6 • Adélaïde @WhiteFeather04
Titre: Adélaïde
Thèmes: amour - historique - royauté - tristesse
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La jeune fille attend depuis maintenant une heure et toujours aucune trace de lui. Le soleil à dépassé son zénith il y a de cela trois heures et pourtant la chaleur humide de cette fin de mois d'août n'épargne personne. Elle décide donc de se protéger des rayons perfides du jour sous une haie d'arbres, ses joues fortement rougies par l'attente de celui qu'elle espère voir arriver. Elle était impatiente à l'idée de le retrouver à leur point de rendez-vous habituel et avait rêvé de ce moment dès l'instant où elle avait dû le quitter la veille.
Chaque fois qu'elle est en sa présence, la jeune fille se sent enfin libre, comme si elle retenait son souffle toute la journée et qu'elle pouvait enfin respirer librement dès qu'elle l'aperçoit. En effet, le jeune homme et elle partage une complicité à toute épreuve depuis leur plus tendre enfance et chaque entrevue est pour elle une occasion de rire en toute confiance sans craindre d'être réprimandée sur ses manières, comme aime si bien le faire Madame De Ravin, la chef-gouvernante de toutes les domestiques du château. Car oui, bien que cela coûte à la jeune fille de le dire, celle-ci travaille à la cour de France, dans l'immense et majestueux château de Versailles.
La pauvre est arrivée à la cour à l'âge de cinq ans avec sa mère, veuve depuis peu. Avant, la modeste famille habitait la malheureuse province de Saint-Sulpice-de-Pommeray près de la ville de Blois. La même année, le roi mourut laissant son arrière-petit-fils monter sur le trône au même âge que la frêle petite fille. Elle se remémore aisément Madame De Ravin donner moult instructions à sa mère, nouvelle venue à la cour, en lui ordonnant de ne pas laisser « sa descendance approcher la noble famille royale de France » et demeurer dans la sombre pièce fournie par la bienveillance et la bonté d'âme de feu le Roi Louis XIV. Ce fut l'année des onze ans de la jeune fille que sa mère subit le même sort funeste que son pauvre père six ans auparavant. La jeune orpheline avait dû travailler comme sa génitrice en temps que domestique mais cette fois-ci au service personnel du Dauphin de France.
Aujourd'hui, le 29 août 1725, du haut de ses quinze années d'existence, la jeune domestique patiente sagement, accoudée contre le tronc d'un arbre aux feuilles émeraudes filtrant les pâles lueurs de ce soleil d'été. Elle admira une dernière fois sa robe constituée d'un jupon gris -et sa chemise blanche enserrée contre sa taille par un corps baleiné- qu'elle ne peut s'empêcher de lisser du plat de la main à chaque fois qu'elle pense à lui et à son regard sur elle.
La jeune fille se souvient très bien de la première fois qu'elle vit le jeune garçon : alors que celle-ci vagabondait dans les majestueux couloirs du château sans la permission de sa mère, elle croisa un petit garçon qui avait l'air d'avoir le même âge qu'elle. Elle avait été fascinée sur-le-champ par la brillance et l'éclat de ses boucles brunes aux reflets ambrés s'évanouissant en une soyeuse cascade sur ses petites épaules tandis que les siens, ternes et emmêlés, se tassaient en un amas bruns sur sa tête. Elle remarqua ensuite ses yeux à la couleur semblable à celle du bronze des bustes de la famille royale, postés un peu partout dans le château. Jamais encore, l'enfant n'avait vu d'aussi joli camarade de jeux, car habillé de son justaucorps blanc, d'une culotte courte rouge et d'une veste longue en velours brun, sa stature était telle qu'il ressemblait à s'y méprendre au dauphin de France.
Les jeunes gens firent très vite connaissance et commencèrent à jouer et discuter de leur vie respective. Lui, contait sa vie à la cour avec tous les privilèges que cela importait tandis que la fillette l'écoutait attentivement tout en songeant à la vie qu'elle aurait mené si elle aussi était venue au monde dans une puissante famille. Très vite, leurs rencontres se firent plus fréquentes jusqu'à devenir de véritables rendez-vous secrets. Depuis des années, ils se retrouvent sous cette même haie d'arbres et le jeune garçon conte à son amie les leçons que lui apprennent ses précepteurs, ce qui intéresse toujours la jeune fille qui prend rapidement goût à la poésie, l'histoire et la littérature que lui inculque chaque jour son acolyte.
— Je craignais de pas te trouver en ce lieu aujourd'hui, murmure une voix à son oreille lui faisant pousser un cri de surprise.
— Par Dieu Louis ! Ne me fais plus une telle frayeur, tu sais très bien que nous ne devons point nous trouver ici, le réprimande-t-elle ce qui a le don de le faire rire.
— Je n'ai point le droit à un baiser pour me faire acquitter si je devine bien le désarroi qui orne ton doux visage ?
— Ne sois point sot, dit-elle en l'embrassant tendrement.
— Je devrais t'effrayer plus souvent, plaisante-t-il. Mais en y pensant bien, viendrais-tu de me gratifier de sot ?
— Jamais je ne me permettrais de telles familiarités votre altesse, rit-elle en exécutant une légère révérence narquoise à son encontre.
Louis se contente d'observer sa bien-aimée. Avec ses yeux d'un bleu à en faire pâlir de ridicule les plus riches reines du monde et sa longue chevelure brune attachée en chignon laissant cependant tomber quelques mèches folles sur son front, donnant à la jeune fille une forme d'innocence si charmante qu'il ne parvient pas encore à comprendre comment celle-ci ne soit pas encore fiancée. Elle mérite tellement mieux, songe-t-il.
— Et bien, que t'arrives-t-il Louis ? Tu ne te sens pas bien ? Serais-ce ta maladie qui revient ? s'inquiète-t-elle.
— Non rassures-toi Adélaïde, ce n'est point ça.
— Alors qu'y a-t-il ? La dernière fois que je t'ai ainsi vu, tu essayais de m'annoncer que tu étais le dauphin.
— Te souviens-tu justement de cette maladie qui avait précipité le duc de Bourbon à renvoyer ma fiancée en Espagne ?
— Bien sûre. J'étais même aux anges lorsque son carrosse avait disparu des pavés de la cour...
— Et bien depuis, le duc a cherché une possible union avec une princesse qui serait en âge d'avoir de futurs héritiers, avoue-t-il en déglutissant difficilement. Et il m'a annoncé ce matin même que j'allais épouser la princesse de Pologne, dans une semaine.
Adélaïde était dévastée. Bien sûre, elle avait toujours su que Louis devrait un jour se marier mais pas maintenant. Ils avaient encore trop de choses à vivre ensemble, tellement de moments à savourer l'un contre l'autre. Elle avait sans cesse refoulé cette pensée que d'être séparée de son âme soeur toute sa vie. Elle n'a plus que lui. Non, elle ne peut pas le laisser !
— Mais... Il doit bien y avoir un autre moyen ? demanda-t-elle complètement désemparée.
— Hélas non. J'y ai médité toute la journée pour ainsi réussir à te l'annoncer, en vain. C'est d'ailleurs pour cela que j'étais si en retard aujourd'hui. J'avais peur Adélaïde, peur de voir le chagrin et la désolation dans ton regard, avoue-t-il les larmes au bord des yeux.
— Et si je devenais ta favorite ? lui propose-t-elle prise dans un élan de désespoir. Nous pourrions vivre ensemble toute notre vie, murmure-t-elle comme pour elle-même, le poids de son corps devenant de plus en plus insupportable.
— Je ne veux pas de cette vie là pour toi Adélaïde, tu serais détestée et méprisée par toute la cour, tu subirais des moqueries de toute part et ta vie deviendrait un véritable enfer...
— Mais je serais avec toi ! Au moins je t'aurais toi et c'est là tout ce qui m'importe Louis. Tu comptes plus que tout pour moi et je serais prête à vivre un véritable enfer le jour si ce serait pour pouvoir te serrer dans mes bras la nuit.
La jeune fille laissait à présent les larmes couler le long de ses joues, trop épuisée pour tenter de les contenir. Elle l'aimait depuis toujours et ne pouvait l'autoriser à s'envoler ainsi, sans essayer de se battre, tels les souvenirs d'un mirage. Sa déclaration avait plongé Louis dans un tel état d'inertie que même les oiseaux semblaient avoir arrêtés de chanter rien que pour assister à la scène qui se déroulait un peu plus bas. À ce moment, les oreilles de la jeune fille bourdonnent, sa tête tourne, son esprit est embrouillé, de drôles de points noirs dansent devant ses yeux et une affreuse jalousie s'empare de son coeur. À cet instant, elle voudrait devenir la princesse de Pologne, la fiancée de Louis, la prochaine reine de France, la future mère de ses enfants...
Mais se bercer d'illusion ne résoudra rien à part la plonger dans un déni des plus aveugle. Et si...la princesse était attaquée durant ses premiers jours à la cour et succombait à la suite d'une grave blessure ? Jamais auparavant, Adélaïde n'aurait imaginé préméditer la mort d'une princesse, et encore moins afin de pouvoir profiter un peu plus longtemps de la présence de son amant. Non, ce comportement ne lui ressemble point ! En aucun cas elle ne s'en prendrait à une jeune femme et encore moins à une future reine en vue de servir son propre intérêt. Plus que tout, elle finirait exécutée si cela se savait ou bien mise au cachot pour le reste de son existence grâce à la clémence du Roi.
— Adélaïde, murmure-t-il dans un souffle. Je suis navré, nous ne pouvons plus nous voir désormais.
Les mots sont comme encore plus durs pour elle tous droits sortis de la bouche de celui qu'elle aime. Il caresse les joues rosies de la jeune fille tout en essuyant les perles d'eau glissant contre ses doigts. La voir ainsi est comme une torture pour lui et il se maudit infiniment pour le chagrin qu'il cause à la seule fille qu'il ait jamais aimé. Contrairement à ce qu'il croyait, Adélaïde se blottie dans ses bras et le serre comme si jamais elle n'arriverait à le lâcher. Il peut entendre ses sanglots étouffés dans le velours pâle de sa veste. Il ne pourra jamais oublier son odeur sucrée, ses cheveux soyeux, sa peau aussi douce que de la soie, ses yeux d'un bleu semblable à un ciel de jour d'été et ses lèvres suaves qu'il regrettera d'abandonner toute sa vie. Jamais il n'avait su comment Adélaïde avait croisé sa route mais une chose était sûre : il ne regrette nullement de l'avoir fait.
— Je ne veux aucunement te perdre Louis, hoqueta-t-elle entre deux sanglots.
— Moi non plus Adélaïde, moi non plus, murmure-t-il en embrassant affectueusement son front.
Le jeune roi la contemple encore quelques secondes, son regard brun fixé à celui de la domestique. Il doit bien pouvoir faire quelque chose pour elle, il le faut.
— Je pourrais t'obtenir le poste de dame de compagnie de la reine, tu aurais de meilleures conditions de vie et ton nom serait quelque peu anobli, songe-t-il une lueur d'espoir éclairant ses magnifiques prunelles sombres. Je me chargerais personnellement de ta dote pour que tu puisses épouser celui que tu choisiras...
— Non Louis, je ne peux pas ! C'est toi celui que j'aime, s'apitoya-t-elle de plus belle. Jamais je n'en aimerais un autre que toi...
Ses derniers mots sont comme une plainte glissant malencontreusement de ses lèvres, nouant sa gorge si étroitement qu'elle ressent une intense douleur, pinçant fortement ses cordes vocales. Jamais elle ne pourrait être au service de la femme qui lui a causé tant de souffrances et, partager ses bonheurs, ses craintes et ses peines est au-dessus des forces de la jeune fille, même si cela lui permettrait de vivre une vie plus que convenable et de côtoyer la haute bourgeoisie française pour ainsi peut-être épouser un riche homme d'affaire.
— Crois-moi Adélaïde quand je t'affirme que je t'aime plus que tout au monde mais notre amour est impossible et nous le savions tous les deux dès le commencement, affirme-t-il cette fois un peu plus résigné.
Comment avait-elle pu croire qu'il lui permettrait de devenir sa favorite et d'affaiblir sa condition de roi ? Elle avait fait preuve de la plus grande ignorance quant à ses désirs de le chérir chaque jour. Adélaïde avait été fort arrogante de croire qu'il lui réservait une place de choix auprès de lui.
— Bien, conclu-t-elle à contre coeur. Que ta volonté soit faite mais saches que je refuse ta proposition bien qu'infiniment charitable.
Elle lui adressa un dernier regard mêlant à la fois amour, souffrance et déception. Jamais Louis ne l'avait vu ainsi avant ce jour et cela n'était point le plus triste pour lui mais bien le simple fait d'envisager ne plus la revoir et de l'imaginer dans les bras d'un autre homme que lui, lui laissant un sentiment de vide au creux de l'estomac.
— Je te souhaite le meilleur Louis, affirma-t-elle avant d'embrasser délicatement la joue du roi pour la dernière fois de sa vie pour enfin le laisser terriblement seul à l'endroit même où ils avaient vécu tant de moments heureux.
Adélaïde place instinctivement un pied devant l'autre mais ne réalise pas encore les évènements qui viennent de se dérouler devant elle comme si celle-ci avait assisté à la scène en dehors de son propre corps. Ses pensées sont bouleversées et une multitude de possibilités affluent dans son esprit comme le courant déchaîné d'une rivière, mais ses jambes semblent avoir pris le relais de supporter toute sa peine.
La jeune fille ne sait plus où se réfugier. Tout son environnement lui semble maintenant si étranger alors qu'elle y a passé toute une partie de sa vie. C'est comme si le monde dans lequel elle vivait avait changé, disparu et s'était métamorphosé en un univers sombre, triste ou encore vide et sans intérêt. Elle emprunte le chemin des cuisines où l'agitation des serviteurs ne s'éteint jamais. Le regard dans le vague, la jeune fille s'apprête à regagner sa chambre lorsqu'une voix l'interpelle :
— Adélaïde ! Les lustres de la Grande Galerie ont besoin d'être époussetés, informa la voix plus âgée de Madame De Ravin, la chef gouvernante, dans son dos.
— Je...je m'en occuperais Madame, balbutia la domestique sans se retourner.
— Tout va bien mon enfant ?
— Parfaitement bien Madame, je me sens simplement étourdie, répondit-elle en essuyant les dernières larmes et son nez qui coulaient encore un peu.
La jeune fille ne laisse point à la vieille femme le temps de répliquer qu'elle sort des cuisines pour ainsi se diriger droit vers son logement. Les couloirs semblent se rapprocher lors de sa traversée et sa respiration s'accélère précipitamment. Aucun domestique ne doit se trouver en ces lieux la journée. La servante ouvre la porte de sa chambre, qu'elle a longtemps partagé avec sa défunte mère, où son regard tombe sur le lit où sa génitrice rendit son dernier soupire. Non, Adélaïde n'a pas eut une vie facile. Chaque fois qu'elle est attachée à une personne, celle-ci s'en va la laissant seule de nouveau. Et cette sensation, elle ne la supporte plus.
La douleur lancinante qui traverse son coeur ne fait que renforcer ses certitudes. Jamais, elle n'a aimé quelqu'un comme elle l'a fait avec Louis et aujourd'hui cette passion est détruite par les obligations de ce dernier. Tous les espoirs de la jeune fille sont à présent réduits à néant. La seule perspective d'une vie sans celui qu'elle aime lui brise le coeur au point que les larmes glissent seules de ses yeux et qu'un sentiment de vide submerge l'emplacement de son coeur.
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Assis sur son trône de velours bleu marine, Louis observe, agacé, l'agitation qui se déroule devant ses yeux. Des serviteurs cours d'un bout à l'autre du château et certains mêmes sont quelques peu bouleversés à leur retour devant le roi.
— Que Diantre se passe-t-il ici ? s'exclame Louis à un domestique.
— Sire, commence l'homme d'une vingtaine d'année, une servante est morte cet après-midi.
— Oh, murmure le souverain, je suis sincèrement navré. Comment s'appelait-elle -afin que nous puissions lui rendre un dernier hommage pour ses bons et loyaux services à la couronne ?
— Adélaïde, Majesté.
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Texte de @WhiteFeather04
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