Chapitre 68 : Hum, hum...
EMMA :
Je pose mon pied tremblant sur le goudron chaud de la piste d'atterrissage.
Il y a des caméras absolument partout et pourtant, je ne dois pas être belle à voir. Mes cheveux pleins de sel ont séché en pagaille, mes pieds sont nus et je suis serrée dans une couverture jaune.
Gabriel descend à son tour et passe un bras autour de mes épaules. Il y a des barrières de sécurité qui retiennent des journalistes formant une sorte d'allée. On avance au milieu, je me sens rien qu'un tout petit peu observée.
D'autres sont devant nous et quelques-uns derrière. On doit ressembler à des zombies, à marcher si doucement.
Daniel Hunter nous attend au bout et sert la main des rescapés en prenant une photo.
- Ah, mon cher Dani, ricane Gabriel.
Je ris doucement. Gabriel ne lui a pas pardonné de nous avoir caché que la moitié des sondes étaient détruites. Carlo en est mort.
Quand arrive mon tour, j'ai le droit à une généreuse poignée de main et au crépitement des flash. Gabriel lui, ne tend pas sa main à Daniel.
Je souris en l'attendant de l'autre côté.
- Ah Daniel ! Ça fait plaisir de vous revoir, dit l'islandais. C'était sympa le suspense que vous avez créé, la panique tout ça.
Daniel Hunter fronce les sourcils.
- Pour les sondes, s'explique Gabriel. Non c'est vrai, c'était tellement plus beau d'afficher que tout était nickel. J'imagine que dans notre rapport, tu as supprimé les passages où on en parlait, c'est plus sûr...
Le visage du vieil homme se décompose.
- Non mais je comprends, tu avais peut-être peur qu'on s'ennuie... Allez, salut, conclut Gabriel en lui tapotant l'épaule.
Il s'incline en révérence devant les caméras et me rejoint avec un petit sourire.
- Pfff, soupiré-je. Tu ne changeras jamais...
- Pourquoi donc ? Je suis déjà parfait.
Après cette allée, après les barrières, c'est un véritable bazar. Je ne lâche pas la main de Gabriel tandis qu'on marche au hasard au milieu de tous ces gens. Je cherche un visage familier.
- Emmaaaa ! crie une voix que je reconnais vaguement.
Je me retourne et tombe nez à nez avec Anna. Ma Anna avec dix-sept ans de plus. Elle a changé, ses cheveux sont courts, son visage fait plus adulte et... Je n'ai pas le temps de l'observer davantage qu'elle m'étouffe dans ses bras. Son odeur est la même, qu'est-ce qu'elle m'a manqué !
- Tu as plein de choses à nous dire je suppose, dit-elle en français les yeux brillants. Tu sais, j'ai toujours su que tu allais rentrer. Toujours.
Je lui souris, incapable de prononcer le moindre mot.
Soudain, je vois mon père arriver derrière, c'est le même. Ses cheveux sont grisonnants mais son sourire et son regard sont les mêmes. Je lui saute dans les bras et il me serre contre lui.
- Ma fille, ma fille est rentrée, murmure-t-il.
J'ai ensuite le droit à une étreinte avec ma sœur qui est maintenant une adulte et mon frère. Je souris sans penser à rien, juste au bonheur de cet instant.
Soudain un détail me frappe.
- Où est maman ? Elle arrive, c'est ça ?
Ils baissent la tête.
- Quoi ? m'exclamé-je.
- Ma chérie, ta mère a eu un cancer elle s'est battue de toutes ses forces, me dit mon père.
Il a beau prendre une voix douce, ces paroles me font l'effet de coups de poignard. Je sens mes jambes se dérober. Maman, maman, maman... Ce n'est pas possible, elle était censée m'attendre elle aussi. Jamais je n'ai osé imaginer, un tel scénario. Mes parents étaient invincibles, ils devaient vivre pour toujours.
- Je suis désolée, me dit Anna en me caressant le dos.
Des larmes coulent. La dernière fois que je l'ai vue, c'était dans la salle avant que je ne parte pour le décollage. Elle était belle, elle était la plus forte d'entre nous. Elle ne pouvait pas mourir. Rien... rien ne pouvait la tuer. C'est elle qui me lisait des histoires, elle qui me câlinait quand j'étais triste ou quand je me faisais mal en rollers. C'est elle qui m'encourageait au bord de la piscine, qui cuisinait ces merveilleuses pâtes bolognaises. C'était... ma maman.
Je sens qu'on me lèche la main, en baissant les yeux je découvre Maya qui me regarde avec ces petits yeux et Lilou qui entreprend de sentir minutieusement mon père.
- Ce sont les bébés d'Olaf, remarque Romane, ma petite sœur, plus si petite maintenant.
Je hoche la tête.
- J'ai pensé que ce serait bien qu'elles participent à la fête, explique une voix derrière.
Je me retourne vivement.
- Edward !
- Tu me reconnais encore, ça me rassure, dit-il avec son haleine au chewing-gum à la fraise qui me transporte des années en arrière.
Je les regarde tous réunis et je m'apprête à leur dire à quel point ils m'avaient manqué mais...
- Hum, hum, m'interromp la voix de Gabriel derrière. Je me sentais comment dire, en retrait.
Il a parlé en français et je suis extrêmement fière de lui. Edward éclate de rire et je ne peux m'empêcher de sourire.
- Gabriel voici ma famille, mon père, Romane ma sœur, Mattéo mon frère, et puis Anna et Edward ! Et les autres, voici Gabriel.
Anna scrute l'islandais puis finit par lui tendre la main.
- Enchantée et bienvenue dans cette bande de fous.
Gabriel lui serre la main de façon formelle et dit avec un demi sourire qu'il pense entrer dans les critères.
- Il me plaît déjà ce gars-là, commente Edward.
- Je pense que mes parents m'attendent, dit Gabriel.
- On va t'accompagner, décide mon père.
Nous voilà partis dans la foule. Ma sœur se glisse à ma hauteur.
- Tu as changé, dit-elle.
- Si ça peut te rassurer, toi aussi, réponds-je. Tu fais quoi alors ?
- Je suis dans un cabinet d'architectes près de Montluçon.
J'ouvre de grands yeux.
- Waw !
En y réfléchissant ça lui va comme un gant.
- On se fera une soirée Reines des neiges ? demandé-je.
Elle hoche fermement la tête.
- Au fait, ton Gabriel est très beau, me glisse-t-elle à l'oreille.
- Qu'est-ce que vous manigancez ? demande justement l'islandais en plissant les yeux.
Romane devient aussitôt toute rouge et bégaie.
- Heu... rien.
J'éclate de rire et heureusement, elle est sauvée par Anna qui annonce.
- John ne va pas tarder, il devrait être là depuis une heure déjà.
- Qui est John ? questionné-je soudain intriguée.
* * *
- Voici mes parents donc, dit Gabriel en anglais d'une voix légèrement lasse.
Il les serre dans ses bras mais ça semble plus par politesse que par réelle joie.
- Bonjour, me dit sa mère avec un fort accent.
J'incline la tête.
Ils parlent un instant en islandais et l'accent gêne légèrement ma compréhension.
- Il va falloir qu'on rentre, on a un avion à prendre, finit par dire mon père.
- On rentre à la maison ? m'étonné-je. Déjà ?
- Tu avais prévu autre chose ? demande Edward. Les interviews tout ça, tu y auras le droit dans quelques jours. Il est temps pour toi de rentrer en France, tu as un véritable fan club qui patiente.
- Surtout que vue la tournure des évènements, les médias ne sont pas une priorité pour le moment, renchérit Matéo, mon frère.
J'acquiesce.
- Notre taxi est là, on t'attend, m'informe mon père en désignant une voiture.
Gabriel tourne sa tête vers moi, lui aussi rentre en Islande.
- On se reverra très rapidement, me promet-il.
Je me mets sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Pour la première fois, on va passer des jours loin l'un de l'autre. Sur le vaisseau, nous étions en permanence ensemble. Je le serre fort dans mes bras et on finit par se séparer au milieu de la foule.
* * *
- Il faut te trouver des vêtements et des chaussures avant l'aéroport, dit Anna quand j'entre dans la voiture.
Je hoche la tête.
Je passe les huit heures de vol à dormir ou raconter mes péripéties, certains dans l'avion ont compris qui j'étais et tendent l'oreille quand j'entreprends de raconter quelque chose. Même les hôtesses de l'air s'arrêtent à mon niveau et posent des questions. On m'observe, quelques-uns se permettent même de prendre des photos.
- Tu es célèbre tu sais, me glisse Anna. Toutes les petites filles connaissent ton nom et tous les petits garçons celui de Nathan. La France en a beaucoup parlé, tu vas être harcelée par les médias.
- Espérons que ça ne durera pas trop, murmuré-je en mâchouillant le chewing-gum que Edward m'a donné.
Ce dernier est devenu coach particulier et le fait de m'avoir entrainée a boosté sa carrière. Il croule sous les demandes. Mon frère est dans une entreprise en tant qu'ingénieur près de Paris. D'après papa, il a un bon poste mais il pourrait faire mieux. Je prends des nouvelles de tout le monde et on se remémore de lointains souvenirs.
* * *
A l'atterrissage, ma grand-mère m'accueille et elle me serre contre elle. Un véritable comité m'attend. Je revois des amies de longue date et tout un tas d'oncles et de tantes, Julie des semaines de sélection, et puis...Je me fige. Derrière, la mère de Nathan me regarde. Ses joues sont pleines larmes.
Je m'approche prudemment.
- Votre fils a été heureux et il n'a pas souffert, il était entouré d'amis et il travaillait plus dur que tout le monde.
Sa mère fait oui de la tête en me remerciant. Elle éponge ses yeux avec un petit mouchoir.
- Je suis contente que tu sois rentrée, murmure-t-elle.
- Tiens, me dit Romane.
Elle me tend un téléphone.
- J'ai rentré tous les contacts qui pouvaient t'intéresser.
- Merci.
Finalement en dix-sept ans, je ne remarque rien de radicalement différent. Les rues sont les mêmes, les bâtiments sont peut-être un petit peu étranges. La mode a changé et je remarque beaucoup d'habits brillants. Mais le téléphone qui paraît plus plat, plus grand est quasiment le même que celui que je possédais à bord. En mon absence, ils n'ont pas inventé quelque chose de révolutionnaire visiblement. Les bus, les voitures me paraissent étrangès mais largement reconnaissables.
- Qu'est-ce que j'ai raté comme invention extraordinaire ? demandé-je à Romane.
- Tous les appareils électroménagers se sont améliorés, tu ne vas plus les reconnaître. Sinon... nous avons une nouvelle méthode pour chauffer les aliments, car le micro-ondes a été jugé trop dangereux. Et puis les Rimutouts aussi.
- Attends ! Les quoi ? Les rimitus ?
- Non les rimutout ! Tu ne connais pas !
Romane se tape le front en soupirant.
* * *
- Et voici ta chambre, on l'a rénovée pour en faire mon bureau mais on vient d'installer un matelas pour que tu puisses dormir. J'espère que ça ne te dérange pas qu'on l'ait modifiée... s'inquiète mon père.
- Non, c'est parfait assuré-je.
- Il y a même un panier pour Maya et Lilou, explique-t-il en paraîssant soulagé.
Il éteint la lumière et juste avant de sortir il me dit.
- Je t'aime ma fille, tu m'avais manquée.
- Moi aussi papa.
La porte se ferme.
Je me sens perdue.
J'ai retrouvé ma famille mais j'ai beaucoup perdu aujourd'hui.
Matéo, Tessa, Lindsay, Anissa, maman et tous mes souvenirs. Mes photos, mes carnets, mon ordinateur, tout. Tout ce qui comptait si fort à mes yeux. Les peintures de Kimiko, ses dessins, mon lit, notre guirlande tout est à présent englouti par les flots.
Inconsciemment je pleure, je pleure ces pertes. J'ai l'impression d'être à nu. Je n'ai plus rien. Plus de souvenirs, pas de métier, ni d'étude, pas d'argent.
Rien.
Je tente de me focaliser sur les retrouvailles, le bonheur de me dire que demain, je n'aurai pas de corvées. J'irai où je veux, je découvrirai de nouveaux horizons...
Malgré le merveilleux panier double qui a dû couter une fortune à ma famille, Maya et Lilou s'entassent avec moi sur le matelas, pas du tout traumatisées par ce changement d'environnement.
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