Fucking good morning (2)

Danaé








Le bonheur, c’est quelque chose en effet. Peut-être bien un ensemble aussi. Quand on y pense, un à lui seul n’a jamais suffi. Aussi bien dans l’histoire que dans la vie quotidienne. D’abord il y a eu Adam, selon la bible, mais il n’a pas suffi, alors nous sommes là aujourd’hui, sept milliards d’habitants, pour le confirmer. Ensuite il y a eu la Pangée, selon les scientifiques, et elle non plus n’a pas suffi, donc nous sommes distancés par des océans à ce jour, pour l’attester.


Si je m’en tiens à cette analyse, le bonheur devrait ressembler à ça : trois générations de trois familles différentes réunies autour d’une table, souriant au soleil orangé sous le ciel Indonésien, et entourées autant de luxe que d’un air chaud qui fleure bon les effluves naturels renvoyés par les jardins verdoyants malgré l’été, et les senteurs alléchantes du buffet servi comme petit déjeuner, au régiment que constituent les Koch, les Delano et les Tiger rassemblés sous le même toit. Un vrai bataillon infernal, quand comme moi on s’y fond, jusqu’à ce que disparition s’en suive. Et une bénédiction inestimable, lorsqu’on s’appelle Holy et que toutes les attentions nous sont destinées.


Leur mariage approche à grands pas, me chuchote l’infime partie de moi encore objective, il est normal que la plupart des conversations tournent autour d’elle. Sa robe lui sera livrée demain, voilà qui fait la une du jour. L’agitation est supposée être permise au vue de tous ces arguments, sauf que d’aussi loin que ma mémoire me permet de remonter, je ne parviens à attraper aucun souvenir faisant foi d’une telle émulation autour de mon mariage avec… Neil, ce con degou… enfin débarbouillé.
Sympa la justice…


D’accord, Sinclair était encore en taule, mais il n’y a pas que ça. Il n’y en a toujours eu que pour elle en réalité. Et je ne lui en veux pas. Il m’arrive même de composer avec, certains jours. C’est vrai, dans le fond, je ne suis pas vraiment une Tiger. Je n’ai pas leur sang, mes fiançailles foireuses avec Hervey l’attestent. Et pour être tout à fait honnête, j’avais espéré que cette union me ferait me sentir un peu plus membre de cette famille à laquelle je dois tout.


Mais il est bien là le problème, je ne me sens à ma place, nulle part. Ici, ailleurs, avant, aujourd’hui, tout est pareil. Rien ne change… ou si enfin de compte, une fois. Ça a changé une fichue fois, et je me suis empressée de tout foutre en l’air, parce que je ne sais faire autrement. J’en veux toujours plus, alors que j’œuvre beaucoup plus à tout me refuser.


Contradictoire. Sans queue ni tête. Melting pot de bêtises fabriquées par la reine du drame. Voilà ce que je suis, un tout dans un rien. Une route sans destination. Un gros et rigolo non-sens. Ceci explique pourquoi tous ne regardent jamais dans ma direction plus de deux secondes. Pas même lui… Lui il a toujours eu raison, je fatigue d’avance.




–– Holy chérie, sourit mon ex-belle maman, avec une bienveillance aussi poussée que la haine qu’elle lui a vouée un jour. Armony et moi avons dû revoir quelques détails architecturaux. Tu veux bien qu’on en parle tout à l’heure ?




–– Bien sûr, même si je l’ai déjà dit, vous avez carte blanche sur tout. Moi je veux juste me marier.




Sinclair se racle la gorge, et malgré les efforts déployées pour laisser poindre un sourire au coin de ses lèvres, il garde cette aura menaçante à vous filer des sueurs froides sur tout le corps. Depuis sa sortie de prison, c’est encore pire, et ce en dépit du fait qu’il soit beaucoup plus beau et tatoué qu’avant.




–– Donc je peux demander à maman de retirer un certain Vince de la liste des invités, alors ?




–– Ou tu peux aussi commencer à chercher des poux sur ma calvitie, renchérit ma cousine à la seconde, entrainant une bonne partie de la table dans un rire contenu.




J’appelle ça, l’effet Holy, sa capacité à rendre digestes les sujets les plus difficiles, grâce à son humour. Oui, ça n’a pas suffi qu’elle soit belle comme une déesse nubienne et naturellement gaulée comme une Vixen, le ciel a aussi trouvé bon de lui donner tellement d’intelligence qu’elle peut se permettre d’être chiante et rester adorable.


Sinclair n’est pas très bavard. Et surtout pas en présence de tant de monde, et préfère donc observer le silence. La timidité n’est pas à avancer comme justificatif dans son cas. Il est plus du genre à vivre dans son monde. Je crois qu’avoir deux vies y a beaucoup contribué. Sa longue peine de prison, aussi. C’est une expérience qu’il n’a en commun avec aucune des âmes présentes autour de cette table, alors je suppose qu’il doit se sentir un peu différent. Différent et alourdit par un vilain complexe d’infériorité mal placé, si je m’en tiens aux récurrentes crises de jalousies enregistrées depuis sa remise en liberté. Parce que très franchement, même un aveugle se rendrait compte que Holy, jamais plus de sa vie ne regardera un autre homme de la manière dont elle s’oublie en posant ses yeux sur lui.




–– Vince, c’est ce garçon qui t’avait conduite à l’hôpital au moment de l’accouchement non ?




–– Oui maman.




–– Son ex, ponctue le crétin… non, second crétin de l’assemblée, cette andouille de Faye.




Alors que dire du spécimen ? J’aurais cinq vies que je n’en aurais toujours fini avec lui. Mais s’il faut tout de même faire un gros récapitulatif : c’est un putain de misogyne, jaloux, aigri et comble du comble, le nouveau compagnon de débauche de cet enfoiré qui m’a servi d’époux pendant trois longues années. Combien de fois je me suis réveillée le matin avec l’envie folle de faire un saut dans son foutu pieu, corde à la main et de l’étrangler, histoire de lui faire passer l’envie d’encourager cet avocat de pacotille, à multiplier ses mille et une nuits de folies ? J’ai perdu le décompte en seulement quelques jours, c’est pour dire.


Mais pour en revenir à Holy, ce connard n’a toujours pas fini de digérer la rancœur qu’il éprouve à Sinclair, pour cette histoire de blanchiment d’argent et tout ce qui a précédé. Derrière tout cela se cache également une espèce de jalousie à mon avis. Holy, depuis la présence de Sinclair dans sa vie, est comme qui dirait, sortie du cocon Tiger pour élargir son plan relationnel. Ainsi, aujourd’hui elle est proche d’Archie, avec qui elle partage le goût de la recherche scientifique, Maggy qui l’a plus que moi, prise pour une mère de substitution, et Jelissa qui la considère à présent comme la fille qu’elle aurait voulu avoir. Si on y ajoute ses nouvelles responsabilités de maman et d’épouse ––ou presque––, vous obtenez une Holy tellement débordée qu’elle s’est permise de demander à Dove et Lara de me tenir compagnie à moi. Faye doit se sentir délaissé, ils étaient inséparables à l’époque, avant que Sinclair n’entre dans sa vie, et ça aussi il n’arrive pas à lui pardonner.




–– Vas-y fais des affiches Faye, ironise Holy pince-sans-rire cette fois, puisque tu te crois si drôle. Mais oui maman, c’est mon ex et l’égérie de ma gamme de toilettage pour homme. Il y’en a qui devraient vraiment se trouver de vrais jobs au lieu de passer leur temps à casser du sucre sur le dos des autres.




Faye a le culot d’en rire. Cinq ans qu’il ne fout rien, et ça passe comme une lettre dans la poste dans la famille. Avec ça, impossible de tordre la boucle pour douter de ma parole, y’en a qui ont des privilèges dans cette famille, et je n’en fais définitivement pas partie.




–– Je t’en prie sœurette, recrute-moi. Surtout pas d’offense, la vérité elle est là. Tu as peur des mots ou quoi ?




–– Ferme ta… bouche Faye. Quand ça me concerne, tu fermes ta gueule négro. Personne ne t’a sonné que je sache.




–– Holy c’est bon, voudrait chuchoter Sinclair, mais trop en colère, sa voix se fait audible.




Cette dernière lui obéit à la seconde, ce qui le fait enrager.




–– Dis plutôt, quand ça nous concerne sœurette, on sait tous que tu as perdue toute volonté propre depuis qu’il t’est venu des envies d’être la femme de quelqu’un.




Ouh ! ai-je envie de psalmodier suite à cette pique. Elle a enfin trouvé le chemin des oreilles de la concernée, après avoir été la vedette de plusieurs conversations sous capes entre nous. Parce que Faye n’est pas le seul à l’avoir remarqué, cette tendance qu’a Holy de réduire désormais son monde à Sinclair. C’était mignon au départ, mais à un moment il faut reprendre le contrôle.


Mais ça ce n’est certainement pas pour aujourd’hui, car même si elle n’élève pas voix et casse rien comme avant, il y a suffisamment de violence dans ses propos pour faire perdre l’envie au plus féroce du coin d’essayer de la raisonner.




–– Tu n’es qu’un branleur Faye, et tu ne fous que de la merde. Tu sais quoi ? Rendre ta démission a été la meilleure décision de ta vie. Je m’en sors mille fois mieux sans toi et aujourd’hui je comprends pourquoi. Alors fini ce que tu as commencé, dégage, disparaît de ma vue.




Faye l’a cherché, mais Holy y est allée un peu fort sur ce coup-là. Un silence d’outre-tombe s’empare de la pièce, illustre beaucoup mieux mon propos que le départ précipité de mon cousin de la table, et la tremblote qui s’est emparée de son corps en mouvement.


Eh oui, voilà le deuxième superpouvoir de ma sœur, ses contrattaques mortelles. Je la compare très souvent à un bouclier répulsif. Elle sait prendre sur elle, cependant lorsque sonne l’heure du retour de flammes… aïe, aïe, aïe, il faut s’attendre au pire, tant sa venimosité et sa franchise reposent sur la même pièce. Un peu comme le fait qu’elle soit rancunière et dévouée à la fois. Elle est bourrée de contradictions, voilà ce qui fait d’elle une personne imprévisible, et quelqu’un de si intéressant aussi, contrairement à moi.




–– Ma championne, se gausse soudain Dwight, spécialiste aussi dans l’art de jeter de l’huile sur le feu, que dans celui d’attirer l’attention sur lui. Tu t’y frottes, tu t’y piques.




Bon d’accord, cette fois c’était plus pour détendre l’atmosphère, même si le résultat reste le même : Il a désormais toutes attentions sur lui. Ça a longtemps été un sujet de discorde en lui et Holy d’ailleurs.




–– C’était méchant, réplique Lara, plus affectivement impliquée, d’après elle. En tout cas, vous avez définition particulière de l’amour dans cette famille, c’est le moins qu’on puisse dire.




Déjà qu’elle m’en a foutu à la gueule tout à l’heure dans ma chambre, cette remarque-là, je la prends personnellement à mon compte, juste pour la forme. Peut-être pour qu’on remarque enfin ma présence aussi.




–– Tu devrais lui mettre une laisse à ton mec plutôt Lara. Ça nous évitera des déjeuners aussi pourris à l’avenir. Franchement, on ne lui a rien demandé.




Mais c’était sans compter sur le fait que, selon certains, je suis une personale non grata dans le coin. Un regard désertique me brûle aussitôt, beaucoup plus vite que les paroles haineuses qui les suivent.




–– Il était déjà pourri. Tu es là.




Choquée ? Très, pourtant je ne me laisse pas abattre et rebondi aussi vite sur mes pattes qu’un chat en danger. Sans surprise, j’opte pour le dégoût comme première offensive.




–– Dixit l’enfoiré qui a gerbé sur ma véranda, le comble de la vulgarité et du sordide.




Malheureusement pour moi cet enfoiré est le roi de la répartie. Il en faut plus d’une, pour lui boucler le pif à celui-là. Une vraie gonzesse, je jure.




–– Je rends à César, ce qui appartient à César.




Le sous-entendu dégradant n’échappe à personne. Mais comme la règle d’or est de ne pas se mêler des problèmes de couple ––quoique ex couple dans mon cas––, aucun ne moufte, tous me laissent en pâture à cet énergumène.

Sympa le soutien…




–– T’es qu’un enfoiré connard ! Va te faire foutre !




–– Toi va te faire foutre Dani ! Mieux, fais comme ton frère, et juste, disparais.




J’exhale un rire sans joie, forcé et difficile à entretenir comme la haine, comme l’amour, mais putain, tellement vital que j’y laisserais ma trachée s’il le fallait. Tous ne comprendront pas, mais c’est bel et bien une question de vie ou de mort pour moi. Moi il ne me reste rien, si je perds la face.




–– Je ne te ferai jamais ce plaisir, tu peux donc continuer à rêver.




Cet horrible personnage se tasse dans son siège, un sourire illicite au coin de sa bouche diaboliquement parfaite, faite d’un philtrum plus creux que chez la plupart des gens, pour mieux faire étalage de sa condescendance. En aucun cas mes mots ne l’ont fatigué. Je dirais qu’il recule pour mieux sauter. C’est un pragmatique, bien qu’il soit des plus intuitifs autour de cette table.




–– Eh bien, c’est ce qu’on verra.




Qu’est-ce que je disais ? Et à la lueur menaçante entre ses prunelles, j’ai intérêt à le prendre au sérieux. Il va me faire vivre un enfer… comme si ce n’était pas déjà le cas. Comme si acidité et amertume n’avait pas encore assez corrodé mon âme et intoxiqué mon sang, au point où j’en suis à me répugner moi-même. Comme si pour moi, il n’y avait pas longtemps que le soleil a cessé de se lever.


Et sur cette promesse, il quitte la table à son tour, sous les regards choqués de nos mères et des parents de Maelys, et ceux dépassés de nos frères, de ma belle-sœur Maelys et des deux autres en devenir. Pour ce qui est de nos pères, je peux les entendre pousser des Hourras d’ici là, malgré que le silence soit le plus criard sur le moment. Ce n’est un secret pour personne, tous deux gardent l’espoir d’une rupture définitive de liens entre les deux familles. De ce fait, la moindre embrouille est une victoire à leurs yeux, quoique, pour ce qui est de mon père, je commence à douter au vue de son récent rapprochement avec Sinclair.




–– Franchement bravo. C’est ça que vous comptez montrer aux enfants ? Il se serait passé quoi s’ils étaient à la maison ? Vous y avez pensé ? Il est hors de question que Maël grandisse dans une atmosphère pareille. Moi après le mariage, je pars d’ici.




En attendant que ce jour arrive, la brunette aux yeux bleus se barre aussi. J’aimerais pouvoir la regarder partir le cœur en paix, mais je n’y parviens pas. Elle est de ceux qui m’ont volé des choses, ma vie, le peu de trésors auxquels j’ai eu droit dans ma triste vie. L’homme qu’elle a épousé, aurait pu être le mien, j’aurais pu être la femme heureuse et fière de tenir la main de Hervey, tel qu’elle le fait maintenant, tout en faisant grincer le plancher au rythme de sa fureur.




Ses parents font de même, juste après elle, plus silencieusement tout de même. Après eux Lara et Dove, non sans m’avoir accordé des regards pleins de pitié auxquels je réponds par un autre belliqueux, et une moue dédaigneuse.




–– J’embarque mon gendre pour une partie de pêche, annonce mon père après s’être abreuvé et excusé auprès de sa femme.




Puis j’ai droit à un regard indéchiffrable, tant il est bref et presque fuyant.




–– Ne me l’épuise pas trop papa. À tout à l’heure mon amour.




Puis Sinclair l’embrasse. Sur la bouche d’abord, puis sur la joue, puis sur le nez, puis sur le front. Avec tendresse, avec passion, avec amour. Mon cœur se serre, une pointe de feu infernal fini de le désintégrer, je suis jalouse.




–– Je reviens vite, lui assure ce dernier, avant de suivre notre père, sous les yeux à la fois tristes et rageurs, du sien.




Hamilton n’est d’ailleurs pas le seul à souffrir de cette grande amitié naissante entre Sinclair et papa, mon basketteur de frère n’est pas en reste. La moue pincée, il quitte lui aussi la table, après avoir déposé un baiser sur la joue de notre mère.




–– J’adore ma famille, lance-t-il au loin, sarcastique à n’en plus finir. Fais chier !




–– Je vais vous laisser moi aussi. Pour une fois je n’y suis pour rien, et je suis bien content. Tout ça m’a épuisé. À tout l’heure chérie.

Le nouveau gouverneur de New-York embrasse lui aussi sa femme, et se retire de cette immense terrasse soutenue par du bois marron, qui offre une vue imprenable sur une belle étendue de vert, constituée d’une végétation diverse et variée : un vrai plaisir pour les yeux et les poumons. Il nous laisse entre femmes et seulement alors, je ressens ma solitude, à présent incapable de ne guère pouvoir constater que, de toutes celles encore assises, je suis la seule à n’avoir reçu aucune attention, pas même l’ombre d’un baiser ou d’un regard doux.




–– Il faut qu’on en parle Danaé, siffle ma mère, la mâchoire serrée, très à l’image du quart d’heure qui m’attend.




Me voilà réélue reine des troubles fêtes, reines du drame, pour avoir seulement voulu sortir de l’anonymat. Comme c’est triste. Et dire que cette histoire ne me concernait même pas…J’aurais dû me taire.

Mais c’est décidé, j’embrasse le néant, le pesant ennui qui l’accompagne et mon statut d’éternelle esseulée.

Alors mesdames je vous entends, mais il y a longtemps que je n’écoute plus. Personne ne me voit de toute façon.











Un moment s'est écoulé je sais. Mais je suis là. J'essaie de trouver l'équilibre entre l'écriture et les publications 😁😬 et les cours. Ça se complique en fait. Mais pas de panique on laisse juste le temps au temps. La solution viendra d'elle-même.

Comme les autres, vous l'aurez la fin.
Sur ce, prenez soin de vous et à très vite.

Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy.

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