Mythe - Une histoire sanglante
Cette nouvelle est écrite pour le concours de @kimi-chan_y ! Le thème est la guerre, âmes sensibles s'abstenir (les descriptions sont relativement gores).
La nouvelle peut être comprise sans avoir lu le reste. Il faut tout de même une ou deux précisions avant : Jasen est un homme de 19 ans capable de manipuler la matière. Les différents personnages présents, comme le dragon ou le vampire, sont des êtres surpuissants ayant traversés les siècles. Ils ont pour règle de n'interférer ni avec les races dites intelligentes ni avec le cours de l'Histoire.
Oh, et septante-huit correspond à soixante-dix-huit, sauf que c'est plus logique vu que ça s'écrit avec un sept😁
Bonne lecture !
🩸🩸🩸
À bout de forces, je me laisse tomber sur une chaise. Je regarde avec envie les biscuits sur la table, mais mes muscles sont trop fatigués pour me permettre d'en prendre un.
L'entraînement est draconien - c'est le cas de le dire, puisqu'un véritable dragon m'instruit. Il est actuellement en train de discuter avec sa femme Rhys dans la cuisine.
La porte s'ouvre sur un vampire aux traits harmonieux. Ses cheveux beiges sont coiffés de son éternel béret rouge.
- Salut, Richard.
- Ah, Jasen, tu es là ! Survis-tu ?
- À peu près, lui réponds-je avec une grimace.
Ce n'est pas notre première rencontre ; je sais qu'il est d'un naturel calme et avenant.
- Je vois que les mariés sont occupés... que dirais-tu d'une anecdote, en attendant ?
- Plutôt deux fois qu'une ! m'exclamé-je avec une énergie soudaine.
Il a l'art de me captiver avec ses mots. Quand il conte, je me retrouve absorbé par un monde nouveau. Je ne me lasse pas de ses histoires ; non, de ses souvenirs. Il a vécu d'abondantes expériences, assisté à la naissance et à la mort de civilisations entières, pris part à des événements légendaires. Ses récits sont d'autant plus emblématiques qu'ils sont vrais.
- Aujourd'hui... enfin, cette fois, se reprend-il en se rappelant que Lupa déforme et étire à l'infini quelques précieuses minutes, je vais te parler d'une vampire. Son nom a sombré dans l'oubli, cependant, Rhys en est témoin, elle a sauvé un nombre incalculable de vies. Que sais-tu des Agones ?
- Ça signifie « combats ». C'est la période qui a suivi la découverte des dix sources. Les races intelligentes se sont disputées pour en avoir le contrôle.
- Exactement, bien que tu négliges la destruction. Il n'y a jamais eu autant de morts que durant ces années-là.
Il prend un instant avant de me questionner à nouveau :
- Comment les Agones se sont-ils terminés ?
- Euh... par une rencontre entre les dirigeants ?
- Pas vraiment. Le seigneur-vampire a envoyé une proposition aux autres races, celle de mettre fin à la guerre. Bien entendu, c'est plus compliqué que ça, mais on ne va pas entrer dans les détails. Si les meneurs ont accepté, c'est grâce aux actions préalablement faites par une certaine vampire. Avant de commencer, j'ai besoin de savoir, Jasen, si tu es d'une nature sensible.
- Ça dépend des circonstances, mais de manière générale, non.
- Tant mieux. Je vais te raconter le jour où cette fameuse vampire a décidé de venir en aide au monde.
- Tu l'as vue de tes propres yeux ?
- Disons que j'étais dans les environs. Tu comprendras rapidement pourquoi. Es-tu bien installé ?
J'acquiesce. Il prend le temps de rassembler ses souvenirs avant de se lancer.
🩸🩸🩸
L'odeur du sang la dégoûtait. Ce fer omniprésent dans l'air lui donnait envie de vomir.
Elle plaça ses longs doigts pâles devant ses canines apparentes. Ses yeux écarlates n'arrivaient pas à se détacher du carnage. À perte de vue, il n'y avait que des corps disloqués.
Le vent nocturne porta à ses narines la putréfaction des cadavres. Elle discerna également une puanteur carbonique, celle de la chair devenue cendres. Un cri lointain lui parvint ; il se tut bien vite. Une âme charitable avait mis fin à ses souffrances.
Du haut de la colline, la vampire contemplait le massacre de la veille ; elle revoyait le combat se jouer sous ses yeux. L'herbe autrefois verte et brillante sous le soleil avait cédé sa place, au fil des heures, à la boue sanglante éclairée par une lune indifférente.
« Cette source nous appartient ! » avait déclaré un elfe arrogant.
« Ne rêvez pas, vous êtes sur les terres des particuliers ! »
Il n'en avait pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres. Les sources renfermaient un pouvoir incommensurable ; chaque race douée d'intelligence revendiquait leur propriété. Elles avaient été découvertes septante-huit ans plus tôt ; la guerre durait depuis lors. Tous s'y retrouvaient impliqués, du plus jeune nain forcé de produire des armes au plus âgé des géants, subitement délogé de chez lui. La faute incombait à des dirigeants sourds à la détresse des peuples.
D'entre tous les belligérants, les plus virulents étaient sans conteste les particuliers, ces simulacres d'hommes aux dangereux pouvoirs. Ils rivalisaient en puissance face aux elfes, aux vampires ainsi qu'aux dragons. Ces derniers étaient en sous-nombre ; une minorité d'entre eux avait des intentions bellicistes. De leur côté, les ydroviens ne pouvaient quitter leurs océans ; et les esprits se faisaient témoin du déclin des nations. Car, par millier, les simples habitants de ce monde en proie à la folie mouraient. Pour quoi ? S'emparer de sources dont seuls les plus haut placés bénéficieraient.
Sa cape claquait dans le lourd vent nocturne. Ses sombres pensées furent interrompues par un craquement suivi d'un juron ; elle ne prit pas la peine de tourner la tête.
- Chandra, il est l'heure. Sa Seigneurerie votre père se fait un sang d'encre pour vous.
- Expression bien mal choisie, Rhothomir.
Son plus fidèle ami et gardien resta silencieux, absorbé par le spectacle funeste de tant de corps morts. Des milliers de vies avaient quitté cette terre en quelques heures. À cause de qui ? Les elfes et les particuliers. Ils ne comptaient désormais plus grand monde dans leurs rangs ; seuls, les jeunes femmes et les enfants étaient épargnés. Physiquement, tout du moins. Les vieillards étaient décédés depuis longtemps, usités à des fins purement symboliques.
- Que va-t-il advenir de cette société ? s'interroga tout haut le guerrier-vampire.
- Personne ne peut le prédire.
Le ton las de la noble n'échappa pas à son compagnon. Elle n'était guère l'unique éreintée par tant de batailles inutiles ; le monde allait sur son déclin sans que personne n'y fasse rien.
- Rhothomir, je vais partir.
- Je vous suivrai, qu'importe où vous vous rendez.
Un rictus dévoila ses blanches canines tandis qu'elle replaçait une mèche noire derrière son oreille. Elle fit ensuite face à son vieil ami.
- Non, pas cette fois. C'est un périple qu'il me faut accomplir par mes propres moyens.
- Mais...
- Toutefois, j'apprécierais ton aide. Demeure auprès de mon père et protège-le. Il a tendance à se surmener ; je compte sur toi pour le raisonner.
Rhothomir Tenerade mit sa main sur son cœur et inclina la tête. Il se détourna ensuite pour mener à bien son devoir.
Chandra resta immobile tandis que son ami descendait la colline, ses pas ponctués par le craquement d'ossements. Elle resta immobile tandis que les esprits erraient dans le cimetière à la recherche de survivants. Elle resta immobile tandis que l'horizon s'éclaircissait.
Lorsque les premiers rayons du soleil nimbèrent les corps de leur lumière dorée, elle contempla une dernière fois la plaine. Son regard observa attentivement l'océan de membres arrachés, de peau déchirée, de sang séché. Son odorat s'imprégna des effluves de putrescence, de brûlé et de mort. Dans ses oreilles résonnèrent les râles d'agonie, les pleurs des réchappés et le silence du sommeil éternel.
Les charognards prenaient d'ores et déjà possession de l'endroit. Ils faisaient d'une atrocité façonnée par des races dites intelligentes leur festin. Après s'être délectés, ils délaisseraient les lieux au profit des insectes et autres petites bêtes jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des os.
L'herbe commençait à reprendre sa place. Des graines allaient germer dans cette terre gorgée de nutriments apportés par le sang, les chairs, les corps. La nature accomplissait sa tâche : un cycle infini usant de la mort pour engendrer la vie.
Chandra était encore jeune. Elle avait grandi dans cet environnement malsain. Chaque jour depuis sa naissance, elle avait entendu parler de guerre, de violence, de pouvoir. Pour quelle raison ? Contrôler des sources dont on ne savait presque rien ? Prendre l'ascendant sur les autres races ?
Elle était sûre d'une chose : rien ne justifiait de telles pertes. Il y avait bien trop de vies brisées ; il était temps d'arrêter toute cette absurdité.
L'histoire ne se souviendrait pas du nom de Chandra Sanguine Ligurio, une vampire animée d'un puissant désir de paix. Aucun texte ne discourra de son voyage pour rencontrer chaque dirigeant. Personne ne saura qu'elle les a tous convaincus, un à un, argument après argument, compromis après compromis, de revenir à la raison et de se rendre à l'évidence : ce conflit n'avait pas lieu d'être. Il s'agissait d'un simple massacre de population entière pour un hypothétique pouvoir.
Nonobstant, l'histoire parlera de la Plaine Sanglante comme de l'ultime tombeau. Cette bataille dénuée de sens fut la dernière d'une longue, très longue, trop longue guerre.
🩸🩸🩸
Un silence pesant suit ses paroles. Le visage de Richard est pensif. Je me demande souvent comment lui et les autres immortels font pour vivre avec le poids des souvenirs. Ils ont survécu et assisté à tant de douleur, pourtant ils continuent à aller de l'avant. Ça exige une force incroyable.
En tournant la tête, je m'aperçois que Dace et Rhys nous ont rejoints durant le récit. Cette dernière rompt le silence :
- Je suis bien contente que les Agones soient terminés. Ça a été l'un des pires moments de l'histoire. Il ne se produisait que des horreurs, à perte de vue.
- Ça devait être abominable.
- Oh que oui... Qu'importe où nous allions, il y avait des conflits, des combats et des morts. Ce n'était pas mieux dans les villes. À cause du manque de travailleurs et de soin, les gens périssaient autant de maladie que de faim. Cette situation... je ne la souhaite à personne. J'espère de tout cœur que ça n'arrivera plus jamais, conclut-elle avec un regard à son mari.
- C'est bien pour ça que Jasen est là.
J'ai l'impression de rater une information essentielle, mais je n'ose pas poser de questions. Après tout, je suis en présence des êtres les plus puissants au monde ; leur savoir est largement supérieur au mien. Et rester dans l'ignorance a, dans certains cas, du bon.
- La pause a assez duré. Debout, Jasen, on s'y remet.
Je me lève pour rejoindre Dace à l'extérieur. En franchissant le seuil de la porte, je pense une dernière fois à Chandra. Elle a fait preuve d'un courage et d'une détermination hors normes pour convaincre chacun des dirigeants. Peut-être qu'un jour, je devrai suivre son exemple ; j'espère que je saurai alors me montrer aussi fort qu'elle.
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