La dernière promenade du soldat

Bonjour!

Voici donc l'unique texte envoyé dans le cadre du premier concours de nouvelles du projet. Je vous mets au défi de trouver de qui elle provient. Il faut écouter la musique mise en média en lisant, même si j'ignore si c'est possible de faire jouer le vidéo en lisant.

Alors, lisez et devinez!

***

- Je pars me promener, Agathe. Dites à mes parents que je reviendrai dans quelques heures.

- D'accord, Mademoiselle, mais habillez-vous chaudement car il fait froid à l'extérieur.

Éléonore suivit le conseil de la vieille domestique et entoura son châle en laine préféré autour de ses épaules et enfila ses bottines noires. Elle descendit les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée et sortit rapidement du manoir. Son souffle se figea dans l'air dès qu'elle franchit le seuil de la porte mais elle remonta le col doublé de fourrure de sa robe et continua son chemin. Elle n'en pouvait plus de rester chez elle ; cela faisait déjà plus de deux semaines que sa famille et elle avaient déménagé dans leur nouvelle maison mais elle n'avait pas encore eu la chance de visiter les alentours. Quoique le vieux manoir présentait un vaste terrain d'exploration avec ses interminables corridors et ses escaliers cachés menant à des cabinets secrets, Éléonore était plus intéressée par le parc qui l'entourait.

Elle emprunta le sentier qui d'après le fils du cuisiner traversait le bois d'un bout à l'autre et accéléra le pas pour se réchauffer. Il faisait particulièrement froid pour cette fin octobre. Des nuages gris couvraient le ciel depuis plusieurs jours et le vent avait arraché la moitié des feuilles des arbres. Contrairement à sa sœur, Éléonore ne considérait pas l'automne comme une saison lugubre durant laquelle la nature mourait. Elle voyait la beauté dans ces feuilles jaunes, orange et rouges qui craquaient sous ses pieds et voltigeaient au-dessus du sol au gré du vent. Elle aimait respirer l'air pur et frais de la nuit. L'automne avait toujours été son temps de l'année favori.

Issue d'une vieille famille de nobles, Éléonore était la fille cadette de Margot et Henri de Montmartre. Âgée de dix-sept ans, elle était une belle jeune fille à la peau pâle, aux lèvres très roses et aux cheveux noirs. À cause de la guerre qui continuait de ravager leur pays malgré les contre-attaques de leurs vaillants soldats, sa famille et elle avaient été contraintes à fuir la ville pour la campagne. Si pour sa sœur aînée Marguerite, le départ était une tragédie car il la forçait à se séparer de ses amies et l'empêchait d'assister aux fêtes mondaines, Éléonore était plutôt contente du changement. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas les bals ou les grandes réceptions mais le calme de la nature et les soirées de lecture passées au coin du feu lui plaisaient plus.

Un corbeau croassa quelque part derrière elle. Elle était arrivée dans le bois. Les petits buissons avaient cédé leur place aux chênes et aux bouleaux dont la cime dépasserait le balcon de sa chambre située au deuxième étage. Les branches des arbres encore feuillues créaient un toit multicolore au-dessus du sentier sur lequel elle marchait. À part pour le bruissement du vent dans le feuillage et le craquement des feuilles mortes sous ses pieds, la nature était silencieuse. En inspirant, elle sentait l'odeur de l'écorce et de la terre rendue humide par la dernière pluie. Même un léger brouillard avait sa place dans le parc. Il était bas et donnait une atmosphère mystérieuse au bois. Éléonore s'arrêta et ferma ses yeux afin de mieux savourer la sombre journée d'automne. Elle avait toujours préféré la pluie au soleil, l'hiver à l'été et le noir au blanc. C'était facile de voir la beauté dans des champs de fleurs ou dans le ciel bleu de l'après-midi quand on craignait le feu et les orages mais pour elle, c'était dans les oscillations de la flamme de sa bougie et dans les éclairs qu'elle trouvait la vraie splendeur de la nature. C'était drôle comment ses amies et même sa famille la considéraient ténébreuse et mélancolique alors qu'elle était joyeuse de caractère. Le seul à avoir partagé ses préférences était Louis de la Faye.

Un sourire se peignit sur ses lèvres au souvenir de son meilleur ami. Ils se connaissaient depuis plus de dix ans et avaient grandi ensembles. De trois ans son aîné, c'était derrière son dos qu'elle s'était cachée des clowns du cirque quand elle avait eu huit ans, c'était avec lui qu'elle avait volé plusieurs livres de la Grande Bibliothèque et s'était perdue dans la ville par la suite. Où était-il en ce moment ? Cela faisait déjà plusieurs mois qu'il ne lui avait pas écrit du front. Elle espérait que rien ne lui était arrivé. Son départ à la guerre avait été aussi éprouvant pour lui que pour elle. Il l'avait longuement serrée dans ses bras avant de l'embrasser sur le front et monter dans le train en promettant de lui écrire tous les mois, promesse qu'il avait religieusement tenue. Pendant deux ans, ils s'étaient parlé via les longues lettres qu'ils s'envoyaient dans lesquelles il lui racontait sa vie au front et elle le tenait au courant de ses activités quotidiennes. Éléonore soupira et rouvrit ses yeux en baissant son regard sur le tapis orange à ses pieds. Elle n'avait pas vu Louis depuis le jour où ils s'étaient séparés et il lui manquait terriblement.

Une feuille intacte attira son attention et elle se pencha pour la prendre. Elle était jaune avec des extrémités rouges vif. Éléonore la glissa dans la poche de sa robe et reprit sa marche. Son vœu le plus cher était que la guerre finisse au plus vite et que Louis revienne.

Le vent souffla et secoua les branches des arbres au-dessus d'elle. Quelques gouttes tombèrent sur son visage et roulèrent sur ses joues telles des larmes. Elle leva sa main et les essuya. Le bois était devenu moins dense autour d'elle mais le brouillard s'était intensifié. Elle serra le châle autour de ses épaules et se frotta le visage avec ses mains pour le réchauffer. Il lui semblait voir un chemin au loin mais elle ne pouvait pas en être sûre. C'était fort possible qu'elle était sortie de sa propriété ; le fils du cuisiner lui avait parlé d'un manoir qui ne se situerait pas trop loin du leur. Elle regarda de nouveau vers l'endroit où elle pensait voir le chemin et distingua une silhouette d'un homme. Qui pouvait donc se promener sous cette froide journée autre qu'elle ? Était-ce leur voisin ? Elle marcha dans sa direction, curieuse de découvrir qui il était. L'homme parut la remarquer car il s'arrêta. C'était étrange comment de loin il ressemblait à Louis. Elle accéléra le pas involontairement. C'était impossible que ce soit lui. Il lui aurait écrit pour lui annoncer son arrivée à moins qu'il voulait lui faire une surprise. L'homme ressemblait comme deux gouttes d'eau à son ami.

- Nore !

- Louis ?

L'instant d'après elle était dans ses bas. Il avait grandi depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus et la dépassait à présent d'une tête. Il la serra contre lui et l'embrassa dans ses cheveux.

- Est-ce vraiment toi ?

- Oui, Nore, c'est vraiment moi.

Même sa voix avait changé. Elle était devenue grave et profonde.

- Je n'arrive pas à y croire.

Elle se détacha de lui afin de revoir son visage. Il n'était plus l'adolescent espiègle auquel elle avait dit au revoir. Devant elle se tenait un jeune homme au visage pâle malgré le froid. Ses cheveux châtains étaient coupés courts et un début de barbe couvrait ses joues et son menton. Des cernes entouraient ses yeux et son regard avec quelque chose de vide mais celui qui lui souriait et caressait ses épaules était malgré tout Louis, son Louis revenu de la guerre.

- Tu m'as tellement manqué, murmura-t-elle.

- Toi aussi, Nore, nos lettres ne me suffisaient pas. Je suis tellement heureux de te revoir enfin, dit-il en l'étreignant de nouveau.

Elle ferma ses yeux et enfuit son visage dans sa poitrine. Il était revenu, il était bel et bien revenu.

- Tu es si froid, Louis, j'espère que tu n'es pas malade.

- Non, ne t'inquiète pas, mon uniforme est juste léger, la rassura-t-il.

- Dépêchons-nous alors d'aller chez moi pour que tu puisses te réchauffer et te reposer, je ne vis pas loin. Je demanderai au cuisinier de préparer ton plat préféré et tu pourras tout me raconter. Mes parents seront heureux de te revoir. Ils se sont beaucoup inquiétés pour toi, tu sais.

- Je voudrais tellement accepter ton invitation, Nore, mais je ne peux pas malheureusement.

- Quoi ? Mais pourquoi ? s'écria Éléonore.

- Je dois partir d'ici ce soir et l'endroit où je suis attendu se trouve loin d'ici. On m'a donné qu'une demi-journée pour visiter une seule personne et j'ai déjà usé la moitié de mon temps pour te trouver.

- Mais cela fait deux ans que nous ne nous sommes pas vus !

- Je sais, Nore, je sais. Je donnerais tout pour passer au moins une journée avec toi mais je ne peux pas. L'administration est intransigeante quand cela vient aux présences, elle nous punit au moindre retard.

- Combien de temps avons-nous ? demanda-t-elle.

- Quelques heures, répondit tristement son ami en balayant une mèche de cheveux qui lui tombait sur le front.

Éléonore soupira et baissa son visage. Quelques heures n'étaient pas assez pour compenser les deux ans qu'ils ne s'étaient pas vus mais c'était mieux que rien. Elle glissa sa main sur son uniforme d'officier en observant les petits boutons dorés et se détacha lentement de lui.

- D'accord, quelques heures ce sera mais promets-moi de revenir bientôt, dit-elle.

- Je te promets que j'essayerai.

Elle sourit et le prit par le bras. Sa présence lui avait tellement manqué. Il était devenu un très bel homme en ces deux ans et ce fut avec fierté qu'elle posa son regard sur la médaille accrochée à son veston.

- Je l'ai reçu pour mon courage lors des batailles, raconta-t-il.

- Mes félicitations ! J'ai toujours su que tu étais le plus brave des braves. Que s'est-il passé d'autre depuis la dernière lettre que tu m'as envoyée.

- Je suis désolée de ne pas t'avoir écrit pendant plusieurs mois. Mon régiment a été envoyé en première ligne où le courrier ne circulait pas. Nous avons subi de lourdes pertes et... Jean a été tué.

- Je suis désolée. Il était ton ami.

- Oui, nous partagions la même tente.

Louis regarda au loin comme s'il revoyait l'affrontement qui avait couté la vie à son acolyte. Quelque chose avait changé dans ses yeux mais Éléonore ne pouvait pas trouver quoi. Ils étaient toujours de la même couleur que les feuilles en été mais son regard paraissait distant et l'éclat qui jadis brillait dans ses iris s'était éteint. Voilà quels effets les deux ans de guerre avaient eu sur lui. Son cœur se serra. Il lui avait écrit à propos des horreurs du front, des terribles batailles, de la peur constante, des cris et gémissements poussés par les mourants et des nuits froides passées à chercher de quoi manger. C'était un miracle qu'il ne s'était pas fait blessé durant ses deux ans.

Ils se mirent lentement en marche en optant pour un sentier parallèle au bois. Le brouillard s'était intensifié pendant ce temps et Éléonore regretta de ne pas voir pris sa cape en plus du châle mais son ami, en remarquant ses grelottements, entoura son bras autour de ses épaules et la rapprocha de lui.

- Parles-mois de toi, Nore, car la guerre n'est pas un sujet de conversation agréable et je n'ai rien d'autre à te raconter. Tu as tellement grandi depuis la dernière fois que je t'ai vue ; ce n'est plus une jolie enfant que j'ai devant moi mais une belle jeune femme. Comment vont ta sœur et tes parents ? Décris-moi ta nouvelle maison. Est-elle aussi grande que celle que ta famille avait sur la rue Lanaudière ?

Éléonore accepta sa demande d'éviter le sujet de la guerre et lui parla de son déménagement, du manoir dans lequel sa famille et elle vivaient à présent, des livres qu'elle avait lus, des bals auxquels elle avait assistés. Louis l'écouta attentivement, demanda des détails sur sa chambre, sur le roman qu'elle lisait présentement, s'enquit de la santé de leur ami commun qui grâce à son infirmité avait pu échapper à l'armée et rit à ses anecdotes. Ils se rappelèrent des bêtises qu'ils avaient commises ensemble et des jeux qu'ils avaient inventés. C'était comme si la guerre ne s'était jamais passée et qu'ils se retrouvaient après une séparation plus longue que d'habitude.

- Tu ne peux pas t'imaginer à quel point je suis heureux de te voir, répéta une énième fois Louis.

Éléonore sourit et serra sa grande main rugueuse dans la sienne, petite et douce. Il était habitué au froid et cela se voyait car ses doigts étaient blancs alors que les siens étaient rouges.

- Tu ne peux vraiment pas rester pour plus longtemps ? demanda-t-elle en levant sur lui des yeux suppliants.

- Non, Nore, c'est impossible.

- Où est-ce que tu dois si impérativement te rendre ?

- Je ne peux pas te le dire. L'administration nous a clairement défendu d'en parler à qui que ce soit.

- Tant pis alors. Promets-moi juste de faire attention là où tu iras et durant tout le restant de la guerre.

- Tu en as ma parole, jura silencieusement Louis en détournant son regard.

Ils se promenèrent encore en se rappelant de leurs souvenirs d'enfance. C'était étrange comment le temps semblait s'écouler en quelques instants seulement. Après ce qui lui parut être une heure à peine, ils revinrent à l'endroit où ils s'étaient rencontrés. Louis s'arrêta et la reprit dans ses bras en la serrant fort contre son cœur comme s'il craignait qu'elle disparaisse dans le brouillard. L'heure de la séparation était arrivée. Une boule se forma dans sa gorge et elle plissa ses yeux pour ne pas permettre aux larmes de se former. Il lui avait promis qu'il reviendrait bientôt. La guerre finirait bien par se terminer un jour et il ne la quitterait plus. Elle retournerait vivre en ville et tout redeviendrait comme avant.

- Je ne veux tellement pas te quitter, murmura son ami.

- Restes alors, Louis, nous te cacheront chez nous s'il le faudra.

Il secoua sa tête et lui caressa doucement le dos.

- Prends-ma médaille en guise de souvenir de moi, dit-il soudainement en la détachant de son uniforme et en lui la tendant.

- Mais, Louis, je ne peux pas, commença Éléonore mais il l'interrompit.

- J'insiste, je veux que tu aies quelque chose de moi pour te rappeler que je serai toujours avec toi peu importe la distance qui nous sépare.

- Mais elle est ta médaille, Louis !

- Elle n'est qu'une décoration, rien de plus. Garde-la.

Éléonore la prit et la tourna dans ses mains.

- En es-tu sûr ?

- Oui, tu me la redonneras quand viendra le temps de nous réunir, répondit-il en esquissant un sourire.

- M'écrirais-tu ?

- Le courrier est devenu difficile à faire passer mais j'essayerai, Nore, je te le promets.

- D'accord. Fais attention à toi. Je ne voudrai pas te perdre dans cette guerre stupide qui nous a déjà arraché l'un de l'autre.

Un triste sourire se peignit sur les lèvres de son ami. Il la dévisagea pendant un moment comme s'il n'arrivait pas à se décider s'il voulait lui dire quelque chose ou pas. Pour un bref instant il lui sembla percevoir des larmes dans ses yeux. Il glissa sa main dans ses cheveux et l'embrassa sur le front comme il l'avait fait deux ans plus tôt.

- Je dois partir, finit-il pas prononcer sourdement.

Éléonore sentit une boule se reformer dans sa gorge et hocha la tête.

- Bonne chance, Louis, je t'attendrai.

Il lui sourit tristement et recula d'un pas mais elle vint de nouveau se blottir dans ses bras.

- Reviens-vite, murmura-t-elle en étouffant un sanglot.

- Je ne... D'accord.

Elle le lâcha et serra ses lèvres de toutes ses forces pour ne pas pleurer. Son départ était encore plus difficile qu'il y a deux ans. Il commença à reculer lentement.

- Penses à moi de temps à autre, Nore.

- Tu es mon meilleur ami, bien sûr que je penserai à toi !

- Je sais, Nore, je sais. N'oublie jamais que malgré la distance, je serai toujours avec toi.

Il leva sa main en d'au revoir et lui sourit une dernière fois.

- Adieu, Nore !

Éléonore le regarda partir jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le brouillard tel un fantôme. Le vent fouetta son visage mais elle resta à fixer l'endroit où venait tout juste de se tenir son ami en serrant sa médaille dans sa main. Ce fut seulement après une dizaine de minutes qu'elle se retourna et prit le chemin de retour. Elle n'avait plus aucune envie de se promener et marcha rapidement sans lever ses yeux de la terre humide. Arrivée chez elle, grelottante de froid et épuisée, elle monta dans sa chambre et laissa ses larmes couler enfin. Cela n'avait pris que quelques heures pour retrouver et reperdre son meilleur ami. Elle leva sa médaille à ses yeux et lut et relut son nom une dizaine de fois. Ella la porta à ses lèvres et l'embrassa.

Une lettre posée sur sa table attira soudainement son attention. Sa domestique lui l'avait sûrement laissée pendant qu'elle était dans le parc. Elle la prit dans ses mains, l'ouvrit et entreprit à la lire.

Chère Éléonore,

J'espère que tu vas bien car j'ai une affreuse nouvelle à t'annoncer. Notre cher Louis a été tué la semaine passée. Nous ne savons pas exactement comment c'est arrivé mais d'après ce qu'on nous a dit, il a été tué lors d'une attaque ennemie. Notre pauvre Louis, décoré d'une médaille qui lui a été donnée pour son courage, s'est retrouvé en première ligne quand l'assaut a eu lieu. Je sais que vous aviez toujours été très proche l'un de l'autre et c'est pour cela que je t'envoie tout mon soutien dans ce moment difficile pour nous deux. Sa perte nous est également terrible.

Je t'enverrai bientôt une autre lettre pour te donner la date et le lieu de ses funérailles.

Avec toute ma sympathie, sa sœur Adélaïde de la Faye

La lettre et la médaille tombèrent des mains d'Éléonore.


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