Chapitre 37 : Va-t-elle revenir ?
EMMA :
Je contemple mon amie endormie. Son visage est détendu, elle doit se sentir observée car elle se redresse vivement. Je suppose qu'elle est venue dans son lit très tard, en m'endormant pour la deuxième fois j'étais seule.
- Emma, dit-elle d'une voix légèrement froide.
- Qu'as-tu fait à tes cheveux ? demandé-je.
- Ça se voit non ? Je les ai coupés, ils ne sont pas tombés tous seuls, dit-elle.
- On ne sait jamais, plaisanté-je. En tout cas je vais appeler Lucia et Anissa on va t'arranger un peu ça ! Non pas que je veuille critiquer...
Je lui arrache un petit sourire, un infime sourire. Mais celui-là, il a tellement de valeur, il est si précieux.
- Tu as besoin de quelque chose ?
Elle fait non de la tête et se rallonge.
Avec les cheveux courts elle est toujours magnifique mais elle fait différente, un peu malade.
J'allume la guirlande lumineuse qui nous rassurait les premières nuits et je sors de la pièce. Soulagée pour mon amie, je rejoins Soña pour notre tour quotidien des animaux. Olaf me suit comme toujours, elle mène sa petite vie. Aujourd'hui, une deuxième expédition est prévue cette après-midi. Elina refuse que nous y allions tant que nos brûlures n'ont pas totalement disparues. Nous allons devoir briefer l'équipe qui s'y rendra et suivre leurs avancées du vaisseau.
Après le deuxième repas de la journée nous nous rendons donc dans le sas avec le grand hublot. Certains y ont ajouté quelques chaises et des tables et nous prenons place.
- Pouvez-vous décrire exactement ce qu'il s'est passé avant la pluie ? demande Thiago.
- Il faisait de plus en plus chaud et brusquement c'est devenu sombre, raconté-je. La température est encore montée. Puis, Olaf c'est mise à courir vers le vaisseau, et la pluie est arrivée. Au début elle était très fine mais petit à petit elle est devenue violente.
- Au moindre de ces signes vous rentrez immédiatement, compris ? demande Thiago.
L'équipe hoche la tête et ils enfilent leur combinaison intégrale. La tension est palpable.
- Toutes les cinq minutes, un message sur le talkie-walkie. Vous recueillez le plus d'informations possible et vous restez prudents, conclut Thiago.
Ils sortent un par un dehors et s'accroupissent à gauche de la porte. Toutes les cinq minutes nous avons un message sur le talkie-walkie. Ils analysent et recueillent chaque élément.
- Ça te parait possible qu'il n'y ait jamais eu de vie ? demandé-je à Thiago, assis en face de moi.
- Très peu, dit-il. Les conditions sont là.
- J'ai remarqué quelque chose l'autre jour ! m'exclamé-je en me tapant le front. Dans le bocal ou ma pousse est devenu violette foncée, il y a un fond d'eau, je suis sûre de ne pas l'avoir mis.
- Ça confirmerait la théorie d'Ellias, acquiesce Thiago.
- Quelle théorie ?
Tessa à côté tend l'oreille.
- Selon lui, les pousses grandissent au moment de la pluie peut-être qu'elles absorbent l'eau et se gonflent.
Il passe la main dans ses cheveux.
- Il faut analyser ton eau et voir si c'est la même que celle des petites rivières, dit-il.
Je file aussitôt chercher le bocal et nous versons quelques gouttes dans un tube à essai que Luka, le Dix chargé de l'éducation, emmène dans les machines.
L'équipe explore pendant près de deux heures, tout semble normal et pas de pluie à l'horizon. Quand ils rentrent, ils retirent leur combinaison et commencent leur récit.
- Les rivières très fines sont en réalité très profondes, explique Mary. La paroi est dure et recouverte d'une couche de noir, nous en avons recueilli. Les pousses ne semblent pas avoir évolué, on en a recueilli certaines encore une fois.
- Nous avons aussi remarqué un détail, explique Juan. Le niveau de l'eau dans toutes les rivières a monté et l'eau coule dans une direction. On ne sait pas par quoi elle est attirée mais elle avance vite.
- Il reste tellement de choses à découvrir avant d'envoyer notre première capsule, soupire Thiago.
Au bout d'un an ici, nous devrons envoyer notre première capsule contenant toutes les informations recueillies sur Aria à la Nasa. Sinon notre mission n'aurait aucun sens. Quatre ans plus tard, nous enverrons notre deuxième et dernière. Dans le cas où il n'y aurait pas de retour, ça permettra à la Nasa d'avoir les infos pour envisager ou non la colonisation de la planète. Peut-être que dans cent ans, il y aura des milliers d'humains ici.
Pour le moment, nous avons une foule de questions et très peu de réponses. D'où vient la pluie ? Les pousses ? Y a-t-il eu de la vie ? Y en a-t-il aujourd'hui ? Pourrions-nous vivre en autonomie ici ?
Olaf me lèche gentiment la main, me sortant de mes pensées. Je la caresse machinalement en écoutant les débats.
Deux heures plus tard, nous apprenons que l'eau de mon bocal avait les mêmes composants que celle des rivières, mais avec beaucoup moins d'acide Clyrique. Ça ne semble pas étonner Thiago qui ajoute que c'est logique selon la théorie d'Ellias.
- Les pousses doivent absorber l'eau de pluie et se « nourrir » d'acide Clyrique pour créer de la matière.
Je hoche la tête sans être vraiment sûre de tout saisir. Nous montons ensuite au réfectoire pour le semi-repas. Je le partage avec Gabriel et je lui raconte nos avancées.
- Tu as parlé à Kimiko ? demande-t-il.
Je baisse la tête, honteuse.
- Je n'ai pas trop eu le temps avec les analyses et tout... Mais j'aurais dû, je ne fais pas une très bonne amie, c'est vrai elle...
Il pose sa main sur la mienne.
- Oh ! Emma tu fais ce que tu peux. Et déjà, tu m'impressionnes en efficacité, m'assure-t-il. Tu es probablement la personne la plus active que je connaisse. Tu iras t'occuper d'elle juste après et moi, j'irai avec Thiago et tout le groupe, ok ?
Je fais oui de la tête, reconnaissante. Que ferais-je sans lui ?
Une fois notre assiette avalée, je vais dans la chambre 307, je m'attends à la trouver vide mais non. La japonaise est assise sur son lit, elle n'est pas descendue manger.
- Tu vas comment ? demandé-je en m'asseyant sur mon lit en face d'elle.
Elle tourne son beau visage ravagé par les larmes vers moi. Elle n'a pas besoin de répondre, elle glisse son regard dans le mien et je perçois sa détresse.
- Ce soir, il y a une cérémonie pour lui, dis-je.
Elle acquiesce doucement.
- Tu iras ? questionné-je
Elle hausse les épaules.
- Tu veux que je te raconte les dernières nouvelles ? enchaîné-je.
Kimiko hausse encore une fois les épaules. Aucun mot n'est encore sorti de sa bouche.
- Une deuxième équipe y est retournée tout à l'heure, commencé-je.
Je parle sans réfléchir à ce que je dis, je lui raconte ce qui me passe par la tête. Elle m'écoute en silence, je ne sais même pas si elle prête attention à mes paroles. Je dis même des phrases en japonais pour lui faire plaisir. Mais mon amie semble ailleurs.
Je réfléchis à ce qui l'a aidée pour son frère et la seule idée qui me vient est la peinture. Je cours jusqu'à l'atelier et j'ouvre le dernier tiroir. J'attrape sa palette et une toile vide et je redescends dans la chambre.
Quand j'entre, elle n'a pas bougé. Je dépose mes trouvailles à côtés d'elle et je sors sans un mot. Des larmes me viennent. Vais-je retrouver ma Kimiko d'avant ?
* * *
Durant le dernier repas, elle ne se présente toujours pas. Gabriel m'informe des dernières avancées. Il s'avèrerait que les nouvelles pousses fraichement récupérées aient la même réaction que la mienne.
Une fois notre repas terminé, je passe en cuisine et je récupère quelques fruits et un gâteau sec pour Kimiko qui n'a sûrement pas mangé depuis avant-hier. Quand je remonte dans notre chambre je la trouve endormie sur son lit. Étonnée, je pose la nourriture sur la table de chevet. Juste avant de partir je repère la toile sur son bureau. Un beau visage y est représenté, Carlo.
Dans moins d'une heure, il y a la cérémonie. Viendra-t-elle ? Aura-t-elle le courage d'affronter les regards ? Je l'espère.
Olaf a besoin de courir, elle ne tient plus en place. Je me rends au terrain de foot, comme je l'ai fait des milliers de fois. J'attrape le ballon abandonné dans un coin et elle se place par habitude devant la cage. Tout en tirant inlassablement, je pense à Carlo, à sa famille qui ne sait rien sur Terre, à ma pauvre Kimiko qui s'était enfin trouvé une âme sœur. Sans que je ne m'en rende compte, des larmes coulent. Je tire, Olaf me le ramène, je tire, Olaf me le ramène, je tire...et ainsi de suite.
Quand vient le moment de la cérémonie je file à la douche et Olaf se couche devant la porte de la salle de bain, exténuée.
- Kimiko ? appelé-je avant de pousser doucement la porte de la chambre, quelques minutes plus tard.
La japonaise est assise, toujours sur son lit. Le gâteau a disparu et c'est déjà ça.
- Tu viens ? C'est la cérémonie.
Elle se lève comme un automate. Ses cheveux sont courts et désordonnés, son regard est vide. Nous marchons côte à côte dans les couloirs jusqu'au réfectoire. Certains se taisent en la voyant arriver. Les yeux de Linda s'agrandissent et elle attrape Kaitlyn qui plaque alors une main sur sa bouche. Ce ne sont pas les seules à avoir ce type de réaction et j'entraîne Kimiko à l'écart. Des discours sont prononcés, des prières et des vœux, Kimiko ne parle pas elle écoute, elle pleure.
- Le corps sera incinéré, informe Thiago. C'était son souhait.
Nous vivons notre premier enterrement, notre premier mort et probablement pas le dernier malheureusement. L'atmosphère est triste mais nous sommes unis, nous formons une vraie famille. Gabriel me tient la main.
* * *
Les jours qui suivent, deux nouvelles expéditions sont lancées, on les suit avec beaucoup d'attention depuis le vaisseau et tout est analysé par des machines. Alors qu'une équipe s'apprête à y retourner pour une quatrième excursion, la pluie se remet tomber, d'abord doucement, puis aussi violement -si ce n'est plus- que lors de la première sortie.
Après une quarantaine de minutes, l'eau arrête de couler, la lumière se fait plus vive et le calme revient. Le soir, les pousses ont bien grandi, ce qui semble confirmer la théorie d'Ellias encore une fois. L'eau est absorbée par ses pousses et elles grandissent. Si on les cueille, un peu d'eau s'écoule, la pousse vire au violet puis au noir et elle durcit. D'après Thiago, tout ça serait possible grâce à l'acide contenu dans l'eau. Mais évidemment c'est encore à vérifier, des tests sont mis en place.
Mes brûlures ont presque disparu, je vais bientôt pouvoir retourner sur le terrain. Je me force à continuer mes entraînements pour maintenir la forme. Nous commençons petit à petit à percer les mystères d'Aria et je compte bien y participer.
De son côté, Kimiko peint et dort mais elle ne bouge pas de la chambre. Je lui apporte à manger mais elle n'y touche presque pas. Ses joues sont plus creuses. Dès que je la vois ainsi, des larmes me piquent les yeux. La Kimiko d'avant, celle qui me fait rire, celle que j'aime, va-t-elle revenir ?
💜 Bonne lecture, le prochain chapitre est dans la tête d'un nouveau personnage ! 💜
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