Chapitre 60 : Une à une
EMMA :
Pour la troisième fois de mon existence, je reprends doucement connaissance, entourée de lumières vertes. Comme les autres fois, je me désharnache. Les lumières s'éteignent autour, la salle n'est pas vraiment remplie. Nous nous levons un par un, encore étourdis.
- On finit par s'y habituer en fait, remarque Gabriel en s'étirant et en retirant son gilet.
- On va s'occuper des animaux en premier, dis-je.
Tout se déroule presque de la même manière qu'il y a douze ans et il y a sept ans. Peut-être en plus calme et plus silencieux. Une fois les animaux libérés, je reviens dans la pièce. Thiago n'est pas là pour nous donner les consignes.
- Bien, maintenant on peut retourner dans nos chambres, annonce Tessa.
J'échange un regard avec Gabriel. Tessa va prendre la place de Thiago c'est ça ?
- Il faut refaire un roulement pour les repas, dis-je. Tandis qu'on se rend au réfectoire.
- Nous allons recommencer à faire des journées de vingt-quatre heures à présent ? demande Ellias.
- Oui, décide Tessa.
- Reste à savoir comment on s'y prend ? On peut faire un vote, proposé-je en défiant du regard Tessa qui s'apprêtait à répondre.
- On peut dire ; soit on s'y réhabitue en douceur, soit d'un coup, remarque Ellias.
Nous ouvrons nos applications de vote et Ellias annonce vert pour d'un coup et rouge pour progressivement.
J'appuie sur le bouton vert. Une majorité a le même avis.
- Il va falloir faire les modifications sur toutes les horloges, dit Ellias.
Une fois quelques précisions comme celle-là mises en place, nous sommes libres.
Je monte dans la chambre. J'ai comme un vide.
Nous vivons un retour en arrière entre ces murs blancs. Mais c'est différent, je suis plus grande, plus mature, j'ai vécu plein de belles choses. Je me sens bizarre, sans but. Je peux faire du sport, mais je n'ai plus cette obligation d'arriver en forme sur Aria.
Hésitante, je m'assieds sur le lit et j'allume mon ordinateur. Je laisse ma souris se balader sur les icônes, hésitante. Je finis par ouvrir un fichier texte. Qu'écrire ? Mes doigts se déposent sur les touches. Je sens qu'à présent, j'ai du recul sur nos aventures, j'ai envie de les retracer, comme si j'avais peur d'oublier.
Kimiko me manque, Lucia, Elina, Emily, Kyle, Thiago aussi. Tous.
Ne plus jamais les revoir est vraiment étrange et ça paraît irréel, j'ai tout fait avec eux à mes côtés.
Soudain je me souviens de l'italienne, de son message à faire passer à Anissa. Je me relève et je file à sa recherche. Je finis par trouver l'indonésienne dans sa chambre, les yeux rouges.
- J'ai un truc à te donner de la part de Lucia, annoncé-je.
Elle s'approche étonnée.
Je lui tends le mot et elle le lit. Des larmes coulent, elle semble bouleversée.
- Tout va bien ? demandé-je.
- Oui... murmure-t-elle en serrant le papier contre elle.
J'hésite à la questionner sur le contenu du message mais en voyant son air chamboulé, je préfère m'abstenir et sortir de la pièce en la laissant seule.
* * *
Quand on descend manger le soir, tout est calme, la salle me paraît vide et silencieuse.
- Tu crois qu'ils font quoi sur Aria ? demandé-je à Gabriel.
- Ils mangent probablement, que veux-tu qu'ils fassent ?
- C'est tellement étrange d'être séparés d'eux.
Nous n'étions pas de simples amis puisque chaque jour nous nous voyions qu'on le veuille ou non. Nous étions en permanence les uns sur les autres. Cette rupture est brutale et douloureuse.
- Tu vas faire quoi maintenant ? enchainé-je.
- Terminer mon assiette...
Je lève les yeux au ciel.
- Je parle de ce que tu vas faire en général.
- Et bien je vais continuer la routine, le sport, faire à manger, m'occuper des animaux, tout ça quoi, répond-il. Pourquoi ?
Je hausse les épaules. Nous allons vivre pendant ces cinq années, comme un sursis, une phase décalée et tranquille. Puis, nous allons faire un retour à la réalité à notre monde ancien et lointain, rempli de vieux souvenirs.
- Quelle est la première chose que tu vas faire sur Terre ? questionne l'islandais. Aller manger au restaurant ? Non pas que la nourriture ici soit mauvaise mais disons qu'il y a plus original et varié...
- Je ne sais pas, je vais aller me balader dans les rues ? Regarder les étoiles ? Il y a un million de choses que je veux faire.
- Au moins on ne va pas s'ennuyer, commente-t-il.
A la fin du repas, il y a un moment de flottement. Thiago n'est plus là pour conclure. Sans vraiment communiquer, on monte dans nos chambres. Tout paraît trop calme.
Je déclare en me glissant sous la couette de mon lit :
- Et on va faire quoi de nos journées sur Terre ?
- Profiter du temps perdu je suppose, répond-il.
- On ne va pas avoir de métier ?
- J'ai pensé quelque fois à devenir prof de sport où ce genre de choses, dit-il. On se laissera porter.
Je contemple son beau visage.
- On sera perçus comment sur Terre à ton avis ?
- Comme des héros, des stars...
Les premières semaines et premiers mois, nous avons cette sensation de vide et de manque. Mais petit à petit, tout entre dans l'ordre, nous nous réhabituons aux journées de vingt-quatre heures. En ce moment, je tente d 'apprendre le français à Gabriel.
- C'est « Aujouuurd'-huiiii », imite-il.
Il connait quelques mots et verbes et je tente de lui apprendre la conjugaison. A chaque fois, il reste concentré les cinq premières minutes et après il déconnecte.
- On fait une pause ? réclame-t-il.
Il se lève et s'étire
- Viens, on va sortir les toutous !
Je soupire en le suivant.
Les années s'écoulent une à une, comme des gouttes d'eau qui tombent au bout des doigts.
Nous nous sommes recréés ce cocon, nous sommes peu nombreux, mais toujours aussi soudés, si ce n'est plus. Ellias, a pris « le relais » de Thiago et Tessa essaie régulièrement de s'imposer. Nous avons pris des roulements pour la cuisine et le nettoyage, de même pour les animaux. Néanmoins, nous n'avons plus ce but, d'être prêts pour Aria, rien de particulier ne nous attend sur Terre, nos occupations sont différentes nos ambitions aussi. De mon côté, j'ai terminé de retracer par écrit nos nombreuses aventures, je suis dans les corrections.
Nous redoutons la moindre maladie ou blessure en l'absence d'Elina.
Les fêtes, les soirées et les cinémas se poursuivent, à chaque fois on regrette Izabella et son organisation. Des matchs se disputent aussi, des jeux et des défis.
- Emma, tu es où ? C'est le moment décisif, pas le temps de rêver, s'exclame Gabriel en me faisant la passe.
Je réceptionne le ballon comme je peux et je le match se poursuit.
- C'est pas possible qu'on perde contre eux ! râle Gabriel quelque minutes après tandis qu'on se rend au réfectoire. C'était LE match à ne pas perdre.
- C'est pas grave, dis-je. On prendra notre revanche une autre fois.
- En attendant on vient de se faire humilier...soupire-t-il.
On boit un grand verre d'eau tous ensemble en débattant des meilleurs moments. Ellias est presque le seul à ne pas vouloir prendre part aux tournois qui suscitent tant d'animations. Il est néanmoins dans un coin de la pièce et il sourit aux blagues plus ou moins subtiles.
- Je vais monter me doucher et me coucher, j'en peux plus, annoncé-je en posant mon verre.
- Non, reste encore un peu, dit Gabriel.
Je fais non de la tête avec une moue désolée et je m'engage dans les couloirs. Je marche sans savoir où je vais, je connais tous les couloirs par cœur dans les moindres détails.
Demain, ça fera trois ans. Trois ans que nous volons vers la Terre. Trois ans que nous sommes loin de nos amis.
J'aimerais tellement recevoir de leur part ne serait-ce que trois petits mots « tout va bien ». J'aimerais savoir si le bébé de Kimiko est un garçon, si Kyle se porte bien, si Mila et Kévin sont encore ensemble, s'ils ont fait de nouvelles découvertes...
Une fois devant la porte de notre petit appartement, je la déverrouille et j'entre. Je file immédiatement à la salle de bain, et je laisse l'eau couler. Je m'enroule dans ma serviette duveteuse, je tresse mes cheveux et je me brosse les dents. Mon reflet apparaît dans le miroir. Mes cheveux châtains sont coiffés dans mon dos et mes yeux clairs me fixent...
Maya et Lilou sont déjà dans le lit quand je veux m'y mettre et je les pousse pour réussir à me faire une petite place. Ça ne semble pas les déranger, elles se rendorment aussi sec.
Plus je me rapproche de la fin de ce voyage et plus j'appréhende malgré moi. J'ai hâte forcément, mais je me demande à quoi ressemblera ma vie plus tard. Certains savent déjà ce qu'ils feront, ils ont tel ou tel projet. Est-ce que je trouverai un métier ? Est-ce que je vais regretter cette décision si importante que j'ai prise il y a trois ans ? Ma tête bourdonne d'interrogations, malheureusement, je vais devoir patienter un peu pour avoir les réponses à toute mes questions...
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