Chapitre 19 : Un an
EMMA :
- Le groupe de Izabella a organisé un super truc apparemment, nous souffle Mila.
- Désolée d'interrompre une nouvelle fois un petit déjeuner, lance justement la hongroise, Izabella. Demain comme vous le savez tous, ça fera un an que l'on sera à bord. Nous avons organisé une petite soirée particulière.
Le silence se fait dans la salle.
- On se donne tous rendez-vous ici vers 17h, mon groupe s'occupera du repas, plusieurs activités sont prévues, ce serait vraiment super d'être nombreux.
On se jette des coups d'œil, tous en pyjama et endormis, finalement on a pas tellement changé en un an. Et le lendemain soir c'est avec enthousiasme qu'on se retrouve au réfectoire. On s'installe à nos places et certains viennent devant faire des discours, puis les Dix sont appelés.
- Je t'avais dit que tu allais devoir parler, lance Kimiko.
Je soupire et me lève.
On se place en ligne devant les tables et Izabella commence.
- On devrait tous dire un petit mot sur notre ressenti, Emma tu commences.
- Moi ? m'exclamé-je. Euh, d'accord...
Il y a quelques rires dans l'assemblée dont celui de Gabriel, ce qui ne m'étonne pas du tout.
- Moi je trouve qu'on s'est rapidement acclimaté, la routine s'est installée, on n'a pas eu de problème majeur et chacun a rempli son rôle. On participe tous, mais en étant libre de faire un peu ce que l'on veut quand même.
- Ça pour les points positifs, déclare Izabella. Un point négatif maintenant ?
- Euh... c'est vrai qu'il n'y a pas énormément d'activités variées, quelques clubs, mais avec le super terrain de foot, il pourrait y avoir des rencontres sportives, on pourrait faire des spectacles, regarder des films dans la salle de cinéma et ce genre de choses. Mais je comprends qu'on soit tous occupés, ajouté-je.
Les autres Dix hochent la tête, ils ont l'air plutôt d'accord avec moi.
- À mon tour, décrète Elina. Je trouve que dieu merci pour le moment le groupe de médecine n'a pas eu à intervenir. Il y a une bonne ambiance, on va dire que ça roule. Par contre on ne se connaît même pas tous, des groupes se sont formés et je suis d'accord avec Emma, qu'il n'y a pas grand-chose qui nous rapproche comme le fait de venir en pyjama le matin.
Après c'est au tour de Jun, puis de Thiago et ainsi de suite, globalement tout le monde est très content. Certaines personnes qui ne font pas partie des Dix prennent la parole et pas mal de gens disent leur point de vue.
- À la base on devait supprimer les Dix, lance un certain Malik. Finalement, ça ne s'est pas fait parce que tout va bien. Mais je pense qu'il devrait quand même y avoir un chef parmi eux. Dans les périodes de crise on va en avoir besoin.
- Pourquoi ? contre immédiatement Elina.
- Dans la crise qui va trancher, qui va prendre LA décision ?
- On pourrait très bien voter, rétorqué-je.
- Dans tous les cas on verra cela au moment voulu, conclut Jun.
D'autres passent et doivent raconter la chose qui leur manque le plus sur Terre. Beaucoup de points sont abordés, quelques disputes, des rires aussi. Il y a une bonne atmosphère et le repas se déroule, certains jouent à des jeux de société, d'autres commencent des actions vérités. Vers 23h, tout le monde rejoint sa chambre et j'y retrouve Olaf qui a passé toute la soirée seule.
- Pauvre bébé, lui-dis-je en français. Tu es la seule à qui je m'adresse dans ma langue natale maintenant.
Elle remue la queue et me lèche affectueusement la main.
- Oui, je sais que tu as faim, viens on va manger et voir les animaux.
Je l'entraîne à ma suite et sur le chemin je croise Gabriel, ses cheveux blonds sont ébouriffés dans tous les sens et je ne peux m'empêcher de le taquiner.
- Tu devrais passer dans notre salon de coiffure un de ces quatre, non ?
- Je rêve ou tu viens de critiquer ma coupe ? s'offusque-t-il.
Il m'emboîte le pas et demande.
- Au fait tu vas où ?
Je lui explique et il hoche la tête.
- Toi c'est quoi qui te manque le plus sur Terre ? enchaine-t-il.
- Ma famille, répondis-je. Et mes amis bien-sûr, pas toi ?
Il reste un moment silencieux et lâche.
- On ne peut pas vraiment dire que ma famille a été exemplaire avec moi...
- Tu es fils unique ?
- Oui. Mais par contre certains de mes amis me manquent.
Je n'ose pas poser plus de questions sur ses parents et je reste silencieuse. On marche côte à côte avec Olaf qui nous coupe sans arrêt la route. On vérifie les animaux, je lui explique et il semble plutôt intéressé.
- Il est où Samuel ? Demandé-je, sur le trajet du retour vers nos chambres.
- Je ne sais pas du tout, dit-il. Il s'est volatilisé au milieu de la soirée. Et demain ça te dit de se voir, pour faire un foot ou juste parler ?
Il passe sa main dans ses cheveux.
- Si tu veux je réponds, en essayant de camoufler mon euphorie. Où ? Quand ?
Il lâche un petit rire.
- Euh... Où, vers le terrain de foot ? Et quand tu es dispo.
- Après le repas, j'emmènerai Olaf pour la défouler en même temps.
Le lendemain nous nous retrouvons donc au terrain de foot au début nous sommes seuls, on fait courir Olaf en discutant, puis Samuel nous rejoint.
Les mois qui suivent, la routine se poursuit, mes projets de coiffures et de japonais avancent, mais j'ai une nouvelle ambition : écrire un roman. Je ne veux pas raconter mon histoire actuelle, je n'ai pas assez de recul, je veux écrire quelques chose qui n'a rien à voir, quelque chose de nouveau. De son côté Kimiko passe de plus en plus de temps à peindre, qui, quoi ? Je n'en sais rien. La japonaise n'a jamais été très bavarde sur sa vie privée, je ne sais rien de sa mystérieuse famille, de ses anciens amis et de sa vie d'avant en fait.
Je me lance dans l'écriture du roman, il faut dire que ce n'est pas le temps qui manque. Nathan et moi avons peu à peu cessé les cours, ni lui ni moi n'étions très motivés. Nous continuons à nous voir de temps en temps. Des groupes de foot, natation, yoga et tous autres types de sports sont nés à la suite de la soirée des un an. Le groupe de Thiago a même organisé un tournoi. Samuel et Gabriel se sont inscrits dans une équipe et avec Lucia, l'italienne et Anissa d'Indonésienne, nous assistons aux matchs. Je suis obligée d'attacher Olaf pour l'empêcher de bondir sur le terrain. Malheureusement pour moi la piscine est plus souvent occupée et pour que je puisse y être seule je dois y aller tôt le matin ou tard le soir. Malgré ces petits changements tout va pour le mieux et nous sommes détendus.
- Qu'est-ce qui se passe ? Demandé-je un matin au petit déjeuner.
- Une fille est malade, annonce Anissa, catastrophée.
- Malade comment ? Questionne Kimiko.
- Elle a beaucoup de fièvre l'équipe de médecine est sur le coup.
Nous mangeons silencieusement nous savons à quel point une épidémie peut-être dévastatrice, surtout dans un endroit clos comme le vaisseau. L'étage 6 celui de médecine est donc condamné et Elina gère son groupe. Les jours qui suivent, la jeune fille prénommée Cristina reste alitée et sa fièvre ne redescend pas. Quelques jours plus tard deux autres filles, de sa chambre la rejoignent. Une atmosphère étrange règne. La maladie n'a pas l'air mortelle mais ce n'est pas une simple gastro. Nous portons donc des masques et on évite les contacts. Chacun remplit son devoir tout de même, mais nous sommes comme suspendus à quelque chose. Sept autres adolescents rejoignent l'étage de mise en quarantaine mais heureusement, après une semaine et demi couchée, Cristina ressort sans séquelle.
- Ne paniquez pas, c'était simplement un virus ressemblant à une grosse grippe, nous informe Elina, ils s'en remettront. En attendant continuez à porter des masques et à rester très prudents.
Quelques mois plus tard, l'affaire est classée, nous pouvons à nouveau nous comporter normalement. Mila et Amélie décident d'organiser une soirée cinéma dans la salle du décollage pour fêter ça. Tout le monde prend la nouvelle avec beaucoup d'enthousiasme et nous passons une soirée tous ensemble.
Puis, mon deuxième anniversaire à bord passe, je ne reçois pas de cadeaux, mais les autres chantent en anglais, et je passe un moment à regarder les photos de ma famille et à les imaginer. Ce jour doit être particulier pour eux aussi, et Anna ? Est-ce que je lui manque ? Elle oui ! Ses bavardages, et sa bonne humeur me manquent. Ces moments où je pouvais ne rien faire pendant toute une après-midi, juste l'écouter parler.
- Tu pleures ? demande Gabriel en s'asseyant sur les gradins à côté de moi.
J'essuie mes larmes avec ma main et je cache mon visage derrière un rideau de cheveux.
- Ah moins que tu ne sois en train de bouder, s'exclame-t-il en relevant mes cheveux derrière mon oreille.
J'ai un petit sourire.
- Ou alors tu pleures de joie de me voir, c'est ça l'émotion, dit-il d'un ton théâtral.
Sur le terrain, Samuel, Olaf et deux autres garçons courent après le ballon en criant.
- Tu devrais les rejoindre, soufflé-je.
- Moi ? Tu sais, je les laisse un peu gagner les pauvres, quand je suis là plus personne ne marque...
Je lâche un petit rire.
- Plus sérieusement pourquoi tu pleures ? Lance-t-il. Vu la photo dans ta main je soupçonne que cette fille te manque... Qui est-ce ?
- Anna, ma meilleure amie, dis-je.
- Elle a l'air joyeuse, commente-t-il.
- Elle l'était, toujours.
- Tu parles comme si elle était morte, c'est le cas ?
- Non mais elle n'est plus à mes côtés, elle est loin d'ici, chez elle.
- Je suis sûr qu'elle pense fort à toi et que finalement c'est comme si elle était à tes côtés tout le temps, dit-il.
- Depuis quand es-tu philosophe ? demandé-je en relevant la tête.
- Depuis toujours, c'est une de mes nombreuses qualités.
- Avec la modestie évidemment...
Nous rions.
- Et tes parents ils te manquent ? demande-t-il soudain plus sérieux.
- Oui tous les jours qui passent, pas toi ?
Il hausse les épaules.
- Tu ne me parles jamais de toi, commenté-je.
- C'est parce que ce n'est pas intéressant et puis aujourd'hui c'est ton anniversaire, parlons de toi.
Je n'insiste pas, je me contente d'espérer qu'un jour je saurai.
- J'aimerais tellement passer juste ne serait-ce qu'un seul jour chez moi en France pour me souvenir d'avant. J'aimerais passer un matin tranquille, avec le petit déjeuner de mon père, les caprices de ma petite sœur et l'odeur des pates bolognaises de maman. J'aimerais faire les courses avec Anna et parler de tout et de rien. Je voudrais revoir sa tête concentrée quand elle avait un projet en tête. Je payerais pour me blottir avec elle sur le canapé pour regarder des séries. Même les cours, le collège, tout me manque...
Ma voix se brise.
- Ta vie d'avant avait l'air passionnante, commente Gabriel.
- Avant le premier jour de neige était sacré pour ma petite sœur, elle sortait tôt le matin pour aller jouer dedans et elle revenait trempée avec le nez tout rouge. Puis elle me suppliait de l'accompagner. Mon grand frère était plus sérieux, il avait la réponse à toutes mes questions, quand j'avais du mal avec mes devoirs il m'aidait. Maman cuisinait des pâtes bolognaises pour toutes les grandes occasions et papa faisait la cuisine le reste du temps. Au collège Anna et moi passions tout notre temps ensemble, parfois quand il faisait froid on se cachait dans le petit recoin près des casiers pour ne pas avoir à sortir et on passait la récré à chuchoter pour ne pas se faire repérer...
Les larmes roulent silencieusement sur mes joues, je sens la main de Gabriel se glisser dans la mienne et il donne une petite pression pour m'encourager.
- Quand j'étais petite la piscine est rapidement devenue ma passion je ne pensais qu'à ça. Je me souviens le jour où j'ai fait ma première compétition, celui où j'ai gagné mon premier trophée. Je faisais des crises monumentales dès que maman avait un empêchement et ne pouvait pas m'emmener à mon cours. Les week-ends nous allions pique-niquer dans la forêt et papa dépliait une grande nappe jaune au sol. Moi, je rêvais de me perdre dans la forêt pour voir ce que ça faisait. Mais jamais une seule fois nous nous sommes perdus tu t'en doutes.
Gabriel m'écoute parler sans rien dire. Les larmes coulent sur mes joues.
- Tu crois que je les reverrai ? Tu crois qu'on va réussir à rentrer ? Demandé-je.
- Je ne sais pas, mais rien n'est impossible pour le moment.
Il passe son bras autour de mes épaules et je pose ma tête contre lui.
- À toi de parler, dis-je. Qu'as-tu à raconter de ta famille ?
- Ma famille ? Elle m'a abandonné à l'âge de quatre ans, je n'ai que de très vagues souvenirs, je suis ensuite passé par deux familles d'accueil avant d'être adopté par un couple qui venait de perdre leur enfant. Ils n'ont pas arrêté de déménager, ils voulaient que je devienne champion, ils m'ont d'abord inscrit au basket, puis au ping-pong et enfin au foot, c'est le sport où j'ai réellement accroché. Mais je ne voulais pas faire trop de matchs pour autant, je restais évasif. Je crois que je les ai déçus...
J'effleure le bracelet argenté que Edward m'a donné le jour du départ.
- Gabriel tu viens ? lance Samuel.
Gabriel me regarde.
- Vas-y, dis-je en me redressant.
Il semble hésiter puis il se lève et rejoint les autres sur le terrain. Je l'observe s'éloigner en courant, j'ai l'impression qu'il voulait ajouter quelque chose et je ressens une petite pointe de déception. Je me lève et je longe le terrain avec comme idée de me rendre à la piscine. Gabriel me regarde, encore une fois, c'est comme si il voulait ajouter quelque chose mais il referme la bouche et reprend sa course. Je sors du terrain et je m'avance dans le couloir blanc. Je repense à notre conversation, c'est la première fois qu'il se livre autant.
Dans mon dos, j'entends des pas qui me rattrapent.
- Hé ! lance une voix masculine que je reconnaîtrais entre mille.
Je fais volte-face et les battements de mon cœur s'accélèrent.
- Il y a une chose que je n'ai pas osé te dire tout à l'heure, lâche Gabriel, encore légèrement essoufflé.
Des mèches blondes tombent sur son visage, il est légèrement plus grand que moi. Il se racle la gorge, l'air assez embarrassé.
- Emma tu sais que je tiens beaucoup à toi et...
Une sensation étrange me parcourt le corps. J'attends qu'il poursuive mais au lieu de ça, il se penche vers moi et m'embrasse.
* * *
- C'est pas vrai, vous êtes ensemble alors ! s'exclame Mila, totalement surexcitée.
- C'est tellement romantique, s'extasie Kimiko.
- On peut dire que c'était vraiment le meilleur anniversaire de ta vie, renchérit Amélie.
Avec des colocataires comme les miennes, dès le lendemain matin, la nouvelle de notre couple s'est répandue dans tout le vaisseau. Je n'ai pas honte du tout, bien au contraire, mais certaines de mes amies peuvent quand même se montrer un peu gênantes...
Comme à son habitude Gabriel s'assoit à notre table de petit déjeuner avec Kimiko, Lucia et Anissa et il m'adresse un léger clin d'œil, qui fait bondir mon cœur.
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