VIII - insinuations perfides et jeux ostentatoires

— Okami ! Comment ça va ?

— Eh, Okami, viens boire un coup à notre table !

— Encore bravo pour ta victoire, Okami !

Les clients du bar m'accueillent bruyamment dès ma sortie de l'arène. J'ai fait face à un colosse et sa panthère, autant dire que ce soir, c'était spectaculaire et un combat compliqué, mais les joueurs ont apprécié et Ashes m'a même fait un signe de tête approbateur.

Je décline quelques invitations à boire et m'assieds souplement sur un tabouret en face du comptoir, bien vite rejoint par une silhouette fine au masque de chat. Bastet.

— On dirait que tu te fais ta petite réputation, Okami, me souffle-t-elle.

Je ne sais pas trop quoi répondre à ça, alors je hoche la tête et me saisis du verre déposé par le barman en échange d'une pièce. C'est vrai, ma réputation se construit, je m'approche des sommets de la hiérarchie des joueurs. Je ne suis toujours pas assez puissant pour vaincre le champion, mais ce n'est pas mon objectif. Je ne suis là que pour gagner de quoi vivre, pas de la gloire. 

— En tout cas, qui aurait cru te voir grimper les échelons si vite...

— Certainement pas moi, lui soufflé-je avant de boire une gorgée. 

Je peux sentir son regard perçant sur moi, il me brûle presque la peau. Depuis le temps que je la "connais", je n'ai jamais réussi à me sentir en confiance en sa présence. Elle me met furieusement mal à l'aise. 

— C'est à croire que tu as été entraîné pour le Skehrr. C'est étrange, vraiment. 

Ses insinuations me font froncer les sourcils. Je déteste ce ton, comme si elle me menaçait sans en avoir l'air, persuadée d'être plus intelligente que tout le monde. 

— Dis-moi directement ce que tu penses, ça ira plus vite, grincé-je. 

Elle laisse échapper un petit rire. 

— Tu ne manques pas de caractère, finalement. Le petit chiot effrayé est loin derrière toi. 

Son souffle chaud m'effleure l'oreille quand elle se penche vers moi, comme pour me confesser quelque chose. Son masque délicat brille sous l'éclat des lampes tamisées et ses yeux d'ambre paraissent presque jaunes. 

— Tu débarques, petit angelot blond, un véritable canon du Panthéon... Et tu te mets à gagner presque tous tes combats. Si tu avais été un petit espion, une jolie taupe, je n'en serais même pas étonnée. 

Mes doigts se lèvent sans mon accord et enferment le menton de la joueuse. Je lui tire le visage, plantant mes yeux dans les siens, furieux. Mes lèvres peintes de noir se tordent et les mots jaillissent, tout bas, mais pas moins percutants. 

— Je ne travaillerai jamais pour le Panthéon, articulé-je d'une voix légèrement menaçante. Je t'interdis de dire des choses aussi insultantes, Bastet... 

Je la relâche et elle se recule, enragée. Même avec un masque, elle ne peut pas cacher son expression colérique. Ses doigts se crispent sur le manche d'une dague et elle la caresse, sans doute une manière de reprendre le contrôle de ses émotions. Je reprends une gorgée et pose mon verre sur le bois laqué du bar, avant de me tourner vers elle, un peu plus calme.

— Je comprends que ce soit étonnant. Je t'assure que moi-même, je ne comprends pas, mais je suis doué au Skehrr, c'est tout. Et mon apparence m'incommode autant que toi, sache-le. Je hais profondément le Panthéon, et jamais je ne m'abaisserais à travailler pour eux. 

Elle renifle, pas convaincue. Soupirant, je hausse les épaules et balaye la salle du regard. Du moment qu'elle arrête de m'accuser, elle peut penser ce qu'elle veut. Moi, je connais la vérité. 

***

— Merci. 

Zaïr se saisit de l'assiette que je lui tends avec un sourire et se replace dans les coussins. Il ne quitte pas souvent son lit, sauf pour aller aux toilettes et se débarbouiller, mais il a meilleure mine. Je sais que c'est grâce à la nourriture, de bien meilleure qualité. Aujourd'hui, c'est une saucisse avec des carottes et des pommes de terre qui reposent dans l'écuelle ébréchée, encore fumantes. 

Il commence à manger avec un plaisir évident, mais moi je n'en fais rien, préférant l'observer. Ses joues un peu rougies, ses yeux brillants, son visage détendu, en paix. Il a l'air tellement mieux, tellement plus... heureux. Et pour cette simple vision, jamais je ne regretterai d'avoir commencé à jouer, même si c'est dangereux. 

Je ferais n'importe quoi pour que Zaïr sourie ainsi plus souvent. Il est ma seule famille et je l'aime de tout mon coeur. Je lui dois énormément... 

Un sourire prend place sur mes lèvres également et je commence à dévorer ma part avec appétit. Je me sens bien. Pour la première fois depuis longtemps, mes soucis semblent définitivement partis. 

***

— Donc c'est une soirée d'exhibition ? 

Mon ton dubitatif fait rire Storm. A vrai dire, le terme "exhibition" sonne étrangement dans mon esprit. 

— Il n'y a rien de pervers là-dessous, Okami ! Ce n'est qu'un spectacle pour animer la nuit. Rien de douteux, je t'assure. 

— Petit bébé innocent, me souffle Bastet distraitement. 

Je l'ignore superbement et continue d'écouter le gérant du bar qui détaille le déroulement de la soirée. Il s'agit de combats pensés comme des spectacles afin d'en mettre plein la vue aux gens hors de l'arène. Storm a convié des Warriors possédant des Sentokis impressionnants dans diverses catégories, qu'ils soient menaçants, gracieux, charismatiques... Bien évidemment, l'identité du joueur a son importance et les heureux élus sont connus au sein de la petite communauté pour différentes raisons. 

J'ai l'honneur de participer à ce show, avec à la clé un petit bonus financier qui ne me déplaît pas le moins du monde. 

— Bien, vous avez tout retenu ?

Les joueurs attablés à mes côtés hochent la tête. La grande surface de bois laqué qui nous sépare, où se trouve un émetteur d'hologramme, permet de nous donner un schéma en 3D de l'arène et de nos positions à tout instant. Nous avons pu admirer le sens du spectacle de Storm et Ashes, qui l'a aidé. 

— Alors je vous libère, Warriors. 

Les places se libèrent dans la pièce, jusqu'à ce que ne restent que Storm, Ashes, Bastet et moi. Un long soupir échappe à mon mécène, qui croise les mains sur la table devant lui. Ses yeux se posent successivement sur son ami, puis sa disciple et moi, comme s'il vérifiait que nous étions bien attentifs. La lampe orientale au plafond nous éclaire doucement, dans une lumière tamisée et douce qui donne un air satiné aux masques qui camouflent nos identités. Pourtant, nous avons l'impression de nous connaître. C'est vraiment étrange comme sentiment. 

— Les autres sont plus anciens que vous, alors ils sont déjà au courant. 

Je reporte mon attention sur Ashes. Derrière son masque gris veiné de blanc, il paraît préoccupé. Cela fait poindre une légère inquiétude dans un coin de mon esprit. 

— Bastet, Okami, ce genre de soirée rapporte énormément au bar. Vous vous en doutez, certains joueurs solitaires viennent pour l'occasion, commandent à boire et parfois, défient certains Warriors. Mais il y a un revers : les éventuels espions du Panthéon peuvent nous trouver plus facilement. 

Il lance un regard à Storm, qui prend le relais, grave. 

— Nous avons la mission de les débusquer. Avant le spectacle, il y a toujours quelques combats pour chauffer la foule et c'est en cet instant que nous agissons. Nous avons un code, entre joueurs, qui nous permet de démasquer un éventuel espion. Il s'agit d'une simple phrase et en fonction de ce que répond notre interlocuteur, nous pouvons l'identifier. C'est ainsi que nous arrêtons les espions discrètement. Bien sûr, lorsque les espions reconnaissent nos joueurs, ils s'en méfient et s'en éloignent, mais vous deux... Vous êtes nouveaux. Il y a peu de chance qu'ils vous connaissent et vous reconnaissent. 

— Tu veux qu'on devienne espions le temps de la soirée, avant notre apparition, clarifia Bastet. 

— Exact. Nous allons vous donner les codes nécessaires à cette mission, et il faudrait que vous changiez de déguisements histoire de ne prendre aucun risque, renchérit Storm. 

Je hoche la tête, attentif. Le seul risque que nous prenons en obéissant à Storm, est celui de manquer un éventuel espion du Panthéon. Nous ne risquons pas de nous faire démasquer, c'est la raison pour laquelle j'accepte de jouer l'agent secret — si l'on peut appeler mon nouveau statut ainsi. 

Bastet semble du même avis que moi, car nous acceptons la mission d'une même voix. Je peux presque voir Storm et Ashes sourire. 

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