Chapitre 56 : Hésitations, doutes

EMMA :

Je soulève délicatement, la barre métallique qui bloque Maya et la petite chienne se relève en couinant. Sa patte me semble légèrement enflée. Je l'attrape dans mes bras et je la porte en vitesse vers notre maison.

- Olaf, appelé-je en même temps.

Gabriel sifflote pour l'attirer. Cette dernière trottine doucement, mais elle semble si fatiguée. Des larmes me piquent les yeux. Je vois l'islandais l'attraper pour la porter et on rentre en courant.

- Je pense qu'elle s'est cassée la patte, dis-je une fois au sec en désignant Maya.

- C'est possible, elle a l'air d'avoir mal.

- Tu crois qu'on peut lui faire une radio ? demandé-je.

- Ça ne changera pas grand-chose de savoir exactement comme c'est dedans, dans tous les cas, on est incapable de l'opérer. Il faut immobiliser sa patte et prier.

Je hoche la tête.

- Tu crois qu'Olaf va mourir ? murmuré-je.

- Je ne sais pas, mais elle se fait vieille, aboyer sous la pluie n'a pas dû lui faire du bien, dit Gabriel.

Une fois la pluie passée, nous fabriquons une attèle à Maya et je passe plusieurs heures aux côtés d'Olaf qui pose sa tête sur mes jambes et pousse des profonds soupirs. Elle a toujours été là pour moi, à moi de rester à ses côtés. Depuis quelques temps, elle a plus de mal à manger et à se déplacer, sauver Maya a été la goutte d'eau en quelque sorte.

- Tu es gentille, dis-je en français. Tu as été la meilleure des meilleures compagnies.

La chienne lève difficilement ses yeux vers moi.

- Tu comprends ce que je te dis ? Hein mon bébé, tu es intelligente, tu sais à quel point tu as été parfaite avec moi.

Sa queue s'agite doucement. Je lui grattouille le ventre et ses paupières se ferment.

- Je t'aime ma petite Olaf, murmuré-je en enfouissant ma tête dans son cou.

* * *

Les jours qui suivent, je n'ai pas vraiment conscience des autres autour de moi. Je suis triste, je me sens perdue. Olaf pour moi c'était mon point de repère mon pilier, mon souvenir, mon lien avec mes parents. Elle m'a supportée pendant presque douze ans, je lui ai tout appris, j'ai envie qu'elle vienne se blottir contre moi dans le lit. J'ai envie qu'elle se mette entre Gabriel et moi quand nous nous asseyons ou qu'elle me lèche la joue au réveil. Je n'ai jamais autant pleuré. Je sens que certains me regardent en se disant que c'est étrange de pleurer pour un animal. Mais Olaf c'était bien plus, c'était... Olaf, quoi.

Après une dure semaine -heureusement que Gabriel était là -, je recommence à sortir. Maya boite avec son atelle mais elle se porte bien et Lilou aussi est en pleine forme. Au fond moi, je savais depuis longtemps que ma petite chienne vieillissait mais jamais je n'ai songé à l'après. Je ne me vois pas rentrer sans elle.

- Le temps passe trop vite, me dit Gabriel.

- Tu recommences à faire ton philosophe ? taquiné-je.

- Je suis philosophe en permanence, proteste-t-il. Il ne restera plus qu'un an ici.

J'ai l'impression que dans cette grande aventure, nous avons vécu des milliers de choses mais qu'en même temps on vient juste d'embarquer. Nous avons alterné les vents de panique et les moments plus tranquilles. La satisfaction de nouveaux projets et l'échec de certains.

- A quand notre mariage ? enchaine Gabriel.

- On a qu'à le faire, la date où il ne restera plus qu'un mois ici, dis-je.

- Dans si longtemps ? s'exclame Gabriel.

- On n'est pas pressé, et ça pourra être comme un adieu, déclaré-je.

L'islandais acquiesce et il part l'annoncer à Thiago et donc Kimiko. Les mois qui suivent nous poursuivons notre routine. Nous essayons le moins possible de penser à la séparation. Quand il ne reste plus que quatre mois sur Aria, Thiago nous demande de faire notre choix.

- Tu vas rentrer ? demandé-je à Lucia.

L'italienne se mord la lèvre.

- Je suis arrivée avec des beaux principes comme tout le monde, mais maintenant avec les enfants, les amis, ma maison, je n'ai plus envie de quitter ce monde.

Je hoche la tête. L'hésitation me noue le ventre. J'ai toujours été persuadée que je rentrerai et je me force à rester campée sur cette position, à ne pas renoncer. C'est tellement facile de céder et de profiter d'Aria. Pour moi rentrer, c'est génial, je vais retrouver Anna, mes frères et sœurs, mes parents... Mais les cinq ans à bord sont perdus, je me dis que ces cinq ans je pourrais les passer aux côtés du groupe sur Aria.

- Et toi ? enchaine Lucia. Tu rentres non ?

Je hoche la tête mais peut-être avec un peu moins de ferveur que d'habitude, peut-être avec un peu plus de doutes.

- Nous allons devoir faire la dernière étape du protocole, dit Thiago au petit déjeuner du lendemain.

Ellias derrière prend la parole.

- Nous allons faire un test. Pour savoir si sur Aria nous pouvons être en autonomie. Nous allons passer quelques semaines où nous ne mangerons plus rien qui provient du vaisseau, nous n'utiliserons plus d'eau du vaisseau et ainsi de suite. De même pour l'électricité, pour tout.

- Ceux qui ne rentrent pas auront le droit de circuler, de s'occuper des animaux et ils devront manger ce qui provient du vaisseau... etc. On ne va pas vous interdire de vous voir, bien évidemment, le test ne consiste pas en ça. Mais nous allons devoir tester nos journées sans faire aucun échange matériel.

Je regarde Kimiko. Nous nous étions dit que nous rentrerions ensemble, que nous vivrions côte à côte sur Terre. Je vois l'hésitation dans ses yeux. Je ne veux pas la quitter. En voyant que je la fixe elle tourne sa tête vers moi et plonge son regard dans le mien.

- Je ne sais pas, articule-t-elle à ma question silencieuse.

- Sur cette feuille vous marquez votre prénom dans la colonne Aria ou dans la colonne Retour, poursuit le portugais.

Nous nous levons et chacun va marquer son nom. Gabriel me suit mais me redemande si je suis sûre. Je note d'une main tremblante les quatre lettres qui constituent mon prénom en dessous du mot Retour.

- On ne peut pas dire que c'est sans appel, mais ça commence à être définitif, conclut Thiago.

Lui-même s'inscrit dans la colonne Aria. Je vois la japonaise douter devant la feuille. Elle finit par s'en aller sans rien avoir inscrit. Thiago la rattrape et je les vois parler au loin.

Je ne sais même pas quoi espérer pour mon amie, son bonheur avec Thiago ou à mes côtés ? Une fois sa discussion terminée avec le portugais je file la voir.

- Alors ? demandé-je.

- Alors quoi ?

- Alors tu rentres avec moi ou tu restes sur Aria ?

La japonaise pousse un profond soupir.

- Je n'en sais rien, je pensais rester sur Aria, mais quand il a fallu l'écrire, que ça devenait officiel j'ai douté. Je me suis demandé ce qui valait le mieux. Et si on se dispute ? Si le groupe se sépare ? Je n'aurai pas la liberté comme on l'a sur Terre où je peux changer de pays, de villes ou d'horizon.

Je la regarde, que veut-elle au fond ?

- Tu aimes Thiago ? questionné-je.

- Oui.

- Alors la question ne se pose pas, reste avec lui, affirmé-je.

Elle lève ses yeux plein de larmes vers moi.

- Tu crois ?

- Si tu l'aimes évidemment que tu restes avec lui ! Mais lui, il est-il sûr de rester sur Aria ?

- Il dit que c'est son devoir, répond-elle.

- Il pourra très bien trouver un poste sur Terre, et quelqu'un pourrait prendre sa place, il ne va pas rester chef éternellement, dis-je. Va lui en parler, il faut que vous preniez votre décision ensemble.

Kimiko acquiesce et me serre dans ses bras. J'espère qu'elle m'accompagnera, mais j'espère aussi qu'elle prendra une décision qui la rendra heureuse.

Nous coupons donc tout contact d'eau et d'électricité entre le vaisseau et le campement qui se situe à présent à cinq cent mètres minimum du vaisseau. Nous sommes une trentaine à décider de rentrer pour le moment, parmi eux Tessa, Anissa, Ryan, Inès, Akio et d'autres. Izabella a pris la décision de rester, Ellias en revanche compte rentrer. Les avis sont assez partagés et peuvent changer rapidement. Kimiko est toujours indécise, Thiago semble vouloir rester sur Aria mais lui aussi ne sait plus trop. Ce choix-là, on l'avait tous déjà fait en partant dans notre tête mais à cet instant, tout est remis en question.

Les repas qui suivent sont perturbés, nous n'avons pas le droit de manger la nourriture de l'extérieur et réciproquement mais Thiago ne nous interdit néanmoins pas de manger tous ensemble, nous devons juste bien choisir nos assiettes. De même, je ne dois plus me doucher dehors ni utiliser de l'électricité, Gabriel et moi réinstallons donc quelques affaires dans la chambre 307 à présent vide.

Le mur de photos n'a pas bougé, je n'ai pas eu le courage de de le retirer lors de mon déménagement dehors. C'est étrange de le retrouver, voilà plusieurs années que je ne le vois plus. Je me trouve jeune et insouciante sur les photos. Ce n'est pas la même Emma. Je m'arrête quelques secondes sur la toute première photo que l'on a faite, Kimiko, Mila, Amélie et moi, de jeunes adolescentes en avant pour une grande aventure.

Après un mois dans cette situation, Thiago annonce que le test est un succès. Ils peuvent être en autonomie, nous de même, chacun de notre côté.

- Nous pouvons poursuivre comme avant, il ne reste plus que deux mois et demi-soyez prêt ! Et si vous changez d'avis, il faut le dire dès maintenant pour que les changements nécessaires soient faits.

Nous nous sommes rendu compte que nous avions trop de nourriture dans le vaisseau pour seulement une trentaine de personnes, des vaches sont mises dehors, transférons aussi d'autres plantes. Il vaut mieux que sur Aria ils partent avec des réserves. Nous fournissons aussi un maximum de matériel à ceux qui restent sur la planète rouge pour qu'ils puissent survivre et aménager de nouvelles choses.

Nous ne savons pas si la Nasa va prendre la décision d'envoyer un deuxième vaisseau pour poursuivre la colonisation d'Aria.

Kyle nous aide comme il peut, de même pour le petit Carlo, et Chazia qui sont tous très mignons. Pour eux, les pousses, les stations, la pluie, le vaisseau, tout est parfaitement normal. Peut-être iront-ils un jour sur Terre, seul l'avenir nous le dira...

* * *

- Je te mets de l'eyeliner ? propose Kimiko.

- Non je vais me le mettre toute seule, je veux finir avec mes deux yeux, rétorqué-je en lui attrapant le tube noir.

- Merci pour ta confiance.

J'ai mis ma plus belle robe et même si elle est verte, et que ça casse la tradition, ce n'est pas grave, je l'aime bien. J'ai tenté d'expliquer à la japonaise comment on faisait un chignon tressé mais Lucia a pris le relais après plusieurs crises de nerfs. Kimiko, vexée s'est donc mis dans la tête de me maquiller.

- Comment tu me trouves ? demandé-je.

- Magnifique comme toujours, répond-elle machinalement.

- Tu ne m'as même pas regardée avant de répondre, râlé-je.

- C'est parce que je sais que tu es belle sans avoir besoin de te voir.

- Vous avez fini, il faudrait qu'on y aille avant la tombée de la nuit quand même.

Lucia se précipite sur la porte pour l'empêcher d'entrer.

- Deux minutes, la mariée est presque prête !

Je fais mon plus beau sourire en tournoyant sur moi-même.

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