Jour 6
Je me réveille de bonne humeur. Le jeudi a toujours été mon jour préféré. Assez loin du début de semaine, et pas trop proche du week-end. Le juste milieu. Aujourd'hui nous commençons par l'observation des insectes. Anna dort encore, comme d'habitude. Une véritable marmotte, celle-là ! Je file à la salle commune, prête à passer une autre merveilleuse journée au centre. Léon est déjà assis à une table, les yeux plongés dans sa tasse de lait. Il a une drôle de tête, et il est tout pâle. Je m'installe en face de lui.
" Hey, ça ne va pas ? Tu sembles ailleurs...", je m'exclame. Il sursaute et me regarde avec deux yeux ronds et des joues écarlates.
" Oh... Si, si ! Euh, j'ai des trucs à faire, salut ! " Il s'enfuit en courant. Je le regarde partir en secouant la tête. Qu'est-ce qu'il lui prend ? Anna me rejoint.
" Tu sais ce qu'il a, Léon ? je demande à la blonde.
- Non. Mais, par simple curiosité, tu n'aurais pas parlé à ta mère hier soir ?
- Attends... Bon sang.... Tu crois qu'il a tout écouté ???
- Bah, le connaissant c'est bien possible... Après, tu peux lui demander toi-même. " Je hoche la tête. S'il a entendu toute notre conversation téléphonique... Je n'ose pas imaginer dans quel état il doit être. Je me dirige vers le jardin au pas de course. Il se trouve sur un banc un peu plus loin, la tête renversée en arrière. J'hésite à aller le voir. J'avance un pied et m'apprête à me lancer, mais la voix du directeur résonne.
" Allez, les enfants ! L'activité du matin va commencer ! Venez récupérer le matériel ! " Je soupire. Ce n'est pas cette fois que je pourrais lui parler. Je me précipite à l'intérieur, pour éviter qu'il me voit, et rejoint Anna qui fait la queue pour avoir le matériel d'observation des insectes. Une loupe, de petites boîtes, des feuilles, des stylos et des manuels sur les insectes nous attendent sagement sur la table. Nous nous en emparons, puis le directeur prend la parole.
" Vous allez vous mettre en binômes, et vous aurez deux heures d'observation. Il est interdit de s'éloigner du centre, d'accord ? Vous restez dans le jardin ! " C'est moi ou il a grandement amélioré sa façon de parler ?! Anna me pousse soudainement puis se précipite vers une autre fille. Je me rends compte qu'elle m'a dirigée vers Léon. Ah, elle, elle va m'entendre, pensais-je.
" Euh... On se met ensemble ? dis-je en souriant nerveusement.
- Oui, si tu veux. " Il tremble. Nous nous trouvons un coin tranquille à l'ombre, près de la piscine, et commençons à installer notre matériel. Nous passons une demi-heure à observer et dessiner les insectes, dans la bonne humeur et la conversation. Bien sûr, tout cela ne peut pas durer. Éloïse et Tiphanie arrivent vers nous. Elles sont accompagnées d'un garçon aux yeux verts et cheveux roux, arborant un horrible sourire charmeur et arrogant. J'ai un très mauvais pressentiment.
" Qu'est-ce que vous faites là vous ? Dégagez ! grogne la première.
- Vous ne voyez pas que nous allons nous installer ici ? " rajoute la seconde. Je lève les yeux au ciel, et me lève lentement, faisant exactement comme s'ils ne valaient pas la peine de me presser.
" Écoutez, dis-je en baillant, ce jardin est vaste, et cet endroit ne vous appartient aucunement. Maintenant, veuillez cesser de nous importuner. Léon et moi passions un très bon moment avant que vous n'arriviez, alors vous, dégagez ! Merci d'avance !
- Non mais attends, tu crois qu'on va t'obéir ?
- C'est vrai ça, tu te prends pour qui ? Tommy, vas-y, remet-la à sa place !
- Ouais, allez cousin ! " Le rouquin se rapproche de moi. Je lève une nouvelle fois les yeux au ciel. S'il imagine qu'il me fait peur, il se trompe lourdement ! Tiens, qu'il essaye de me frapper, pour voir !
" Moi je trouve qu'elle est mignonne..., dit-il, comme un chat devant une souris.
- Ouh la, tu as des goûts horribles ! " commente Tiphanie. Léon pousse un petit cri à la remarque du dénommé 'Tommy'. Je sers les poings. Je ne supporte pas les crâneurs qui se croient tout permis.
" Elle s'appelle comment cette petite poule ? " demande-t-il aux deux amies. J'ai envie de hurler que de un, je ne suis pas une petite poule, et que de deux, je suis capable de me présenter, quand même ! Comme si je n'étais qu'un objet de collection derrière une vitrine. Léon pousse un deuxième cri, mais cette fois plus audible. Je me retourne rapidement, et ce que je vois me laisse perplexe. Mon ami semble dans une colère noire, mêlée à du désarmement et de l'abattement.
" Léonie, il me semble, répond Éloïse d'une voix indifférente.
- J'aime bien. En plus je crois qu'elle a un caractère bien trempé. Ça ne les rend que plus attirantes. J'aime les filles sauvages ! " Ça suffit. Là, je vais exploser, et il va le sentir passer le " caractère bien trempé " !
" OK, Tommy, c'est ça ? Tu vas tout de suite te calmer. Je ne suis pas un objet, et j'ai le magnifique don de la parole, qui plus est, donc j'imagine que tu peux me parler en face. Ensuite, je t'interdis de m'approcher ! Mon cœur est déjà pris, c'est clair ? Alors retourne avec tes pestes adorées et fiche-nous la paix !
- Sensationnel. Tu es exactement mon genre. Et puis, personne ne me refuse, alors ce mec qui fais battre ton cœur n'a aucune chance face à mon charme.
- Et modeste, en plus de ça.
- Je sais qu'au fond, dès que tu m'as vu, tu es devenue folle de moi... " Il se rapproche dangereusement de moi. Il est tellement proche que je reçois son haleine ( fétide ) en pleine figure. C'en est trop ! Je ne suis pas objet, et encore moins un jouet ou un trophée à exhiber. Je le pousse violemment.
" Ne t'avise plus de m'approcher. Ne t'avise plus de me parler, ni même de me regarder ! Disparaissez, je ne veux plus vous voir ! " Soudain, une petite explosion retentit, aux pieds de Tommy. Non ! Pas maintenant ! Il faut que je me calme. Inspire, expire. Ouf, je crois que ça va un peu mieux. Léon semble se réveiller soudainement. Il se lève à la vitesse de l'éclair, et regarde droit dans les yeux le rouquin.
" Si tu l'approches encore une fois, crois-moi, tu auras affaire à moi !" grogne-t-il. Le trio s'en va en nous jetant des regards noirs. J'ai la tête qui tourne. Mon ami le remarque et me fait asseoir dans l'herbe.
" Ça ne va pas ? Si c'est à cause de ce...
- C'est juste un petit malaise. Trop d'émotions. Mais, sérieusement, pour qui se prend-il, celui-là ?! S'il m'approche de nouveau, je jure qu'il va le regretter amèrement !
- Et, hum, au fait..., commence-t-il, visiblement mal-à-l'aise, qui est-ce, ce garçon, là... Qui fait hum... Battre ton cœur...? " Aïe. C'est bien le genre de question que je voulais éviter. Qu'est-ce que je lui dis, bon sang !? Aidez-moi ! Je prends mon air le plus décontracté et lance :
" Bah, j'ai dis cela pour qu'il me fiche la paix, voilà tout !
- Alors, tu n'es pas amoureuse ?
- Oh, euh... Eh bien... Je... Dois aller aux toilettes ! " Je me lève en quatrième vitesse, ce qui me fait trébucher sur mes lacets, et je m'étale par terre. Je cours tant bien que mal vers le centre, puis je me cache derrière un mur pour observer rapidement sa réaction. Il semble surpris, puis triste. J'hésite à retourner le voir et lui dire la vérité, car je ne supporte pas de le voir comme ça. Mais au fond de moi, je sais que je ne suis pas prête à lui avouer mes sentiments. C'est beaucoup trop tôt, et je ne veux pas gâcher ces semaines au centre en devant me relever d'une déception amoureuse. D'autant que je suis persuadée qu'il me considère comme une simple amie ( ce qui est déjà beaucoup, sachant qu'il a peur des filles ). Je vais m'enfermer aux toilettes pour réfléchir calmement.
Je ressors une dizaine de minutes plus tard. Léon s'est remit au travail, mais semble préoccupé. Lorsque j'arrive près de lui, il relève la tête rapidement et dit :
" Ah ! Je m'inquiétais ! Tu étais tombée dans la cuvette ? " Il emploie le ton de la rigolade, mais je vois bien qu'il était très inquiet.
" Hey, calme-toi Mon chou, réponds-je en souriant, je ne suis partie que quelques minutes !
- Et ça a suffit pour que je m'inquiète ! " Je rigole.
" Bon, et sinon, à part ta petite crise d'angoisse, tu as avancé sur l'observation ?
- Non. Je n'arrive pas à me concentrer lorsque je suis stressé... " J'éclate franchement de rire, puis m'assois à côté de lui. Nous nous mettons au travail, en évitant soigneusement d'évoquer ce qu'il s'est passé tout-à-l'heure.
∥ Une heure plus tard ∥
Nous avons réunis une vingtaine d'espèces d'insectes différentes, lorsque le directeur frappe dans ses mains.
" L'activité est finie, les enfants, et le repas est prêt ! " s'exclame-t-il. Pas de doute, il a vraiment amélioré son vocabulaire. Nous rangeons le matériel, et nous rendons au self, le ventre gargouillant et la bouche bavante.
Une fois le repas avalé, nous disposons d'une heure de liberté, avant de commencer les activités dans le jardin. Je me précipite à la bibliothèque du centre. Depuis que nous sommes ici, je n'ai eu le temps de m'y rendre que lors de la visite du centre, et n'ai pas put y rester plus de quelques minutes. C'est l'occasion rêvée ! Je pousse la porte en bois d'ébène, et aussitôt, l'odeur des livres anciens m'assaille. Je reste époustouflée. Des étagères remplies de livres couvrent chaque mur de la pièce, et de multiples fauteuils, poufs et coussins s'entassent un peu partout. Je sens que cet endroit est de loin ma pièce préférée du centre ! Je referme la porte, puis cours vers une des étagères se trouvant à ma gauche. Je grimpe sur un tabouret, et attrape toutes sortes de romans, comme " Chasseurs de livres " de Jennifer Chambliss Bertman, ou " La pathétique histoire de Birdie Bloom " de Temre Beltz. Une pile de romans vacillante dans les bras, je vais m'installer dans un fauteuil en velours rouge. J'ouvre un premier roman, et commence à lire les premières lignes, dévorant les mots, comme à mon habitude. Soudain, la porte de la bibliothèque s'ouvre en grinçant. Aurais-je un compagnon de lecture ? Peu importe. Je veux continuer de lire. La personne vient s'installer en face de moi. Je sens qu'il ou elle est en train de me regarder. Je soupire, et lève les yeux de mon bouquin. Je tombe nez-à-nez avec un visage que je connais maintenant par cœur.
" Léon ?!? " Un petit rire s'échappe de ses lèvres.
" Je vois que je ne suis pas le seul à aimer cette bibliothèque...
- Elle est incroyable ! Si j'en avais une comme ça...
- Tu passerais toutes tes journées dedans ! sourit-il.
- Exact. Et pas que mes journées. Mes nuits aussi ! " Il rit. Nous nous sourions, puis replongeons chacun notre nez dans notre bouquin. Une heure s'écoule dans le silence, tous deux plongés dans la lecture de notre livre. Puis, le directeur passe dans les couloirs, annonçant le début des activités dans le jardin. Je range mon livre sur une étagère, puis me dépêche de rejoindre les autres à l'extérieur. Le directeur nous demande de nous asseoir. Nous nous exécutons, puis il dit :
" Nous allons faire une balle au prisonnier, et je ferais l'arbitre. Je vais choisir deux capitaines d'équipes, un garçon et une fille, qui prendront chacun un nombre de coéquipiers. Alors, qui veut être capitaine ? " Beaucoup lèvent la main, mais pas moi. Je n'ai jamais aimé être au centre de l'attention. Léon et Anna, en revanche, en ont très envie, vu la façon dont ils balancent leurs mains, bien au-dessus de leur tête.
" Toi ! La blonde, là... Anna, c'est ça ? " demande-t-il en pointant mon amie. Elle hoche la tête, toute contente, et va se mettre debout à côté du directeur.
" Et pour le garçon... Toi ! " Je tourne la tête pour voir qui il a choisit. Oh non... Tommy. Je le sens très mal. Très très mal. Le garçon se lève et va se poster de l'autre côté du directeur.
" Anna, commence ! Choisis une fille !
- Léonie ! " dit-elle sans hésitation. Je me lève docilement, et vais me mettre derrière elle.
" Tommy, choisis un garçon !
- Léon. " Je faillis m'étrangler de stupeur. Tommy n'aime pas Léon, il n'a aucune raison de le prendre dans son équipe. Je sens le coup fourré, là-dessous... Mon ami n'a pas le choix : il se lève en grommelant et vient derrière le rouquin. Il me jette un regard désespéré. Je hausse les épaules, malheureusement, je ne peux rien faire. Et puis, ce n'est qu'une balle au prisonnier. Il ne peut rien arriver de grave, si ?
Les deux capitaines continuent d'appeler des gens dans leur équipe et c'est sans surprise que Éloïse et Tiphanie se retrouvent dans l'équipe de Tommy. Une fois tous les adolescents appelés, le directeur trace le terrain avec une craie, et ramène un ballon. Chaque équipe choisit une partie du terrain, et le jeu peut commencer.
Les premières minutes, tout se passe bien. Peut-être que Tommy ne prépare rien, finalement.
Nous jouons tranquillement. Je suis forte pour éviter la balle avec une vitesse déconcertante, en revanche, je suis incapable de toucher quelqu'un avec. Bah, on ne peut pas être bon à tout. Léon aussi s'en sort bien; à l'inverse que lui arrive à lancer la balle.
Soudain, le ballon file vers la figure de Tommy, qui affiche un sourire cruel. Il déplace sa tête à quelques secondes près, et Léon la reçoit en plein visage. Je pousse un petit cri, et cours vers lui. Il a le nez en sang. La colère fleurit en moi à une vitesse vertigineuse. Je me tourne vers Tommy, les yeux flamboyants, et frappe le sol du pied.
" Tu l'as fait exprès espèce de-
- Moi ? dit il en faisant un sourire des plus innocents, pas du tout ! Je n'ai fais qu'éviter le ballon !
- Je vais te-
- Calmez-vous ! intervient le directeur. Léonie, va lui passer de l'eau sur le visage. Quant à toi, Tommy, va me chercher une balle moins dure, et fais plus attention la prochaine fois ! " Je pousse un grognement de rage et aide Léon à se relever. Je l'emmène jusqu'aux toilettes du centre, et prends une serviette mouillée, que je passe sur son visage.
" Ça va mieux ?
- Oui. Merci.
- Je savais qu'il préparait un mauvais coup. Encore heureux que tu n'aies pas quelque chose de plus grave. " Il sourit.
" C'est vrai, ça aurait pu être pire. Comme par exemple, que ce soit toi qui se retrouve dans son équipe. " Je rigole, puis nous retournons dans le jardin. Léon rejoint son équipe, et je rejoins la mienne. Anna me glisse :
" Je déteste ce "Tommy". Tu le connais ? " J'évite une balle et réponds :
" On l'a rencontré ce matin, Léon et moi, pendant l'observation des insectes. C'est le cousin de Tiphanie et Éloïse. Je le déteste. En plus il me drague sans aucune gêne. " Anna marmonne quelque chose, en fronçant les sourcils, mais je ne saisis que deux mots : " Léon " et " mince " .
Nous continuons de jouer le restant de l'après-midi, sans nouvel incident. Enfin, le directeur annonce la fin de l'activité, et nous courons vers la salle commune pour manger le goûter. Je m'installe à la table près du radiateur, entourée de Léon et Anna.
" Tu n'as plus mal au nez ? demandai-je au garçon, tout en allant chercher une banane.
- Encore un peu, mais ça va passer ", dit-il avec un sourire rassurant. Nous retournons nous asseoir et mangeons notre encas. Nous avons ensuite la soirée de libre.
Une fois le goûter englouti, je retourne au dortoir, accompagnée de Léon, tandis qu'Anna va aux toilettes. Je me laisse tomber sur mon lit, exténuée.
" Tu ferais mieux de dormir, Léo' ! Tu as l'air épuisée, me dit Léon.
- T'inquiète, Mon chou, je me rattraperai cette nuit. " Pas question de dormir alors que je peux passer du temps avec mes amis ! Anna revient des toilettes, puis elle me regarde et dit :
" Tu as une sale tête, Léonie. Tu ferais mieux de te coucher.
- C'est ce que je viens de lui dire !" appuie Léon. Je lève les yeux au ciel, avec un petit sourire.
" Dites tout de suite que vous voulez vous débarrasser de moi ! rigolai-je.
- Pas du tout, on veut seulement ton bien, fait mon ami en fronçant les sourcils. Alors, tu vas nous écouter, pour une fois ! " Il me prend par la taille et me jette sur son épaule comme un vulgaire sac à patate. Je me débats en riant, mais il me pose sur mon lit, et me borde comme une petite fille.
" Voilà. Et maintenant, dors ! " Je secoue la tête en faisant une moue boudeuse.
" Ne m'oblige pas à te chanter une berceuse !
- Non, merci, je tiens à mes oreilles ! réponds-je en riant.
- Hey ! proteste-t-il. Je chante très bien, je te signale !
- Si tu le dis.
- Allez ! Dodo ! Qui c'est qui va faire un petit dodo ?
- Toi ? rigolai-je.
- Non ! Quoique...
- Ah ! Lui aussi il a besoin d'une sieste ! Tata Anna, tu veux bien t'occuper de lui ?" fais-je en riant aux larmes. Anna tressaille lorsque je l'appelle " tata ". Son regard se fait vague, comme si elle était plongée dans ses souvenirs.
" Anna ?
- Oh euh oui ! " Elle rigole et pousse Léon sur mon lit. Il se retrouve au-dessus de moi. Nous devenons tous deux écarlates.
" Oups, fait Anna de la voix la plus innocente possible. Je pensais que tu parlais de ce lit-là... " Si je n'avais pas eu le visage de Léon à quelques centimètres du mien, je lui aurai lancé un regard noir, plus noir que le plus gros des nuages noirs. Il se relève tant bien que mal, et mon rythme cardiaque reprend une cadence à peu près correcte.
" Désolé ", souffle-t-il. Pas question que ce petit incident gâche notre fou rire.
" Bon, Tata Anna, c'est quand tu veux pour le mettre au lit ! " Mon amie rigole, prend le garçon en sac à patate et le met dans son lit. Elle dépose un baiser sur son front, un sur le mien, puis elle dit de la voix la plus maternelle possible :
" Bonne sieste mes petits ! " Nous éclatons de rire, mais elle met un doigt sur ses lèvres pour que l'on fasse le silence et éteint la lumière. Nous rigolons encore un petit peu, mais la fatigue a raison de moi. Je somnole doucement, lorsque je sens une présence pas loin. J'allume ma lampe de chevet d'une main fatiguée, en me frottant les yeux.
" Léon, qu'est-ce que tu fais ?
- Désolé, je ne voulais pas te réveiller. Je venais m'assurer que tu dormais.
- Pourquoi ? Tu vas partir ?
- Non. Juste parce que... Rien. Je retourne dans mon lit. " Il me sourit puis va se coucher. J'éteins ma lampe et plonge dans le sommeil.
Je me réveille en baillant et consulte ma montre d'un œil fatigué. Il est 19h23. Léon est toujours en train de dormir. Je sors discrètement pour ne pas le réveiller, et vais à la salle commune. Anna est en train de jouer aux cartes avec deux personnes. Ne voulant pas les déranger, je me faufile jusqu'au jardin. Le soleil est encore assez haut, même si nous sommes le soir. C'est ça, l'été. Je vais m'asseoir sur un banc et renverse ma tête en arrière. Ce fut une journée plutôt paisible malgré les deux accrochages avec Tommy. Je ne le supporte pas, ce garçon. Il est tout le contraire de Léon ! Crâneur, dragueur, sans gêne... Alors que mon chou, lui, est timide, doux, bienveillant... Je repense à ce matin. J'ai dit à Léon que j'étais amoureuse de quelqu'un. Quelle gaffe. Mais sur le coup, je pensais juste à éloigner Tommy, pas à préserver mon secret. Maintenant, il y a des chances pour qu'il se pose des questions, notamment le nom de la personne qui fait battre mon cœur. C'est tellement idiot, quand on y pense. Il aurait suffit que je lui dise " c'est toi ", plutôt que de m'enfuir comme je l'ai fais. Si seulement je pouvais remonter le temps. C'est malheureusement impossible. Je décide d'aller me promener dans la montagne, et emprunte le chemin menant à celle-ci. J'arrive dans une clairière et ouvre deux grands yeux ronds : le sol est noir, il y a de la cendre partout, et une forte odeur de brûlé flotte dans l'air. Je remarque aussi une longue ligne de terre retournée. Étrange. Que s'est-il donc passé, ici ? J'entends soudain un craquement derrière moi. Je me retourne rapidement et tombe nez-à-nez avec Léon. Il ouvre grand les yeux, surpris.
" Léonie ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Je me promenais, et je suis arrivée ici. Je me demande ce qui a bien pu se passer pour que le sol soit dans cet état... " Mon ami semble incroyablement mal-à-l'aise. Il saute d'un pied à l'autre, regardant ailleurs.
" Je n'en ai aucune idée ", dit-il, et je sens une pointe de mensonge dans sa voix. Peu importe. S'il ne veut pas me le dire, je ne peux pas le forcer. Je hoche la tête, et lance :
" Je vais retourner au centre. Ce sera bientôt l'heure du repas. " Mais soudain, je me souviens de quelque chose. Je fais volte-face.
" Euh, au fait... J'ai une question à te poser.
- Oui ? fait-il, surpris.
- Aurais-tu... Écouté par mégarde ma conversation téléphonique d'hier soir ? " Il sursaute, ne s'y attendant visiblement pas.
" Hum... Il se peut que... J'en ai entendu la moitié... Tu as dit mon prénom, alors j'ai dressé l'oreille... " Il est gêné, et a les joues un peu rouges.
" Bah, ce n'est pas grave ! " dis-je, rassurante, en posant une main sur son épaule. J'utilise toute ma force subconsciente pour ne pas laisser paraître ma panique. Il a entendu le moment où je parlais de lui. Je vais mourir de honte.
" Bon, j'y vais ! " Je me précipite vers le chemin, que je descends en quatrième vitesse. Une fois en bas, je file vers le centre et vais me cacher dans le dortoir. J'y reste un moment. Je ne saurais pas dire combien de temps exactement, puisque je reste scotchée à mon lit, plongée dans mes pensées. Finalement, le directeur annonce l'heure du repas. Je me lève à regret, et vais à la salle commune. Anna a terminé sa partie de cartes et bavarde gaiement avec Léon. Je me joins discrètement à eux, les yeux rivés sur mes mains, dans l'espoir d'échapper au regard de mon ami. Je m'attaque à mon repas, toujours silencieuse. Léon doit le remarquer, puisqu'il échange quelques mots avec Anna parmi lesquels je saisis : " Léonie " et " problème ". Je pousse ma chaise et annonce :
" J'ai fini. C'était délicieux, je ne peux rien avaler de plus !
- Mais, fait Anna, tu n'as pas mangé le dessert...
- Je suis incapable de manger autre chose. " Je me lève et retourne au dortoir plongée dans mes pensées, si bien que je ne remarque pas tout de suite qu'on vient de m'attraper le bras. Je fais volte-face et trouve Léon, sourcils froncés, et air malheureux sur le visage.
" J'ai fait quelque chose de mal ? Tu m'en veux ? " Je le regarde un moment.
" Non, bien sûr que non...
- Alors quoi ?
- Rien. Tu te fais des idées. " Il penche la tête sur le côté. J'affiche mon plus beau sourire ( forcé ), puis ouvre la porte du dortoir. Mon ami retourne à la salle commune, les épaules voûtées. J'espère qu'il n'est pas triste à cause de moi. J'entre dans la chambre 34 et vais m'accouder au balcon. Il fait encore jour. Cette journée était étrange. Moitié agréable, moitié désagréable. Pourvu que demain soit meilleur. Je vais me mettre en pyjama, préoccupée. J'imagine Léon en train de se morfondre face à mon comportement. Je ferais sûrement mieux d'aller m'excuser. La porte s'ouvre soudain sur Léon, suivit d'Anna, qui entrent dans le dortoir. Je leur fait un petit signe de la main, et mon ami me sourit faiblement. Il faut vraiment que je m'excuse. Je m'approche de lui :
" Je suis désolée pour tout-à-l'heure... J'étais dans mes pensées, mon intention n'était pas de t'éviter ou de te mettre mal-à-l'aise. "
Il me sourit, franchement cette fois.
" J'étais inquiet pour toi. J'avais l'impression que quelque chose n'allait pas. " Je regarde mes pieds piteusement. Il pose une main sur mon épaule, toujours souriant. Cela me réconforte, et je retourne sur mon lit, apaisée. Chacun s'allonge dans son lit, et nous nous souhaitons bonne nuit.
Au bout d'une dizaine de minutes, je ne trouve toujours pas le sommeil. Je reste allongée, face au visage de Léon, à le regarder. Et puis, soudain, il se lève et vient vers moi. Je ferme violemment les yeux, faisant semblant de dormir. Je sens un déplacement d'air, et j'en déduis qu'il est près de moi. Je sens alors des lèvres sur mon front, et entends un petit " Fais de beaux rêves " murmuré. Un sourire éclaire mon visage, puis je le sens partir, surement pour retourner à son lit. J'ai encore la sensation de ses lèvres sur ma peau. Mon estomac se tord dans tous les sens, et mon cœur bat à une vitesse hallucinante.
" Toi aussi, dis-je assez fort pour qu'il m'entende. Des rêves merveilleux. " J'ouvre les yeux, et vois mon ami sursauter violemment et se cogner la tête au lit du dessus. Il a vraiment un don pour ça, dis donc. Je fais un petit sourire, puis me laisse sombrer dans le sommeil.
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