Chapitre 40
L'émergence des souvenirs était bien plus puissante que Bella l'avait pensé. Retrouver New York alors qu'elle l'avait quitté seulement depuis quelques jours lui serra le cœur pour de nombreuses raisons. D'abord parce qu'elle avait peur que Massimo change d'avis et décide de la laisser ici et ensuite parce qu'elle craignait que son retour la submerge de culpabilité. Massimo avait fait tout ce chemin pour rectifier son erreur et ainsi restaurer la promesse qu'il lui avait faite. Bella était morte de peur à l'idée qu'il lui demande en retour de tenir la sienne. Celle de ne plus jamais revenir en Italie. Au terme de cette horrible torpeur, Bella inspira profondément et tourna la tête dans la direction du mafieux qui avait l'air absorbé par son téléphone. Une crainte lui noua l'estomac et une sorte de paranoïa se mit à l'envahir.
- Est-ce que je peux savoir à quoi tu penses ?
Il redressa la tête en poussant un long soupir exagéré.
- Je pense à mes lunettes de soleil, elles me manquent.
Bella ne put s'empêcher de rire en jetant un regard furtif à la fenêtre de la voiture.
- Il est vrai que le temps est maussade ici.
- Maussade n'est pas le terme que j'emploierai, mais plutôt horrible et déprimant.
Il se pencha pour l'embrasser puis contracta ses mâchoires en fixant sa bouche.
- Tu as l'air nerveuse cara.
- Nerveuse et excitée à la fois, admit-elle en se frottant les paumes de mains sur ses cuisses.
Il était si proche qu'elle avait la sensation qu'il était en train de lui ôter le souffle par la pensée. De nouveau il l'embrassa puis se remit droit sur la banquette en mettant son téléphone dans la poche intérieur de ce manteau qui le rendait encore plus sexy que d'ordinaire.
- Tu es nerveuse pour quelle raison ?
- Parce que je m'apprête à te faire découvrir où j'ai vécu une bonne partie de ma vie.
La voiture s'arrêta devant le centre au moment où elle pensait posséder assez de temps pour le prévenir.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda-t-il en ouvrant la portière.
Bella s'empressa d'ouvrir la sienne et fit le tour du véhicule. L'homme observa le bâtiment avec désapprobation puis lui lança un regard interrogateur.
- Est-ce que c'est une mauvaise blague ?
- Bienvenue vue chez moi ! Lança-t-elle avec une fausse gaieté.
Massimo ne sut traduire ce qu'il éprouvait là tout de suite. Partagé entre deux émotions distinctes, il passa en revue le vieux bâtiment à la façade grisâtre. Il lui était inutile de se tourner vers elle pour deviner son embarras devant un tel paysage de désolation.
C'était froid, austère et triste.
Le trafic animé derrière lui ajoutait un aspect sonore et d'une tristesse absolue. On pouvait entendre les pneus des voitures écraser la route trempée par la pluie alors que les trottoirs étaient pratiquement désertés.
- Je suppose que tu as reçu un choc en découvrant ça, lâcha-t-il l'air sérieux.
- S'il te plaît Massimo ne critique pas.
- Il y a de quoi critiquer cara, répliqua Massimo avec une moue de dégoût aux lèvres. Cet endroit ressemble à un centre pour détenus pas un centre pour des orphelins aveugles. Même ma prison à plus d'allure que ça.
- Tu n'es pas obligé d'être cynique.
- Pardonne-moi cara mais je ne peux m'en empêcher. Je sais que ces enfants ne peuvent pas voir dans quel taudis on les a placés, mais là c'est un manque de respect et d'une négligence inacceptable. Qui finance ce centre ?
La jeune femme au teint pâle avança sans lui et l'air blessé par ses remarques.
- Voilà pourquoi j'étais si nerveuse.
- Qui finance ce centre ? Répéta-t-il en la rattrapant par le bras.
- Des donateurs anonymes.
Il étouffa un rire.
- Tu veux plutôt dire des donateurs fantômes ou pauvres.
- Massimo s'il te plaît, le supplia-t-elle en attrapant les pans de son manteau. Ne fais pas ça à l'intérieur. Pas devant les enfants qui pensent...
- ...être dans un lieu où les petites fées volent au-dessus de leurs adorables petites têtes ? Ne t'en fais pas. Je n'ai pas l'intention de terroriser des enfants innocents.
Du moins il ne ferait aucun commentaire en leur présence, se dit-il intérieurement en se laissant conduire dans l'escalier qui ne montait pas mais qui descendait un étage plus bas comme si ça ne suffisait pas.
Elle ouvrit une porte qui n'était pas sécurisé et ce détail le mit hors de lui. Il dut se contenir car un enfant se trouvait dans le couloir principal. Un couloir sombre et à peine éclairé par des néons.
- Bonjour mon ange !
Le petit garçon redressa la tête, les yeux levés sur le plafond.
- Mademoiselle Bella ! S'écria l'enfant avec joie. C'est vous ?
- Oui c'est moi Tyler, murmura-t-elle en lui lâchant la main pour le rejoindre.
Massimo saisit son téléphone qui sonnait dans sa poche intérieur en regardant à distance cette scène adorable de l'enfant cherchant à être pris dans ses bras.
- Tu es où ? Demanda Roberto.
- Je suis dans les égouts ou du moins ça y ressemble, dit-il platement en fixant la femme qui se rapprochait dans le couloir. Dis-moi vite ce que tu as comme informations.
Bella reposa Tyler en retenant difficilement son émotion surtout lorsque Théodora la prit à son tour dans ses bras.
- Bella ! Je suis heureuse de te revoir parmi nous.
Quand Théodora la prit dans ses bras, elle sentit au tréfonds de son être une partie d'elle renaître comme si depuis son départ un fragment lui manquait.
- Qui est cet homme qui a l'air dangereux ? Demanda-t-elle en regardant par-dessus son épaule.
- Vous avez oublié de rajouter sexy, lança le concerné juste derrière elle. Je suis Massimo Di Marzio.
Théodora accepta sa poignée de main tout en restant sur la défensive.
- Je suppose que vous êtes l'incroyable, la merveilleuse Théodora ?
Malgré sa méfiance, quelques rougeurs commencèrent à apparaître sur son visage.
- En effet, c'est moi.
Massimo usa de son charme pour la mettre en confiance. Blonde, grande, environ quarante ans, elle portait des lunettes rondes qui lui donnaient un air stricte mais qui était cassé par son visage extrêmement bienveillant.
- Et puis-je savoir qui vous êtes pour Isabella ?
- Son compagnon, s'empressa-t-il en coupant l'herbe sous le pied à la jeune femme qui ne savait quoi dire.
La surprise fut telle qu'elle faillit s'étrangler.
- Mademoiselle Bella a un amoureux ! Se mit à rire gaiement le petit garçon.
- Oui bonhomme, c'est exactement ça, dit Massimo en adoptant une attitude aussi douce que possible même s'il ne pouvait pas le voir.
- Ne restons pas là, allons nous installer dans la salle principale, proposa Théodora.
- Excellente idée !
Il posa ses mains sur les épaules de la jeune femme tendue et anxieuse puis attendit que l'enfant parte avec Théodora pour déclarer :
- Lorsque les investisseurs ont proposé ce bâtiment désinfecté ils se sont dit que la lumière n'était pas nécessaire ou c'était au-dessus de leur moyen ?
- Massimo, soupira-t-elle en affaissant ses épaules.
Elle se retourna en esquissant une moue supposé le faire craquer.
- Très bien j'arrête, céda-t-il en levant les mains en l'air.
Il lui vola un baiser puis lui prit la main.
Comment pouvait-il rester de marbre devant l'impensable ? Se demanda-t-il intérieurement alors que la salle principale ressemblait à un réfectoire pénitencier.
Les enfants étaient à peu près une soixantaine. Autour des tables, ils se livraient à des exercices d'apprentissages dans un silence de cathédrale.
- Bella est ici les enfants.
Le silence s'estompa alors pour être remplacé par un concert de joie. Une petite fille en particulier quitta son atelier en balayant sa canne vers eux.
Être dénué d'émotions dans ce genre d'endroit était impossible, surtout lorsque Bella combla l'espace qui la séparait de la petite pour la prendre dans ses bras.
- Sarah je te présente Massimo.
- Bonjour toi ! Dit-elle en levant la main en l'air. Je peux toucher ton visage ?
Massimo se plia de façon à être à sa hauteur et prit sa main pour la poser sur son front.
Émue, Bella peinait à retenir ses larmes. Il avait l'air si différent avec Sarah qu'elle peinait à le reconnaître. Il s'appliquait à ce qu'elle n'ait pas peur malgré qu'elle ne pouvait pas le voir. Comme si son expérience avec elle lui avait appris à mieux comprendre cet handicap.
- Tu piques !
Le rire de la petite fille ne parvint pas à estomper la douleur qu'il ressentait dans la poitrine, car la petite Sarah était le miroir de tout le mal qu'il avait fait à Bella. Elle ne le regardait pas dans les yeux, tout comme la jeune femme debout derrière elle et qui à une époque avait cherché son regard sans parvenir à le trouver.
En dépit de son handicap, la petite fille était pleine de vie et il se surprit à croire que Bella avait été la même petite fille, seulement au fond de lui, il savait que ce n'avait pas été le cas.
- J'ai une barbe petite en effet.
- Tu ne veux pas la raser ?
- Oh que non ! Dit-il en lui pinçant le nez gentiment.
Elle rit en se tortillant contre les jambes de Bella.
- Ma chérie tu ne veux pas me montrer un peu tes progrès avec les autres ? Proposa Bella en la dirigeant vers un groupe d'enfants.
Massimo n'était pas dupe et savait que c'était un plan qui consistait à le laisser seul avec celle qui lui avait tout appris.
- Bella est fantastique avec les enfants, lança Théodora en s'installant autour de la table ronde.
- En effet, confirma Massimo en tirant la chaise. Ils jouent aux cartes ? S'étonna-t-il ensuite en désignant le jeu éparpillé sur la table.
- Oh non c'est moi ! Répondit-elle en rassemblant les cartes. Il m'arrive parfois de jouer seule pour me détendre un peu. Dites-moi monsieur Di Marzio, puis-je savoir comment vous avez rencontré Bella ?
- La version courte ou la version longue ?
Elle haussa des épaules l'air hésitant.
- Pour la version courte, nous, nous sommes rencontrés au bord d'un lac.
- Au bord d'un lac, répéta-t-elle en triant les cartes.
- Il s'agissait d'un moment...assez particulier et inoubliable, précisa Massimo en se rappelant de ce moment comme s'il avait eu lieu hier.
- Et que comptez-vous faire avec elle ?
La question qui d'apparence semblait innocente ne l'était pas.
- Je sais ce que je compte faire avec elle, commença-t-il sérieusement. Le problème c'est plutôt ce je dois faire pour combler ce qui lui manque.
Théodora fronça des sourcils.
- Ce qui lui manque ?
- Vous et les enfants.
Elle cessa de trier les cartes.
- Je ne lui demanderai pas de choisir, poursuivit Massimo en jetant un regard vers la jeune femme qui jouait avec les enfants. Elle a fait suffisamment de sacrifice et il est temps que ça s'arrête.
- Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
- Venez en Italie, lâcha Massimo en la regardant droit dans les yeux.
- Moi ? S'enquit-elle l'air abasourdie.
- Vous et les enfants. Je peux offrir mieux. Je peux offrir mieux à ces enfants. Bon sang regardez cet endroit, regardez ces enfants. Ils méritent mieux que cet endroit et vous le savez au fond de vous.
- Les donateurs ont...
- Les donateurs n'ont fait aucun effort pour offrir le mieux pour ces enfants. Ils se sont contentés de vous placer dans une rue déserte et dans un vieux bâtiment avec peu de lumière parce qu'ils ont peut-être supposé que comme ils ne voyaient pas, ils ne verraient aucune différence.
Théodora baissa les yeux l'air gêné.
- Vous n'avez pas de famille, toute votre vie vous l'avez consacré à ces enfants et vous continuez à le faire. Ces petits orphelins sont là, dans cet endroit froid et austère et personne ne s'intéresse à eux. Moi je peux vous offrir mieux. Venez en Italie. Je possède un vieux corps de ferme bien plus grande que ce bâtiment misérable. Il peut facilement accueillir ces enfants et leur donner un peu bonheur. Il est entouré d'un paysage magnifique. Les enfants pourront découvrir autre chose que cette salle qui donne l'impression qu'ils sont prisonniers. Ils pourront sentir des odeurs merveilleuses, interagir avec des animaux, faire des balades sur la plage, travailler sur les sens qu'ils leur restent. Je ferais n'importe quoi pour les rendre heureux.
- C'est de la folie, souffla Théodora en ne sachant plus où se mettre.
- Non, ce n'est pas une folie. Dites-vous que vous avez devant vous un nouveau donateur qui est prêt à tout.
- La mafia contrôle ce pays, je...je...
- Croyez-moi quand on apprends un peu à les connaître ils sont adorables, la coupa-t-il avec un léger sourire.
- Est-ce que Bella est au courant ?
- Bella a besoin de ces enfants, dit-il en recouvrant son sérieux. Elle veut être avec moi, mais je sais qu'un jour il lui manquera quelque chose et ce quelque chose c'est vous et les enfants.
Massimo baissa les yeux, envahi par une émotion méconnue.
- Je sais qu'elle a fait cette opération pour moi, lâcha Massimo en relevant les yeux. Elle a fait ça pour moi et je ne peux pas l'obliger à faire un autre sacrifice pour moi.
Il marqua une pause pour regarder la jeune femme.
- Elle est toujours malvoyante, et elle se bat chaque jour. Lorsqu'une voiture arrive à sa droite ou à sa gauche elle sursaute parce qu'elle ne la voit pas. Quand elle me regarde je décèle parfois dans ses yeux qu'elle lutte. Je ne peux pas accepter qu'elle fasse un autre sacrifice. J'ai besoin d'elle et elle a besoin de vous.
Théodora dont l'émotion se lisait dans ses yeux posa une main sur sa poitrine en secouant la tête l'air perdu.
- Je vais réfléchir monsieur Di Marzio, cette proposition est inattendue.
- Vous savez que ma proposition est la meilleure pour les enfants.
Oh oui elle le savait, mais Théodora était trop bouleversée pour l'avouer immédiatement.
- J'aimerai voir la chambre de Bella, où elle se trouve ?
- Oh euh...c'est au fond du couloir, la porte 9B.
Massimo se leva et traversa la salle sans quitter des yeux la jeune femme qui riait avec les enfants et qui sans le savoir avait changé à tout jamais le cours de sa vie.
Pour le meilleur...
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