- roulements de tambour -
Nous changeons de point de vue pour ce chapitre ! Nous sommes dans la tête de...
- roulements de tambour -
... Lucia !
(italienne, pour ceux qui ont la mémoire courte)

LUCIA :

Le soleil ne tape pas encore très fort tandis que je sors de ma maison avec Anissa. On marche en direction du vaisseau comme tous les matins depuis quelques semaines.

Au petit-déjeuner, nous avons le plaisir de voir Thiago entrer dans le réfectoire accompagné de Kimiko. Tout le monde semble heureux de son rétablissement, enfin presque. Sauf Tessa qui le regarde entrer d'un air dégouté et d'autres autour d'elle ne semblent pas ravis. J'ai entendu dire que la japonaise et Thiago étaient ensemble, mais bon, de nombreuses rumeurs courent en permanence. Certains chuchotent que Julien serait le père du bébé d'Emily, d'autres que Thiago justement aimerait Tessa, on ne peut jamais être sûr. Il n'empêche qu'ils sont très proches Thiago et Kimiko. Je fais part de mes soupçons à Anissa qui confirme aussitôt avec un « Tu ne savais paaas ? » comme si j'étais vraiment pommée.

Mais hier, j'étais un peu déconnectée du monde. J'étais dans ce genre de journée ou rien ne nous motive et où on a qu'une seule envie c'est de rester au fond de son lit. Ce que j'ai fait au passage.

Voir Thiago debout nous fait un bien fou, c'est notre pilier central, sans lui, la société s'écroule. Tessa qui ne pense qu'à une chose, lui prendre la place.

- Tu comptes rentrer ? me demande Anissa.

- Où ça ?

- Sur Terre.

- Ah, je ne sais pas. Au début, je voulais absolument mais en y réfléchissant, je ne sais plus du tout.

- Moi non plus, souffle mon amie.

- Pourquoi tu penses à ça maintenant ? demandé-je.

L'indonésienne hausse les épaules et je reporte mon intention sur le portugais.

- Merci pour votre soutien à tous. Plus particulièrement à Kimiko sans qui je serais probablement mort.

La japonaise rougit en baissant la tête.

- Quelques bonnes nouvelles, enchaine aussitôt Thiago. La chienne de Nina attend une portée et...

- On va finir envahis de chiens, commente Gabriel à l'autre bout de la salle.

Je vois en effet Olaf et deux adorables chiots à ses côtés.

- ...et notre consommation est stable nous poursuivons tranquillement le protocole. Pour ce qui est du verre, nous devrons porter un masque et ne pas trop manipuler les cendres.

- Nous allons créer des cuisines et un réfectoire à l'extérieur, annonce Ellias.

S'il y a une chose qui est sûre, c'est que sur Aria nous ne nous ennuyons jamais. Il y a en permanence un nouveau projet, toujours plus grand. Est-ce qu'un jour on sera tranquilles ? Je ne pense pas.

En embarquant pour les cinq années, de vol on avait du mal à imaginer l'après. Cinq ans pour les enfants que nous étions, c'était long, mais finalement, l'atterrissage est arrivé très vite. Avec Daniel Hunter et toute l'équipe nous avons passé en revue tout le protocole mais encore une fois, pour nous, c'était dans un futur tellement lointain... Je ne m'imaginais pas Aria comme ça. En fait, je ne me l'imaginais pas du tout, c'est plus simple.

Une fois les détails du nouveau projet exposés, nous terminons nos cafés et certains se mettent au boulot.

- Tu as prévu quoi aujourd'hui ? me demande Anissa.

Je réfléchis, je veux me rendre utile. Mais ce matin, je ne suis pas sûre de vouloir me rendre sur le terrain.

- Je pense que je vais me joindre au groupe manuel qui a cousu les vêtements et construit des roues. Ils sont peut-être en train de faire des choses sympas.

L'indonésienne approuve et m'annonce qu'elle va sur le terrain aider le chantier. Je suis un poil déçue qu'elle ne m'accompagne pas, mais je ne dis rien.

Nous nous séparons donc et chacune vaque à ses occupations. Cette liberté que nous avons de choisir ce que l'on fait de nos journées est propre à notre société. Sur Terre, on fait des études spécifiques pour faire un travail spécifique avec des horaires spécifiques dans un bureau spécifique...et bref, je crois que vous avez saisi la différence entre nos deux mondes. Notre société à nous est petite et surtout, il n'y a pas d'argent. Alors oui certains peuvent passer leurs journées à ne rien faire, mais d'un autre côté, on peut se lever un matin en faisant de la couture et se coucher le soir un balai à la main. Nous sommes libres, mais assaillis de contraintes.

Deux semaines plus tard, en pleine après-midi alors que je suis en train de fabriquer des arches avec le groupe. Nous nous arrêtons quelques secondes pour observer Kyle et Emily. Nous nous sommes installés dans le réfectoire et la jeune mère y est aussi. Emily nous aide régulièrement et s'occupe beaucoup du petit garçon. Il arrive à prononcer quelques mots anglais comme « maman » ou « encore ». Nous le regardons évoluer attendris. Je m'égare, cette après-midi donc, je pose la pousse que je viens de cueillir pour observer.

Kyle se tient debout sur ses deux jambes tremblantes et il fait un petit pas, puis un autre pour s'affaler dans les bras de sa mère.

- Il commence à marcher ! s'exclame celle-ci.

Kyle a un peu plus d'un an maintenant selon le calendrier des Etats-Unis, et il faut avouer qu'il a bien changé.

Nous attendons avec impatience l'annonce d'une autre grossesse car c'est forcément du bonheur et des progrès immenses. Je soupçonne aussi Emily de souhaiter un copain à son jeune fils.

Cette heureuse nouvelle arrive quelques temps plus tard. Mila, espagnole il me semble, nous annonce toute fière qu'elle attend un enfant de Kévin. Ce dernier sourit de toutes ses dents en la tenant par la taille. Notre famille s'agrandit.

Nous trouvons aussi d'autres fossiles, mais pour le moment nous ne sommes pas capables de les dater précisément. Thiago pense que de la vie a existé sur Aria il y a des milliers d'années mais que pour une raison inconnue, elle a disparu. Il dit que les pousses rouges ont envahi la planète et étouffé les moindres traces de vie. Cette hypothèse très probable est évidemment à vérifier, mais y arriverons-nous un jour ? Certains partent en quad plus loin, le monde aux alentours est relativement similaire. Du rouge zébré de rivières très fines et très sombres.

- Nous allons organiser une grosse expédition, la plus grosse jamais faite, annonce Thiago lors d'un petit déjeuner. Nous allons partir plusieurs jours en exploration en parfaite autonomie. Pour ça un groupe de cinq ou six avec des quads et des provisions partiront. Izabella sera la responsable du projet.

- Oui, comme vous le savez tous, l'eau des rivières avance vite dans un sens. Ellias et moi pensons que ça nous aidera peut-être à comprendre certains mystères...

- Tu comptes te rendre là ou l'eau est attirée, récapitule quelqu'un.

- Tout dépendra de la distance, j'ai comme projet de partir quinze jours.

Il y a un silence.

- Bien sûr, j'ai demandé l'autorisation, nous avons fait quelques calculs et...

- Ah parce que pour bouger d'ici, il faut l'autorisation, ricane Tessa, ce qui lui vaut un regard noir du portugais.

- Bref il va falloir beaucoup d'organisation mais j'aimerais savoir s'il y en a qui sont partants, poursuit Izabella en ignorant le commentaire.

J'hésite, je n'ai jamais rien fait d'extraordinaire comme avancée, c'est peut-être ma chance ? Mon bras se lève et Anissa me jette un regard étonné.

- Lucia, dit Izabella. Super ! Qui d'autre ?

Je sens qu'Anissa hésite à s'y rendre puisque que j'y vais. Je la rassure et lui dis qu'elle y va seulement si elle le souhaite. Au fond de moi, j'espère qu'elle m'accompagnera.

- Ryan, poursuit Izabella. Ellias, Inès. Ce qui nous fait cinq. Pas d'autres volontaires ? On peut aller jusqu'à six.

A l'autre bout de la pièce Emma semble hésiter mais étrangement, elle ne lève pas le bras. C'est finalement Guy qui se propose. Je ne les connais pas plus que ça, mais ce sera peut-être l'occasion de créer des liens, qui sait ?

- Il faudra que tu sois très prudente, me dit Anissa.

Je ris, ce n'est pas comme si je partais dans une heure, mais elle s'inquiète déjà.

Les jours qui suivent, nous nous réunissons, Ryan, Inès, Izabella, Guy et moi.

- Nous devrons emporter de quoi manger pour quinze jours et de quoi boire. Nous pourrons aussi filtrer nous-même l'eau en coupant des pousses. On doit avoir des sacs de couchages et une petite bâche transparente en cas de pluie. Mais aussi, des tenues de rechange, une combinaison intégrale, un casque... énumère Izabella tandis que nous prenons note.

C'est mon premier gros projet. Pour la première fois, je pourrai faire avancer les découvertes, peut-être que nous apprendrons quelque chose d'énorme !

Au bout de deux semaines où nous finalisons l'organisation, le groupe de nourriture nous a préparé un gros sac à dos chacun. De mon côté, je remplis un sac avec des débardeurs et des shorts de rechange, mon petit appareil photo, un cadre de ma famille, un carnet et mon talisman : un mini attrape-rêve que j'emmène partout avec moi depuis mes six ans.

En allant au zoo, mes parents m'avaient proposé de prendre un souvenir à la boutique. J'avais repéré cet attrape-rêve vert mais dans le rayon, il n'y en avait plus de cette couleur, il y en avait des bleus, des roses mais moi, je voulais le vert et rien d'autre. Mes parents m'avaient dit de choisir une peluche ou un carnet mais je m'étais mise à pleurer. Devant ma tristesse, la vendeuse m'avait finalement vendu celui d'exposition et mes parents gênés l'avaient remerciée. Depuis cette sortie au zoo, je prends mon petit attrape-rêve partout avec moi. Les couleurs sont plus ternes et il a perdu quelques plumes mais pour moi il reste le plus beau.

Dans mon sac, je n'oublie pas de prendre quelques élastiques à cheveux, une brosse à dent, une paire de baskets rechange et il est prêt. Je le traîne dans le sas puis je retourne dans ma chambre. Ma belle chambre.

En déménageant, j'ai raccroché toutes mes plantes et recollé, tous mes autocollants. J'ai peint trois murs en gris très pales et le dernier dans le même vert sapin. Pour moi, ma jungle est primordiale et pendant ces deux semaines, elle va me manquer. Tout comme mon pyjama Winnie-l 'ourson. Je me couche en contemplant les étoiles fluorescentes et en pensant à ma famille. Que penseraient-ils ? Seraient-ils fiers de moi ?

Juste avant que je ne m'endorme, Izabella passe me voir pour vérifier que je suis prête et elle me conseille de régler mon réveil.

Demain à la première heure, nous partons.