Daddy lessons

Neil









J'ai la perturbante impression d'être un étranger dans mon propre corps. Pas du tout à fait à l'aise dans mes baskets ni droit dans mon pantalon. Irrité, irritable... c'est ça, je suis versatile, l'humeur régit par la présence ou l'absence de cette sorcière nubienne.

Putain de succube, je vais finir par l'étrangler.

J'avale dans la douleur. Ce n'est pourtant pas ma gorge qui brûle. C'est mon cœur qui explose en boucle, sous ces mauvais épisodes en train de tourner non-stop dans ma boite crânienne. Son inoubliable trahison. Son impardonnable manque de respect. Qui croit-elle être pour donner des leçons aux autres ? Elle en perdu le droit, elle n'en a jamais été digne, alors, qu'elle se les pince.

Salope de merde ! Putain de sans gêne.

Toujours engoncée dans son joli rôle de moralisatrice. Toujours perçue aux yeux de toute l'Amérique comme un modèle de perfection. Mais elle est fausse. Aussi fausse qu'un billet de trois dollars tant de l'intérieur qu'à sa surface refaite.

Maudit soit le jour où je l'ai désiré... Arrgh !

On ne pouvait pas faire plus crétin, je m'en rends finalement compte. Qui s'entiche de la femme qui vous a menacé d'une arme, fut-elle aussi belle que la lune et le soleil réunis, ou même dans ses droits, fidèle à son clan ? Il faut croire que les frères Delano sont tous fous. Sinclair est bien sur le point d'épouser celle qui l'a saigné à blanc, quoi de plus explicatif ?

Mais la vérité c'est que je suis juste tombé sur la pire des deux sœurs. Elle a beau être impartiale là où Holy est, je dirais sectaire, ça n'en fait pas quelqu'un de plus juste. Pire, elle est déloyale, ingrate et égocentrique. Femme puissante dans la sphère des plus coquètes, elle m'a eu avec sa narcissique fragilité, prise à tort pour de l'amour propre. Je parle de cette femme à la larme facile, qui n'a pas peur de dire ce qu'elle ressent et de reconnaître ses douleurs. Un beau traquenard, malheureusement. Vénale, ce n'est qu'un parmi tant d'autres de ses stratagèmes pour attirer encore et toujours l'attention sur elle. Elle n'en a jamais assez. Elle en fait toujours des tonnes, et se garde bien par contre, de verser dans la casse et la foudre. Ceci pour ne pas faire mauvais genre.
Non, ça elle le laisse à Holy qui est de nature trop crue pour ne pas paraître foudroyante. Non, Danaé, cette peste de super star à la noix, maîtresse dans l'art de la manipulation, hypocrite à n'en plus finir, sait garder le contrôle. Tout ce que je compte lui faire perdre, afin qu'elle révèle elle-même enfin, son vrai visage.

Le craquement d'une brindille attire mon attention. De la tête, je vérifie, sans la lâcher la feuille de vigne sur laquelle j'ai fini par m'oublier, et par transposer l'état saccagé de mon for intérieur. Elle n'est plus que lambeau, à l'extrême opposé de mon père dont la mise éternellement calquée sur la simplicité, est toujours aussi soignée. Un polo noir de chez Lacoste, un pantalon kaki et des bottes en cuir noir. Irréprochable, se voudrait-il, et moi j'ai la nausée, tant il me rappelle sans l'once d'une hésitation cette calamité qui m'a servi d'épouse pendant trois ultra longues années.


-- La récolte a été bonne cette année aussi.


On est clair, il ne vient pas parler vendange. Pas après le honteux étalage de tout à l'heure. Mais voilà, c'est un homme politique. Après avoir repérer l'opportunité, il sait mieux que personne l'importance de se montrer avenant pour arriver à ses fins. Je le connais comme moi-même. Normal, je suis son portrait craché, moins mon regard mordoré et ma récente mésaventure avec Danaé Tiger.

Sort de ma tête, sorcière.


-- On ne peut plus. Ruan fait de l'excellent boulot.


Une fois à ma hauteur, il retire finalement ses mains de ses poches, puis s'accoude sur l'enclos de bois.


-- Oui, je reconnais, tu as eu raison de l'embaucher.


Ah, ça c'est sûr, je vais m'en prendre plein les oreilles d'une propagande peu luthérienne. Papa n'est pas du genre à tourner le dos à ses opinions, aussi fautif puisse-t-il être. Pour preuve, c'est encore la guerre entre lui et Sinclair à ce jour. Comme c'est encore sans remord qu'il sort du lit conjugal... Non, il n'est pas aussi discret qu'il le croit. Je ne suis non plus aussi naïf que sa sainte femme. J'entretiens encore moins l'estime absurde que Sinclair et Archie s'obstinent à conserver à son égard. Je me suis réveillé il y a déjà trop longtemps de cela pour que, ne serait-ce que par accident, j'en vienne encore à me leurrer à son sujet.

La vie je ne l'ai pas vu à travers ses yeux. Je l'ai vécue à travers ses vices que j'ai tôt fait de régurgiter le jour où j'ai cru voir l'amour au bout du tunnel... Que nenni ! Saute erreur de génie ! Et voilà que j'ai dû ravaler mon vomi.


-- Dwight s'entoure des meilleurs, alors je n'ai pas hésité lorsqu'il me l'a présenté.


Loin de moi l'intention de vouloir pousser dans la provocation, sachant qu'il a horreur de parler de « ces gens » comme il les appelle, mais ce mec est je dirais l'excellence en personne. Et plus important encore, il est contagieux ! Même quand il fait le salaud, je le jure ! Pour tromper sa petite amie la veille de son mariage, il faut être dans l'extrême je pense. Pauvre fille... Mais bon, il semble avoir repris la voix de la raison. Peu fier de lui au point de nous en vouloir Faye et moi, d'être toujours aussi englués dans nos vies de débauchés, il est plus que jamais déterminé à se faire pardonner. Cela dit, j'ai la nette impression qu'il ne restera bientôt plus que moi sur ce banc de l'impudeur. Faye aime Lara, et Lara aime Faye. Chacun des deux commence enfin à se l'avouer... La suite est donc des plus évidentes.

Sympa le désert ! Et comme si cela ne suffisait pas, il faut que j'aie en permanence cette conne dans le viseur.

Mon père claque la langue, à défaut de se la mordre pour chasser sa verve, caustique comme il l'aime lorsqu'il s'agit des Tiger, mais inutile pour le contexte et limitante pour la bonne marche de ses objectifs, et me sort de mes songes lugubres et larmoyants.


-- Soit, comment vas-tu ?
De mieux en mieux.


-- Bien, et toi ?


-- J'aurais dit à merveille si certains de mes souhaits étaient enfin parvenus à se réaliser. (Il expire, un brin défaitiste) J'avais bon espoir que cette année soit sous le signe d'un meilleur présage, avec ton divorce, ton frère qui sortait de prison. Prison où il s'est retrouvé à causes de ces gens. Je pensais sincèrement qu'il se montrerait plus... (il tique, les yeux plissés d'agacement) consciencieux. Plus intelligent même.


Je le hais tellement qu'aujourd'hui, je ne sais plus me mettre en colère devant ses frasques. Moi à présent j'en ris. Comme de tout d'ailleurs. À défaut d'une nébuleuse orageuse accrochée à la même trajectoire, je suis devenu la petite balle rigolote qui rebondit, s'excite dans tous les sens pour ne jamais se poser, pour ne jamais être engloutie.

J'aurais dû le rester, en tout cas. Je n'aurais pas dû mettre un point final pour elle. Si seulement j'avais su qu'il ne s'agissait que d'une pause.
Mon père a beau être l'un des types les plus intelligents que je connaisse, il n'en reste pas moins le plus limité. Ce n'est pas pour autant qu'il est d'une moralité rigide. Fait-on plus élastique d'ailleurs dans cette famille ? Truffée de spécialistes dans l'art de la mascarade, et personnages de théâtre en tous lieux et en tous temps, la demeure des Delano n'est plus ni plus ni moins, qu'un tombeau blanchit. Enfin, l'était, jusqu'à ce que les Tiger y versent alcool et eau, et ne mettent en lumière toute la crasse qui y repose en réalité.

En cela se résume tout le fondement de cette haine profonde que leur voue Hamilton Delano, et dont le précurseur n'a nul autre été que sa plus grande erreur, son arrogance. Tout est bien parti de cet après-midi-là, à la sortie du culte, lorsqu'il a effrontément craché sur l'humilité de Hervey Tiger, sur la base de préjugés malséants, quoique compréhensibles.


-- Le match n'est jamais fini, tant que l'arbitre n'a pas sifflé, ricané-je en libérant en définitive, la feuille de vigne de ma poigne destructrice. C'est toi qui me l'a appris.


Son sourire espiègle est loin de soulever un quelconque étonnement chez moi. Je l'ai vu venir. Et de très loin. Je lui succèderai un jour, ça veut tout dire.


-- Exactement. Et c'est toi qui m'a redonné de l'espoir. Tu n'as pas dû le voir, mais toute cette famille de criminels te foudroyait du regard...


-- Je t'arrête tout de suite Hamilton. Jamais Holy ne renoncerait à Sinclair pour sa famille. Pas même pour elle-même, tu peux me croire. C'est une femme comme il n'y a plus, et au fond de toi tu le sais.


-- Tu ne sais rien de ce que je sais mon garçon. Et puis je me fiche de tout ce qu'elle peut être. Mère Térésa elle pourrait être, si ça lui chante. Moi la seule chose qui m'importe c'est de rompre définitivement les liens avec cette famille. Et je ne perds pas espoir. J'y arriverai, avec ou sans toi. Ils s'en sont pris à mon honneur, ça ne se pardonne pas. Jamais de la vie !


Il a le culot de parler d'honneur ! C'est une certitude, je ferai mieux de continuer d'en rire.


-- Alors que Dieu te donne assez d'années pour ça, me moqué-je ouvertement, m'interdisant de poser mon regard sur lui, au risque de perdre le contrôle.


Un vent violent s'élève. Avec lui, pas mal de la poussière, la terre asséchée par le soleil au beau fixe depuis des semaines déjà, au grand dam de l'humidité et de la grisaille. De quoi me retourner l'estomac à outrance. Mais pour l'heure, mon père en est le plus affecté. Il tousse son malaise après s'en être pris plein la gueule. Moi j'ai eu les bons réflexes de me couvrir le visage d'une casquette, de Rey Band et d'un masque avant de venir.


-- De mes trois fils, reprend-il malgré l'irritation persistante, tu es celui dont je suis le plus fier, tu le sais. Sinclair a toujours eu cette tendresse insensée pour sa mère et Archie... la vie est ce qu'elle est, et moi je ne sais pas feindre au point d'en devenir amnésique. Il n'est pas de mon sang, et l'exprime malgré lui. Malgré tout. Toi tu as suivi mes traces, et ne m'a jamais posé de problèmes. Afin, jusqu'à récemment. Mais je sais qu'il ne s'agissait que d'une punition. Entre nous il y a de l'animosité, je le vois bien. Entre tous mes fils et moi d'ailleurs, et ce depuis l'apparition de ces Tiger dans nos vies.


Il ne va donc jamais retirer ce voile sur son visage. Des années que cette famille est brisée et sans âme. Il l'a fait tout seul, avec ses infidélités, ses mensonges et l'éducation biaisée à laquelle on a eu droit. Et sa femme s'est fait complice, si douce, mille fois plus faible. Mais nous n'en sommes plus là, à chercher les coupables ou mêmes les conciliations. C'est une chasse aux sorcières, aussi vaine que laborieuse. Moi je l'ai compris depuis longtemps, Sinclair l'accepte enfin, et Archie apprend à vivre avec. Contre toute attente, c'est grâce à Holy. Celle-là qu'il s'évertue à haïr pour ne pas regarder les tréfonds ignobles de son âme, de la mienne et tous les membres infectés de notre famille.

Non, aucun Delano ne vaut mieux que les Tiger. Les Tiger s'assument entièrement, quand à coups de pinceaux, les Delano s'évertuent encore à essayer de faire le ménage. Paysanna Owen à ce jeu excelle de façon spectaculaire. Nos drames sont devenus nos victoires. Avec son expertise de médecin de l'image, il est devenu sénateur de la république, et moi premier adjoint à la mairie, malgré toute la débâcle qui a suivie l'emprisonnement de Sinclair, la mort de Danich et la longue et désastreuse guerre médiatique livrée aux Tiger.


-- Viens en aux faits papa. Pas besoin d'encensement entre toi et moi. Tu viens de le dire, tous les deux on sait de quoi il en retourne. Mais tu t'es quand-même trompé quelque part. Je ne suis pas allé vers Danaé pour te punir comme tu dis. Et Sinclair non plus d'ailleurs...


L'amour s'est imposé à moi comme cette famille, et je n'ai rien pu faire. Je me suis par contre fais plus docile, en admiration devant ce qu'il avait fait de mon petit frère. J'ai envié et j'envie encore les regards doux qu'il pose sur la femme de sa vie, l'homme téméraire qu'il est devenue et le papa exemplaire qu'il fait, et que je n'ai jamais su être pour ma fille. Mais je préfère le garder pour moi.

Incapable de poursuivre, je me tais. Les effusions d'émotions, ce n'est pas sa tasse de thé. Aussi froid qu'une banquise précambrienne, voilà Hamilton Delano. Sinclair peut bien être content d'avoir rencontré la femme qu'il a à ses côtés, l'amour en somme, étant lui-même fait de ce bois arctique. Je ne souhaite à personne l'éternité d'un hiver. À personne.


-- Ce sont tes mots. Je n'invente rien.


-- Je t'ai menti ce soir-là. J'aime ma fe... Enfin, j'aimais Danaé. La vérité c'est que tu avais déjà monté tes propres théories, et je sais mieux que personne, ce que cela implique pour toi. À croire que tu n'as pas de cœur.


Et voilà, j'ai fini par plongé la tête la première dans ce ravin sinueux, celui tant redouté. Mais en fin de compte ce n'est que légitime. Ce cycle normal qui veut que l'enfant demande un jour des comptes à ses parents, qu'il les juge, qu'il affronte leurs imperfections. Des années que nous l'avons tous engrangés ce cycle, mes frères et moi. Et de quelle manière ? Jamais je n'oublierai cette terrible nuit, où mon père a traité notre mère de tous les noms, manquant de peu de porter main sur elle avant de déserter la maison pendant près d'un mois, quand il a appris qu'Archie n'était pas son fils. N'eusse été mon indésirable présence et les cris stridents de Sinclair depuis son berceau, il n'aurait eu aucun scrupule à la violenter, j'en suis certain. Le pauvre Archie n'était même pas encore né, qu'il était déjà haï et maltraité. Nul doute, nous en sommes tous marqués, et ce, à vie.


-- J'ai toujours été correct avec ta mère. À défaut de m'encombrer de la morale, j'ai toujours été honnête avec elle, l'essentiel en somme. La seule à avoir gaffé c'est elle. Mais bien sûr, ça personne ne s'en soucie. On peut savoir jusqu'à quand vous comptez ramener cette histoire ? Et puis, je le dis et le répète cette affaire ne concerne que votre mère et moi.


Il me vole un rire. Il est acide. Incapable de m'affronter, il garde les prunelles rivées sur le vignoble. Quel cynisme ! Quelle ordure !

Mais il a raison. Autant mieux ne plus m'en mêler. J'y ai déjà suffisamment laissé des plumes de toute façon. Je suis devenu cette ombre, cette coquille vide, cet infâme salaud. De plus, la principale concernée n'a elle-même jamais bougé le petit doigt pour améliorer cette existence malsaine qui nous a vu naître et nous nargue encore aujourd'hui. C'est peut-être qu'elle s'y plaît au final. Et rien que de me l'imaginer, me donne la nausée. On est très loin de la pitié que cette dernière m'a inspiré toute ma vie.


-- Parfait.


Je m'apprête à prendre congé, croyant avoir déjà reçu l'essence même de son propos, mais il me retient d'une main lourde sur mon épaule gauche, aussitôt que mes avant-bras se décollent de la balustrade de bois.


-- J'aimerais avoir les vraies raisons de ton divorce avec cette chanteuse de pacotille. De ce que j'ai pu apercevoir, ça n'avait rien d'une séparation amicale. C'est pourtant ce que vous nous avez tous fait croire tout au long de l'année.


Si même il fallait absolument le dire, je ne penserais certainement pas à lui en premier. Il a des idées tordues pleins la tête. Et dans les scandales à New-York, j'ai déjà donné. Donc non, merci.


-- Les vraies raisons, tu les connais déjà.


-- Et depuis quand tu me prends pour un imbécile ? rigole-t-il, le regard baissé sur sa botte sous laquelle un caillou se fait trimballer dans le but de le distraire.


-- Je ne dois aucune explication, si je ne peux en avoir de ta part Hamilton, alors si tu n'as rien de plus à me dire, je vais devoir te laisser.


-- Si elle a craché sur ton honneur d'une quelconque façon, j'aime mieux te le dire mon fils, il faut le lui faire payer. Je connais les filles dans son genre, à la cuisse légère, comme ta...


-- Ferme la !


Les poings à présent resserrés sur son col, je le presse contre l'enclos, la rage à son paroxysme entre mes veines.


-- Tu es la dernière personne dont j'écouterais les conseils sur ce plan-là. Alors garde ton venin pour toi. Et la prochaine fois que tu parles de ma mère en ces termes, je n'hésiterai pas à te remettre à ta place avec mes poings, sans me soucier du fait que tu sois mon père.


Le visage de mon paternel n'a rien d'envier à un bloc d'acier sur le moment. Froid, figé et dur, il transmet fidèlement l'état des faits. Hamilton se moque pas mal de mes menaces. J'abhorre la violence, il me connait mieux que personne, et n'éprouve donc aucune crainte à minimiser mes mises en gardes. À tort ! Je suis tellement irritable dernièrement qu'il n'est plus certain que je sois le même. À vrai dire, je n'ai aucune idée de jusqu'où je serais capable dans d'aller pour éteindre le feu de rage dont les crépitements entre mes veines, me mettent de plus en plus, face à mes problèmes, à ma conscience, à mes faiblesses et ce, sans filtres ni adoucissant.


-- Tout ce que je fais, c'est pour votre bien, ose-t-il se défendre, en maître de la manipulation encore insatisfait de ses œuvres. Comment peux-tu penser que je puisse vouloir détruire ce que j'ai moi-même mis du temps à bâtir, hein ? C'est insensé ! Et maintenant, tu me lâches, garçon !


Il manque à ce tableau, jusqu'à la simple expression d'étonnement censée indiquer la naissance, aussi infime soit-elle, d'un début de trouble. Il n'est même pas désolé, rien. Il ne se remet jamais en question, alors à quoi bon ?


-- Tiens-toi à l'écart, le préviens-je, sachant pertinemment qu'il n'en restera pas là, maintenant que je viens de confirmer ses soupçons.


Il ne m'en faut pas plus pour le lâcher, lâcher l'affaire tout aussi bien l'affaire. Celle-ci étant définitivement perdue, irréparable. Après avoir lissé les pans de son vêtement, aussi sarcastique que déçu (étrangement encore), je plaque des bouches-oreilles virtuels et rebrousse chemin vers la maison, malgré ses nombreuses interpellations.

En route je tombe sur Ruan, le chef du vignoble. Nous échangeons un moment sur la fréquence d'arrosage et le système d'irrigation assez capricieux en ce moment. Ça me fait du bien de penser à autre chose, alors je lui tiens la jambe assez longtemps, désireux de garder la tête hors de l'eau. Une tâche laborieuse, non seulement à cause de mon père, mais surtout et toujours à cause de cette sale garce. Je viens d'ailleurs de décider de foutre le camp d'ici, une fois le mariage de Holy et Sinclair célébré. C'est le mieux je pense, autant pour ma santé mentale que sentimentale.
Toutes ces ondes négatives nuisent à ma productivité. C'était censé être des vacances, le moment de se ressourcer, remettre les batteries en état pour donner un nouvel élan d'efficacité au quotidien stressant de la vraie vie, celle qui consiste en de perpétuelles batailles, celle faite de coups bas et de déceptions. Ce lieu est paradisiaque, alors j'ai cru pouvoir y retrouver comme à chaque fois que j'y suis venu dans la passé, un peu de paix et de sérénité, mais c'était sans compter la présence de l'autre. Je croyais pourtant en être immunisé, n'être dorénavant en mesure de ne lui offrir qu'indifférence, tout ce qu'on éprouve quand on n'aime ni ne déteste, et non pas les flammes douloureuses de la vengeance qui détruire autant l'auteur que le récepteur, soulignant au passage l'importance que ce dernier continue d'avoir aux yeux du premier. Je croyais... comme j'ai cru tant de choses stupides avant : un tissu de mensonges au final.

Aujourd'hui j'aimerais simplement pouvoir l'effacer. De mon esprit, puisque de ma vie, cela m'est impossible, nos familles étant je le sens, liées pour toujours et à jamais, que mon père le veuille ou non. Et ce non pas uniquement du fait de ce mariage, mais aussi et surtout, à cause de cette dette éternelle contractée auprès d'eux à cause de toutes les frasques de Sinclair. Nous leur devons la vie. Toutes nos vies. Alors non, elle ne va pas disparaître du paysage, tel que je le voudrais. Surtout pas si elle hante jusqu'à mes rêves les plus inavouables. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs, avec un sourire pareil ?

Change de trajectoire Neil. Va-t-en mon gars...

Mais je n'y arrive pas. Non, moi je me plante là, les mains dans les poches, comme un idiot, attendri pour une fâcheuse raison devant cette vision d'elle en train d'offrir un dernier câlin à la petite Chidin, avant de la confier à Martha. Bistouri ou pas, une telle beauté, de celles qui émeuvent jusqu'à l'implosion, ne s'oublie pas. Pas en un an, pas en un claquement de doigt. Comme j'ai été stupide d'espérer le contraire. Dommage seulement que ça implique également de ne pouvoir passer outre sa trahison aussi sobrement que je le voudrais.

Cette femme, je l'ai aimée. Aujourd'hui je la hais, pour autant mon cœur ne peut s'empêcher de se soulever dans un premier temps, sous les effets des souvenirs passionnels en train de foisonner dans ma tête, nos nuits et nos jours heureux et amoureux. Il m'emmène très haut dans les altitudes d'un plaisir irréel peut-être, mais puissant quand-même. Il grimpe, se hisse, me transporte avec lui dans la stratosphère, pour une chute des plus fracassantes. Mon cœur qui m'explose dans le ventre de mille morceau gelés, dispersant partout dans ma chair, des ondes détestables, porteuses de sensations de nausées et de fièvre douloureuse.

Un vrai calvaire, mon enfer.

Enfer dont je ne sais malheureusement pas me défaire. Comble du comble, sa disparition subite m'affole. Perdu dans les décombres sucré-amers de mon cœur, je ne l'ai pas vu s'en aller. Et sans trop comprendre pourquoi, je hâte le pas pour aller à sa recherche, le cœur ébranlé, presque au bord de la détresse. Renseigné par une des domestiques, je fonce dans l'ascenseur, direction le sous-sol, dans l'une des salles de gym. Je l'y rejoins en quelques secondes, mais seulement de loin. À travers l'entrebâillement de la porte, je l'observe. Elle danse sur une de ses chansons, vêtue d'une combinaison noire à fines bretelles. Je n'y connais pas grand-chose, mais elle tourne beaucoup sur elle, se tortille avec une extrême sensualité et tombe souvent. Même qu'elle tombe énormément, mais se relève toujours.

C'est ce que j'admire chez elle. Enfin, une des choses que je lui enviais, après sa bizarroïde timidité. Elle est assez surprenante cette tête d'œuf. Egoïste, la demoiselle n'est pas envahissante pour autant. Pour l'homme friand de liberté que je suis, c'était du pain béni, devenu en définitive une belle erreur. La pire de ma vie.

Qu'est-ce que je fiche là ?

Elle est tenace, solide et s'accroche à ses rêves. Moi je ne rêve pas, je construis, je planifie et j'agis. Enfin, jusqu'à ce qu'elle ne débarque dans ma vie. Il n'est donc pas étonnant de la voir aussi épanouie, là où moi je suis totalement détruit. Flotter dans le vent, telle une feuille légère, tandis que je m'écrase, lourd comme un bloc de granite. Contrairement à moi, elle sait à quoi se raccrocher. Ses remparts solides, tangibles. Moi entre mes paumes, il n'y a jamais plus que de l'air. Fugace et volatil. Quoi de plus normal alors, que de me voir couler, couler malgré mon acharnement.

J'aimerais dire à quelqu'un que je suis mort noyé. Que c'est elle qui m'a chargée de pierre avant de me jeter à l'eau sans bouée, mais je me sens abattu. Cette faucheuse semble ne pas m'avoir uniquement muselé l'esprit, le cœur et l'âme. Elle m'a apparemment cloué le bec aussi. Longtemps que je porte des fardeaux, longtemps que j'accumule les casseroles. Des mois à essayer de jouer à celui qui s'en sort, qui a passé l'éponge, qui a brulé le livre. J'y ai tout dépensé. Beaucoup plus que je n'en ai jamais donné à personne. Pas même à elle lorsqu'il était encore temps de l'aimer, d'aduler son corps de guitare, de déguster les saveurs envoutantes de ses lèvres pleines, de m'abreuver de ce si précieux nectar qui coule entre les pétales rosâtres de sa fleur sacrée par laquelle j'ai si souvent touché le ciel, et de caresser son visage qui ne souffre en rien du fait qu'aucun cheveu ne l'encadre.

Tu le savais, j'étais prêt à mourir pour toi. Alors pourquoi ?











De retour avec ce couple assez complexes. Je ne sais pas si vous trouvez aussi, mais ils semblent encore plus torturés que Holy et Sinclair...
D'après vous, que se reprochent-ils mutuellement ? Aucun ne semble décidé à lâcher le secret, alors jouons aux devinettes.

J'attends vos pronostics.😜
J'espère que vous allez bien. On se retrouve ma semaine prochaine pour la suite, où vous retrouverez Holy au cœur de l'action. S'il y en a à qui elle manque... Ne ratez pas.

Sur ce, je vous dis à très vite. Portez vous bien surtout.

Ciao ciao
Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy

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