes réserves, il faut leur laisser le temps de se reconstituer.

- Mouais. (Je me tourne vers Cordax.) Au fait, comment vont tes blessures ?

- Elles guérissent vite, je serai complétement rétabli d'ici une semaine.

- Bon, maintenant que vous êtes là tous les deux, que s'est-il vraiment passé ? Et passez-moi le refrain sur le dragon et les actes héroïques, dites-moi juste ce qui s'est passé.

- En fait...

Je fouille dans ma poche, cherchant le bout de papier. En le sortant, je réalise qu'il est en très mauvais état, tenant tout juste en un seul morceau. L'eau et le papier, ce n'est vraiment pas compatible. Je parviens tout de même à réécrire sur le sol les différents symboles, me souvenant plus que recopiant.

- Il y avait ça, écrit sur le tronc d'un arbre sur l'île. Je venais de le trouver quand une bête au nom imprononçable est sortie du lac et nous a attaqué.

- Une bête au nom imprononçable ?

- Un stoikeïodès.

Eléa nous dévisage, en état de choc. Puis elle éclate de rire, ne pouvant plus s'arrêter. Je jette un coup d'œil à mon proche, ne sachant pas comment réagir. Elle finit par se calmer, reprenant son sérieux.

- Au fait, Cordax, il s'est passé quoi ? Je veux dire, quand tu l'as frappé il a semblé exploser, et après je ne me souviens plus de rien.

- On l'a juste forcé à retourner à son état initial, ce qui m'a laissé suffisamment de temps pour te ramener ici. Il y avait pleins de gens qui attendaient, ils se sont occupés de toi.

- Julie nous a prévenu qu'il se passait quelque chose de bizarre, alors on est tous venu voir. Mais vous n'allez quand même pas me faire croire que ces gerbes d'eau, c'était un élémentaire !

- Un élémentaire ?

- Oui. Les stoikeïodès sont des élémentaires. Celui que nous avons affronté était un hydrostoikeïodès, c'est-à-dire un élémentaire d'eau. C'est pour ça qu'il s'est séparé en gouttelettes à la fin, elles le constituaient. Il existe aussi ceux de feux, les fotiastoikeïodès, ceux du vent, les anemostoikeïodès et ceux de la terre, les gistoikeïodès. Chacun d'entre eux est constitué d'un élément, c'est ce qui les rend si puissants. Il n'y en a pas beaucoup dans le monde, ils sont très difficiles à tuer et ne se reproduisent presque jamais.

Eléa acquiesce.

- C'est pour ça que vous ne pouvez pas en avoir affronté un. Déjà, si c'était le cas, vous seriez sûrement morts, ensuite, je ne vois pas trop pourquoi il y en aurait un ici, et finalement, vous croyiez vraiment que les profs nous mettraient en danger de cette manière ?

- À toi de nous le dire, tu es là depuis plus longtemps que nous.

Elle soupire, dépitée. Je décide de changer de sujet.

- Tu as une idée de ce que peuvent signifier ces symboles ?

Elle se déplace, venant à côté de moi pour les observer dans le bon sens. Il lui faut un bon moment pour les observer, avant de commencer à les redessiner. Je me rends assez vite compte qu'elle retrouve juste les signes originaux. Puis elle me demande une feuille, que je forme à partir de la roche. Un instant plus tard, je lui tends le document ainsi qu'un crayon. Elle écrit de manière brouillonne, c'est pire que moi, je n'arrive rien à déchiffrer. Quand elle a fini, elle se lève et commence à faire des allers-retours, le papier en main.

- C'est écrit quoi ?

- Lac, île, saule, singe, ischys, plongeon, hibou, traverser et barbe.

- Euh... Tu es sûre de ta traduction ?

- Oui, j'ai vérifié trois fois !

- Tu as dû mal recopier, Jasen.

Je me tourne vers Cordax, le fusillant du regard. Il est en train d'observer les formes tracées sur le sol.

- La traduction devrait être : Lac, île, saule, grimper, ischys, plongeon, voler, traverser et école.

- Le lac et l'île, c'est logique. Il doit sûrement y avoir un saule planté quelque part, et grimper désignerait le fait d'y monter. Jusque-là, ça va, même si c'est bizarre. Le problème, c'est la suite. Vous avez une idée de ce que ça pourrait signifier ?

Je me tourne vers Cordax et Eléa, en quête de réponse.

- Eh bien... Plongeon pourrait se référer au fait de devoir sauter. Si l'arbre est au bord de l'eau, ce serait une possibilité. Mais pourquoi mettre l'ischys juste avant ?

- Peut-être pour dire d'utiliser sa particularité. Il me l'a fallu pour trouver le message, ce serait logique de devoir la réutiliser.

- Est-ce que ça fonctionne avec toutes les particularités, ou alors il en faut une spécifique ?

- C'est noté ischys, donc je pense que c'est pareil pour tout le monde. Ce serait un peu étrange de ne permettre qu'à une seule personne de le faire.

- Ok. Le mot suivant, c'est voler, puis traverser et école. Le dernier est facile à comprendre, on arrivera à Epap ouest. Par contre, je n'arrive pas à comprendre le sens des mots voler et traverser...

- Pour atterrir ici, comment on a fait ?

- Avec un portail. Attends... Tu ne l'avais pas remarqué ?

Eléa me dévisage, étonnée. Pour un peu, je me sentirais presque honteux. J'ai bien dit presque.

- Non, je n'en avais encore jamais utilisé. Les portails fonctionnent de quelle manière ?

Soupir.

- Grâce à un sydesmos, ou objet permettant de lier deux endroits entre eux. Il permet de traverser les portails, de maintenir le corps en un seul morceau pendant le transport. On en utilise surtout pour relier les villes entre elles, ou rejoindre un niveau différent.

- Un niveau ?

Elle me regarde, excédée.

- Tu ne sais vraiment rien... Le monde est constitué de plusieurs couches. Celle dans laquelle se trouve Epap et tout ce que tu connais représente le niveau A. Le B est une immense étendue plate et rocailleuse, sur laquelle rien ne pousse. Il y règne une pénombre perpétuelle. Il y a quelques endroits où des dépressions sont apparues, naturellement ou sous l'effet d'une grande utilisation de l'ischys, de tailles variées. Ce sont dans ces endroits-là que sont stockés des objets importants, des réserves naturelles ou autres. Le niveau C est vide, un peu comme l'espace, avec des plates-formes flottant dans l'air. Comme il n'y a pas d'oxygène, seuls les particuliers avec un pouvoir leur permettant de respirer peuvent se rendre là-bas. Pour finir, le niveau D est au centre de tout, c'est de là que provient l'ischys. A ma connaissance, personne ne sait comment s'y rendre.

- Alors Luna et Solaris font partis du niveau B, et ce bracelet est un... séismos...

- Sydesmos.

- Sydesmos qui nous a permis d'arriver entier ici.

J'observe ce bijou qui orne mon poignet. C'est incroyable de se dire qu'un si petit objet, fin, délicatement ornementé, m'a empêché de finir désintégré. C'en devient flippant.

- Du coup, traverser fait référence au portail, qu'il faut prendre en sens inverse. Quand à voler... C'est la partie que je ne saisis pas. Est-ce que ce mot ferait aussi référence au changement de niveau ?

Nous restons silencieux, réfléchissant. Si on se trompe, le résultat pourrait être catastrophique.

- Non.

Je retiens un sursaut. J'avais complétement oublié que Cordax était toujours là.

- Voler fait référence au danger. Le saule se trouve à Luna, c'est là que l'hydrostoikeïodès nous a attaqué. Lorsque les oiseaux se retrouvent en danger, ils s'envolent pour s'en éloigner. C'est une référence qui vous signifie de ne pas traîner, sinon vous risquez de très mal finir.

- Merci, tu es d'un grand réconfort.

- T'inquiète, c'est normal.

- Jasen ?

Je me retourne. Julie se tient debout, au bord de la falaise. Derrière elle, Théo nous observe, suivi de Lia et Steph. Je me lève, tout comme Eléa. Julie se met à courir, se rapprochant dangereusement de moi. Elle n'a pas le temps de m'atteindre que Cordax se dresse, faisant office de barrière. Ils paraissent tous se figer.

- Humaine, recule.

- Quoi ?

Mon proche la transperce du regard, jusqu'à ce que Julie fasse quelques pas en arrière.

- Oh grand dragon...

J'ai l'impression que ma gorge est en feu. Je suis vraiment en train de rentrer dans le jeu de Cordax ?

- Pourrais-tu me rendre un autre service ? En échange, je t'aiderai à quitter ce lieu et à retourner dans le monde des particuliers.

- Jasen, non !

Contre toute attente, c'est Théo qui a crié.

- On n'a pas le choix.

- On a toujours le choix.

- Fais-moi confiance.

- Tu voudrais ramener un dragon à Epap ? Tu sais à quel point ces bêtes sont dangereuses ?

Une gerbe de feu rate Théo d'un cheveu. Il écarquille les yeux. Quant à moi, je me place devant Cordax, soutenant son regard. Il ne faut pas qu'il aille trop loin.

- Que crois-tu donc, misérable humain ! Je ne tolérerai pas que l'on me compare à une bête !

- Dragon, votre attitude ne fait que souligner ce qu'il dit.

Merci, Eléa, tu nous aides beaucoup. Ses paroles semblent faire mouche, mon proche se calme. Je me tourne vers le groupe.

- On a trouvé un moyen de quitter ces lieux, mais on n'y arrivera pas sans lui. Il nous faut son aide.

- Jusque-là, il n'a pas beaucoup aidé. Tu as vu l'état dans lequel il t'a ramené ? Et tu es prêt à lui faire à nouveau confiance ?

- Julie, s'il n'avait pas été là, je ne serais jamais revenu. Et c'est de ma faute, j'ai grillé toutes mes réserves.

- Ok.

Tout le monde se tourne vers Lia. Elle hausse les épaules.

- On n'a pas d'autres possibilités, alors autant le faire. Une fois à Epap, on avisera de la suite.  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top