Chapitre 16.
L'ours dévisagea la petite créature tremblotante face à lui. Ses grands yeux étaient écarquillés et elle venait de lui éclater les tympans avec son cri strident. Il s'avança vers elle avec des grognements d'ours qu'il espérait rassurant, mais au lieu de se détendre, elle se mit à respirer encore plus vite et fit un pas en arrière. Dans sa précipitation elle trébucha et atterrit sur les fesses. L'ours s'avança encore pour s'assurer qu'elle allait bien, mais elle cria encore en se traînant par terre pour s'éloigner.
Non, mais qu'est ce qu'elle fichait, elle croyait qu'il était qui au juste ? Elle connaissait beaucoup d'ours ? Il abattit sa patte sur sa poitrine pour l'empêcher de reculer plus, sinon elle allait finir par mettre la main sur un truc tranchant et ce serait encore de sa faute ! Elle poussa des petits gémissements pitoyables alors même qu'il avait fait bien attention à ne pas la blesser avec ses griffes.
Calme-toi avait-il envie de lui dire. Elle respirait si vite que sa poitrine menaçait de faire éclater son corset. L'ours n'ayant aucune envie de se faire agresser à coup de bouton prit la seule décision envisageable face à une crise de panique. Il s'allongea sur elle.
Pas entièrement, évidemment, la minuscule femme ne l'aurait pas supporté. Mais juste sa tête, posée sur sa poitrine moelleuse. Le poids qu'il faisait peser sur ses poumons la força bien vite à prendre des respirations plus profondes si elle ne voulait pas étouffer. Au bout d'une poignée de minutes, réalisant qu'il n'était pas en train de la déchiqueter, elle finit par se calmer, respirant plus lentement.
Bah voilà, ce n'était pas difficile, songea l'ours en soufflant sur son visage. Il se redressa en s'ébrouant, et elle se remit à paniquer. Il l'écrasa de nouveau. Il avait toute la nuit, s'il le fallait, mais lorsqu'il se releva de nouveau, elle ne paniqua pas. Elle semblait surtout sonnée et confuse. Il s'en alla pour chercher ses vêtements, pas que ça le dérangerait de paraître nu devant elle, mais elle était humaine, elle ne comprendrait pas et pourrait mal l'interpréter ou le prendre.
Nikolai revint vers Cassandra, sous forme humaine cette fois, elle n'avait pas bougé.
— Vous... vous... vous...
Il haussa un sourcil et l'attrapa par le col de sa robe pour la mettre debout.
— Je ?
— C'était ... ? vous avez... ? enfin ... ?
— Oui c'était moi l'ours, qui voulais-tu que ce soit d'autre ?
— Mais... ?
Elle semblait encore secouer alors il décida de la rassurer.
— Si ça n'avait pas été moi, tu serais morte avant de t'apercevoir qu'il y avait un ours.
Elle blêmit et vacilla.
— Que fichais-tu seule ici, femme ?
— Je vous cherchais.
— C'est moi qui t'ai trouvé, fit-il remarquer en lui prenant le bras pour l'emmener vers le campement.
Il était à cinq minutes et il ne comprenait pas pourquoi elle ne l'avait pas retrouvé. Et dire que son fils pensait qu'elle pouvait essayer de le tuer, elle ne le trouverait pas quand bien même il se tiendrait dans sa ligne de mire.
En songeant à son crapaud, Nikolai se souvient d'une contrariété à éclaircir.
— Au fait, je suis un grizzli.
— Hein ?
Il s'arrêta pour la regarder en face, la forçant aussi à s'arrêter par la même occasion.
— Ma sous-espèce, c'est le grizzli, pas le goujat.
Nikolai admira les émotions qui passèrent distinctement sur son visage. D'abord, de l'incompréhension, puis cette petite lueur de compréhension tout de suite remplacer par cet air de « comment il sait ? » et finalement, ne demeura plus qu'une touche de culpabilité sur un visage désolé et déconfit. Ses joues avaient rougi et elle se mordillait la lèvre en l'implorant du regard. Adorable.
— Vous n'étiez pas censé savoir que j'avais dit ça à mon fils, se plaignit-elle.
Il haussa un sourcil, sévère, juste pour qu'elle rougisse et balbutie de gêne.
— C'est juste... vous aviez écrit votre prénom sur mon front !
Ah, oups. Il avait oublié ce détail.
— J'étais énervée et gênée, c'est votre faute ! Et mon bébé... il m'a entendu, je ne veux pas qu'il prenne de mauvaises habitudes, en temps normal je ne jure pas devant lui, mais... vous m'avez embarrassée ! et vous le saviez en plus.
Nikolai se redressa et la reprit par le bras.
— Retournons au campement, décida-t-il pour ne pas avoir à se justifier.
En réalité, il avait trouvé ça amusant, de lui écrire son nom dessus, c'était juste une blague. Elle était là, allongée par terre, à sa merci, après avoir tenté de se battre contre lui, sur le coup, ça lui avait semblé logique de marquer sa victoire par son nom. Puis, après, il avait trouvé drôle de voir la tête de ses camarades de meute et son air si innocent, elle n'avait rien soupçonné. Bon, il aurait peut-être dû l'inviter à se débarbouiller avant de partir, mais elle avait filé si vite, ce n'était pas de sa faute si elle avait été si pressée de partir !
Oui, Nikolai était parfaitement innocent dans cette histoire, tout était de sa faute à elle ! Elle n'aurait pas dû avoir l'air si mignonne avec ce petit air concentré qu'elle avait abordé lorsqu'elle peignait. Il se serait retenu de lui peindre dessus, si elle n'avait pas été si chou.
Quand ils arrivèrent, le feu avait été allumé et la majorité des membres de la meute était présente.
— Ramasse ton truc je te ramène chez toi, fit Nikolai en regardant d'un air mauvais les membres de sa meute.
Nahila et Tarik étaient blottis l'un contre l'autre et si Tarik nota leur présence, Nahila n'interrompit pas ce qu'elle racontait, une histoire de poule. Nash écrivait une lettre à il ne savait qui, car ça ne l'avait jamais intéressé, et le tigre souriait bêtement. Lilith et Hunter faisait des messe basse, et Hunter leva la tête vers lui, l'air furieux. Bon, rien de nouveau. Neo, enfin, faisait griller de la viande avec un air de gamin satisfait.
Pourquoi avaient-ils tous l'air heureux comme ça ? C'était insupportable. Enfin, tous... Hunter s'approcha, l'air mortellement sombre. Par réflexe, Nikolai s'avança vers Cassandra, qui écoutait patiemment ce que sa crevette disait.
— Qu'est-ce que tu lui veux ? demanda-t-il à voix basse en interrompant la course du jaguar d'une main sur la poitrine.
Celui-ci le fusilla du regard, et pour la première fois, Nikolai le regarda vraiment. Hunter ne pourrait jamais le battre à la loyale, il en était persuadé, cependant, il avait l'air d'être le genre d'homme capable de l'assassiner dans son sommeil s'il le jugeait nécessaire. Nikolai plissa le nez, mince, ça l'emmerderait de devoir faire de Lilith une veuve et une mère célibataire. Il avait intérêt à bien se tenir.
— Pousse-toi, grogna le jaguar.
— Non.
La tension qui naquit entre eux ne manqua pas d'attirer l'attention, et même Cassandra qui essuyait une tâche de boue sur la joue de son fils se releva, l'air curieux et inquiet. Ne pouvant pas l'atteindre physiquement, Hunter le fit par les mots.
— Ton fils est un changelin, quel âge a-t-il ?
Cassandra fronça les sourcils et Nikolai aussi, où voulait-il en venir ?
— Il a sept ans.
Hunter cracha par terre, l'air méprisant.
— Ça ne dérange aucun d'entre vous d'accueillir ce type d'individus dans notre meute ? demanda-t-il en prenant les autres membres en témoins.
Nash, Neo, Tarik, Nahila et Lilith regardèrent Cassandra, cherchant eux aussi à comprendre ce qui gênait Hunter. Mais celui-ci ne se fit pas prier pour s'expliquer.
— A'Canda, c'est noble, comme nom de famille non ?
Cassandra se raidit tout à fait, et redressa les épaules.
— En effet, dit-elle d'une voix glaciale, comme si elle les défiait de la juger.
— Et ça ne gêne aucun d'entre vous qu'une femme, noble, humaine, mère célibataire d'un bébé changelin d'environs sept ans, se promène parmi nous ?
La plupart des gens prenaient Nikolai pour un idiot parce qu'il était grand et musclé, et qu'il ne faisait pas beaucoup d'effort pour les détromper, mais c'était loin d'être le cas. Et le lien, il le fit très bien.
Se tournant vers Cassandra, il la dévisagea à son tour. Hunter venait de laisser entendre qu'elle aurait pu faire partie des femmes humaines qui les avaient violés. Ces midinettes qui venaient chaque année admirer le spectacle des jeux et payaient pour avoir la chance de baiser avec un « animal fougueux ». Chacun de mâle présent y était plus ou moins passé, chacun l'avait vécu différemment. Hunter faisait partie de ceux qui l'avait le plus mal vécu. Ça ne faisait que cinq ans et demi qu'ils avaient quitté cet enfer qu'était le zoo, il n'était pas difficile de supposer que Cassandra ait pu tomber malencontreusement enceinte d'un des changelins enfermés là-bas. Il la regarda de haut en bas, jaugea cette petite humaine pudibonde qui s'indignait que l'on touche ses précieuses chevilles et rougissait à l'idée de porter un pantalon.
Non, Hunter était décidément le dernier des idiots, elle n'avait pas le profil des femmes fatales persuadées d'avoir tous les droits qui avait payé pour leur service. Cassandra était beaucoup trop... elle... pour ça. Il s'apprêta à le dire à Hunter, mais l'humaine le devança. Son visage était fermé, et elle se tenait droite, comme une reine prête à encaisser tous les coups et à se battre.
Sa voix était un condensé glacial de mépris et de morgue qui aurait pu faire geler les couilles de tous les hommes présents pour les faire tomber comme des cerises trop mûres.
— J'ai toujours pensé que les changelins étaient plus avancés sur ce type de sujet, mais il faut croire que vous n'êtes pas aussi évoluée que vous prétendez le faire croire. Alors oui, j'ai un fils, oui, je suis célibataire, mais je n'en rougirais pas, cet enfant j'en suis fière, il est né d'un amour entre moi et son père et même si la vie nous a séparés en fin de compte je ne regretterais jamais d'avoir aimé à ce point et je refuse que qui que ce soit me fasse la morale pour ça. Si voir une femme indépendante qui élève son enfant seule remet en cause vos petites convictions sexiste et misogyne, alors je ferais tout aussi bien de partir, je refuse que qui que ce soit me fasse culpabiliser de ne pas être entrée dans les petites cases limitantes de la société juste parce que je ne suis pas tel qu'il voudrait que je sois. Je suis fière de qui je suis et de ce que j'ai accompli.
Nikolai sentit une douce chaleur se reprendre dans sa poitrine sans trop savoir si c'était parce qu'il avait faim où parce qu'il était fier de la voir se défendre ainsi, quoique complètement à côté de la plaque.
— Viens, Raphaël, on s'en va.
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