Chapitre 67 : Rescapés

EMMA :

- Tessa ! crié-je.

Son visage est extrêmement pale. Ils l'allongent au sol et j'entends Ellias hurler. Ma tête tourne, ce n'est pas possible.

Gabriel émerge à son tour, serré contre Max, ils semblent tous deux à bout de forces.

Je me précipite vers lui et je le serre dans mes bras, il est glacé. Des larmes coulent et tracent une tranchée brulante sur mes joues frigorifiées.

Cette fichue eau continue à gravir les marches une à une. Elle atteindra bientôt le haut de l'escalier et se répandra bien vite sur le deuxième étage.

A côté des marches, ils sont massés autour du corps de Tessa. Ryan lui fait un massage cardiaque. Mais ça fait beaucoup trop longtemps qu'elle est dans l'eau sans respirer, j'ai très peu d'espoir. Ellias s'est effondré à côté et il sanglote comme un bébé.

- Non, non, non, murmuré-je pour moi-même.

Les minutes qui suivent se déroulent sans son, sans émotion. Juste le vide dans mon cerveau. Je reviens à la réalité brusquement quand j'entends ces trois petits mots

- Elle est morte.

Ces trois petits mots qui peuvent être si violents mais en même temps si simples.

- NOOOON ! crie Ellias.

Gabriel me serre dans ses bras, on se réchauffe comme on peut, collés les uns aux autres.

L'eau atteint mes orteils.

- Il faut avancer, il faut monter sur le toit, dit Kim.

Je hoche la tête. Ellias est assis sur le sol, courbé au-dessus de Tessa. Katie lui presse l'épaule et l'aide à se relever. On marche dans les couloirs en troupeau. Un troupeau de gens trempés, détruits, paniqués mais silencieux. On entend le couinement des pieds sur le sol. Ça sent la mer et les algues.

Chaque étage est un effort, chaque étage est un supplice pour nos corps frigorifiés.

On finit par atteindre péniblement les animaux.

- Ici on va se séparer. Une dizaine de personnes viennent avec moi pour explorer le toit et voir si c'est sûr. Le reste, préparez- vous à monter les animaux, il faut commencer à les désharnacher, dit Kim

- Mais comment va-t-on les monter ? Par les escaliers ? demandé-je. Je ne pense pas que les ascenseurs fonctionnent...

Il y a un silence.

- Dans un premier temps on va monter ceux qui en sont capables. Allez, il m'en faut dix pour partir sur le toit, dit Kim.

Je reste évidemment avec les animaux et comme nous l'a demandé Kim, on commence à les détacher.

- Il faudrait faire descendre les plus gros par la plaque avec laquelle on a transféré les vaches sur Aria, dis-je à Gabriel.

- Mais cette plaque est à l'extérieur et elle ne sait pas aller plus haut que cet étage, remarque-t-il.

- Ce serait un moyen de les évacuer quand il y aura des bateaux en dessous, conclus-je.

Certains des animaux semblent blessés mais aucun n'est mourant pour notre plus grand soulagement.

Alors que je m'approche du fond de la pièce, le vaisseau penche violement sur le côté. Mon cœur manque un battement, il y a des cris.

- Faut faire contrepoids ! dit quelqu'un.

- C'est impossible le vaisseau pèse des milliers de tonnes, ce ne sont pas nos petits kilogrammes qui vont changer quelque chose, rétorque un autre.

- On a des choses qui pèsent lourd...

- Comme ?

- Les stations d'épuration et puis toute l'eau, explique Théo.

Ils se rejoignent pour en discuter au moment où Kim redescend nous dire que le dernier étage est dévasté mais à ciel ouvert.

- On peut commencer le transfert.

Le fait que le vaisseau penche ne nous aide pas à tirer les moutons dans l'escalier et ça demande de la patience et de la force.

Théo et les autres sont partis déplacer la station vers le coté plus haut et vider tous les tuyaux d'eau, tandis que l'on sue avec les animaux.

Avant cette catastrophe je pensais descendre fièrement du vaisseau la tête haute, pas avec des vêtements trempés, les pieds nus, gelée, en train de tirer un mouton pour le forcer à monter.

- L'eau est au troisième étage, indique Noah.

Ma chambre est donc immergée, songé-je. Mon mur de photos et tous mes souvenirs avec. Des larmes me piquent les yeux.

Après une des pires heures de ma vie, nous avons réussi à monter une trentaine d'animaux seulement.

- On n'y arrivera jamais, se lamente Katie et me faisant passer une corde.

On ressent soudain une violente secousse, mais dans le bon sens cette fois-ci, nous sommes beaucoup moins inclinés. Leur plan a dû fonctionner.

Chaque bête est terrorisée et n'a pas particulièrement envie de collaborer. Au fil des minutes, mes habits ont séché mais mes larmes coulent sans que je ne les contrôle et mes muscles sont raidis. Nous parlons peu.

Alors que j'atteins le toit une nouvelle fois. J'entends un vrombissement lointain. Je lève la tête vers le ciel immensément bleu.

- Tu entends ? me crie Gabriel.

Je mets ma main en visière, et j'aperçois un hélicoptère au loin, puis un deuxième.

- Ils arrivent ! crié-je en redescendant les marches. Ils arrivent ! Les secours arrivent !

Il y a des cris de joie, l'eau a à présent atteint le cinquième étage et menace le sixième, il était temps !

- Où est Anissa ? me demande Linda en passant.

- Je ne sais pas, je n'ai pas vu Anissa depuis...depuis qu'on est allés dans le sas en fait, dis-je.

- Moi non plus, c'est bien ça qui m'inquiète.

Elle poursuit son chemin me laissant avec un gros doute.

- Viens Emma, on va chercher Maya et Lilou, il est temps, me dis Gabriel. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu as vu Anissa récemment ? demandé-je en le suivant vers nos petites chiennes qui attendent patiemment depuis maintenant plusieurs heures.

- Oui dans l'escalier au début, mais depuis l'explosion, non, répond l'islandais.

Je repense à toutes les séances de coiffures, non ! Anissa ne peut pas avoir disparu.

- Ramène les chiens, je vais voir, dis-je en m'éloignant.

- Tu vas voir quoi ?

- J'ai besoin d'être sûre qu'elle va bien.

Je me mets à courir dans les couloirs, dès que je croise du monde je leur demande mais personne ne l'a vue depuis l'explosion. La panique m'envahit.

- Emma, m'appelle Gabriel. Les hélicoptères sont en stationnement, il faut y aller maintenant, ils vont fouiller le vaisseau et la retrouver, on a fait notre job.

Je tourne la tête vers lui. Je finis par m'approcher à contre cœur. Maya me lèche la main et je lui grattouille le haut de la tête. Nous montons les marches lentement.

Sur le toit, mes cheveux sont balayés par le vent que les trois hélicoptères produisent. Des adultes descendent par des cordes. Ce sont les premières personnes nouvelles que je vois depuis tellement longtemps.

Ils apportent avec eux des couvertures et du matériel.

- Des canots de sauvetages arrivent ainsi que d'autres hélicoptères, nous indiquent-ils. Qui est blessé gravement ?

A partir ce cet instant, tout semble se dérouler dans une dimension parallèle. Il y a des cris les premiers canots arrivent et embarquent les plus faibles. Des médecins, du SAMU, des pompiers et des sauveteurs secouristes nous entourent. Le vaisseau est fouillé. Les animaux sont évacués par le côté du vaisseau, grâce aux grandes plaques comme je l'avais supposé.

Après seulement quarante-cinq minutes, il n'y a plus aucun être vivant en dehors des canots et du toit et pourtant, toujours aucune trace d'Anissa. Les agents et secouristes sont impressionnants par leur efficacité.

Maya et Lilou ont embarquées depuis longtemps dans un des premiers canots. Mes amis aussi.

Le vaisseau se met alors à pencher dangereusement.

- Il est temps de partir ! indique un homme de bonne taille en combinaison bleue.

Je suis serrée contre Gabriel quand une jeune femme s'avance avec deux couvertures.

- Couvrez-vous et suivez-moi, on va monter dans cet hélicoptère.

Au loin, d'autres appareils approchent.

Je n'ai pas conscience de ce qu'il se passe et de ce que je fais. Je me laisse entrainer et je suis harnachée puis tirée au bout d'une corde jusqu'à la cabine de l'hélicoptère. On me couvre et je m'assois près de Gabriel. Nous sommes huit à bord, trois sauveteurs et cinq rescapés comme nous.

Alors qu'on s'élève dans le ciel, le vaisseau semble diminuer. C'est une tache blanche entourée de débris flottant et de canots.

Il penche de plus en plus et il va bientôt couler pour de bon, emmenant avec lui tous mes souvenirs, toutes ces années, toutes mes photos.

Nous n'avons pas encore le bilan mais nous savons d'ores et déjà que Tessa, Matéo, Lindsay et surement Anissa ne reverront jamais leur famille. Ellias est détruit, mais ce n'est pas le seul. Je n'arrive pour le moment pas à réaliser ce qu'il vient de se passer, je ne retrace pas les évènements dans ma tête je me laisse porter, emmitouflée dans une couverture en train de m'envoler dans le ciel.

Je me laisse bercer par le bruit de moteur et je somnole, mes paupières se ferment d'elles-mêmes.

- Emma, me murmure Gabriel. Emma, on va atterrir.

- Quoi, marmonné-je.

Pendant une fraction de seconde, j'ai cru que tout ça n'était qu'un mauvais rêve et que j'allais me réveiller bien au chaud sous la couette de ma chambre à bord. Mais non.

L'odeur de l'air me surprend, ça sent un milliard de parfums différents. Le ciel me surprend et la lumière est différente. Sentir et voir les rayons du soleil est tellement étrange et en même temps tellement réconfortant.

- Où est-on ? demandé-je d'une voix faible.

- Sur le supposé deuxième lieu d'atterrissage, crie le pilote pour se faire entendre. Tous les médias et toutes les familles y sont.

Je me redresse légèrement, ma famille !

- Ce fut un réel plaisir de transporter dans mon hélico des héros comme vous, nous assure le pilote. D'ailleurs si c'est possible de négocier un autographe pour ma fille, elle est fan de vous...

- Bienvenue sur Terre, me dit Gabriel avec un demi-sourire.

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