Chapitre 58 : Adieux
EMMA :
- C'est bon tu as tout ? demande Gabriel.
- Oui, je crois.
J'ai l'impression d'être à la fin des vacances, quand on doit rendre la chambre d'hôtel.
Les deux pièces de notre petite maison sont à présent vides. Je m'apprête à transporter le dernier carton dans la chambre.
- Tu ne crois pas qu'on devrait mettre nos lits dans le salon, propose Gabriel.
- Comme tu viens de le dire, le salon, c'est le salon, et pas la chambre, rétorqué-je.
- Oui mais avoue qu'on passe plus de temps dans la chambre que dans le salon, donc ce serait plus judicieux.
Je hausse les épaules.
- Tout se passe bien ? demande Kimiko en arrivant.
- Dis-moi, est ce que tu trouves que mettre les lits dans le salon serait une bonne idée ? lui demande Gabriel en guise de bonjour.
- Heu... ça dépend, à ce moment-là, ce ne serait plus un salon, mais...
Je m'éloigne avec mon carton en les laissant à leur débat. Pour le moment, nos lits sont dans l'entrée et une chose est sûre, ils ne peuvent pas y rester. Je finis de réinstaller mes vêtements dans la pièce à gauche de l'entrée et je range des produits dans la salle de bain. Cet appartement rempli de souvenirs prend vie à nouveau.
- On devrait lui remettre un coup de peinture, dit Gabriel en entrant. Je parle du salon-chambre.
Je suppose que le débat est clos, nous dormons dans la grande pièce. Je souris en acquiesçant.
- En bleu ? En vert ? En jaune ? poursuit l'islandais.
- Non mais ça va pas ! m'exclamé-je. On va faire une couleur, pastel, crème.
Il soupire.
- On aurait pu tenter un nouveau style ! Quelque chose d'original ! Peut-être que sur Terre c'est la mode, il faut tester.
- On testera une autre fois.
Chaque minute qui passe, on se rapproche de la séparation. Chaque minute, j'ai envie de les passer aux cotés de mes amis pour la dernière fois.
Nous passons bien deux heures à aménager selon les goûts difficiles de Gabriel. Je le laisse se débrouiller avec le salon, j'ai renoncé à m'en mêler pour le moment. Je m'occupe de l'ancienne chambre d'Amélie que je transforme en chambre pour chiens. Je dépose les coussins, la petite niche qu'on leur a fabriquées en pousses, leur tapis, leur jeux... etc. Je nettoie tout de fond en comble, l'évier, les sols, les étagères, tout. Je finis la journée exténuée et je m'endors en quelques minutes dans le salambre ou le chalon.
Demain il ne restera plus que deux jours. Nous avons décidé de consacrer le lendemain aux adieux, tous ensemble. Je sais d'avance que je vais pleurer. Finalement ça ressemblera à l'autre cérémonie, il y a douze ans avec ma famille. Je déteste les adieux, je déteste me dire que je fais quelque chose pour la dernière fois.
* * *
On descend au réfectoire chercher nos plateaux puis on sort manger dehors avec les autres. Il a plu hier, nous ne risquons rien. On s'assoit en formant comme un grand cercle.
- Je vais parler le premier, annonce Thiago en se levant.
Il porte un pyjama bleu et comme nous tous, il n'est pas coiffé.
- Je tiens à dire qu'on n'aurait pas pu avoir une meilleure équipe pour accomplir tout ça.
D'un geste vague, il balaie le paysage.
- Aria c'est chez nous, on a su accepter ses conditions et ses soucis, on a su l'habiter. Demain, le groupe va se déchirer en deux. Mais au fond, notre point commun c'est Aria, c'est ce travail, ces années uniques que l'on a passées tous ensemble. Tous ensemble. Personne ne pourra nous les retirer, on restera malgré la distance une vraie famille.
Il y a des applaudissements et des cris.
- Tu avais préparé un texte, lui demande Kimiko.
- Heu non, c'était comment ? demande Thiago.
- Parfait.
Je regarde la japonaise lui sourire. Qu'est-ce qu'elle a changé. Elle est arrivée détruite pour son frère, Mao, puis pour Carlo. C'était une adolescente, réservée, discrète, timide. Maintenant elle est fière, les gens l'apprécient, elle a sauvé Thiago, fait accoucher Emily et participé à de nombreuses expéditions, elle a plus que mérité le respect de tous.
Mon regard glisse sur Thiago qui a su nous gérer, nous guider durant toutes les étapes du protocole et du voyage, il avait l'âme d'un chef, d'un bon chef. Evidemment il a commis des erreurs comme tous, mais il est toujours resté fort.
Mes yeux se pose distraitement sur Emily qui sourit à Elina. La canadienne est sûrement la plus courageuse d'entre nous. Elle a élevé son petit Kyle malgré les regards, malgré les sacrifices, je lui ai promis d'aller voir sa famille, nous avons sélectionné ensemble ce que je leur apporterai, je garde son petit carton précieusement.
Elina à côté est... Elina quoi. C'est vers elle qu'on se tourne au moindre pépin. Elle ne rentre pas malheureusement. Comme Thiago, c'est un pilier et elle affirme que son devoir est ici.
Malik qui a choisi de rentrer est derrière, il regarde Kyle du coin de l'œil. Ses yeux sombres sont étrangement ressemblant à ceux du petit Kyle. Les rumeurs courent. Ce qui est sûr c'est qu'Emily n'a en aucun cas envie que son fils voit son père, et ça restera probablement ainsi.
Ryan et Noah se serrent dans les bras, les deux amis de toujours vont se quitter, à les voir s'étreindre, j'ai mes yeux qui piquent. C'est un déchirement pour nous tous, pourquoi est-ce si dur ?
Ellias prend la parole à son tour, le finlandais a pris la décision de rentrer. Il parle de ces années, du protocole de nos avancées, de ses espérances. On l'écoute en buvant notre café, dehors, l'air chaud nous balayant le visage, aucun bruit à l'horizon.
Une fois nos repas terminés, on va débarrasser et ranger le matériel puis bizarrement on reforme le grand cercle.
- C'est vrai que vous allez partir pour toujours ? demande Kyle.
- Oui, mais on te laisse des souvenirs, répond Gabriel.
- Et pourquoi je ne peux pas aller avec vous ? insiste Kyle.
- Parce que tu vas rester avec ta mère, Emily, répond patiemment l'islandais.
- Et pourquoi elle vient pas avec vous ?
Gabriel soupire.
- C'est compliqué, mais ta place est ici, peut-être que tu vas découvrir des choses exceptionnelles, je suis sûr que tu vas devenir quelqu'un de bien.
Le jeune garçon incline la tête puis rouvre la bouche pour poser une énième question mais il est interrompu par Izabella.
- Avec mon groupe, on a réfléchi à des projets pour se dire au revoir, notamment à des jeux. Vous devez former quatre équipes !
La matinée file à toute allure, le groupe d'Izabella a organisé des choses très sympas, tout le monde participe. Nous partageons les deux repas de milieu de journée, les aurevoirs approchent malheureusement.
- Qui d'autre veut faire un discours ? propose Thiago pendant le repas du soir.
Elina se lève et insiste sur les points positifs de ce projet Aria puis Inès qui rentre avec nous prend le relais. Je me lève ensuite.
- Ça fait quatorze-ans que l'on est ensemble. Ça fait vraiment long. En quatorze ans, il s'en est passé des choses ; positives bien sûr mais aussi négatives. Comme Carlo, Nathan, Jun, et Diana qui ne pourront pas rentrer. Malgré ces décès, on a réussi le plus gros défi de l'histoire, on a colonisé Aria, on s'est organisé une nouvelle société, on a su prendre les décisions justes, on a écouté nos cœurs.
Je sens que ma voix tremble.
- On a fait des rencontres incroyables, on a formé la communauté que nous sommes. C'est la plus belle aventure que nous ayons vécue. Se quitter ça fait mal, très mal même. Mais chacun est libre de faire son choix. Tout comme chacun était libre de venir ici. Est-ce que quelqu'un regrette ?
Le silence me répond.
- Je pense que cette décision là est la même. On a tous été tristes de quitter nos proches mais on voulait aller de l'avant et participer à tout ce qu'on a vécu. Maintenant, je vous aime, vous aller me manquer chaque jour, ensemble c'était... incroyable
Je me racle la gorge.
- Mais je m'en vais. Je rentre sur Terre, je vais retrouver mon autre famille, dis-je. En arrivant ici, j'avais peur d'être seule et de ne rien avoir à faire, la réalité c'est tout le contraire. Nous avons été tous ensemble en permanence, mais surtout, on ne s'est JAMAIS ennuyé.
Il y a quelques rires et j'essuie mes yeux. Julien prend ma place. Les gens se relaient au micro. On rit, on pleure, on sourit, tout mélangé.
- A toi maintenant ! dis-je à Gabriel.
- Que veux-tu que j'aille raconter ? Tout a déjà été dit...
- Tu n'as qu'à le répéter de façon originale, rétorqué-je.
- Tu crois quoi ? Que je vais faire un poème ? Même si j'en suis capable je...
- Défi relevé ! coupé-je. Tu écris un poème que tu lis avant cette nuit.
Je sais que l'islandais a trop de fierté pour refuser. Je le vois sortir une feuille et un stylo et gribouiller des mots. Je me penche par-dessus son épaule mais il me repousse.
- Tu verras plus tard.
Il sourit tout seul en écrivant et le connaissant, j'ai très peur du résultat. En attendant, Tessa et d'autres défilent pour dire quelques mots.
* * *
- Ça y est je suis prêt clame-t-il fièrement à la fin du repas.
Je pose ma fourchette, attentive.
- Hum, hum, j'ai un petit poème.
Il y a des rires.
- Je n'ai rien dit pour le moment ! se défend Gabriel.
- Pour le moment, taquine Samuel, ce qui lui vaut un regard assassin.
L'islandais se racle encore une fois la gorge et débite.
Défi relevé,
À moi de vous faire pleurer.
Je pense qu'on me connaît,
Je suis tellement parfait.
Mais ce qui est encore plus parfait,
C'est cette communauté,
Cette famille qu'on a formée,
Et elle, jamais je ne l'oublierai.
J'espère que vous non plus,
Jamais vous ne m'oublierez.
Je ne passe pas inaperçu,
C'est sûr, je vais vous manquer.
Projet ARIA,
C'est petites lettres qui ont changé nos vies
J'ai envie de leur dire,
Merci.
Il y a des applaudissements et des rires et Gabriel souriant, fait mine de saluer une foule en délire.
- Merci, merci ! Les autographes c'est à la sortie, s'il vous plait !
Il s'assoit fier comme un paon.
- Alors ? Tu l'as trouvé comment ? me demande-t-il.
- Disons qu'il te représente parfaitement, réponds-je.
- En bien ?
Je hausse les épaules en lui déposant un baiser sur la joue.
Nous sentons que c'est la fin, nos assiettes, sont vides, il est très tard. Mais personne ne semble vouloir briser le moment.
- Demain, nous aurons l'occasion de nous apercevoir rapidement, le décollage est prévu à 7h 30, soit le milieu de journée. Heureusement, les animaux sont déjà presque tous prêts à être harnachés et normalement il n'y a plus grand-chose qui traîne, conclut Thiago.
On se tait et il poursuit.
- Merci à tous pour tout. Ceux qui rentrent, n'oubliez pas vos promesses et transmettez les messages aux proches de ceux qui restent. C'est la dernière fois que nous sommes tous réunis, j'en profite pour vous dire du fond du cœur, vous êtes les meilleures rencontres que j'ai jamais eues, les plus émouvantes, agaçantes parfois, il faut l'avouer, mais surtout ma famille, pour toujours.
Des larmes coulent sur ses joues. Kimiko le sert dans ses bras. Et Ellias les rejoint, aussi et ça se transforme rapidement en embrassade et en câlins collectifs. Mes larmes me brûlent tandis que je dis au revoir à Elina, Lucia, Izabella, Samuel... tous. Je n'ai jamais aimé ces situations. Que dire ?
- Tu vas me manquer Elina, murmuré-je.
Je me souviens de la première rencontre quand Daniel Hunter m'avait demandé de faire le discours, c'est elle qui m'avait passé ses notes. C'est elle qui me tenait la main lors du décollage. Elle me regarde en souriant.
- Toi aussi, tu vas tous nous manquer, tu as toujours été comme un modèle pour moi. N'oublie pas d'aller voir ma famille et de tout leur raconter, déclare-t-elle.
- Bien sûr. Je leur dirai à quel point tu as été incroyable et le nombre de gens que tu as sauvés. Si tu restes ici, je n'ai pas peur pour vous, dis-je.
Je la regarde dans les yeux, sûrement pour la dernière fois. Je m'arrête ensuite à la hauteur de Lucia en pleurs dans les bras d'Anissa.
- Je ne veux pas qu'on soit séparées, dit l'italienne. Viens avec nous, ajoute-t-elle en ouvrant ses bras dans ma direction.
Je m'approche.
- Prends soin d'Anissa, me fais promettre Lucia.
C'est une des seules fois où je vois l'italienne pleurer. Je salue chaleureusement, Thiago, et tous les autres. Pour le moment, j'évite Kimiko. Je sais que cette phase-là va être douloureuse. Quelqu'un lance une musique et certains dansent et chantent. Je me faufile pour serrer dans mes bras mes amis que je ne reverrai plus. Je me mêle aux danseurs.
J'enlève mes chaussures et je les laisse dans un coin. Je m'apprête à retourner au centre de la « piste » mais je vois les cheveux noirs de la japonaise disparaître par la porte. Je me précipite pour la suivre.
- Kimiko ! appelé-je en la rejoignant.
Elle se retourne.
- Tu vas où ? demandé-je.
- Je ne sais pas, j'avais envie de me promener un peu, répond-elle. C'est presque la dernière fois que je suis dans le vaisseau.
J'incline la tête, une idée me vient.
- Ferme les yeux, ordonné-je. On va voir si tu connais le vaisseau si bien. Je la guide dans les couloirs.
- On est où ? demandé-je au bout de cinq minutes de marche.
- Facile devant le terrain de foot.
- Et là ? questionné-je un peu plus tard.
- Je dirais vers les animaux.
- Maintenant ?
- Heu... à l'atelier !
Elle ouvre brusquement les yeux. Toutes ses peintures sont maintenant dans sa maison mais je sais que la pièce a toujours une signification particulière à ses yeux. Hier, elle m'a offert une magnifique peinture que je dois aller poser sur la tombe de Mao, en échange je lui ai fourni une liasse de photos.
- Tu sais, je n'aurais jamais imaginé cette situation, murmure-t-elle.
- De marcher les yeux bandés dans le couloir ?
- Non une telle tristesse au moment de se quitter, ce qui nous unit est vraiment particulier, unique. Ce lien, je ne sais pas si beaucoup de gens l'ont connu.
J'acquiesce. Elle me fixe de ses beaux yeux noirs.
- Tu sais tout de moi et inversement, dis-je. Ce qu'on a partagé est trop fort pour être oublié.
- Oui mais... on se voyait chaque jour, chaque heure, nous étions tout le temps ensemble. De passer du tout au rien, ça va être très dur... marmonne-t-elle.
- On a fait notre choix, rappelé-je. Tu as un enfant à élever, une planète à explorer. Moi je ne suis peut-être pas faite pour cette vie. Je vais retourner auprès de mes proches.
- Tu sais, si c'est un garçon je veux l'appeler Mao, mais si c'est une fille, ce sera Emma, affirme Kimiko
Je ne peux retenir mes larmes devant cette preuve incontestable d'amitié. Qu'aurais-je fait toutes ces années sans elle ? Je la serre fort dans mes bras, des larmes dévalant mes joues.
- Merci pour tout, dis-je en japonais.
- Au revoir, articule-t-elle en français.
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