VI - les flammes de l'ascension
Mes doigts volent au-dessus des cordes avec une fluidité qui me revient peu à peu. J'ai autrefois beaucoup aimé jouer de la musique, mais au fil du temps elle a pris la teinte d'une bourgeoisie que j'exècre. J'ai de moins en moins touché à ma vieille guitare, surtout après le décès de mes parents.
Ensuite, j'étais trop occupé à survivre et à encaisser les moqueries, à étudier dans l'espoir d'avoir une place dans la société du Panthéon, malgré le dégout qu'elle m'inspire. Et ce Test a anéanti tout espoir... On m'a écarté, malgré mes notes brillantes, sans explication. Je devais ne pas correspondre à leurs mystérieux critères, je n'étais peut-être pas assez riche, qui sait !
Alors toucher à nouveau le bois laqué, les cordes métalliques, cela fait remonter énormément de souvenirs. Un air de profonde mélancolie ne quitte pas mes traits, sous le regard désapprobateur de mon cousin allongé dans son lit.
— En plus de jouer au Skehrr, tu as obtenu une guitare par je ne sais quel moyen et tu joues dans un bar ? As-tu perdu la tête ? soupire Zaïr.
— Je fais ce que je peux pour nous nourrir, murmuré-je en laissant un nouvel accord s'élever.
Il souffle et se recouche dans les coussins, les yeux clos. Il sait que cela ne sert à rien de me reprocher de passer mes nuits dehors, mais il ne peut s'empêcher de s'inquiéter.
Je passe encore de longues minutes à retravailler ma technique, à échauffer mes doigts fins et trop délicats pour cette vie. Vraiment, comment des parents issus du bas de la société ont-ils pu avoir un enfant comme moi ? Physiquement, je suis aussi parfait aux yeux du Panthéon que les nobliaux qui vivent dans leurs châteaux. Mais voilà, ils m'ont envoyé ici.
— Va dormir, Eikan.
Je lève mes yeux de l'instrument et soupire, mais obtempère. Je dois récupérer des forces, puisque la nuit je cours les rues et descends dans les égouts. Zaïr sait ce que c'est et je l'écoute. Je ne servirais à rien si je suis épuisé.
Une fois couché sous les draps, je calme doucement mon souffle et me laisse tomber dans un sommeil profond.
***
— Okami, c'est à toi !
Je lève les yeux de ma guitare et hoche la tête, la rangeant dans le coffre qui m'a été attribué. A la place de l'instrument, je saisis la sphère noire veinée de rouge qui reposait dans ma poche et vérifie la position de mon masque. Mes bracelets tintent alors que je salue Storm en le dépassant. Cela fait quelques nuits que je viens chez les Warriors et chaque soir, j'ai affronté des débutants, offrant du spectacle aux clients du bar. Le boss est content de moi et j'empoche de quoi vivre. Bientôt, je devrai donner la contrepartie des conseils d'Ashes, qui me suit depuis le début, mais je ne suis pas impatient du tout. Les clients du bar n'ont pas l'air de fans de musique.
Alors que je progresse dans un des couloirs du sous-sol, aux murs rouge sombre et au sol noir, une silhouette avance vers moi et je m'arrête à sa hauteur, prêt à l'écouter. Son masque gris et blanc me cache encore et toujours ses traits et son état d'esprit, mais lorsqu'il prend la parole je pense distinguer un peu de préoccupation, ce qui me rend d'autant plus attentif.
— N'oublie pas, ne fonce pas dans le tas, cette fois. C'est autre chose que les précédents, me rappelle Ashes sur le chemin de l'arène. Celle-là, c'est un peu plus coriace. Fais attention à elle, cette joueuse maîtrise les techniques au corps-à-corps. Empêche-la de toucher à Nox.
Je hoche la tête, alors que mes sourcils se froncent sous mon masque de loup. Si cet adversaire s'engage personnellement dans le combat, cela va compliquer les choses... Cependant, je ne crains pas vraiment la défaite ; j'ai confiance en Nox et en cet étonnant lien qui me permet de comprendre son état d'esprit, ses intentions et inversément.
J'ai remarqué qu'aucun joueur ne parlait de cette communication, alors j'ai préféré me taire.
— Bien, alors bonne chance. Ah, et Storm t'a prévu un concert après, juste deux ou trois morceaux, t'es prêt ?
— Evidemment.
Il émet un bruit d'appréciation, puis me laisse à nouveau seul. Concentré, je me rapproche de la porte et inspire profondément.
— Mesdames et messieurs, le combat suivant opposera l'étoile montante Okami, le Loup Noir, à l'une de vos favorites, Ignis, la Flamboyante !
Le carré de lumière, à présent familier, s'allume face à moi et je le franchis d'un pas, pénétrant dans l'arène au milieu des clameurs impatientes de la foule. Mon adversaire entre aussitôt après moi et ne passe clairement pas inaperçu ; ses habits, faits de tissus amples à l'air vaguement oriental, sont entièrement rouge et or. Son masque, canin et dans les mêmes tons, se termine en voile long qui cache jusqu'à son sternum. De longues mèches brunes, si parfaites et brillantes que ce doit être une perruque, ondulent jusqu'à son bassin, mêlées de tresses dorées. Il n'y a pas à dire, elle cultive son personnage...
J'ai déjà entendu parler de cette Ignis. Une combattante jeune et agile, rapide, avec un Sentoki particulièrement vif. Elle possède beaucoup de victoires à son palmarès et pas uniquement face à des débutants. Le brouhaha appréciateur des clients, lorsqu'elle entre dans l'arène, me fait penser que nombreux sont ceux à parier sur sa victoire. A moi de leur montrer qu'ils ont tort.
— A vos Sentokis ! hurle Storm dans son micro, bien à l'abri derrière les murs de l'arène.
Je presse mon doigt sur la sphère, laisse une goutte vermeille perler et Nox apparaît dans un nuage carmin du plus bel effet. Depuis nos débuts, il a beaucoup changé ; le chien vaguement menaçant s'est métamorphosé en véritable loup affamé, plus haut que mes hanches, à la gueule garnie de crocs immaculés et au regard toujours aussi rouge. Sa fourrure noire et ses griffes recourbées ajoutent à sa silhouette de prédateur un air de présage de mort. Je suis énormément fier de son apparence, qui à elle seule suffit à faire passer dans le regard de l'adversaire une lueur de frayeur subite.
En face, Ignis actionne sa sphère et un nuage doré dévoile un fennec aux grandes oreilles touffues. Il atterrit souplement sur le sol de pixels émeraude et agite ses neuf queues tourbillonnantes en nous fixant de ses yeux semblables à des orbes de feu. Le Sentoki arrive un peu au-dessus des genoux de sa joueuse, soit plus haut qu'un fennec normal, mais bien plus petit que Nox.
A son apparence, je fronce légèrement les sourcils sous mon masque. Ce Sentoki n'est pas simplement un animal qui combat de ses griffes et de ses crocs. Il cache autre chose, une autre manière de se battre, que je ne peux prévoir. Les braillements de Storm me sortent un instant de mes réflexions.
— Prêts ? C'est parti !
Mon adversaire me fixe dans les yeux et, d'un geste, fait bondir le fennec dans notre direction. D'une simple pensée, j'enjoins Nox à faire de même, tout en restant sur ses gardes. Lui aussi semble avoir compris que ce combat ne sera pas aussi simple que les précédents.
Le loup noir gronde en fonçant sur l'autre canidé. Il est bien plus fort, plus massif et plus puissant que le renard du désert, mais ce dernier ne frémit pas, pas plus que sa joueuse. Elle observe Nox galoper avec un air tranquille, presque blasé, qui a le don de me faire réfléchir. Que cache-t-elle ? Quelle est la raison de son assurance ?
Nox comprend ma réserve et un souffle tranquille balaie la lisière de mes pensées. Il sait ce qu'il fait, semble-t-il me dire. Je décide de le croire et laisse un sourire étirer mes lèvres noircies, ramenant mes bras pour les croiser sur mon torse dans un tintement de bracelets métalliques. Moi aussi, je peux jouer à ce jeu-là, Ignis.
Quelques petits mètres séparent les Sentokis, qui bondissent vers un choc plus que certain. Inconsciemment, mes muscles se contractent et je me raidis. Je n'ai pas oublié que, par un procédé inexplicable, je ressens une partie de la douleur éprouvée par Nox.
Mais le contact ne vient pas, car une tornade de flammes se rue soudain sur le loup noir, l'englobant dans une déferlante brûlante sous mes yeux ébahis.
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