XII - sombres réminiscences d'un passé occulté
Attention : ce chapitre est plus sombre que les précédents, alors je préfère prévenir ; il contient une scène de violence et des allusions au viol. Si cela vous dérange, vous pouvez sauter le passage marqué des mots (SCENE DURE) et passer au chapitre suivant sans que cela ne nuise réellement à l'intrigue. Toutefois, une chose qui s'y déroule est assez importante alors j'essaierai de l'expliquer au début du chapitre suivant :)
Bonne lecture tout de même :)
Le choc m'a cloué sur place. Je me suis transformé en statue.
Mes yeux refusent de croire ce qu'ils voient. Non. Pas Zaïr, c'est impossible ! Il ne joue plus...
Mon coeur se serre, alors que je recule dans l'ombre. Ils ne doivent pas me voir. Les Fantômes sont redoutables et risqueraient de m'emmener s'ils me suspectent. Je sais que mon cousin refuserait que je risque ma vie pour essayer stupidement de courir vers lui au milieu de la rue.
Malgré tout, mon sang se met à bouillir. Ils n'ont pas le droit ! Zaïr n'a rien fait de mal ! Il s'est tué à la tâche dans sa putain d'usine toute sa vie pour essayer de survivre, et de s'occuper de moi ensuite ! Il a arrêté de jouer il y a des semaines, personne n'a pu le dénoncer ou le reconnaître... si ? Mais ça n'a aucun sens ! Si quelqu'un l'avait démasqué, il n'aurait pas attendu avant de le livrer aux Fantômes...
Je ne comprends plus rien. J'observe les hommes en blanc emmener mon cousin, le sang battant aux tempes, la rage au ventre. Elle grossit peu à peu, elle enfle, gonfle, me jette des pensées meurtrières dans la tête. Ils n'ont pas le droit, pas le droit...
Ils jettent Zaïr dans l'arrière d'un fourgon et les portes claquent. La suspension magnétique s'active et le véhicule se décolle du sol sans bruit, s'immobilise à une trentaine de centimètres du goudron craquelé, puis s'enfuit rapidement à travers les rues du quartier désert. Sans un bruit, sans une trace, ne laissant rien derrière comme preuve de son passage, rien que des souvenirs et une colère grondante dans ma poitrine.
Les Fantômes ont disparu.
***
Je dois faire quelque chose. Je ne peux pas rester ici et enterrer mon cousin sans rien tenter.
Je n'ai rien pu faire lorsque les Fantômes sont venus l'arrêter en pleine rue, mais si je me fais discret, je pourrais...
Je risquerais de mourir. Ce serait extrêmement dangereux. Il ne me pardonnerait jamais de risquer ma vie en m'infiltrant au Panthéon...
Mais si je ne me fais pas prendre, alors... Personne n'en saura rien. Nous pourrons vivre à nouveau ensemble et nous cacher dans les bas-fonds. Je jouerai au Skehrr et rapporterai assez pour manger. Et nous serons ensemble.
Je serre les lèvres. Vais-je vraiment tenter de pénétrer au Panthéon et de délivrer un prisonnier ?
Je tords mes doigts et m'assieds lourdement sur le lit de Zaïr. Il est défait, l'appartement est saccagé, mais ils n'ont rien emporté, seulement la seule personne qui compte réellement pour moi. La fenêtre sale claque violemment sous la force du vent, qui entre et fait voler une feuille en papier. Elle se pose dans l'entrée, à côté des chaussures de mon cousin, abandonnées, délacées et délaissées. Seules. Comme moi. Comme Zaïr, dans sa cellule.
Tout est de ma faute. Et s'ils avaient remonté ma piste jusqu'ici ? Et s'ils avaient emmené Zaïr en le prenant pour moi ?
Une nausée m'enserre la gorge. Je ne me le pardonnerai jamais, si c'est effectivement le cas. Mais pourquoi ? Pourquoi moi, pourquoi lui ? Nous sommes insignifiants, invisibles aux yeux de ces gens privilégiés. Nos vies n'ont aucune valeur ! Je l'admets volontiers, même si cela me dégoute toujours autant. Je sais qu'ils se moquent pas mal de nos existences de pestiférés, d'inaptes.
Mes poings se serrent et je me lève pour me diriger vers le coffre qui contient mes affaires. Je le déverrouille rapidement et en sors un tissu enroulé autour de quelque chose de forme allongée. Je prends l'objet à pleines mains et laisse glisser l'étoffe jusqu'au sol, dévoilant une lame brillante et aiguisée, une dague toute simple, mais fonctionnelle. Mes yeux luisent d'une lueur dangereuse au milieu de mon visage impassible, alors que mes doigts se referment doucement autour du manche.
Oui. Oui, je vais infiltrer le Panthéon.
***
Je souffle bruyamment, la main sur la poignée, vérifiant une dernière fois que j'ai emporté toutes les choses nécessaires dans mon sac qui pend sur mon épaule.
Mes pas me guident hors de l'immeuble, comme mûs par une volonté propre. Je débouche dans la ruelle, c'est le soir. Je marche, vêtu de mes vêtements de joueur, mais pas sous le déguisement d'Okami. Cette identité se trouve compromise dorénavant... Je ne tiens pas à être arrêté sur la route par quelque espion mieux caché qu'un autre, ou par un joueur désireux de se faire un peu d'argent. Alors, ce sont les voiles légers de Loki qui camouflent mes formes, me transformant en une vague silhouette floue dans la pénombre. Je me confonds avec la nuit et, puisque j'ai ôté tout bijou, je suis parfaitement silencieux. Lentement, je longe les murs, esquive les lueurs vacillantes des lampadaires. Le goudron du sol se creuse par endroits de nids-de-poule inondés d'eau sale et puante, des débris divers se sont détachés des façades et gisent sur les trottoirs craquelés, aux pavés déchaussés. Mes pas se font prudents. Pas question de me tordre la cheville.
Je sais précisément où je dois me rendre pour infiltrer l'immense quartier du Panthéon. Il s'agit en réalité d'une ville dans la ville ; une sorte de muraille entoure les maisons avec jardins, afin de s'assurer que personne ne puisse pénétrer dans ce lieu "sain" sans se signaler. Quelques portes excessivement gardées sont percées à intervalles réguliers dans ce mur. Aux abords de la muraille vivent les habitants ni vraiment pauvres, ni aisés ; des gens entre-deux, qui espèrent désespérément intégrer l'élite, mais resteront dans leur situation précaire à jamais, car entrer au Panthéon sans y être né est extrêmement compliqué, pour ne pas dire impossible.
Mes parents vivaient dans ces abords. Ils voulaient que j'aie une chance dans la vie d'en avoir une meilleure. L'ironie du sort veut que j'aie raté tout seul le Test qui m'aurait ouvert les portes du paradis et en quelque sorte, je suis heureux qu'ils n'aient pas vus tous leurs efforts réduits à néant.
Les ruelles changent peu à peu, les déchets se raréfient légèrement. Je me faufile jusqu'à un bâtiment immense, composé d'appartements. Juste derrière la bâtisse, le mur qui me sépare du Panthéon s'élève, semblant presque toucher le ciel à son sommet. Je me glisse jusqu'à la porte et entre un code à quatre chiffres en priant pour qu'ils ne l'aient pas changé. Puis, alors qu'un "bip" peu sonore retentit, je souffle de soulagement et pénètre dans le hall sombre, à peine éclairé par la lune qui traverse la fenêtre à barreaux.
Le carrelage fait résonner mes pas, alors que je me dirige vers un passage découvert alors que je n'étais qu'un enfant. Il est caché dans l'ombre, à l'opposé des cages d'escaliers, dans un renfoncement du mur quasiment invisible. La porte moisie à la poignée rouillée grince légèrement alors que je la pousse, pénétrant dans la pièce qui m'est familière, mais ne recèle pas de souvenir heureux. Tout ce que j'aie jamais fait, dans cet endroit, c'est trembler, pleurer, gémir, alors que les surveillants de la résidence fouillaient l'immeuble entier pour me retrouver.
J'avais dû vivre ici au décès de mes parents, avec d'autres adolescents orphelins dont l'ascendance permettait un logement jusqu'au Test. Après, c'était soit le Panthéon, soit les bas-fonds. Et nombreux étaient ceux qui avaient peur d'échouer. Ils voulaient se prouver qu'ils étaient forts, puissants, alors ils persécutaient les autres. Les surveillants ne disaient rien, après tout nous allions presque tous finir dans les quartiers pauvres. Ils étaient payés pour cuisiner, nettoyer, s'occuper des plus jeunes. Mais les adolescents n'étaient rien pour eux. Et moi, j'étais trop vieux pour mériter leur attention, hormis lorsque je disparaissais. Là, ils étaient obligés de me retrouver s'ils ne voulaient pas avoir d'ennuis et de paperasse à remplir.
Je secoue la tête pour m'ôter ces souvenirs des pensées et me faufile dans le noir jusqu'à arriver à la petite fenêtre grillagée, à deux mètres de haut, qui donne sur une petite ruelle plongée dans l'obscurité et longeant le mur. A l'aide de quelques caisses, je grimpe jusqu'à l'atteindre, saisissant les barres entre mes doigts. Un rapide coup d'oeil me permet de voir que l'accès à la ruelle est toujours dégagé. Ils ne l'ont pas bouché. Un sourire soulagé s'étend sur mes lèvres et je plonge une main dans mon sac.
J'en sors une grosse pince et inspire un grand coup. J'approche le métal des barres rouillées et fragilisées, les enserrant de l'instrument, avant de tirer d'un coup. Le barreau bouge, se descelle, et je recommence plusieurs fois avant que le bout de métal ne se détache entièrement. Il tombe au sol, là où j'avais placé un vieux drap, qui étouffe le bruit de la chute. Je répète les opérations pour les deux autres barreaux de la fenêtre et finis par la dégager. Le verre est fragile, alors je frappe dedans avec ma pince métallique et il se brise.
Je range tout dans mon sac et me hisse dans l'ouverture, juste assez large pour laisser passer mes épaules. Je me contorsionne, mais finalement je roule dans la ruelle pavée. En face de moi, aussi haut qu'une falaise, se dresse le mur du Panthéon. J'y suis presque, je sais qu'il y a un moyen de le passer...
— Eh bien, qui va là ?
(SCENE DURE) Passez-la si vous le désirez.
Je me fige, entièrement pétrifié. Cette voix. Je la connais.
Une sueur froide me glisse dans le cou. C'est un cauchemar. Il ne peut pas être là. Pas lui. Non. Pas lui. Je ne veux plus. Je ne veux pas. J'ai tout fait pour oublier.
— Edo, lâché-je du bout des lèvres.
Une lampe s'allume sur le mur de briques du logement pour orphelins. Elle éclaire une haute silhouette, aux épaules de taureau, qui se tient à quelques mètres. Son visage m'est connu. Ce type répugnant était un surveillant. Je ne l'ai pas beaucoup côtoyé, car il est arrivé peu avant que je sois envoyé au Test. Mais jamais je ne l'oublierai. Jamais je ne pourrai le faire disparaître de mes souvenirs, malgré toute ma volonté.
— Alors, Eikan... Toujours aussi mignon, je vois.
Sa voix me fait trembler. Je le hais, je le déteste de toute mon âme, mais je n'ai jamais réussi à lui tenir tête. J'ai peur, je suis un gamin effrayé face à lui. Même s'il n'a pas haussé la voix, j'ai l'impression qu'il m'a frappé, que mes pieds sont cloués au sol, qu'un poids immense pèse sur mon torse. Et mon corps n'arrête pas de trembler. Je ne sais pas quoi faire, je suis paralysé.
Je le vois avancer, et plus il approche, plus mon coeur bat frénétiquement dans ma poitrine, comme s'il désirait en jaillir pour échapper à cet homme.
— Eikan, ça fait plaisir de te voir... ça fait longtemps...
J'ai envie de vomir. Edo est proche, maintenant. Je finis par reculer dans un réflexe inutile, sans regarder où je vais, je n'arrive pas à le lâcher des yeux. Je parvenais à l'éviter la plupart du temps dans les logements car je me précipitais là où se trouvaient d'autres personnes. Or, ici, dans cette ruelle, nous sommes seuls.
Mes mains tremblent violemment quand je heurte un mur dans mon dos. Je jette des regards affolés dans tous les sens, mais je suis piégé. C'est un renfoncement dans la façade de la bâtisse, camouflé par quelques bennes à ordures, la lampe éclaire à peine l'endroit. Juste assez pour que je le voie me détailler de son regard affamé.
Ma respiration accélère. Mon coeur s'affole. Un sourire ignoble étire les lèvres d'Edo.
— Tu m'as manqué... Tous ces gosses ne peuvent pas rivaliser avec toi, petit ange...
Je vais vomir. Je suis sûr que je vais vomir. Je me sens si mal que je risque de m'évanouir sur les pavés, mais si je fais ça, je serais complètement à sa merci. Une voix me souffle que vu ce qu'il projette sans doute de faire, ça vaudrait peut-être mieux que je sois inconscient.
J'ai envie de pleurer.
— Ne fais pas ça, Edo... murmuré-je.
— Tu m'as échappé si longtemps, petit ange...
Il ne s'arrête pas. Il est tout près, trop près, il lève une main. Brutalement, quelques souvenirs de mes apprentissages avec Ashes me reviennent et je la frappe pour l'empêcher de toucher mon visage, dans un réflexe de survie, comme un animal piégé. Son sourire se fige dans une expression menaçante.
— Tu sais que tu ne peux rien faire. Arrête de résister.
Alors malgré tout ce temps, malgré tout ce que j'ai appris, malgré tout ce que m'a apporté ma double vie, je ne peux rien faire ?
Je frissonne. C'est horrible, le pouvoir que ce type détient encore sur moi. J'en suis réduit à le fixer comme un chiot effrayé. Je voudrais le frapper, m'enfuir, je le veux tellement ! Mais mon corps ne me répond plus.
Ses mains enferment mes poignets. Les lèvent. Son visage s'approche. Ses yeux plongent dans les miens. Des larmes m'échappent, un sanglot me secoue. Tout s'emmêle dans ma tête, les souvenirs se confondent au présent. La pierre glaciale dans mon dos me fait mal, mes épaules sont presque déboîtées. Edo est beaucoup plus grand que moi. Je vois dans son regard qu'il compte bien aller au bout de ce qu'il a prévu. Je lui ai échappé si longtemps... Il veut me le faire payer.
Je m'agite dans un dernier sursaut, tire sur mes bras, mais il secoue mes poignets et ma tête heurte le mur, me laissant sonné et amorphe durant quelques instants. Mes yeux papillonnent, mes lèvres s'entrouvrent, je cherche de l'air.
Il lâche mes poignets d'une main, qui vient effleurer mes bras, jusqu'à saisir mon menton. Je détourne la tête, il me la ramène brutalement vers lui. Mon corps tremble, s'agite faiblement contre le mur. Je suis si faible... C'est comme si j'étais encore un enfant...
Une nausée me tord l'estomac lorsqu'il se colle à moi.
Non. Non. Pas ça. Stop !
Un puissant cri m'ébranle soudainement et un grondement menaçant résonne dans la ruelle. Une brume écarlate nous enveloppe, parcourue d'éclairs crépitants. Edo écarquille les yeux, sans pour autant me lâcher.
— Qu'est-ce que...
La brume se compacte, forme une fourrure noire et deux yeux brûlants d'une flamme vengeresse. Des crocs immaculés apparaissent, puis deux oreilles pointues...
Un loup géant projette l'homme sur les pavés ; les pattes sur son torse, il baisse la gueule vers sa gorge palpitante. Edo est trop terrifié pour crier, il fixe l'apparition sans bouger. Cloué au sol.
Une impression de puissance infinie m'envahit alors que je partage brièvement mon esprit avec Nox. Il veut le tuer. Je veux me venger.
Je détourne les yeux, puis un horrible craquement m'apprend que ses vertèbres se sont rompues sous la force colossale de la mâchoire du loup.
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