Chapitre 1 : Une semaine intensive
EMMA :
Je m'accroupis devant un tas de pierres, en plissant les yeux face au soleil éclatant de cette fin d'après-midi. Un petit sifflement fend soudain l'air, brusquement, je m'aplatis contre le sol. L'herbe me chatouille les joues et mes cheveux tombent autour de mon visage. La balle vient percuter la pierre juste devant moi, l'éclaboussant de peinture rose. Aussitôt, je me redresse d'un bond et je cours m'abriter sous les arbres. Je me faufile entre les branchages, aux aguets. En contemplant ma carte, j'évalue mentalement la distance qui me sépare de mon but, atteindre le drapeau adverse. Mes coéquipières sont censées distraire les défenseuses adverses du côté nord, me laissant champ libre pour atteindre le drapeau par l'ouest.
J'ai un hématome sur la cuisse, des traces de peinture rose un peu partout, et de la boue plein mes chaussures. De petites griffures zèbrent aussi mes jambes et mes cheveux châtains sont parsemés de brindilles. Mes muscles endoloris me poussent à ne rêver que d'une chose, plonger dans une piscine et nager.
Soudain, j'aperçois un mouvement rose, je cale aussitôt mon pistolet à billes, et en un clin d'œil mon doigt presse la gâchette. Une petite balle de peinture bleue file avec un sifflement et j'abaisse mon arme. La jeune fille rousse que je visais pousse un juron, et je comprends que j'ai atteint ma cible. La rouquine se tourne dans la direction du tir, mais je n'y suis plus. Je file vers l'ouest, vers le drapeau. Tandis que je fais une pause pour reprendre mon souffle avant la dernière ligne droite, je ne vois pas un seul gilet rose à l'horizon. Je remercie intérieurement mon équipe, le drapeau flotte fièrement au vent, seulement à une cinquantaine de mètres de moi. Après une grande inspiration, je m'élance. Je m'attends à tout moment à ressentir la douleur de la balle contre ma peau, mais aucun sifflement ne retentit, aucune peinture ne vient m'éclabousser. Plus que quelques mètres...centimètres... Ma main se referme dessus et je brandis fièrement le drapeau en l'air. Un sifflet se fait entendre et les inspecteurs sortent de sous les arbres avec leur calepin. Mon équipe me rejoint, chacune émergeant de sa cachette et nous poussons un grand soupir de soulagement. C'est terminé pour aujourd'hui.
Mme Streng nous accueille après une rapide douche dans le réfectoire pour son petit speech habituel.
- Bonjour à toutes, les épreuves de vélo de ce matin se sont très bien déroulées d'après les animateurs, et ils trouvent que le paintball disputé cette après-midi était globalement réussi, déclare-t-elle avec son habituel ton pincé. Pour les trois derniers jours de cette semaine, les choses vont se compliquer pour vous. Des épreuves écrites tomberont tous les matins. Vendredi ce sera maths, physique et SVT. Samedi, français, art et rédaction. Et pour finir la plus importante le dimanche, l'anglais. Les épreuves de sport restantes auront lieu les après-midis, je vous invite à aller voir sur vos emplois du temps respectifs dans le hall. Sur ce, bon appétit.
Nous mangeons, quasiment en silence, comme depuis le début de la semaine. On a beau s'adresser des politesses et des sourires forcés, nous n'avons pas tissé de liens sincères. Sauf Julie et moi, on parle de tout et de rien durant les repas, c'est la seule avec qui j'ai sympathisé.
Entre nous trente, on sait pertinemment que seulement dix seront sélectionnées pour la deuxième semaine de test. Et après, seulement une d'entre nous partira pour ce long voyage. Une seule représentera la France parmi ces 53 pays...
Forcément, il y a cet esprit de compétition qui règne, chacune veut être la meilleure et surpasser les autres. C'est vrai que ça n'encourage pas à créer des amitiés. Malgré tout je ne peux m'empêcher de me demander, « Et si c'était moi ? ». Pour le moment je n'arrive pas à me classer entre ces trente jeunes filles douées et sportives.
Quand j'ai achevé mon repas, j'envoie un message à mes parents, en leur racontant rapidement ma journée et je vais voir les emplois du temps pour me préparer mentalement à l'épreuve de sport du lendemain. Contrairement à certaines qui s'angoissent pour les épreuves écrites, moi je n'ai pas peur. Je ne suis pas mauvaise en cours, j'arrive à analyser des documents, donc je n'ai aucune raison d'échouer. Je ne suis pas ce genre de filles qui perd tous ses moyens devant un contrôle ou une évaluation, j'arrive à garder la tête froide quelle que soit la situation.
En sortant de la salle, le lendemain, je suis soulagée. Les épreuves n'étaient pas si dures, il y avait plus de documents à comprendre que de questions de connaissance. Autour de moi, je vois une fille en larmes, d'autres en train de taper frénétiquement sur leur calculatrice pour vérifier leurs résultats. Julie m'adresse un petit clin d'œil et je comprends qu'elle a le même ressenti que moi. Je lui souris puis je file enfiler un maillot de bain et plonger dans la piscine. Je me laisse porter par le courant en flottant tranquillement à la surface. Être entourée d'eau me change les idées et me permet de faire le vide.
Tandis que j'entre dans le réfectoire, mes cheveux humides coulent dans mon dos. Je prends place à coté de Julie.
- Tu as quoi comme épreuve cette aprèm' Emma ? me demande-t-elle.
- Course, pas top, je marmonne. Enfin le parcours de vendredi reste le pire.
- Ah bon ? Tu adores courir et crapahuter. Je pensais que ce serais au contraire, ton épreuve préférée, dit-elle.
- Oui, mais il y a le saut de 27 mètres et ça...
- Tu as le vertige ? s'étonne-t-elle.
Je hoche la tête, le ventre noué rien qu'à l'idée de monter aussi haut et nous continuons à manger.
À quinze heures trente, je rentre sur la piste d'athlétisme et une jeune femme m'accueille.
- Emma Keller ? Je suis l'animatrice de cette épreuve, déclare-t-elle d'une voix chaleureuse. Tu es bien échauffée ?
J'acquiesce et elle me sourit en retour.
- Parfait. Je vais t'expliquer le déroulement et après on y va. L'épreuve se divise en trois parties, chacune évaluant une capacité précise. La première épreuve est une course de cent mètres, pour évaluer ta vitesse pure, ton sprint.
Je hoche encore une fois la tête et elle poursuit.
- La deuxième est une course de quinze mètres seulement, pour évaluer ton démarrage et tes réflexes. Et enfin en dernier ce sera de l'endurance, 45 minutes de course, pour voir comment tu supportes un effort long. C'est bon ? Pas de question ?
Tandis que je fais un signe négatif de la tête, elle me rappelle de bien m'hydrater et de m'arrêter si je ne me sens pas bien.
- Les inspecteurs préfèrent voir une jeune fille abandonner plutôt qu'une qui ne saura pas juger quand c'est trop pour elle et qui va s'évanouir, d'accord ? Quand tu es prête, tu me le dis et on y va, termine-elle avec son éternel sourire.
Je prends une grande inspiration avant de lâcher :
- Je suis prête.
* * *
Le jours suivant, je m'endors, contente de ma journée. L'épreuve du matin, français, s'est très bien passée, j'ai réussi la rédaction, même si l'étude de phrase était plus dure, je m'en suis bien tirée. Surtout que l'après-midi j'ai eu le test de piscine. L'animatrice avait l'air vraiment impressionnée à la fin et elle m'a demandé si je prenais des cours. Quand j'ai acquiescé elle a eu un hochement de tête approbateur.
Maintenant, il ne me reste plus que l'évaluation d'anglais, la plus importante pour être sélectionnée. Et celle du parcours avec au milieu ce fameux saut de 27 mètres. Ensuite nous passerons toutes un entretien où les dix sélectionnées sortiront contentes, et les vingt autres déçues. Chacune rentrera alors chez soi jusqu'à la prochaine semaine de sélection, deux mois plus tard.
* * *
Encore une dizaine d'échelons puis un saut et je reprends la course. Le plus important est de ne pas regarder en bas, surtout ne pas regarder en bas. Les mains crispées sur les barres métalliques, je force mon pied à monter un échelon de plus, puis un autre et ainsi de suite. Quand j'atteins enfin le dernier, je m'agrippe à l'arbre. Mes jambes tremblent légèrement sur la petite plaque de bois et j'ai la tête qui tourne. Je sais bien que ma ceinture de sécurité est reliée à un grand élastique qui m'empêchera de m'écraser en bas, n'empêche que je me retrouve seule sur une toute petite plateforme à 27 mètres de hauteur. Je fais le vide dans ma tête et je me concentre sur mon seul objectif : sauter. Je commence le décompte dans ma tête, mais arrivée à zéro, je renonce au dernier moment. L'animatrice en bas, voyant que je ne suis pas à l'aise me dit.
- Tu sais tu n'es pas obligée, tu peux toujours redescendre si tu ne te sens pas bien.
Je fais non de la tête. Que vont penser les inspecteurs d'une fille qui est tétanisée à 27 mètres de hauteur ? Une chose est sure, ils ne vont pas la sélectionner pour l'envoyer dans l'espace.
Allez ! Il faut que j'arrête de réfléchir, je prends une grande inspiration et finis par faire un pas hésitant en avant... dans le vide. J'ai l'impression que la chute est trop rapide, trop violente et qu'elle s'arrête trop brusquement. Je me retrouve pendue la tête en bas par la taille à un mètre du sol après avoir été descendue pour être désharnachée. L'animatrice s'approche et me détache.
Une fois que mes pieds sont fermement ancrés au sol, elle me donne un morceau de sucre et une bouteille d'eau car d'après elle mon teint est trop pâle. Je la remercie et dès qu'elle donne le top départ je m'élance vers les prochaines balises. Tandis que je cours, grimpe, rampe et cavale à travers les bois, je n'arrive pas à réaliser que c'est derrière moi. J'ai sauté, toute cette peur et cette appréhension sont loin maintenant.
Je ressens immédiatement un immense soulagement quand je franchis enfin la ligne d'arrivée. Ma dernière épreuve est terminée, les dés sont jetés.
- 19 minutes 43 secondes, m'annonce l'animatrice en inscrivant sur son cahier. Maintenant hydrate-toi bien et tu peux te reposer jusqu'à ton entretien.
J'acquiesce, encore trop essoufflée pour parler.
* * *
- Je savais que je te trouverais là, dit Julie.
Je sors de l'eau et lui rends son sourire.
- Ta dernière épreuve s'est bien passée ? demandé-je en entortillant mes cheveux pour les sécher.
- Oui à peu près, répond-elle avec un haussement d'épaule, le regard rivé sur les gouttes qui s'écoulent de mes mèches châtains serrées dans mes mains. Et toi, ton fameux saut ?
- Je l'ai fait, l'animatrice à bien vu que je n'étais pas bien, mais je l'ai fait !
- Bravo ! Mon entretien est à seize heures quarante-cinq et toi ?
- C'est dans quinze minutes ! m'exclamé-je en regardant ma montre. Je monte tout de suite me préparer. Mes parents arrivent juste après.
- Les miens ne devraient pas tarder non plus, dit-elle en me suivant des yeux tandis que je m'active. Bonne chance ! J'espère que tu seras prise même si je n'ai pas trop de doute.
- Pareil pour toi, dis-je.
Après m'être changée à la vitesse de l'éclair et avoir trainé ma valise jusque dans le hall, je m'écoule sur la chaise devant la salle d'entretien en attendant mon tour. Quand je jette un coup d'œil à mon portable je découvre un message de mes parents. Au moment où je termine de rédiger ma réponse, la jeune fille avant moi sort avec un air impassible. Je me lève et entre à mon tour, ne sachant absolument pas à quoi m'attendre.
- Bonjour Emma Keller, dis une voix grave légèrement enrouée.
En me retournant, je me retrouve face à un petit bureau qui paraît accablé par la masse de dossiers qui y repose. Un homme d'une cinquantaine d'années, portant une petite moustache, une tignasse blonde et des fossettes qui creusent presque trop profondément ses joues pales, est assis derrière et me regarde.
M. Moustache m'invite d'un geste de main à m'asseoir sur la chaise branlante posée devant le bureau.
- Bon Emma, je ne vais pas passer par quatre chemins, tes résultats sont bons et tes capacités sportives convaincantes. Mon rôle est de lire ton dossier, tes appréciations pour chaque épreuve et de me faire une idée. La mienne est faite, mais j'ai besoin de te voir et d'échanger à l'oral pour te sélectionner.
Je ne réponds rien, impressionnée par son ton direct.
- Commençons par voir comment tu pourrais t'analyser. Dis-moi trois phrases qui te représentent vraiment.
Il me fixe de ses petits yeux marrons, mais un sourire flotte sur ses lèvres, rendant son discours plus chaleureux.
Je réfléchis en me demandant ce qui me « représente ». Voyant que M. Moustache m'encourage d'un signe de tête, je me lance.
- Je m'appelle Emma, j'ai 14 ans et je vis à Lyon depuis toute petite.
Il acquiesce.
- Et d'une.
- J'aime la piscine, j'y passe des heures, être dans l'eau me fait du bien, je poursuis.
- Et de deux, déclare-t-il. La dernière doit être franche, interpelante, vas-y.
Cette fois je n'ai pas besoin de réfléchir, je déclare.
- J'aime écrire, j'aimerais vivre une aventure à raconter.
Il prend quelques notes, puis relève la tête en souriant. J'ai ensuite le droit à une série de questions, sur ma famille, mes passe-temps, mes amies... etc.
- Revenons à tes résultats, dit-il soudain. Je pense que l'épreuve qui m'a le plus convaincu de te garder avec nous, est celle d'anglais.
- Ah bon ? lâché-je, pas franchement convaincue de mes capacités dans cette langue.
- Oui, on voit que tu maîtrises la compréhension. Mais surtout, tes phrases ne sont pas complexes, mais il n'y a pas de fautes, dit-il. Certaines filles ont fait des phrases très compliquées et longues, elles ont fini par s'embrouiller et leur texte est incompréhensible. Toi tu es restée à ta portée. Tes phrases sont courtes et claires, et c'est la réaction à avoir face à un étranger : être clair, aller à l'essentiel.
Il attend que j'hoche la tête pour poursuivre.
- En imaginant que tu sois prise pour la deuxième semaine de tests, qui sera bien différente de la première, que ferais tu pour te préparer ? Quels seraient les points que tu travaillerais ?
- Je travaillerais mon anglais, j'essaierais de dompter ma peur du vide, réponds-je d'une voix mal assurée. Et je me maintiendrais en bonne forme physique pour être prête.
Il approuve d'un mouvement de tête et ses fossettes se dessinent nettement tandis que ses lèvres s'étirent une nouvelle fois.
- Eh bien ! Mademoiselle Keller j'aurais le plaisir de te retrouver dans deux mois, nous enverrons toutes les informations par mail. Maintenant repose-toi bien et félicitations.
- Je peux juste poser une question ? je demande. Quel est votre nom ?
Il paraît hésiter, mais je vois l'ombre d'un énième sourire sur ses lèvres.
- Je ne dis pas mon nom car je n'en vois pas l'utilité, l'entretien est minuté autant ne pas perdre de temps. Mais si tu veux tout savoir je m'appelle Charles Raude. Au revoir, Emma.
Je sors de la salle et croise la jeune fille qui s'apprête à entrer. Une main est occupée à décrocher la peinture de la chaise et l'autre pianote sur sa cuisse.
- C'est comment ? demande-t-elle en se redressant.
- Perturbant
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