Chapitre 6




Le jour s'était levé et elle le savait grâce au pépiement des oiseaux qui inlassablement répétaient le même chant apaisant. Bella se redressa sur le lit et ne put échapper à la grimace qui étira son visage. Les courbatures commençaient seulement à s'estomper et son corps demeurait encore marqué par ces dernières quarante-huit heures. Avec une extrême précaution elle huma les odeurs dans la pièce avec lesquelles elle s'était familiarisée pour mieux détecter celle de l'homme qui la retenait prisonnière.

Rien.

Ce parfum épicé aux fragrances brutes et viriles n'était pas présent. L'estomac noué, Bella posa ses pieds blessés sur le carrelage froid en suivant l'orientation du vent qui se posait sur son visage avec plus de vigueur que le veille. Une main tendue dans le vide, elle se leva lentement et fit un pas en avant, puis un autre. Ce fut au moment de faire le septième pas qu'elle s'arrêta brutalement en avançant un peu plus sa main dans le vide. Une angoisse latente l'assaillit aussitôt car hier, à ce même endroit, à cette même distance précise sa main avait rencontré une grille en fer forgé. Aujourd'hui elle ne semblait plus là et ce détail sans doute sans importance la bouleversa car elle n'aimait pas être face à l'inconnu.

  - J'ai placé cette grille pour votre sécurité, lança une voix plus loin devant elle.

Bella hoqueta en faisant un pas en arrière.

  - Elle vous séparait du balcon, poursuivit la voix rocailleuse qui la fit à la fois frissonner et paniquer. Un accident est vite arrivé principessa.

Les lèvres tremblantes, elle dévisagea l'obscurité en essayant de produire dans son esprit un schéma simple de ce qui pouvait y avoir devant elle.

  - Avancez, n'ayez pas peur, dit-il d'une voix qui d'ordinaire l'aurait mis en confiance si celle-ci n'appartenait pas à son geôlier. Il n'y a aucun obstacle devant vous tesoro. Un peu d'air vous fera du bien.

Tout en déglutissant, Bella avança dans cette vaste noirceur car elle se disait qu'il valait mieux obéir.

  - Dans une dizaine de pas vous allez rencontrer la rambarde en pierre, la prévint-il sur le même ton.

Était-ce une stratégie ?

L'esprit perdu et tiraillé, elle s'avança en comptant ses pas puis sentit la naissance de ses doigts rencontrer la dureté de la pierre.

La respiration irrégulière, Bella tenta d'inspirer profondément l'air méditerranéen, mais sa présence qu'elle savait si proche rendait l'action difficile.

  - Eh bien Bella, vous semblez plus calme qu'hier, nota le mafieux avec bonheur. Seriez-vous en train d'abdiquer ?

  - Je suis prisonnière et je veux ma liberté, comment puis-je l'obtenir ? Demanda-t-elle d'une voix qui souffrait de confiance tant la peur dominait son esprit et son corps.

  - Je ne sais pas, peut-être en commençant par cesser de la quémander. Vous ne pouvez pas partir d'ici tesoro, ne vous y tentez pas.

  - Je sais, s'entendit-elle murmurer d'une voix tremblante.

  - Vous savez ? S'enquit-il visiblement intrigué.

Bella commença à tâter la pierre du balcon en inspirant profondément.

  - Même si...même si je parvenais à m'enfuir, je sais que ça ne me mènera à rien, parce qu'il n'y a rien autour de moi.

  - Très intéressant tesoro, dit-il d'une voix de plus en plus intriguée. Puis-je savoir ce qui vous pousse vers cette théorie qu'il n'y a rien autour de vous ?

Le cœur battant rapidement dans sa poitrine, Bella se déplaça sur la gauche pour fuir sa présence qui l'empêchait de respirer.

  - Les odeurs m'aident à comprendre, les sons aussi, commença-t-elle d'une voix hésitante. Ici je sens le parfum de la lavande et celle-ci est intense. Ce qui signifie qu'il y a un champs quelque part à proximité. Si je me concentre davantage, je peux déceler une odeur d'agrume très suave qui laisse deviner qu'il y a des orangers ou peut-être des citronniers et malgré ce mélange d'effluves, l'air marin prédomine ce qui me laisse imaginer que la mer soumet le paysage à son étendue panoramique en arrière-plan. Le vent produit un bruissement léger de plantes qui se frottent entre elles. De l'orge ou du blé.

Bella baissa la tête, la bouche sèche et s'aperçut seulement maintenant qu'elle portait toujours le peignoir que lui avait enfilé Mirella.

  - Nous sommes loin de la ville, conclut-elle rapidement en tirant sur les pans de son peignoir.

  - Brava belissima ! Vous êtes remarquable, je suis époustouflé.

Bella se racla la gorge sans répondre et inclina sa tête vers la gauche pour fuir cette sensation lourde qui l'empêchait toujours de respirer.

  - Vous n'avez pas...pitié ? Osa-t-elle dire en fermant les yeux.

  - Vous voudriez que j'ai pitié de vous parce que vous êtes aveugle ? Ce n'est pas réellement ce que vous voulez tesoro. Vous dites ça parce que vous pensez que si je ressens de la pitié celle-ci me poussera à vous libérer.

Massimo se pencha en avant pour apposer sur coude sur la pierre de la balustrade et retira ses lunettes de soleil pour la contempler sous les bonnes couleurs.

  - J'ai eu de la peine pour vous, admit-il en espérant que cet aveu la pousse à tourner son beau visage dans sa direction. Seulement je suis un homme qui ne marche pas avec les émotions. Sinon je n'aurai pas fait un quart de ce que j'ai fait en huit ans.

  - Pourquoi ne pas me libérer ?

  - Pour retourner a votre vie misérable livrée à vous-même ?

  - Je suis votre prisonnière.

  - Une prisonnière avec des libertés que je n'ai pas offerts aux autres femmes coupables. Vous êtes une jeune femme naïve qui sans moi serait entre les mains d'un homme violent et infâme.

  - Pourquoi se donner autant de peine pour moi ?

  - Et risquer de rater une occasion de jouer à mon jeu préféré ? C'est-à-dire tuer ? Certainement pas.

Elle baissa la tête un peu plus vaincue.

  - Je me dois de faire mon travail qui consiste à protéger mon pays. Il y a des lois et vous ne trouverez pas beaucoup de mafia dans ce monde qui a le soutien du peuple. Échouer ne fait pas partie de mon vocabulaire. Il y a des hommes qui s'adonnent à un trafic de femmes et vous n'êtes peut-être pas la seule cible. Pas ici, pas chez-moi et encore moins si ça concerne des étrangères.

Elle tourna enfin la tête vers la droite et leva ses yeux vers lui sans savoir que pour la première fois, elle venait de plonger son regard dans le sien. La couleur de ses yeux dominait l'ensemble de la beauté de son visage. Ils étaient captivants et Massimo se laissa piéger quelques secondes...assez pour ressentir le désir poindre brutalement en lui.

  - Je ne peux pas vous rendre la liberté que vous attendez, le mieux à faire pour vous c'est de ne pas lutter. Vous devriez plutôt me remercier d'être encore en vie et loin de ces hommes.

  - Rien ne me prouve que vous n'êtes pas pire qu'eux ? Répliqua-t-elle en abaissant le regard. Vous avez dit avoir des valeurs et des principes, et pourtant vous vous considérez comme le pire d'entre eux. Qu'est-ce qui me prouve que ce n'est pas l'un de vos jeux sadiques qui consiste à me faire croire que je n'ai rien à craindre pour ensuite me faire du mal et peut-être même...me violer.

Massimo se rembrunit à une rapidité telle qu'il se sentit forcé de reculer le plus loin possible d'elle pour ne pas la saisir à la gorge afin qu'elle retire ses propos.

Il serra les dents en fixant la captive qui respirait péniblement, le regard perdue sur l'horizon.

Au prix d'un effort surhumain il desserra les poings en s'efforçant à se dire intérieurement que ses craintes étaient légitimes.

  - La seule personne qu'il faut remercier pour avoir fait de moi un monstre avec des principes, c'est ma mère. Une femme maintenant décédée, mais qui m'a toujours appris à séparer le bien du mal.

Massimo s'avança jusqu'à elle et prit son visage dans sa main. Elle sursauta, les yeux effrayés.

Il manipula son visage de façon à ce qu'elle rejette la tête en arrière et qu'elle sache que c'est à lui que sa vie appartenait désormais. Même si elle ne pouvait pas voir ses yeux d'un noir aussi transperçant que les ténèbres, Massimo les plongea tout de même dans les siens.

  - J'ai tué des femmes, des femmes qui le méritaient et je me contre fou de ce que vous pouvez penser de moi, mais n'envisagez plus jamais d'insinuer que je suis un violeur est-ce que c'est compris ?

Malgré ses efforts pour maîtriser l'intonation de sa voix, celle-ci avait été menaçante et si froide qu'elle était sur le point de pleurer.

Il relâcha son visage, amèrement déçu et frustré que cette conversation se termine de cette façon. Elle tremblait de tout son corps, les yeux larmoyants.

  - Vous demeurerez ma prisonnière aussi longtemps que je l'aurai décidé, conclut-il sur un ton implacable. Maintenant laissez le temps vous donner tort ou raison à mon sujet.

Bella n'osait plus bouger et s'entoura de ses bras pour tenter de calmer ses tremblements. Visiblement le mafieux n'avait pas aimé sa dernière insinuation et elle ne savait pas si c'était une bonne chose ou non. En revanche, Bella savait désormais que cet homme pouvait être aussi bien de feu que de glace. Son changement d'humeur avait été si imprévisible et terrifiant qu'elle n'osait plus envisager la moindre conversation avec lui.

  - Vous avez été d'une grande naïveté pour envisager de faire un voyage à l'autre bout du monde seule, qui plus est aveugle et sans aucune personne pour vous accompagner.

L'accusation lui fit l'effet d'un coup de poing au ventre, mais il avait raison.

  - Où se trouve la personne de confiance qui est inscrite sur votre dossier médical ? Une certaine Théodora Brown.

Une violente douleur lui comprima le ventre.

  - Théodora m'avait déconseillé ce voyage, s'entendit-elle murmurer en fermant brièvement les yeux.

  - Et elle avait raison, commenta le mafieux avec sérieux. Qui est-ce ?

  - Elle s'occupe d'un centre qui accueille des personnes aveugles que j'ai intégré à l'âge de huit ans après l'accident qui m'a privé de la vue. Elle est comme une mère pour moi.

Une émotion la gagna et elle sanglota en essuyant la larme solitaire qui roulait sur sa joue.

  - Elle ne voulait pas que je vienne jusqu'ici, enchaîna-t-elle en reniflant. Elle disait que ce voyage pour retrouver ma grand-mère maternelle ne me mènerait à rien sauf à des ennuis.

Elle eut un rire sans joie.

  - Sauf qu'elle ne devait certainement pas penser à ce genre d'ennui en particulier.

  - En effet, confirma-t-il sur le même ton avant de prendre son poignet dans sa main.

Crispée, elle cessa de respirer avec appréhension puis sentit quelque chose se déposer dans sa paume de main.

  - Vous allez lui téléphoner pour qu'elle cesse de s'inquiéter parce que c'est sûrement le cas et je n'ai pas besoin qu'elle alerte les autorités américaines et que les journalistes s'emparent de cette affaire. Je compte sur vous pour être très convaincante.

Il n'avait nul besoin de rajouter quoi que ce soit, pensa-t-elle en hochant doucement la tête. La menace avait pesée dans chacun de ses mots. Un seul faux pas, une seule erreur et il n'hésiterait pas à faire du mal à la seule personne qui comptait pour elle.

  - Ma chérie ! Bon sang j'étais sur le point d'appeler la police !

Sur haut-parleur, la voix de Théodora était paniquée mêlée d'un court soulagement.

Bella sentit les doigts du mafieux encercler son bras pour y exercer une légère pression.

Un avertissement qui l'empêcha de répondre tout de suite et qui l'incita à prendre une grande inspiration.

  - Je vais bien Théodora, dit-elle en serrant le téléphone dans sa main. Ce n'est pas nécessaire d'appeler la police. En...fait...on m'a volé mon sac à main.

  - Oh mon Dieu ! Tu vas bien ?

Voyant que sa respiration irrégulière pouvait la trahir, Bella se racla la gorge pour gagner quelques secondes précieuses pour reprendre un semblant de calme.

  - Oui tout va bien, répondit-elle enfin. Le problème c'est que mon téléphone était à l'intérieur c'est pour cette raison que je n'ai pas pu te joindre avant. Mon guide m'a emmené porter plainte et ça a pris beaucoup de temps avant qu'il retrouve mon sac à main.

  - Mais...

  - Malheureusement mon téléphone n'était pas dedans.

La prise autour de son bras se desserra doucement.

  - Tu rentres bientôt ? Je n'aime pas te savoir seule Isabella. Rentre s'il te plaît. Nous ferons ce voyage ensemble plus tard si tu veux.

  - Je suis bientôt arrivée, mentit-elle le cœur serrée. Ça serait dommage de faire demi-tour maintenant tu n'es pas d'accord ?

Théodora ne répondit pas immédiatement, à l'évidence en désaccord avec sa réponse.

  - Tu as raison, finit-elle par répondre d'une voix résignée. Mais promets-moi de m'appeler plus souvent à partir de maintenant.

  - Je te le promets, murmura-t-elle en luttant contre la peine qui l'envahissait. À bientôt Théodora.

  - À très vite ma chérie.

Bella sentit les doigts du mafieux se détacher de son bras puis il lui prit le téléphone dans sa main.

  - Parfait tesoro, c'est parfait.

Elle n'eut aucun mal à imaginer la lueur de satisfaction qu'il avait sans doute dans les yeux à ce moment-là.

  - Si nous avançons dans le bon sens vous et moi, je vous laisserai l'appeler une fois par semaine.

  - Pa...par semaine ? S'enquit Bella envahie d'une angoisse latente.

  - Vous avez bien entendu principessa, répondit le mafieux en effleurant sa joue de ses doigts en ignorant son mouvement de recul. À moins que votre mémoire vous revienne avant demain matin, vous êtes coincée avec moi pendant un très très long moment.

Elle exhala un soupir tremblant en essayant de réprimer l'angoisse qui montait dans sa gorge.

  - Vous allez voir tesoro, tout va bien se passer et avec un peu de chance dans quelques jours vous ne pourrez plus vous passer de moi.

  - Aucune...chance que ça arrive, répliqua Bella sur un ton sec qui la surprit.

Ses mains encadrèrent ensuite son visage, et elle sentit sur sa peau un souffle chaud qui lui indiqua que le mafieux s'était abaissé de façon à être à sa hauteur.

  - Ne soyez pas si convaincue tesoro, la vie nous réserve parfois des surprises, chuchota-t-il tout près de son oreille. Des surprises parfois inattendues...et délicieusement agréables...


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top