Chapitre 45 : Tu ferais ça ?

EMMA :

Il y a des cris de joie. Nous nous rendons tous à l'étage médecine, comme un troupeau de moutons. Mais un troupeau de moutons joyeux. Paulina sort de la pièce avec un grand sourire.

- C'est fantastique, murmure-t-elle les larmes aux yeux.

On se sert dans les bras, on pleure et on rit. C'est le moment le plus heureux que nous ayons vécu à bord.

Elina interdit la visite d'Emily pour le moment.

- Revenez dans une heure ou deux et pas tous en même temps, s'il vous plaît.

Nous nous dispersons, un sourire aux lèvres.

Un groupe s'est mis à la couture pour fabriquer au petit Kyle des vêtements il y a quelques semaines. Nous étions sensés prévoir les habits pour notre enfant si nous comptions en avoir un. Emily ne devait pas le savoir à l'époque. Chacun a donné quelques habits qu'il ne portait plus, ou qu'ils ne lui allaient plus et le groupe les a décousus pour en fabriquer de nouveaux. Quelques heures plus tard je me rends dans la chambre d'Emily.

La canadienne parait fatiguée mais je ne l'ai jamais vu aussi heureuse. Ses yeux brillent.

- Emma, dit-elle en me voyant entrer.

- Il est magnifique, murmuré-je en contemplant le visage paisible de Kyle contre la poitrine de sa mère.

Emily sourit.

- Ils t'ont préparé des vêtements pour le bébé, dis-je.

- Oui, c'est super ! Tu sais ma première pensée quand j'ai pris Kyle dans mes bras a été que je ne reverrai plus jamais ma famille. Je serai pour le restant de mes jours ici, sur Aria.

Je hoche la tête.

- Kyle est le prénom de mon frère, il avait douze ans quand je suis partie, je lui ai promis de rentrer...

Une larme s'échappe de ses yeux.

- J'irai le voir, je lui montrerai les photos de Kyle, dis-je.

- Tu ferais ça ? murmure Emily, pleine d'espoir.

- Tu me donneras tout ce que tu veux et j'irai lui apporter, assuré-je.

La canadienne pose sa tête sur son oreiller.

- Merci infiniment.

Je prends en photo le nouveau-né qui a encore tellement à apprendre. C'est le premier enfant qui voit le jour ici. Il ne le sait pas encore, mais ce bébé est unique.

Je laisse la jeune mère se reposer et je sors de la pièce, émue.

Dehors les travaux ont repris. Nous avons quatre grands abris où nous entreposons des pousses sèches et une vingtaine de petites « maisons » qui contiennent deux pièces de 7m carrés. Un groupe se charge d'en construire de nouvelles, d'autres creusent vers la roche et certains explorent plus loin en quad. Ça grouille d'activité.

Nous n'avons malheureusement presque plus de bâches transparentes pour servir de toit et nous cherchons une solution. Certains, disent qu'il faut fabriquer du verre en faisant fondre la couche de petits grains gris avec des cendres. Les petits grains peuvent en effet servir de sable mais le problème reste de trouver les cendres. De toute manière, on le sait tous, si on veut vivre en autonomie complète il faut savoir faire du feu. J'aborde le sujet avec le portugais mais Thiago reste réticent à ce sujet.

- Imagine que les pousses rouges brûlent extrêmement bien, le feu peut tout ravager en quelques minutes, dit-il alors qu'on descend au sas.

- Il faut essayer sur une toute petite pousse à l'intérieur du vaisseau.

- Dans le vaisseau ? Mais tu es folle ! On ne sait rien des propriétés de cette pousse ni de sa réaction ! s'exclame le portugais.

- Il faudra bien essayer un jour, contré-je. On se place dans un tube à essai on opère prudemment.

Il passe nerveusement sa main dans ses cheveux.

- Je ne sais pas, on va en discuter tous ensemble, finit-il par lâcher, moyennement convaincu.

Nous entrons dans le sas et on accroche par automatisme un casque autour de notre ceinture.

Gabriel est déjà dehors et je le rejoins, Thiago me suit, d'autres s'approchent à leur tour.

- Il faut que l'on discute d'un point primordial, indique Thiago. Le feu.

Ils tournent leur tête vers le portugais.

- Il faut que l'on sache si les pousses séchées brulent, et éventuellement si les bactéries noires qui recouvrent le fond des rivières brûlent.

- Il faut essayer de faire du verre avec le sable gris, remarque Jun.

Thiago acquiesce.

- Nous devons aussi installer l'électricité dans chaque abri avec des grands câbles et il faut trouver un matériel qui conduit l'électricité pour être en autonomie plus tard.

- Beaucoup de choses à faire ! s'exclame Tessa.

- Oui, nous devons planifier tout ça et le faire de manière prudente et organisée, conclut Thiago très sérieusement.

- On doit aussi installer un potager dehors ! dis-je.

- En plus ! remarque Gabriel. On a du pain sur la planche !

On acquiesce tous et on se remet au travail.

- Vous faisiez quoi, demandé-je à Gabriel une fois le groupe éparpillé.

- On est en train de fabriquer une grosse tondeuse, m'explique fièrement l'islandais. Le groupe qui fait de la couture et d'autres projets manuels a aussi créé des roues et nous avons fixé des lames. On va faire un essai.

Jun nous demande de nous écarter légèrement et il avance avec la nouvelle machine bringuebalante. Au bout de deux mètres une lame se détache et il s'arrête, dépité.

- Il y a encore quelques points à améliorer, râle Gabriel.

- Vous devriez rajouter une pousse qui relie les deux roues pour que ce soit plus stable, dis-je.

- Pas bête.

On travaille sur l'engin jusqu'au dernier repas, nous arrivons à faire quelques mètres sans casse et Jun décide que l'on reprendra demain.

Emily reste dans la salle de médecine la soirée et la nuit, mais le lendemain, elle descend avec le minuscule Kyle dans ses bras au petit déjeuner. Tous se lèvent et applaudissent, on sourit. Je scrute les visages à la recherche du père mais je ne remarque aucun garçon qui essaierait de se cacher. Peut-être Julien qui semble gêné au fond de la salle.

- Merci pour votre soutien, déclare Emily les larmes aux yeux.

Elle s'assoit à une table avec Elina et tout le monde la fixe elle et son protégé. Pour nous, c'est un événement, comme dans toutes les familles. La nôtre de famille est particulière, mais c'est clairement la meilleure. La preuve, nous sommes en pyjama, endormis, en train de partager un petit déjeuner convivial, comme tous les matins. Le bébé porte des vêtements cousus à la main et nous le regardons tous attendris. Emily a bientôt 22 ans, c'est une jeune mère, mais je suis sûre que ce sera la meilleure.

Pendant la journée, le groupe de couture fabrique un lit pour Kyle et de son côté Thiago accepte enfin de faire les tests pour le feu.

- On va réfléchir et faire ça calmement, insiste-t-il, tendu. Je veux que tout le monde garde son sang-froid et...

- Oui on a compris, on va faire gaffe, s'impatiente Gabriel. Allez c'est parti !

Je souris, il est encore plus impatient que moi. Ellias arrive avec du matériel de laboratoire et on répartit des pousses sèches, des pousses qui viennent juste d'être cueillies, des grains, des bactéries noires... etc. dans les différents tubes. Ellias les embarque accompagné de Thiago et quelques autres plus qualifiés que moi. Ils se rendent au laboratoire.

- J'espère qu'ils ne vont pas tout faire exploser, dit Gabriel.

- On réessaie notre tondeuse ? demande Jun, enthousiaste

- On aurait pu devenir riches avec cet engin, dommage qu'il n'y ait pas de monnaie, déclare l'islandais en franchissant la porte qui mène à l'extérieur.

Nous le suivons et continuons d'améliorer l'engin en attendant l'arrivée des résultats.

J'ai depuis l'accouchement d'Emily, retrouvé un peu ma Kimiko d'avant. Elle a participé au groupe de couture et son sourire est revenu. Je suis heureuse pour elle.

- Bon ils font quoi ? s'impatiente Gabriel au bout d'un moment.

- On va voir, suggère Jun.

On rentre à nouveau et on se dirige vers les laboratoires, dans le long couloir à droite du sas.

- Alors ? demandé-je à Thiago.

- Les pousses sèches semblent brûler mais très mal et elles produisent beaucoup de fumée noire.

- Mais ça brûle ? s'enquiert Gabriel.

- Oui.

- Et les autres tests ?

- Les pousses pas sèches ne brulent pas, les bactéries elles par contres sont rapidement réduites en cendre, explique Thiago.

- C'est bien ça non ? dis-je.

Il hoche la tête.

- Ce sont des progrès, il nous reste encore quelques tests, dit-il en entrant à nouveau dans la salle de laboratoire, nous laissant seuls dans le couloir.

- Il n'a pas l'air très motivé, déclare Jun.

- Il a toujours été réticent pour le feu, remarqué-je.

Les autres essais, révèlent que rien ne brûle à part les pousses séchées et les bactéries. Ellias est enthousiaste sur les nouvelles possibilités mais encore une fois, le portugais reste en retrait. Nous n'insistons pas pour le moment, rien ne presse.

Les jours et les semaines qui suivent, un groupe sur le terrain tire des câbles électriques dans une tranchée qu'ils creusent jusque sous chaque abri. Nous avons un apport électrique sous chaque structure, grâce aux panneaux solaires, ce qui est un énorme pas en avant.

De son côté Kimiko ne sort dehors que rarement mais elle se réintègre doucement dans notre routine. Kyle grandit de jours en jours. Si on se réfère au calendrier des Etats-Unis il va bientôt fêter son premier mois. Emily est pas mal occupée et c'est vrai que plusieurs fois nous sommes surpris par le manque de matériel spécifique. Nous n'avons pas de landau, de poussette, de biberon. Mais au fil du temps on se débrouille et le petit garçon se porte bien.

Le lendemain, nous parlons des nouvelles au petit déjeuner.

- Il faudrait réussir à faire du verre, déclare Ellias. Pour ça, il faut du sable, que l'on peut remplacer par les grains et des cendres, que nous avons. Si ça marche, il ne sera pas translucide et clair, il sera peut-être vert, ou gris mais le tout, c'est qu'il résiste à la pluie et qu'il laisse passer la lumière.

- Il faut aussi trouver un matériel qui conduit l'électricité et essayer des plantations, sous un abri translucide car une chose est sure, les tomates ne vont pas résister à la pluie.

- Sans parler de l'eau, qu'il faut amener à chaque abri, remarque Jun. Il ne fallait pas installer aussi la moitié de notre station d'épuration dehors ?

- Si mais une fois que c'est fait il ne nous resterait que la moitié ici et pour le moment ce ne serait pas gérable, dit Thiago.

- On n'a qu'à commencer à emménager dehors, déclare Nina.

- Sans eau dans ta chambre ?

- Tu viens de dire que pour pouvoir installer l'eau il fallait des déménagements ! s'impatiente Nina.

- Oui mais...

Il se tait.

- Tu n'es pas pressé d'avancer encore dans le protocole ? s'étonne Ellias. Voilà sept mois et demi que nous sommes ici et tout est sûr, nous avons appris à reconnaitre les pluies, nous avons créé des abris, réussi à faire brûler des pousses, trouvé de l'eau et sécurisé le périmètre ! Que veux-tu de plus ? Même les vaches sont dehors.

Le portugais passe sa main dans ses cheveux.

- Nous avons combien de « maisons » à deux pièces ? Il faut pouvoir se passer d'une quantité d'eau à bord

- 23 et nous construisons la 24ième, indique Izabella.

- Donc sous peu la moitié d'entre nous peut emménager, théoriquement ? s'enquiert-il.

Izabella hoche la tête.

- Mais pour ne plus avoir besoin d'eau à l'intérieur du vaisseau il faut aussi passer la moitié des plantes dehors, c'est un gros risque. Si elles ne supportent pas la chaleur...

- On ne sort pas tout d'un coup ! j'interviens. On prépare un bac de terre on sort un plant de chaque fruit ou légume. Nous devons recouvrir ensuite la terre de petits grains gris par exemple pour garder l'humidité et la fraicheur vers les pieds et éviter que l'eau ne s'évapore et que les plantes se dessèchent.

- Ok, donc on s'installe les plantes et l'eau et après, et seulement après, on envisage une éventuelle possibilité de déménager, je suis clair ?

- C'est reparti ! s'exclame Gabriel.

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