Fine - Lemon Demon

- Au revoir, Mars...

- Dépêche-toi, Xena, on n'a pas tout notre temps. 

Papa, irrité, me tirait par la main, et même si je savais pertinemment que lui et ses collègues étaient pressés, je ne pouvais pas ne pas dire adieu à l'endroit qui m'avait accueillie, qui nous avait tous accueillis six ans auparavant. "Nous", c'était cinquante personnes qui avaient risqué leur vie en partant pour un an de voyage sur une planète que l'on pensait inhabitable des centaines d'années avant. Et, finalement, il s'était révélé... que les scientifiques du début du troisième millénaire ne s'étaient pas trompés.
Le souvenir de la première fois où j'avais posé le pied sur la surface de roche rouge restait encore dans ma tête. L'immensité ocre avait été ma maison durant ces six dernières années. Alors, la perspective de devoir quitter cette planète, ma planète, me déchirait le cœur. Mais "déchirer le cœur" était un mot bien trop faible pour désigner le désespoir qui me saisissait à chaque fois que cette phrase revenait dans ma tête : "c'est notre seule chance de survie".

Ma maison était inhabitable. Je ne pouvais pas survivre autrement qu'en quittant ma maison. Ma maison était inhospitalière, certes, mais elle avait toujours bien accueilli la petite fille que j'étais. Les cratères poussiéreux avaient été le terrain de jeu de mon enfance, et à quatorze ans, je me réfugiais encore dans les gros trous où, plus que l'amusement, régnait la solitude et le calme de l'univers. 

Ce serait mentir que dire que je n'avais pas vu venir ce départ. À douze ans, j'avais bien remarqué que tous les adultes, y compris mon père, même s'ils tentaient de le cacher, devenaient plus irritables chaque jour. Jusqu'au mois dernier, où j'ai pu assister à une réunion de l'équipage pour la première et dernière fois de ma vie. Les chefs de l'expédition, Mira et Oliver, ont alors annoncé le manque cruel de vivres, l'échec de l'agriculture, et encore plus de l'élevage sur Mars, raisons pour lesquelles nous serions contraints de revenir sur Terre... sans prévenir. Cela faisait trois ans que nous n'avions pas eu de contact avec la planète sur laquelle j'avais vécu la moitié de mon existence. D'après Mira, en prenant en compte l'ignorance de notre arrivée des autorités terriennes et les risques de mauvais calcul des distances, d'amerrissage passé inaperçu, de piste inadaptée, il y avait 90,5% de chances que nous mourrions dans ce voyage. 

- 9,5% est tout de même un pourcentage énorme, avait tenté de nous rassurer l'amie d'enfance de mon père. De toutes façons, on doit s'accrocher à cette probabilité de réussite, car c'est notre seule chance de survie.

- Xena ! Il faut vraiment qu'on y aille, maintenant.

 Telle une enfant perdue, je me laissai tirer par le bras tandis que je contemplai une dernière fois le cratère qui m'avait accueillie quand je voulais être seule. Mon cratère.

 - Ça va aller bichette, tu vas enfin revoir ta mère et ton frère ! 

Mira me sourit, et je montai sans un mot, sans émotion, dans le sas, et m'installai sur un siège tout au fond, signifiant que je ne voulais personne pour me déranger dans mon deuil de la planète rouge. Six ans perdus... Et dire que je ne me rappelai même pas du visage de mon frère, ni de celui de ma mère, à part grâce au cadre emporté par mon père. Six ans. 

À mon grand désespoir, mon désir implicite de solitude ne fut pas respecté, puisqu'un membre de l'expédition s'assit à côté de moi, sur la place restée vide.

 - Salut, Xena. Tu vas enfin revoir ta famille, c'est cool ! J'ai vraiment l'impression que tout le monde n'attend que ça.

 Ottis, 23 ans. À part moi, c'était le plus jeune membre de l'équipe. Ce n'était pas le genre de type sociable et extraverti, lui restait plutôt en soutien, se taisait mais était plus que dévoué à ses supérieurs dont il essayait toujours de tirer profit des critiques et des erreurs passées. En somme, un jeune homme parfaitement banal, et ce n'était pas son physique qui allait arranger son cas : il possédait des cheveux châtains tirant légèrement vers le blond, des yeux bleus-verts, de taille moyenne et était celui qui avait le moins maigri à cause du manque de vivre, pour la simple et bonne raison que, dans mes souvenirs d'enfant de sept ans, il était déjà aussi fin qu'un javelot. En résumé, je ne comprenais pas pourquoi lui avait décidé de me taper la discute, alors que tout humain normal aurait compris que je voulais qu'on me laisse tranquille. 

- Moi aussi, je vais retrouver quelqu'un ! continua-t-il d'un air enthousiaste. Mon meilleur ami m'attend sur Terre... j'espère vraiment qu'il va bien. Qui sait ce qui peut s'être passé sur Terre ces sept dernières années ? Pour nous, la Terre et la Lune ne sont que deux très brillantes étoiles, après tout. 

Je marmonnai un "Ok" pour la politesse, si je pouvais appeler ce grognement ainsi, car je pense que n'importe qui ayant un tant soit peu d'intelligence et d'empathie se serait tu, embarrassé par mon refus de communication à présent clairement visible, si ce n'était pas déjà le cas auparavant. 

- Il s'appelle Ray. C'est un peu mon grand frère, tu sais. Je pense qu'un grand frère doit aussi servir de meilleur ami, et inversement évidemment. C'est pareil pour ma grande sœur, elle joue le rôle de confidente pour moi, continua-t-il.

Il me regarda, attendant visiblement une réponse de ma part. 

- J'me rappelle même pas de mon frère, grommelai-je en détournant le regard. 

- Ah... les retrouvailles... n'en seront que meilleures, n'est-ce-pas ? bafouilla-t-il, gêné. 

- Si tu le dis. 

Je ne comprenais pas pourquoi il persistait à vouloir me parler ; j'appréciai très bien la solitude. Nous n'avions jamais réellement parlé, et de toutes façons, on ne se reverrait probablement jamais après les prochains mois passés dans ce vaisseau... si nous survivions. Et à ce moment-là, je retrouverai enfin ma famille... et peut-être mes anciens amis ? S'ils ne m'avaient pas oubliée, parce que, de mon côté, je me rappelai à peine de leurs noms. 

- T'es prête, Xena ? demanda Oliver avec un sourire que je devinais compatissant.

- Mouais... J'imagine que, de toutes façons, on est obligés de partir. J'ai très bien compris pourquoi, pas besoin de m'expliquer de nouveau. 

Oliver regarda de nouveau sa filleule, puis repartit s'assoir à côté de sa coéquipière et petite amie Mira, aussi co-gérante de la mission, avec lui.

 - Un dernier mot avant de partir ? me demanda Ottis, d'un ton qu'il espérait sûrement gentil aux yeux de la peu loquace voisine que j'étais. 

Ma dernière phrase fut entrecoupée par les sanglots que j'avais tant retenus auparavant.

 - The sun will marry the moon... It'll be fine. Why don't we sit back, mellow again, and have a nice afternoon? It'll be fine. 

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