Chapitre 6 : Grand pas en avant
EMMA
La semaine défile à toute vitesse et me voilà dans l'avion. Les écouteurs vissés dans mes oreilles, je suis assise près du hublot. Mes mains tremblent légèrement, je déteste prendre l'avion. J'ai dans ma tête les conseils d'Edward : « Essaye de regarder en bas, il faut que ton vertige cesse totalement, toutes les occasions pour s'entraîner sont bonnes. » Je me force à jeter des petits regards vers la ville qui s'éloigne, mais je reporte vite mon regard sur le siège de devant, le cœur battant.
Je n'ai pas eu de contact direct avec la famille d'accueil et les questions se bousculent dans ma tête. Je sais qu'ils ont une fille de mon âge, Lyse et que c'est un couple de commerçants. Edward m'a interdit de voir des photos et de leur parler par téléphone, il dit que c'est important que j'apprenne à avoir des premiers contacts fluides en anglais, même face à des inconnus.
Quand je sens les roues de l'avion toucher brusquement le sol, je sors de ma rêverie. La voix dans le haut-parleur annonce en anglais les températures locales et nous remercie pour le voyage. Quelques minutes plus tard je descends de l'avion, mon bagage à la main. Je suis la foule jusqu'au grand hall, ou ma famille d'accueil est censée m'attendre. Je cherche des yeux le panneau avec écrit « Bourdais » leur nom de famille, mes yeux se posent soudain sur une femme un peu rondelette au visage avenant, elle me fait de grand signe de la main.
- Tu es Emma Keller ! s'exclame-t-elle en anglais. Je suis Caroline, allez viens mon mari et Lyse attendent dans la voiture.
Je lui souris, et je ressens une certaine fierté car j'ai compris avec facilité, ce qu'elle vient de me dire. Quand nous arrivons devant la voiture, je vois une jolie fille rousse qui m'attend sur la banquette arrière.
Elle me salue dans sa langue, et avec un peu d'hésitation je réponds.
- Quand j'ai appris que c'était notre famille qui avait été sélectionnée j'étais trop contente, dit-elle. Avoir la française qui participe au Projet ARIA c'est génial.
Je hoche la tête pour signifier que j'ai compris, et je m'installe à ses coté.
- Alors c'est comment la France ? demande le père. Tu habites où ?
- Lyon, réponds-je. C'est la première fois que je vais en Angleterre.
- Je vais te faire visiter, s'exclame aussitôt Lyse.
Je n'ose pas engager un sujet, j'ai peur de bugger, ou que mon accent ne soit pas parfait. Durant le reste du trajet je me contente de petits signes de tête pour leur faire comprendre que je saisis tout ce qu'ils disent.
Quand nous arrivons à leur maison, Lyse me montre ma chambre et me laisse installer mes affaires. Assise sur mon lit, j'envoie un message à mes parents et à Anna pour leur donner des nouvelles et je déballe ma valise dans la grande penderie. La chambre est simple mais pratique, un petit lit blanc, un bureau en bois, une commode sous la fenêtre et une penderie et puis c'est tout. Je pousse un long soupir, indécise, la famille est très gentille, mais parler est bien plus dur que ce à quoi je m'attendais.
- Tu es prête pour un petit tour de la maison ? me propose Lyse.
- J'arrive, réponds-je en anglais.
Elle me fait visiter la cuisine, les salles de bain le grand salon, le bureau et leur petit jardin.
- C'est comment d'être sélectionnée ? me demande Lyse. Moi j'aurais trooop aimé qu'ils me choisissent mais je n'ai même pas été prise pour faire les premiers tests... y paraît que c'est dur les deux années.
- Oui j'ai des entraînements de sport pratiquement tous les soirs, et j'ai beaucoup de cours d'anglais pour que je devienne bilingue et puis tous les week-ends je fais des activités pour apprendre des choses. En fait mon programme est très chargé.
J'ai dit ça d'une traite, en essayant que mon débit soit le plus fluide possible. Elle hoche la tête en souriant, est-ce bon signe ? Elle me parle de sa vie, de ses envies et elle paraît réellement heureuse que je sois là. Ça me rassure un peu.
Ce soir-là je mets une éternité à m'endormir, je contemple le plafond blanc de ma chambre en me posant des questions. Est-ce que un jour je parlerai anglais aussi bien que je parle français ? Je doute sur mes capacités, malgré le fait qu'Edward insiste sur mon potentiel, moi j'ai du mal à suivre tous les cours, plus les activités et le sport. Ces trois semaines arrivent comme une liberté, plus de cours, de devoirs, de sport et d'entraînements. Parler anglais me demande un énorme effort mais au moins je suis plus libre.
- Hello ! s'exclame Lyse en entrant dans ma chambre le lendemain.
Je la salue à mon tour, encore endormie.
- Bon tu es motivée pour aller en cours avec moi ? poursuit-elle en anglais. J'ai hâte que tu rencontres toute mes copines, elles vont être trop jalouses ! On part dans une heure, tu seras prête ?
J'acquiesce en repoussant ma couette.
- Parfait ! s'écrie-t-elle en sortant de la pièce aussi brusquement qu'elle y est entrée.
Je prends une bonne douche pour me réveiller, j'enfile un jean noir, un tee-shirt gris et des converses. Puis, je descends dans le salon où Lyse est attablée sur la petite table.
- Je t'ai fait un chocolat chaud, tu aimes ? demande-t-elle la bouche pleine ce qui ne facilite pas ma compréhension.
Tandis que nous marchons jusqu'à l'arrêt de bus, Lyse s'extasie sur tout. Ses cheveux roux flottent autour d'elle et font ressortir ses taches de rousseurs, elle rayonne littéralement.
Après un court trajet en bus, où Lyse n'a pas arrêté de parler une seule seconde, nous arrivons devant son collège. Nous passons par le bureau du proviseur il me semble, car je dois avoir l'autorisation de rentrer. Il me parle avec un accent très marqué, et j'ai un peu de mal à comprendre. Je bafouille néanmoins des réponses que Lyse s'empresse de reformuler.
- Alors voici Jade, Sarah, Emily et Sophia ! me présente Lyse.
Elles se mettent à discuter toutes ensembles et je n'arrive pas à saisir toutes leurs phrases. Puis, la dénommée Jade se tourne vers moi.
- Alors comme ça tu es la française sélectionnée.
Toutes les filles portent alors leur attention vers moi et je sens mes joues rougirent.
- Tu peux parler français ? demande une d'elles.
- Oui dis-nous quelque chose en français ! renchérit une autre.
- Vous voulez que je dise quoi ? questionné-je.
- N'importe quoi ! dis Jade. Dis que tu as été sélectionnée pour Aria.
Je m'exécute et pour la première fois depuis mon arrivée, je dis des mots en français.
Elles me demandent à tour de rôle de dire des phrases en français et bientôt le groupe s'agrandit. Quand enfin la sonnerie retentit, un gros attroupement s'est formé et j'ai dû dire au moins une vingtaine de phrases sur leur demande.
Pendant les cours de la journée, les profs me parlent un peu, posent quelques questions. Le reste du temps j'écoute les leçons, j'observe et je me concentre un maximum pour saisir le plus de mots. Certaines personnes sont largement plus faciles à comprendre que d'autres. À la fin de la journée je rentre avec Lyse et cette dernière me demande :
- Tu as aimé ?
Je fais oui de la tête et elle sourit.
Les trois premiers jours, je ne fais qu'écouter et observer en cours, mais après j'emmène des feuilles et je prends quelques notes. Au bout de deux semaines, les profs m'interrogent parfois, me demandent si je sais la réponse. Je fais presque partie de la classe. Toutes les copines de Lyse semblent m'apprécier et me bombardent de questions à chaque récréation. Le premier week-end, nous sommes allés dans la capitale avec la famille de Lyse et le deuxième nous sommes allés visiter les studios d'Harry Potter, car Lyse ne parle que de ce livre. Avant bien évidemment, elle m'a forcée à regarder tous les dvd. Elle m'a aussi acheté le tome un en me disant qu'il fallait absolument que je le lise. Finalement j'arrive à parler plus facilement avec les gens, et Lyse dit que mon accent est presque parfait. Elle me corrige quand même de temps en temps mais toujours gentiment. Quand le dernier week-end arrive, toutes les amies de Lyse viennent me dire au revoir et ma famille d'accueil organise un grand repas. Je ressens une petite pointe de tristesse et je me dis qu'ils vont tous me manquer.
J'échange mon numéro de téléphone avec Lyse puis ses parents m'accompagnent à l'aéroport. À l'atterrissage, Edward, maman, papa, Mattéo et Romane me serrent dans leurs bras et me posent un milliard de questions. Les entendre parler français me fait vraiment bizarre et c'est avec grand plaisir que je peux leur répondre dans ma langue natale.
Cette nuit-là je m'endors instantanément. Être dans mon lit, dans mes draps, dans ma maison, avec ma famille et surtout des gens qui parlent ma langue, c'est tellement agréable.
Je me dis que dans un peu plus d'un an je ne connaîtrai plus ça. Mon cœur se serre, il me tarde d'être le jour du décollage avec toutes ses préparations que je fais, mais tout abandonner est beaucoup trop dur.
Le lendemain je passe la journée avec Anna, à rattraper les cours et à lui raconter les trois semaines. Elle me raconte en échange son stage chez le vétérinaire. Puis, la vie reprend son cours, les entraînements, les activités et le programme surchargé de ma semaine sont de retour, et ainsi jusqu'au mois de mai.
À ce moment-là, Edward relâche un peu la pression car le brevet approche. Les révisions commencent alors, les fiches, les leçons à revoir. À chaque cours les profs nous répètent à quel point ce diplôme est important. Notre objectif à moi et Edward est au moins la mention bien. Anna stresse comme une malade et n'arrête pas de faire ses « crises » où elle se met à crier que c'est trop difficile et qu'elle n'y arrivera pas. Avec notre groupe d'amies, on se retrouve régulièrement pour se faire réviser mutuellement. Une semaine avant l'épreuve, j'ai un classeur rempli de fiches dans mon sac et des dates plein la tête.
- Cette semaine sera un peu particulière pour les troisièmes, explique le principal. Des nouveaux emplois du temps seront distribués avec des heures pour qu'ils révisent avec les différents profs.
Nous recevons tous un emploi du temps et nous partons dans les couloirs pour une nouvelle journée.
- Tu crois que j'aurai une mention ? Demande Anna.
- Tu en es largement capable, dis-je. 400 points sur 800 sont seulement sur le contrôle continu et tu dois avoir une bonne note. Puis tu as passé l'oral et tu as sûrement eu une bonne note aussi sur 100. Donc techniquement tu l'as déjà.
- Je n'ai pas tout compris tes histoires de points mais je suis un peu rassurée merci. Et toi, ces vacances tu vas enfin rencontrer les 104 autres adolescents ! Je suis sûre qu'il y aura plein de garçons trop mignons...
Je pousse un long soupir, tandis qu'elle éclate de rire.
- Mais en fait ça te sert à quoi d'avoir ton brevet ? demande Farah, une fille de ma classe.
- Bah... comme toi à passer en seconde, à ce que mes parents soient contents, réponds-je.
- Mais tu ne passeras jamais ton bac au final, remarque-t-elle.
- Bravo Farah quelle perspicacité ! s'exclame Anna en m'entraînant par le bras vers la salle de maths.
Quand le grand jour arrive, Anna est chez moi à sept heures du matin, pour des révisions de dernières minutes. Elle est déjà habillée, coiffée et... surexcitée. Pendant que moi je suis endormie, crevée et... fatiguée.
Après deux heures à supporter les hurlements d'Anna et les milliers de règles et de dates qu'elle débite, nous entrons par ordre alphabétique dans les salles. Je m'installe à ma table et vérifie que j'ai bien, ma bouteille d'eau, mes barres de céréales, mon dico, ma trousse et ma carte d'identité. Quand enfin, ils distribuent les sujets, c'est le moment de vérité. Je me penche sur ma copie et lit les consignes une à une. Puis je me plonge dans le texte, le décortique, l'analyse et j'essaye ensuite de formuler des réponses claires et bien construites. Comme on me l'a appris durant quatre ans. Le français j'aime ça, j'ai toujours rêvé de publier un roman.
Il faut que je me concentre sur le sujet, allez, focalise ton attention sur les questions Emma. Quel est l'exercice le plus important ? Je me souviens de ma prof de français disant que l'exercice de réécriture était celui qui vaut le plus de points. Je baisse les yeux sur l'énoncé. Plus qu'une question et c'est celle-là. Allez, il me reste une vingtaine de minutes.
Je gratte le papier durant une heure précise jusqu'à ce que le professeur nous arrête.
Malgré tout ce que je craignais, aucunes des épreuves durant ces deux jours n'est insurmontable et quand enfin la dernière sonnerie de l'année retentit on se lève tous en raclant les chaises et on va rendre nos copies. Je ressens un immense soulagement, le collège est derrière moi.
Un sourire s'invite sur mon visage tandis que je rejoins Anna devant les casiers.
- Ça été ? dis-je.
Elle hoche la tête.
- Oui, et maintenant à nous les vacances !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top