Chapitre 33 : Impuissante
EMMA :
Je reste un moment perdue. Je regarde mon amie, puis Gabriel et mes yeux se posent à nouveau sur la japonaise.
- Tu l'as sauvé, dis-je.
L'islandais hausse les épaules.
- Elle avait quoi dans la tête ? demandé-je d'une petite voix.
- De la douleur, répond simplement Gabriel.
J'acquiesce doucement.
- Emma ? appelle Thiago. La pluie monte en intensité à chaque seconde, il y a très peu de chance. L'équipe y va.
Je m'approche de Thiago et regarde les 6 adolescents vêtus d'une combinaison intégrale franchir le sas. Il y a une chance tellement infime qu'ils reviennent avec une bonne nouvelle. Je jette un coup d'œil à Kimiko, je ne peux pas la laisser là.
Elle se laisse relever et je l'accompagne jusqu'à notre chambre, elle ne semble même pas s'en rendre compte, ses yeux fixent un point dans le vide. Dans le couloir, je croise Elina qui marche d'un pas pressé.
- Emma ! Qu'est-ce que tu fais debout ? s'exclame-t-elle. Je ne t'ai pas encore examiné et je n'ai pas soigné tes blessures !
- Je raccompagne Kimiko.
Les yeux de l'ukrainienne circule de Kimiko à moi puis elle déclare.
- Je passe voir Emily qui vomit pour la deuxième fois. Attendez-moi dans la chambre, j'arrive.
Ça sonne plutôt comme un ordre et je la remercie en songeant que ce rôle lui va à merveille. Je poursuis mon chemin jusqu'à la chambre et Kimiko se laisse tomber sur son lit. Je reste assise sur le mien, impuissante. J'aimerais lui préparer quelque chose pour la réconforter, la rassurer. Mais rien ne me vient, je pense à mettre de la musique, mais elle n'en écoute pas plus que ça. Au moment où je me lève pour aller chercher l'enceinte, Elina entre dans la chambre et m'ordonne de me mettre au lit. Une autre fille l'accompagne, nommée Léa. Ses cheveux bouclés encadrent son visage délicat.
- On va s'occuper de vous et de vos brûlures, déclare Elina en déposant un sac sur notre table ronde. Je commence par qui ?
Kimiko ne réagit pas, elle garde les yeux braqués devant elle.
L'ukrainienne lui jette un coup d'œil et s'approche de moi. Elle applique de la pommade sur mes nombreuses brulures, désinfecte mes quelques plaies et me donne un calmant pour le mal de tête.
- Tu es comme neuve ! s'exclame-t-elle.
Elle lance un nouveau regard vers la japonaise et m'entraîne hors de la chambre.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-elle.
Je baisse les yeux sur mes chaussures.
- Carlo n'est pas rentré, murmuré-je.
Elina plaque une main sur sa bouche.
- Il est mort ? articule-t-elle.
- Une équipe est partie à sa rescousse mais il y a tellement peu de chance, la pluie est devenue épaisse et extrêmement violente, dis-je.
L'ukrainienne hoche la tête et retourne dans la chambre. Elle soigne Kimiko en silence et sort de l'appartement en me faisant un petit sourire. Elle aussi était assez proche de Carlo, il était dans son groupe de médecine. Je me sens tellement impuissante et inutile face au drame. Que puis-je faire ? Des larmes menacent de couler mais je les refoule, je dois rester forte. Alors que je m'apprête à retourner dans la chambre, la porte s'ouvre sur Mila et Amélie.
- Elle va bien ? me demande l'espagnole.
Je hausse les épaules.
Mila hoche la tête et file sous la douche, Amélie se dirige à pas lents vers sa chambre, sonnée, comme nous tous. Je me retrouve seule dans le hall, je redoute de retourner avec Kimiko, je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire. Je vais à mon tour dans la salle de bain. En enlevant mon blaser, je me souviens de la pousse rouge pâle que j'avais glissé dans mon bocal. En sortant ce dernier, j'y trouve à l'intérieur la même pousse mais le rouge me semble plus foncé. La lumière doit être différente... Je pose le bocal à côté de l'évier. Au début la douche était pour moi un retour en arrière, j'ai gardé le même gel douche et son odeur me transportait chez moi en France. Je reste un long moment sous l'eau chaude, je ne me sens plus la même que quelques heures avant. Tout est plus réel, plus concret et plus dur.
Quand je regarde l'heure, j'ai la surprise de découvrir qu'il est 6 heures du matin heures des Etats-Unis. Je descends au réfectoire pour avoir des nouvelles. Thiago s'avance vers moi en me voyant franchir la porte.
- Emma ! Je te cherchais justement...
Sa mine est grave et je comprends tout de suite. Je me sens au bord des larmes mais encore une fois je relève la tête et je me force à dire.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
Je redoute la réponse pourtant inévitable.
- Eh bien, commença Thiago. Ils l'ont retrouvé, visiblement il avait fait une mauvaise chute et il avait eu du mal à se relever mais... l'équipe est arrivée trop tard. Je suis désolé.
Je le regarde et je murmure.
- Moi aussi.
Je n'ose pas dire autre chose ni faire quoi que ce soit. Je sens le regard de Thiago. La pièce bien que pleine de monde est très silencieuse.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demandé-je.
Thiago hausse les épaules, l'air impuissant.
- Il faut que l'on change l'heure, il est 6 heures du matin alors que pour moi ce devrait plutôt être midi.
Thiago hoche la tête.
- Oui on va mettre ça en place évidemment, il faut rassembler tout le monde pour faire des annonces, déclare-t-il.
Gabriel nous rejoint, il ne dit rien mais sa présence suffit. Il m'accompagne chercher Kimiko dans la chambre 307. Mon amie n'a pas bougé, le regard perdu.
J'entre doucement dans la pièce et Gabriel attend dehors. Tandis que je m'assois à côté de la japonaise, elle tourne la tête vers moi. Elle me regarde longuement et semble comprendre, une étincelle s'éteint au fond de ses prunelles.
- Il est mort c'est ça ? murmure-t-elle.
Je fais oui de la tête.
- Où est-il ? me demande-t-elle.
- Je ne sais pas, commencé-je mais elle me passe devant et sort de l'appartement.
Je n'ai d'autre choix que de la suivre, Gabriel un peu perdu fait de même.
La japonaise entre dans le sas et s'arrête net. L'italien est allongé, sur un brancard, un drap le recouvre.
J'étouffe un cri quand Kimiko le soulève d'un geste brusque. Le beau visage de Carlo est rouge écarlate. Un gout de bile envahit ma bouche. Du sang recouvre le drap et le corps. Mes yeux se remplissent de larmes. Les siens sont figés à jamais. Je plaque ma main devant mes yeux.
Par réflexe, je me glisse dans les bras de Gabriel mais je sais que cette image me hantera à jamais.
- Je n'aurais jamais dû te suivre, j'aurais dû aller le chercher, déclare Kimiko, de retour dans la chambre.
- Si tu étais allée le chercher, tu serais morte aussi, la pluie est devenue beaucoup trop violente pour une personne sans combinaison.
La japonaise se tourne vers moi, des larmes plein les yeux.
- Alors pour toi j'ai bien fait de le laisser ? Je l'ai abandonné, comme mon frère !
De la colère brille dans ses yeux.
- Je l'ai tué Emma !
- Non ! m'écrié-je. Tu n'y pouvais rien, tu n'y es absolument pour rien.
- En venant ici, je m'étais promis de me rattraper que peut-être je serais pardonnée d'avoir laissé mon frère. Mais je viens d'échouer, je n'aurais pas dû venir ici !
Un silence s'installe et elle le brise d'une voix froide.
- Laisse-moi seule Emma.
Je sors de la pièce sans insister. Je n'arrive pas à me retenir de pleurer. Gabriel me prend dans ses bras et m'accompagne au réfectoire à la demande de Thiago, je ne propose même pas à la japonaise je sais qu'elle dira non. Je lui ferai un récapitulatif à mon retour. Nous nous asseyons autour des tables comme on l'a fait des milliers de fois. Mais aujourd'hui, c'est différent, nous sommes choqués, en deuil.
Thiago est devenu le leader avec le temps, il prend la parole.
- Je pense que la nouvelle s'est répandue assez rapidement, lors de l'expédition menée par Emma, une pluie violente et bouillante s'est mise à tomber. Je vais laisser Emma vous expliquer mieux que moi le déroulé exact, je n'y étais pas.
Je m'avance vers lui, hésitante.
- Nous nous sommes séparés en deux groupes pour explorer, on a recueilli des informations comme prévu. Mais la température montait par cran, on pensait que le jour se levait simplement mais l'air est devenu plus épais, plus chaud encore et plus sombre.
Je marque une pause, je vois tous les visages tournés dans ma direction.
- Olaf s'est mise à courir vers le vaisseau et j'ai demandé à tout le monde de rentrer vite, j'avais un mauvais pressentiment. Ceux de mon groupe ont rebroussé chemin avec moi et par le talkie-walkie, Carlo ne voulait pas vraiment rentrer, il ne pensait pas que c'était nécessaire.
Linda s'approche de moi et poursuit.
- Notre groupe était étonné par l'ordre d'Emma mais nous avons commencé à prendre le chemin du retour. Carlo voulait faire un dernier prélèvement et puis dans nos talkie-walkie Emma a crié de remettre son blaser et de se protéger la tête car de la pluie chaude tombait. Elle nous a demandé de courir le plus vite possible au vaisseau.
Je la regarde parler, elle semble mal à l'aise.
- Je vous avoue qu'on a un peu paniqué, on a mis nos blasers et on a couru, Carlo avait lui aussi un talkie-walkie on pensait qu'il nous suivait mais...non.
Elle baisse la tête honteuse.
- On aurait dû faire plus attention, on le sait et on s'en veut tous...
Elle retourne sans un mot de plus à une table. Un silence s'installe personne ne semble vouloir ajouter quelque chose. Je vais m'assoir à mon tour à côté de Gabriel. Thiago attend une ou deux minutes et reprend sa place.
- On organisera une cérémonie dans quelques jours, vous serez informés, ça dépendra de la suite des évènements, conclut-il.
C'est vrai qu'il va falloir ressortir et affronter à nouveau les aléas d'Aria.
- Autre annonce, enchaine le Thiago. Nous allons changer d'heure, là, il est 6h35 du matin et le soleil brille haut sur notre planète il faut donc ce mettre à jour évidemment. On se met à quelle heure ?
- Le soleil est levé depuis 7h, déclare Jun.
- Mais les journées sur Aria sont plus longues que sur Terre. Il va falloir changer d'heures en permanence si on reste sur un système de 24h, déclare Samuel. Une journée sur Aria fait 31 heures.
Thiago passe sa main dans ses cheveux.
- On peut très bien passer sur un système à 31h mais nos montres ne pourront plus marcher.
Je reste silencieuse en suivant les débats. Le ton monte et je m'approche de Thiago.
- On devrait faire un vote, dis-je. Ceux qui veulent maintenir les 24h et ceux qui veulent passer à 31h.
Le portugais hoche la tête et me demande de le répéter plus fort.
Je m'exécute et le silence ce fait dans la salle.
- Bleu pour 24 et jaune pour 31, annonce Ellias tandis que nous sortons nos téléphones en ouvrant l'application de vote.
Je laisse mon doigt un moment suspendu au-dessus des touches, indécise. Je finis par appuyer la touche jaune sans être véritablement convaincue. Sur l'écran je vois que 73% a voté, puis 80%, 90% et le chiffre monte jusqu'à 99%.
- Kimiko ne vote pas elle n'est pas ici, murmuré-je à Gabriel. Le vote ne pourra pas être valide.
- Va la chercher, m'indique-t-il. Je vais prévenir Thiago.
Je file à l'étage des chambres, marchant d'un pas rapide dans les couloirs blancs, devenus si familiers au fil des années. J'entre dans l'appartement après une légère hésitation. Tout est silencieux, je pousse la porte de notre chambre.
Personne.
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