5 - Son bout du monde
Texte de auclairdemaplumeclem
À perte de vue.
Un goût salé en bouche, les oreilles pleines du chant des vagues, du sable blanc entre les orteils, une odeur d'algue plein les narines, elle ouvre les yeux face à l'océan étendu à perte de vue devant elle. Les vagues venaient ourler la côte d'écume, apportant dans leurs flots coquillages et autres trésors. Le ciel est bleu pastel constellé de nuages blancs. De temps à autre, l'un d'entre eux cache le soleil et empêche l'océan de briller de mille reflets. Le vent fait onduler les vagues qui se soulèvent avec majesté pour fouetter les rochers de leurs langues blanches.
Quelques mèches s'envolent et s'entremêlent dans le vent sous son regard sans pourtant réussir à la sortir de sa contemplation. Elle sent derrière elle la présence rassurante de sa famille, de sa maison, de ces terres qu'elle a toujours connues. Elle peut entendre les rires des enfants, voir les torses ruisselants de sueur travailler la terre, le goût du mil pilonné de coups incessants, la douceur des tissus qui habillent les villageois de couleurs éclatantes, en pensée. Pour le moment, rien ne peut la sortir de sa méditation. Elle a toujours été fascinée par le doux et puissant mouvement des vagues, imposant et discret, apaisant et terrifiant. Depuis qu'elle sait marcher, elle vient là pour observer en silence la relaxante mélopée de l'océan. A partir de ce moment-là, les traces de pas sur la plage n'ont pas cessé de s'agrandir tandis qu'elle rejoignait cette plage qui avait toujours représenté son bout du monde.
Cette douce routine n'est pas lassante. Au contraire, il lui semble que chaque vague est comme un flocon : unique et tellement impuissant seul. Mais les vagues comme les flocons ne sont pas seuls dans l'océan ni sur les paysages enneigés. Elle trouve belle cette image qu'elle associe à l'Humanité : un ensemble de vagues uniques mais dépendantes les unes des autres. Les flocons, elle n'en a jamais vraiment vu. C'est une sorte de mythe, de conte raconté par une grand-mère autour du grand feu. Une grand-mère à la peau qui a traversé les âges, aux lèvres qui racontent le monde, aux yeux flambants d'une lueur brûlante et dansante. C'est une grand-mère que tous les enfants écoutent, suspendus aux lèvres de la narratrice, le reflet du feu dans leurs yeux, avant de se retourner vers leurs nattes, l'esprit plein de choses inconnues et surnaturelles. Des histoires qui continuent d'exister alors que les paupières se ferment et que les rêves montent vers les étoiles.
Elle a été cette petite fille aux yeux de feu, hypnotisée par une grand-mère et la tête pleine de songes, mais maintenant, sa tête se remplit d'autres pensées. Si le passé était beau, l'avenir le semble encore plus. Un avenir qui prend les formes des traits droits de l'homme qu'elle épousera bientôt.
Elle est heureuse de cette union. Son futur mari est juste et droit et saura l'aimer de tout son cœur. Elle ne demande pas plus. Que pourrait-elle demander de toute façon quand tout le bonheur se trouve à sa portée ? L'avenir se peuple d'enfants, de jours ensoleillés, de rêves, de contes, de feu, et d'océan. Elle n'oublie pas pour autant les rêves du passé, au son rythmé des tams-tams montant dans la vie du crépuscule.
Sa vie est ici, au milieu des siens, là où le soleil rejoint la brousse et ses herbes sèches. La végétation verte et jaune s'étend sur des centaines de kilomètres, jonchée de chemins de terres et de champs. Ici et là, quelques cases dans la chaleur étouffante avant de sentir une brise légère, un souffle revigorant qui gagne en intensité à chaque pas. Puis, un bruit. Un doux roulis, une berceuse légère, un chant de vie. Les yeux se lèvent et s'écarquillent devant la scène immense. Un bleu pur, jouant avec les reflets éclatants, aux rouleaux blancs s'étalant sur la plage. Après le vert jauni de la savane qu'elle voit tous les jours, s'éblouir de ce bleu l'apaise. Le soleil caresse sa peau d'ébène, l'entourant, bienveillant, de ses rayons puissants de délicats.
Elle ferme les yeux avec bonheur, ivre de cette réalité qui lui semble un rêve. Elle les rouvre et la véritable réalité la cloue au sol avec violence. Si elle s'est échappée un instant en se remémorant ces doux souvenirs, si elle les a sentis à un tel point qu'elle pensait les vivre, le cauchemar l'a rattrapée, lui faisant sentir le froid des chaînes et le roulis du bateau.
Ici, dans la cale du navire négrier, où elle est entassée avec d'autres hommes et femmes, l'océan ne brille plus.
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